Deux contre-exemples à la conjecture de Borsuk

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Deux contre-exemples à la conjecture de Borsuk
Deux contre-exemples à
la conjecture de Borsuk
Timo Jolivet
Ce texte comporte trois parties :
1. Description de la conjecture de Borsuk
2. Développement du premier contre-exemple
3. Développement du deuxième contre-exemple
1. Présentation du problème.
Donnons-nous une partie S de Rd bornée et de diamètre non nul. Combien
faut-il de morceaux pour partitionner S de sorte que chaque morceau de
la partition soit de diamètre strictement inférieur à celui de S ? Cherchons
d’abord une borne inférieure pour le nombre de morceaux en fonction de d.
En considérant l’ensemble ∆ des d + 1 sommets du simplexe
P
{(x0 , . . . , xd ) ∈ Rd+1 : i xi = 1 et xi > 0 pour tout i} ⊂ Rd ,
on se rend compte que tout sous-ensemble de ∆ non réduit à un point est de
diamètre 1, et comme le diamètre de ∆ est aussi de 1, il faut donc au moins
d + 1 morceaux pour découper ∆ comme décrit plus haut. On peut regarder
ce qui se passe dans le plan pour mieux visualiser le problème en considérant
l’ensemble des trois sommets d’un triangle équilatéral de côté 1.
On vient de voir pour une partie de Rd , d + 1 morceaux sont nécéssaires
dans le cas général. La question qui se pose maintenant est de savoir si d + 1
morceaux suffisent. C’est la question que Karol Borsuk se posa en 1933 (voir
la fin de [2]), qui finalement demeura sous le nom de “Conjecture de Borsuk”.
Par commodité, le nombre minimal de morceaux nécéssaires pour découper
S en sous ensembles de diamètre non nul et inférieur à celui de S sera appelé
b(S), le nombre de Borsuk de S. On définit aussi le dème nombre de Borsuk
par
b(d) := max{b(S) : S ⊂ Rd et 0 < diam(S) < ∞},
le plus petit entier b(d) tel que toute partie de Rd admette une partition de
b(d) parties réduisant le diamètre. Ce qui a été vu plus haut peut donc être
résumé par b(d) > d+1, car b(∆) = d+1. La conjecture de Borsuk se traduit
alors par le fait que b(d) = d + 1 pour tout entier naturel non nul d.
1
Les trois premiers cas. La conjecture est vraie pour d = 1, 2 et 3. Le
cas d = 1 se montre très aisément : pour une partie S de R, on considère le
segment [a, b] recouvrant S et de même diamètre que S. Les deux ensembles
suivants constituent une partition convenable :
a+b
a+b
et
S∩
,b .
S ∩ a,
2
2
Le cas d = 2 se montre en utilisant un résultat intermédiaire : toute partie
S de diamètre fini et non nul du plan peut être recouverte par un hexagone régulier particulier que l’on peut découper en trois parties de diamètre
strictement strictement inférieur à diam(S), et faire faire correspondre ce
découpage au sous-ensemble recouvert par l’hexagone.
S
diam(S)
Découpage d’une figure du plan en trois parties
On peut raisonner de la même manière pour d = 3 que pour le plan en considérant un octahèdre tronqué d’une certaine manière. Nous ne prouverons pas
ces deux derniers résultats en détail mais des démonstrations rigoureuses sont
présentées dans [3].
Le cas général. Karol Borsuk a prouvé que b(S) = d + 1 si S est la boule
unité {x ∈ Rd : |x| 6 1}, qui est la partie de Rd de diamètre 1 de plus gros
volume et Oded Schramm a prouvé en 1988 que pour d assez grand,
b(d) 6 (1, 23)d .
Le résultat de Borsuk tient aussi si S et convexe et symétrique par rapport à
son centre, ou si S est convexe et lisse. Intuitivement, ceci peut laisser penser
que la conjecture de Borsuk est vraie pour tout d. En 1963, Jeff Kahn √
et Gil
Kalai démontrèrent (voir [4]) que pour d assez grand, on a b(d) > (1, 2) d , ce
qui contredit la conjecture de Borsuk étant donné que cette valeur dépasse
largement d + 1 lorsque d tend vers ∞. Ce résultat fournit alors un contreexemple en dimension 1325. De nombreux efforts on été faits par la suite
pour essayer de trouver un contre-exemple dans une dimension plus petite.
