Physiologie de la Douleur

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Physiologie de la Douleur
Physiologie
de
la Douleur
F. Babre, SAR 3 pédiatrique
DES anesthésie réanimation
septembre 2012
Introduction
Définition de l’IASP
(International Association for the Study of the Pain)
« La douleur est
une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable,
liée à une lésion tissulaire
existante ou potentielle ou décrite en termes d’une telle
lésion »
« La perception de la douleur
est une qualité inhérente à la vie,
présente chez tous les organismes vivants viables
qui, bien qu’influencée par les expériences de la vie,
ne requiert pas au départ d’expérience antérieure…»
Anand KJS, Craig KD. New perspectives on the definition of pain. Pain 1996
Alquilaria :
arbre d’Asie qui sécrète une essence particulière – le oud – en situation d’agression
•«
Douleur aiguë »
• = signal d’alarme, d’alerte,
• transitoire
 csq = modif neuro-endocriniennes, cardiovasculaires
• But = survie et protection de l’individu, de l’espèce
• Maladies où perception douloureuse altérée :
• maladie génétique =insensibilité congénitale à la douleur ou algoataraxie
• diabète ….
•
« Douleur chronique »
• au delà de 3 mois
• = « maladie »
avec retentissement psychologique, socioprofessionnel et économique
•
Douleur chronique postopératoire
• douleur au décours d’une chirurgie
• persistant plus de 2 mois après la chir
• inexistante avant le geste
• à l’exclusion d’une autre cause de douleur que la chirurgie
-
Nociception
= ensemble des mécanismes mis en jeu en réponse à une stimulation
qui menace l’intégrité de l’organisme
= processus neurologiques permettant d’encoder et de transmettre
 réactions comportementales et réflexes somatiques et végétatives
•≠
types de douleurs selon leur mécanisme
• douleur nociceptive
= liée à un stimulus nociceptif
• douleur neuropathique : lésion des voies de la sensibilité
• douleur psychogènes et idiopathiques
• association de plusieurs mécanismes
Les circuits
 nocicepteurs
 = récepteurs
 fibres
afférentes
 corne
dorsale de la moelle épinière
• neurones à convergence
• codent l’intensité de la stimulation via leur fréquence de décharge
Nocicepteurs
= terminaisons libres des fibres nerveuses A δ et C
• réalisent des arborisations dans les tissus
(cutanés, musculaires, viscères, articulations)
• trois caractéristiques communes
- un seuil d’activation élevé
= nécessité d'une stimulation intense pour déclencher un PA
- une capacité à coder l’intensité du stimulus
= leur réponse augmente parallèlement à l’intensité du stimulus
- une capacité de sensibilisation
= la répétition de stimulations nociceptives  le seuil de
déclenchement du PA
- de 2 types selon le type de stimuli qui les excite et selon la nature des f. afférentes
•
les mécanonocicepteurs
- stimuli douloureux mécaniques (pression, étirement)
- fibres A (petit calibre, faiblement myélinisées)
- douleur localisée et précise à type de piqûre, brève
- au niveau cutané (épiderme, derme)
- au niveau viscéral, sensibles à distension parois d’organes creux
•
les nocicepteurs polymodaux
-stimuli mécaniques, chimiques et thermiques
- fibres C (non myélinisées)
-douleur diffuse, mal localisée, tardive à type de brûlure, durable
- principalement au niveau musculaire, tendineux et articulaire
• Différents types de stimulations
• stimulation directe = mécanique, thermique
• stimulation indirecte
= inflammatoire, ischémique, acidose
 libération par les tissus lésés de substances dites algogènes
qui stimulent les nocicepteurs ou les sensibilisent à d’autres stimuli
• Inflammation
– Lésions tissulaires  inflammation avec libération de
médiateurs qui augmentent la sensibilité des nocicepteurs
– = « soupe inflammatoire »
• bradykinine, prostaglandines, cytokines, histamine, sérotonine, ions
potassium et hydrogène, oxyde nitrique, …
– libérés à partir
•
•
•
•
des tissus lésés
des cellules sanguines (plaquettes, polynucléaires, mastocytes)
des macrophages
des terminaisons des fibres afférentes
•
bradykinine
• action directe et indirecte (cascade d'effets avec libération
d’autres médiateurs ► augmentation de la perméabilité
vasculaire, vasodilatation et chémotactisme leucocytaire)
•
interleukines
• IL-1, IL-6, TNFalpha
•
prostaglandines