2
Voici un tableau récapitulatif de l’amélioration successive des dimensions des
contre-exemples :
•
•
•
•
•
•
•
dimension
dimension
dimension
dimension
dimension
dimension
dimension
1325 :
946 :
561 :
560 :
323 :
321 :
298 :
Kahn et Kalai, [4]
Nilli, [5]
Raigdoriski, [6]
Weissbach, [7]
Hinrichs, [8]
Pikhurko, [9]
Hinrichs et Richter, [10]
Notons qu’il a été démontré que la conjecture est fausse pour tout d > 298.
(Historiquement : de 298 a 320 : Hinrichs et Richter, de 321 à 322 : Pikhurko,
de 323 à 560 : Hinrich et pour d > 561 : Raigorodskii.)
La réponse au problème est donc loin d’être complète. On ne sait pas ce
qui se passe dans le cas général pour 4 6 d 6 297, et un contre-exemple
dans les “basses” dimensions pourrait tout à fait exister. Une autre question
intéréssante serait de trouver un équivalent lorque d −→ ∞ du nombre de
Borsuk. En effet, le meilleur encadrement dont on dispose pour l’instant est
√
(1, 2)
d
6 b(d) 6 (1, 23)d ,
valable pour d assez grand, ce qui laisse encore beaucoup de place à des
progrès éventuels.
3
2. Contre-exemple en dimension 561 et minoration
de b(d).
Les idées présentées ici sont dues à Raigorodskii et Weissbach (voir [6] et
[7]) qui ont amélioré les résultats obtenus par Nilli [5]. On va construire
un ensemble de dimension 561 et minorer le nombre de parties nécéssaires
pour partitionner cet ensemble en sous-ensembles de diamètre strictement
inférieur. Cette minoration permettra de conclure.
Théorème. Soient q = pℓ avec p premier et ℓ un entier naturel non nul,
n := 4q − 2 et d := n2 = (2q − 1)(4q − 3). Il existe S ⊂ Rd tel que
2n−2
b(S) > Pq−2 n−1 .
i=0
i
La preuve (assez longue) de ce théorème peut être structurée en trois étapes
qui correspondent à la construction successive de trois ensembles Q, R et S,
dont le dernier vérifie l’énoncé du théorème.
Preuve. Fixons tout d’abord les notations que nous utiliserons le long
du raisonnement. Si x = (x1 , . . . , xn ) est un vecteur de Rn , alors Mx désigne
la matrice (xi xj )16i,j6n et on note Ux le vecteur (xi xj )i>j des d = 12 n(n − 1)
coordonnées de la partie triangulaire strictement supérieure de la matrice
Mx . Remarquons que l’on peut interpréter la matrice Mx comme un vecteur
de Rn×n , et donc que l’on peut définir un produit scalaire pour les vecteurs
x, Mx et Ux en utilisant le produit scalaire usuel, ce qui donne pour x, y ∈ Rn
hx, yi =
n
X
i=1
xi yi ,
hMx , My i =
X
xi xj yi yj
16i,j6n
et hUx , Uy i =
X
xi xj yi yj .
16i<j6n
(I) Considérons maintenant l’ensemble
Q := {x ∈ {−1, 1}n : x1 = 1 et #{i : xi = −1} ≡ 0 mod 2} ⊂ Rn ,
qui comporte 2n−2 points. Comme chaque vecteur a n = 4q − 2 coordonnées
et que le nombre de celles qui sont égales à −1 est pair, il vient que pour
x, y ∈ Q, on a
hx, yi = 4q − 2 − 2#{i : xi 6= yi } ≡ 2 mod 4.
Disons que deux vecteurs x et y sont quasi-orthogonaux si |hx, yi| = 2. Toute
la suite de la preuve est basée sur le lemme suivant que nous démontrerons
plus tard.
4
Lemme. Si Q′ ⊂ Q ne contient pas de vecteurs quasi-orthogonaux, alors
q−2 X
n−1
′
|Q | 6
.
i
i=0
(II) La deuxième étape de notre construction est l’ensemble
2
R := {Mx : x ∈ Q} ⊂ Rn .
La première colonne de chaque Mx ∈ R étant le vecteur x ∈ Q, on en déduit
que R a aussi 2n−2 éléments, comme Q. Pour Mx et My dans R, on calcule
hMx , Mx i =
=
n X
n
X
i=1 j=1
n
X
xi xj yi yj
xi yi
i=1
n
X
xi yi
i=1
= hx, yi2 > 4,
ce qui est vrai car on a prouvé plus haut que hx, yi ≡ 2 mod 4 si x, y ∈ Q.