• pas algogènes, mais sensibilisent les nocicepteurs à l’action
d’autres substances (abaissement du seuil d’activation)
Fibres afférentes
• corps cellulaires au niveau des ganglions des racines rachidiennes postérieures
• fibres C
• amyéliniques et de petit diamètre (0,3 à 1,5 μm)
• conduisent l’influx lentement (0,4 à 2 m.s-1)
• fibres Aδ
• peu myélinisées et de taille intermédiaire (1 à 5 μm),
• conduisent l’influx à une vitesse moyenne (4 à 30 m.s-1)
• relaient au niveau de la corne dorsale (lames I, II et V)
•
Glutamate = aa excitateur
– possède plusieurs récepteurs : AMPA, Kainate (KA), NMDA (N Methyl D Aspartate),
récepteurs métabotropiques liés aux protéines G
• récepteurs AMPA et KA couplés à des cx ioniques d’activation rapide
• récepteur NMDA
– activation lente (contrôlée par le magnésium),
– impliqué dans des modifications neuronales à long terme (hyperalgésie
centrale)
•
Autres neurotransmetteurs et facteurs trophiques :
substance P, neurokinines A, CGRP, somatostatine, CCK, VIP, aspartate
Moelle épinière
- neurones nociceptifs spécifiques
- lames I et II
- ne reçoivent que les fibres Aδ et C
- ne déclenchent d’activité qu’à partir un certain seuil de stimulation
- neurones nociceptifs aspécifiques
- lame V
- reçoivent à la fois des informations nociceptives et non nociceptives
- activité parallèle à l’intensité de la stimulation
- le message devient nociceptif à partir d’un certain seuil
neurones nociceptifs spécifiques
lames I et II
neurones nociceptifs aspécifiques
lame V
• Interneurones
• au niveau de la lame II se projetant sur d’autres lames
• circuits réflexes intra-spinaux par le biais d’interneurones
- vers la corne ventrale de la moelle
(ex : retrait réflexe en flexion après + douloureuse)
- vers la zone intermédiaire végétative de la moelle
Voies spinales ascendantes
• décussent au niveau de la commissure grise ventrale
• gagne le cordon antéro-latéral controlatéral de la moelle
 faisceau spino-thalamique
• faisceau paléo-spino-réticulo-thalamique ou voie médiane lente
• faisceau néo-spino-thalamique ou voie latérale rapide
 autres voies ascendantes ?
(paleo)spinoreticulothalamique (néo)spinothalamique
• Faisceau paléo-spino-réticulo-thalamique (fibres C)
• substance réticulée (TC) cortex préfrontal et structures limbiques
• à tous les niveaux du tronc cérébral, à l’origine de modifications végétatives
• thalamus médian non spécifique, sans somatotopie associée
• hypothalamus
• striatum
• se projette de manière diffuse au niveau encéphalique
• intégration émotionnelle, mémorisation et adaptation comportementale (fuite,
anticipation)
= support de la composante affective et cognitive de la douleur
• Faisceau néo-spino-thalamique (fibres Aδ)
• thalamus latéral, projection de manière somatotopique
• intégration sensori-motrice et multisensorielle de l’information
• associée à une modulation des influx nociceptifs et non nociceptifs
• puis cortex somesthésique.
= support de l’information sensori-discriminative de la douleur
Modulation
Mécanismes de modulation du signal douloureux
• aux différents étages
• périphérique
• spinal
• supra-spinaux
• système de contrôle inhibiteur diffus de la douleur
• moelle = premier centre d’intégration du signal douloureux
• action excitatrice de la périphérie
• modulation de la réponse post synaptique par les neuromodulateurs de la
périphérie
• action des interneurones inhibiteurs de la moelle
• action pré et post synaptique souvent inhibitrice et opioïdergique
des voies descendantes
Voies descendantes inhibitrices
• constituées de faisceaux provenant de la substance grise péri acqueducale et des
noyaux du raphé du bulbe
• contiennent des neurones riches en récepteurs aux opioïdes
• activent des neurones sérotoninergiques
• se projettent sur l’apex de la corne dorsale médullaire
augmentation des concentrations médullaires de sérotonine, noradrénaline et
libération d’opioïdes endogènes contenus dans les neurones inhibiteurs des lames I, II
et V
 inhibition pré et post synaptique des afférences primaire de la corne dorsale
Au niveau thalamique
•«
gate control » similaire au « gate control » médullaire
• noyau réticulaire à la périphérie thalamique recevrait également un contrôle inhibiteur
CIDN = contrôles inhibiteurs descendants déclenchés par la nociception
Un stimulus nociceptif sur une zone éloignée du champ récepteur d’un
neurone convergent => mécanisme d’inhibition sur ce même
neurone convergent de manière proportionnelle à l’intensité du
stimulus et à sa durée
• La réticulée bulbaire est impliquée dans cette boucle ( neuro
médiateurs: sérotonine et endomorphiniques)
• En clinique, les CIDN pourraient expliquer les effets de
l’acupuncture qui induisent une analgésie inhibée par la naloxone
Modulation médullaire de l’influx nociceptif
– Gate control (théorie de Melzack et Wall)
•
Inhibition par les collatérales des fibres cordonales postérieures de gros calibres
véhiculant des messages non nociceptifs = théorie du « gate control »
•
par le biais d’interneurones de la substance gélatineuse
•
Un neurone recevant un message douloureux peut ainsi être inhibé par un message
simultané non douloureux
•
Csq : perte de fibres de gros calibre  modif équilibre messages nociceptifs / non
nociceptifs
 douleurs de déafférentation
Système opioïde endogène
•
nombreux récepteurs aux opioïdes dans tout le système nerveux
•
pré- et post-synaptiques
•
•
≠ classes : Mu, Delta, Kappa
agonistes Mu (endorphines) largement distribués au niveau de la corne dorsale
 bloquent les réponses aux stimuli nociceptifs
•
3 grandes familles d’endorphines (opïoides endogènes) : proenképhaline, proopio-mélanocortine et prodynorphine
•
existe des systèmes anti opioïdes hyper algésiants = cholécystokinines (CCK),
neuropeptide SF (NPFS), nociceptine…
La glie
• cellules gliales = 70% des cellules du SNC
• isolent, protègent et nourrissent les neurones
• astrocytes et cellules microgliales qui interviennent dans douleur
• sont activées par ≠ médiateurs (ATP, bradykinine, PG, …)
• agonistes opiacés activent la glie également
agit sur les neurones via cytokines pro inflammatoires, ATP, NO, PG, …
 néo concept = « tétrasynapse »
= astrocytes + microglie + éléments pré et post synaptiques
Mise en place
Récepteurs
• 7ème semaine au niveau péribuccal
• 11ème semaine : face, paumes et plantes des pieds
• 15ème semaine : tronc, racines des membres
• 20ème semaine : surface cutanéo muqueuse en totalité
Voies afférentes
6 SA
Début de la mise en place
12 SA
1ers neurotransmetteurs de la douleur
20 SA
Thalamus
- Poids = 250 g
- Taille = 20 cm
24 SA
26 SA
Cortex
(début 17 SA)
- Poids = 630 g
- Taille = 30 cm
• fibres A en premier mais immatures
• fibres C ensuite
• parfois, le circuit existe mais
il n’y a pas encore les neurotransmetteurs (à partir de 12 SA)
À partir de 26 SA, tout est en place
• pour détecter l’influx nociceptif
• pour le transmettre de la périphérie au cortex
• douleur si transfusion in utero par voie trans abdominale à 23 SA
RCF, MAF, FR
cortisol
β endorphines
noradrénaline
• pas de douleur si transfusion dans le cordon ombilical
Mais le système est immature…
 champs récepteurs mal définis
 myélinisation immature
Myélinisation
thalamus
Anand KJS. N. Engl. J. Med 1987
cortex
Systèmes inhibiteurs immatures à la naissance…
se développent essentiellement après la naissance
12 SA
Apparition des 1ers systèmes inhibiteurs
- enképhalines
- récepteurs mu, kappa, delta
augmentation très importante
du seuil douloureux
pendant les six premiers mois de vie
• comme récepteurs immatures
• comme voies de conduction immatures
• comme myélinisation incomplète
 Transmission immature ?
A priori,
• vitesses de conduction  ralenties
• champs cutanés larges  réponse pas toujours appropriée
(queue du rat)
• Comme les systèmes sont immatures,
 Hypersensibilité ?
THE DEVELOPMENT OF NOCICEPTIVE CIRCUITS
Maria Fitzgerald? NATURE REVIEWS, VOLUME 6, 2005
• Etude du réflexe de flexion provoqué par la stimulation
de la plante du pied chez le nn
 chez nné, stimulation mécanique néc très faible
 d’autant plus faible qu’enfant jeune
(5 fois plus faible chez le préma par rapport au nné à terme)
Phénomènes réflexes ou intégration consciente ?
Mode of delivery and subsequent stress response.
Taylor A et al. Lancet 2000
• Douleur lors de l’accouchement
= forceps ou voie basse simple ou césarienne
 lors des vaccinations à 8 semaines,
 réactions comportementales 
 concentration de cortisol 
Conditionning and hyperalgesia in newborns exposed to
repeated heel lances.