Par conséquent, Mx et My auront un produit scalaire minimal de 4 si et
seulement si x et y sont quasi-orthogonaux, d’où le fait, (en vertu du lemme),
qu’un sous ensemble R′ ⊂ R ne contenant pas de vecteurs Mx , My tels que
P
n−1
hMx , My i = 4 est de cardinal inférieur à q−2
i=0
i .
(III) Le dernier ensemble qui va constituer le contre-exemple voulu est
S := {Ux : x ∈ R} ⊂ Rd ,
dont le cardinal est encore une fois de 2n−2 , car à chaque Ux correspond un
unique x puisque la matrice Mx est symétrique. Aussi, on a
4 6 hMx , My i = n + 2hUx , Uy i,
c’est à dire
n
,
2
avec égalité si et seulement si x et y sont quasi-orthogonaux. On se sert de
cela pour montrer que la distance entre deux vecteurs de S
hUx , Uy i > 2 −
q
hUx − Uy , Ux − Uy i =
q
hUx , Ux i + hUy , Uy i − 2hUx , Uy i
q n
n
=
2 + 2 − 2hUx , Uy i
q 6
2 n2 + n2 − 2
5
est maximale si et seulement si x et y sont quasi-orthogonaux. Cela implique
donc que tout ensemble S ′ ⊂ S de
diamètre strictement inférieur à celui de
Pq−2
S est est de cardinal inférieur à i=0 n−1
i .
Une borne inférieure du nombre minimal d’éléments d’une partition de S
telle que chaque élément de celle-ci soit de diamètre strictement inférieur
à celui de S est donnée par le quotient du nombre d’éléments de S par le
nombre d’élements maximal dans chaque morceau. Tout cela signifie que
2n−2
b(S) > m(q) := Pq−2 n−1 ,
i=0
i
ce qui achève la démonstration du théorème.
N’oublions pas que nous avons admis le lemme et démontrons-le sans plus
attendre.
Preuve du Lemme. On établit d’abord un résultat général sur un certain type de polynômes : la fonction
k−2
(k − 2)(k − 3) · . . . · (k − q + 1)
P (k) :=
=
(q − 2)!
q−2
est polynômiale, de degré q − 2 et donne un entier pour tout entier k. L’enter
P (k) est divisible par p si et seulement si k n’est congruent ni à 0 ou à 1
modulo q. On rapelle que p est le nombre premier tel que q = pℓ .
On va comparer le nombre de p-facteurs dans le numérateur et le dénomiteur
de la fraction. Le dénominateur a autant de p-facteurs que (q − 1)! car tous
les produits de q − 1 entiers de classes résiduelles distinctes et non nulles
modulo q ont le même nombre p-facteurs. (Cela est du au fait que si x ≡ y
ne sont dans la classe nulle modulo q, alors ils ont le même nombre de pfacteurs. Cela se prouve en écrivant a = b + spℓ avec b non divisible par pℓ ,
ce qui montre que si pm divise b, alors m < ℓ. On a donc que pm divise a, et
l’argument marche aussi pour b.)
Si k ≡ 0, 1 mod q, alors le numérateur l’est aussi. Comme c’est un produit de
q − 1 entiers de classe non nulle modulo q, il a le même nombre de p-facteurs
que le dénominateur et donc le quotient n’est pas divisible par p.
En revanche, si k n’est pas congru à 0 ou 1 modulo q, alors le numérateur
admet un (unique) facteur qui est divisible par p = q ℓ . Ses facteurs seront
soit dans la classe des entiers non divisibles par p soit dans la classe des
entiers ayant moins de p-facteurs que pℓ . Il y a donc plus de p-facteurs dans
le numérateur que dans le dénominateur, d’où le fait que le quotient soit
divisible par p.
Soit maintenant Q′ ⊂ Q ne contenant pas de vecteurs quasi-orthogonaux.
Nous allons majorer le cardinal de Q′ . Soient x et y deux vecteurs distincts
6
de Q′ . Comme x1 = y1 = 1 et que x 6= y, on a
−(4q − 3) 6 hx, yi 6 4q − 3,
et vu que le nombre 14 (hx, yi + 2) est entier (car hx, yi ≡ 2 mod 4), il vient
−(q − 2) 6
1
4 (hx, yi
+ 2) 6 q − 1.
Servons-nous du résultat préliminaire que nous avons montré plus haut. Pour
y ∈ Q′ , le polynôme à n variables x1 , . . . , xn défini par
1
(hx, yi + 2)
1
4
Fy (x) := P ( 4 (hx, yi + 2)) =
q−2
est de degré q − 2 et à valeurs entières. Si x = y, alors Fy (x) = 1 n’est pas
divisble par p. Pour x 6= y, Fy (x) n’est pas divisible par p si et seulement si
1
1
4 (hx, yi + 2) est congru à 0 ou 1 modulo q, c’est à dire si 4 (hx, yi + 2) vaut 0
ou 1. (Voir l’inégalité plus haut pour s’en convaincre.) Cela n’arrive que si x
et y sont quasi-orthogonaux, ce qui est impossible selon la définition de Q′ .
L’entier Fy (x) est donc divisible par p si x ∈ Q′ \{y}.
Le fait que x, y ∈ {−1, 1}n simplifie les choses : on a x1 = 1 et x2i = 1
pour tout i donc les polynômes (que nous appelerons Gy (k)) obtenus en
développant les Fy (x) et en simplifiant l’expression en remplaçant x1 et x2i
par 1 vérifieront les mêmes propriétés de divisibilité que les Fy (k).
Démontrons par l’absurde que les polynômes {Gy : y ∈ Q′ } sont linéairement
indépendants sur Q. Supposons qu’il existe des rationnels
P αy (que l’on peut
supposer entiers et non tous divisibles par p) tels que y∈Q′ αy Gy (x) = 0.
Alors pour tout y ∈ Q′ , l’évaluation de Gy en x = y montre que tous les αy
sont divisibles par p, (car Fy (y) ne l’est pas), ce qui contredit les hypothèses
faites sur les αy .
Les polynômes Gy (x) étant sans carrés (par construction), ils sont des combinaisons linéaires de monômes sans facteur carré de degré au plus q − 2
en les n − 1 variables x2 , . . . , xn . Comme ces monômes constituent un base
de l’espace vectoriel E des polynômes sans facteurs carrés à n − 1 variables
de degré au plus q − 2 et que les Gy (x) sont linéairement indépendants, le
nombre de polynômes Gy (x) (qui est égal à |Q′ |) est borné par la dimension
de E, qui est égale au nombre
monômes de degré au plus q − 2 en n − 1
Pde
q−2 n−1
variables plus 1, c’est à dire i=0 i . Le lemme est donc prouvé.
Le contre-exemple. Grâce au théorème, on peut construire le tableau
suivant duquel on peut enfin tirer des informations sur b(d) :
q
d
m(q)
2
15
16
3
45
25, 6
4
91
44, 5
5
153
78, 6
7
323
245, 3
7
8
435
431, 8
9
561
758, 3
11
861
2320, 9
On voit que l’on a presque un contre-exemple en dimensions 15 et 435, mais
il faut aller jusqu’à q = 9 = 32 pour en obtenir un en dimension 561. En effet,
on a m(9) = 758, 3 > d + 1 = 562, et comme m(9) est le nombre minimal du
nombre de morceaux qu’il faut pour partitionner S en parties de diamètre
plus petit, cela constitue bel et bien un contre-exemple.
Minoration de b(d). Rapellons tout d’abord un petit résultat d’analyse :
n
pour un entier naturel non nul n, on a n! < en ne . En effet, on sait que
R k+1
Pn−1
log(n − 1)! = k=2 log k, et comme log(k) < k log tdt, il vient
Z n
log tdt = n log n − n + 1
log(n − 1)! <
1
n log n−n+1
⇐⇒
(n − 1)! < e
n n
en log n
= e
= e
,
n
e
d’où le résultat escompté en multipliant l’inégalite par n. Nous sommes maintenant en mesure de donner une majoration de
m(q) =
q−2 X
4q − 3
i=0
i
ce qui donne
4q
(4q)!
< q
= q
q
q!(3q)!
4q
4qe 4q
4q 2 256 q
e
< q
,
q
3q =
e
27
qe qe 3qe 3q
e
2n−2
b(d) > m(q) = Pq−2
i=0
Aussi, pour q > 3, on a
e
>
4q−3
64q 2
i
27
16
q
.
13d = 13(2q − 1)(4q − 3) = 65q 2 + 65(q − 2)(3q − 1) > 64q 2 ,
et en résolvant une équation du second degré,
q
q
1
d
q = 58 + d8 + 64
>
8
Ces trois inégalités et une approximation numérique fournissent la minoration désirée : pour d assez grand, on a
e
b(d) >
13d
27
16
r
d
8
>
√
√
e
(1, 202) d > (1, 2) d .