Taddio A et al. Jama 2002

nnés à terme exposés à des ponctions au talon à répétition
durant les premières 24-36 h de vie

anticipation de la douleur avec augmentation réponse douloureuse
lors de ponctions veineuses ultérieures
Sensibilisation
= distorsion entre un stimulus et la perception engendrée
 cliniquement
 hyperalgésies
 allodynies
 douleurs spontanées
hyperalgésie
= une stimulation mécanique peu douloureuse devient très douloureuse
réponse
normal
Intensité de
stimulation
allodynie
= une stimulation non douloureuse devient douloureuse
réponse
normal
Seuil de douleur
Intensité de
stimulation
 Nécessité d’une évaluation = quantification du seuil nociceptif de chaque patient
 Utilisation de stimulations mécaniques : filaments de Von Frey
= mesures directes
• Mesures indirectes
• scores de douleur
• consommation d’antalgiques
• recours à des analgésiques secours
Filaments de Von Frey
Hyperalgésie périphérique ou primaire
= sensibilisation périphérique, des nocicepteurs périphériques
= hyperexcitabilité de la fibre nerveuse sensitive périphérique
• caractérisée par
- l’apparition d’une activité spontanée des nocicepteurs périphériques
- une diminution de leur seuil d’activation
- une augmentation de leurs réponses aux stimulations nociceptives ou non
(Millan 1999)
• évaluation via stimulations mécaniques
Hyperalgésie centrale ou secondaire
• = sensibilisation centrale
• elle conduit à une augmentation de l’efficacité synaptique au niveau de la moelle
• due à des modif chimiques et fonctionnelles des cellules de la corne dorsale
qui modulent et amplifient les signaux arrivant de la périphérie
- Évaluation via extension de l’hypersensibilité cutanée par rapport à la cicatrice
-Variabilité interindividuelle +++
- Facteurs expliquant cette variabilité encore mal connus :
- génotype
- âge
- sexe
- douleur et hyperalgésie pré op
- conso d’antalgiques pré op
- type de chirurgie
- doses d’opioïdes per op
-…
Quelles conséquences de l’hyperalgésie postopératoire ?
 majoration de la consommation d’analgésiques en postopératoire
 majoration de l’incidence des douleurs chroniques
Conséquences en pédiatrie
• Maturation physiologique pendant les six premiers mois de vie
 augmentation très importante du seuil douloureux
• En cas de stimulation douloureuse
 altération
de la maturation physiologique avec modifications à
long et court termes du système nociceptif
 irréversibles ?
 conséquences ?
Taddio A et al. Lancet 1997
sensibilisation avec abaissement du seuil douloureux
 hyperalgésie
 allodynie
 douleurs chroniques
Fitzgerald M. Nat Rev Neurosci 2005 ; 6 : 507-20
hyposensibilité
Grunau RV et al. Pain 1994 ; 56 : 353-9
pas de conséquence ?
• si lésion tissulaire
 beaucoup de facteurs de croissance produits
 et beaucoup plus par rapport à adulte
• agissent au niveau :
• récepteurs, synapses
• voies de signalisation
• balance excitateurs/inhibiteurs
• modifications au niveau des récepteurs
• modifications spinales ?
• modifications supraspinales ?
• altérations
• morphologiques
• fonctionnelles
The innervation density of nociceptors in the skin is regulated by access to
the local neurotrophins NGF and brain-derived neurotrophic factor (BDNF)
Neonatal skin wounding during a critical neonatal period upregulates
neurotrophin levels, which results in prolonged hyperinnervation of the skin
Excess neurotrophins sensitize peripheral nociceptors,
thereby increasing their responses to noxious stimulation, but only after
postnatal day 10 (rat)
• Effets à court terme
• = Phénomène de sensibilisation
• au niveau médullaire
• et des fibres C
• Varie selon âge lors de la stimulation (intensité et durée)
• varie selon le sexe
• varie selon l’attitude de la mère (rats)
• Varie selon nature de la stimulation douloureuse
Effets à long terme
• selon type de stimulation nociceptive
• selon le moment
•
modifications irréversibles ?
Age dependent responses to thermal hyperalgesia
and mechanical allodynia in a rat model of acute postoperative pain
Ririe DG et al. Anesthesiology 2003
• Récupération plus ou moins rapide (fibres A)
selon âge au moment de la chir pour l’allodynie mécanique
• pas de variation de la récupération
en fonction de l’âge pour hyperalgésie thermique (fibres C)
• enfants avec circoncision sans anesthésie
• enfants avec circoncision sous AL par Emla
• enfants sans circoncision
 étude douleur lors d’une vaccination à 4 ou 6 mois
• 87 enfants, enregistrement vidéo de la vaccination, analyse de la vidéo en aveugle
Taddio A et al. Lancet 1997; 349:599-603
• prévenir ces modifications de développement
• à défaut les traiter en tenant compte des connaissances
Conclusion
• connaître le/les méc de la douleur pour traiter au mieux
• chirurgie
 lésions tissulaires non spécifiques  réactions inflammatoires et sensibilisations
 lésions nerveuses
 Mais pas si simple
 atteintes inflam peuvent déclencher douleur de type neuropathiue
 lésions nerveuses produisent facteurs neurogènes  réactions inflammatoires
 action conjointe, auto-entretien

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