13d
La toute dernière inégalité est valable pour d grand car 1, 202 > 1, 2.
8
3. Contre-exemple en dimension 323 et codes sphériques.
En 2002, Aicke Hinrichs proposa dans l’article [8] un contre-exemple en dimension inférieure à tout ce qui avait déjà été trouvé. Cette construction va
être reprise ici, à l’exception d’un résultat déjà connu auparavant (plus de
détails seront fournis dans la preuve). Nous allons prouver qu’il existe au
moins un ensemble inclus dans R323 dont le nombre de Borsuk est strictement supérieur à 561, et donc que la conjecture de Borsuk est fausse pour d
allant de 323 à 560.
Introduisons quelques définitions de base de la théorie dite des codes sphériques. On note Ωd la sphère unité {x ∈ Rd : |x| = 1}. Un code sphérique
est un sous ensemble fini C de Ωd . Si S ⊂ [−1, 1[ et hx, yi ∈ S pour tous
x, y ∈ C disctincs, on dit alors que C est un S-code (sphérique). L’entier
naturel A(d, S) désigne le cardinal maximal d’un S-code quelconque de Ωd
et A(d, S, X) le cardinal maximal d’un S-code quelconque de X ⊂ Ωd .
Proposition 1. Soient S 6= ∅ un sous-ensemble fini de [−1, 1[ et X ⊂ Ωd .
Posons n := d(d + 3)/2, α := max(S ∩ [−1, 0[ et β := min(S ∩ [0, 1[). Si
α + β < 0, alors deux inégalités suivantes sont vraies :
b(n − 1)A(d, S\{α, β}) > A(d, S)
et
b(n − 1)A(d, S\{α, β}, X) > A(d, S, X).
La démonstration n’est pas très compliquée une fois que l’on a défini les
objets sur lesquels raisonner (qui constituent en fait toute l’idée du raisonnement).
Preuve. Soit C ⊂ Ωd un S-code tel que |C| = A(d, S). Un tel ensemble
existe car on peut toujours trouver des codes à un élement et que toute partie
finie non vide de N est majorée. Donnons-nous aussi une base orthonormée
de Rn = Rd(d−1)/2+2d que nous notons (ei )di=1 , (fi )di=1 , (gi,j )16i<j6d . Le
dernier ingrédient est l’application Φ : Rn −→ Rd , x = (x1 , . . . , xn ) 7−→ Φ(x)
définie par


d
d
X
X
X
p
√
1

Φ(x) = √
ei x2i + −α − β
xi fi + 2
xi xj gi,j  .
1 − α − β i=1
i=1
16i<j6d
Cette application est injective (indépendance linéaire des ei , fi et gi,j ) et
également bien définie car α + β < 0. Un calcul ayant faussement l’air lourd
donne : (on ne se sert que de la formule donnant le carré d’une somme)
hΦ(x), Φ(y)i =
(hx, yi − α)(hx, yi − β) − αβ
.
1−α−β
9
Il s’ensuit que hΦ(x),p
Φ(y)i est minimal si et seulement si hx, yi ∈ {α, β}, et
donc que la distance hΦ(x), Φ(x)i + hΦ(y), Φ(y)i − 2hΦ(x), Φ(y)i est maximale si et seulement si hx, yi ∈ {α, β}. Cela entraine le fait que pour que la
distance entre deux points Φ(x) et Φ(y) de C soit égale à diam(Φ(C)), il faut
et il suffit que hx, yi ∈ {α, β}. Ainsi, tout sous-ensemble de Φ(C) de diamètre
strictement inférieur à diam(Φ(C)) ne contiendra pas de tels points.
Notons que l’image de Ωd par Φ est contenue dans l’hyperplan de dimension
n − 1 des vecteurs tels que la somme des coordonnées des ei soit égale à 1
(car on a hx, xi = 1 si x est dans Ωd ). Considérons maintenant une partition
de Φ(C) de b(n − 1) ensembles de diamètre strictement plus petit. L’injectivité de Φ permet d’affirmer l’existence d’une partition de C en b(n − 1)
sous-ensembles dont chacun est un S\{α, β}-code, en vertu de ce que nous
avons établi plus haut. Chacun de ces sous-ensembles étant de taille au plus
A(d, S\{α, β}), on obtient
b(n − 1)A(d, S\{α, β}) > |C| = A(d, S).
Comme X ⊂ Ωd , la deuxième égalité se prouve exactement de la même
manière.
Proposition 2. Si X = Ω24 ∩
(i)
(ii)
(iii)
√
2 24
8 Z ,
A(24, {− 12 , 12 }, X)
A(24, {− 12 ,
A(24, {−1, − 12 ,
1
4,
1
4,
1
2 }, X)
1
2 }, X)
alors :
6
25
6
325
6
350.
Nous allons raisonner à peu près de la même manière que dans la démonstration du lemme de la partie précédente, cest à dire en considérant une famille
de polynômes linéairement indépendants dont le nombre minore le cardinal
des codes sphériques en question.
Preuve. (i) Pour un {− 12 , 12 }-code C ⊂ X, considérons les polynômes
de degré au plus 1 donnés
pour c ∈ C par Pc (x) := 2hx, ci + 1. Ils sont
√
à coefficients dans Q( 2). Aussi, on a Pc (c) = 3 (car c est sur la sphère
unité), Pc (x) = 0 si hx, ci = −1/2 et Pc (x) = 2 si hx, ci = 1/2. Montrons par
l’absurde
que les polynômes {Pc : c ∈ C} sont linéairement indépendants sur
√
d’entiers non tous pairs {αc , βc ∈ Q : c ∈ C}
Q( 2). On
√
P suppose l’existence
tels que c∈C (αc + βc 2)Pc = 0. La contradiction est obtenue en évaluant
cette somme succesivement en chaque point de C : on trouvera à chaque fois
que 3αc et 3βc sont combinaison linéaire à coefficients entiers de 0 et de 2, ce
qui est contraire aux hypothèses faites sur les αc et les βc . Le cardinal de
√C
est donc forcément inférieur à la dimension de l’espace vectoriel sur Q( 2)
de dimension 25 des polynômes de degré au plus 1 à 24 variables.
10
(ii) On considère les polynômes définis par Qc (x) := (2hx, ci−1)(4hx, ci−1).
L’argument est similaire à celui utilisé pour (i) : on a Qc (c) = 3 et Qc (x)
est pair si x 6= c et c est un élément d’un { 14 , ± 12 }-code. Le cardinal d’un tel
√
code est donc inférieur à la dimension de l’espace vectoriel
sur
Q(
2) des
25
25
polynômes de degré au plus 2 à 24 variables, qui vaut 2 + 1 = 325.
(iii) Soit C ∈ X un {−1, 14 , ± 12 }-code. Considérons deux sous-ensembles de
C : on note C1 l’ensemble des points de C dont le point antipodal n’est
pas dans C et C2 ⊂ C\C1 l’ensemble contenant un point de chaque paire
de points antipodaux de C. (On rappelle que deux points sont antipodaux
(sur une sphère) si la droite qu’ils définissent passent par le centre de la
sphère. Le produit scalaire de deux points antipodaux vaut −1. En effet,
si x = (x1 , . . . , xd ) est antipodal à y = (−x1 , . . . , −xd ) = −x, leur produit
scalaire vaut −(x21 +. . .+x2d ) = −1. L’ensemble C1 ∪C2 est donc un { 14 , ± 12 }code. Aussi, on n’a jamais hx, yi = 14 pour x, y ∈ C2 car sinon on aurait
hx, −yi = − 14 , où −y désigne le point antipodal de y, qui appartient bien à
C. (i) et (ii) entrainent donc que
|C| = |C1 | + 2|C2 | 6 325 + 25 6 350,
ce qui achève la démonstration de la proposition.
Ces deux propositions permettent de conclure. On a également besoin d’un
résultat (que nous admettrons) démontré au chapitre 14 du livre [11] : il existe
un sous-ensemble C dudit “réseau de Leech” (de dimension 24) tel que C ⊂ X
et C soit un {−1, 0, ± 12 , ± 14 }-code de cardinal 196560, où X est l’ensemble de
la proposition 2. Cela implique que A(24, {−1, 0, ± 12 , ± 14 }, X) > 196560. En
utilisant la deuxième inégalité de la proposition 1 et le (iii) de la propostion
2, on trouve :
196560
b(323) >
= 561, 6 > 561.
350
11
Références
[1] M. Aigner & G. M. Ziegler : Proofs from THE BOOK, 3e édition,
Springer-Verlag (2004), 85–90.
[2] K. Borsuk : Drei Sätze über die n-dimensionhale euklidische Sphäre,
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