Vous êtes le sel de la terre. Vous êtes la lumière du monde.

Transcription

Vous êtes le sel de la terre. Vous êtes la lumière du monde.
Homélie de Monseigneur Gérald Cyprien Lacroix
Évêque auxiliaire à Québec et Administrateur diocésain
lors de la célébration du
5E DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE « A »
ET L’OUVERTURE DE L’ANNÉE JUBILAIRE DU DEUXIÈME CENTENAIRE
DE LA NAISSANCE DE SAINT PIERRE-JULIEN EYMARD
Église du Très-Saint-Sacrement,Québec, 7 février 2011
« Vous êtes le sel de la terre. Vous êtes la lumière du monde. »
Très chers frères et sœurs,
À première vue, ces deux paroles de Jésus se contredisent. Le sel se perd discrètement dans
les aliments alors que la lumière met en valeur ce qui l’entoure. Regardons de plus près.
En effet, le sel se mélange aux aliments ; il est comme perdu dans la masse à laquelle il
donne du goût. Il ne figure pas sur la carte du menu. Il est simplement caché dans chaque plat et
quel malheur lorsqu’il fait défaut. Il se fond et disparaît. « Vous êtes le sel de la terre… » Pas
celui qu’on extrait de la terre, celui qui y est destiné. On parle rarement du sel sauf s’il en manque. Le sel donne du goût et met en valeur ; voilà des éléments intéressants de la mission d’un
chrétien au cœur du monde, sur la terre. Donner du goût à la vie, mettre en valeur la vie, le beau,
le bon et faire ressortir le meilleur en chacun, chacune.
Par contre, la lumière ne doit pas être cachée mais mise en évidence. Jésus insiste : pas sous
le boisseau, mais sur le lampadaire. « Que votre lumière brille aux yeux des hommes […] afin
qu'ils glorifient votre Père qui est aux cieux. » Pourtant, il dira au chapitre suivant : « Gardezvous de pratiquer votre justice aux yeux des hommes […] que ton aumône reste dans le secret ».
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Saint Augustin, dans son sermon « sur les brebis », explique qu'il faut tenir ensemble les
deux consignes. Ce qui fait la différence, c'est l'intention profonde de nos comportements. Si notre but est d'être bien vus et d'en retirer quelque prestige, nous nous mettons en quelque sorte à la
place de Dieu. Si, au contraire, nous cherchons à rayonner le message qui nous fait vivre, la
« gloire » ne vient pas sur nous mais va à Dieu.
Dans l’Évangile selon saint Jean, chapitre 8, verset 12, Jésus dit : « Je suis la lumière du
monde. » C'est dans cette lumière que nous devons marcher, nous ses disciples. Elle ne vient pas
de nous mais de Lui. Nous n'en sommes que le reflet, dans la mesure où nous donnons à voir
l'Amour dont nous nous savons aimés.
Depuis mon enfance, je suis fasciné par la pièce d’orfèvrerie qui est utilisée lors de
l’exposition du Saint-Sacrement, l’ostensoir. À peu près toujours fait en forme de soleil, il nous
rappelle que le Christ est le véritable soleil, la Lumière du monde qui réchauffe notre cœur afin
que nous puissions refléter cette lumière autour de nous. Nous nous exposons à Jésus dans le
Saint-Sacrement. Nous nous laissons aimer par Lui afin de pouvoir regarder le monde à travers
son regard, et l’aimer comme Lui l’aime.
Cet amour de Dieu parvient aux autres parfois en nous traversant, en passant par ce que
nous pouvons faire pour eux ; la lumière peut aussi éclairer leur vie, les deux ne faisant qu'un.
N’est-ce pas ce que nous rappelait le texte du livre d’Isaïe que nous venons d’écouter : « Partage
ton pain avec celui qui a faim, recueille chez toi le malheureux sans abri, couvre celui que tu
verras sans vêtement, ne te dérobe pas à ton semblable. Alors ta lumière jaillira comme
l’aurore. » (Is 58, 7) « Si tu fais disparaître de ton pays le joug, le geste de menace, la parole malfaisante, si tu donnes de bon cœur à celui qui a faim, et si tu combles les désirs du malheureux, ta
lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera comme la lumière de midi » (Is 58, 9-10).
Le « Sermon sur la Montagne », avec les Béatitudes que nous avons commencé à écouter
dimanche dernier, va se poursuivre pendant cinq dimanches. L’évangéliste Matthieu y a regroupé
des paroles de Jésus. C’est à l’homme et la femme des Béatitudes, le pauvre, le doux, l’humble,
l’artisan de paix, le persécuté que Jésus dit : «Vous êtes le sel de la terre… Vous êtes la lumière
du monde ».
À quoi sert la foi ? Qu’est-ce que ça change de croire en Jésus, de vivre les Béatitudes ? Jésus répond : « À donner de la saveur à la vie ! À éclairer, à rayonner, à vivre autrement au cœur
du monde ! » Nous vivons au cœur du monde et nous le voyons aller. Nous côtoyons bon nombre
de nos frères et sœurs qui vivent dans la banalité, la grisaille quotidienne, parfois désorientés,
sans trouver de sens à la vie, sans le goût de vivre. Pire encore, nous voyons nos contemporains
emportés par des idéologies, des courants de pensée qui les entrainent à l’indifférence, au désespoir, à la mort.
Impossible pour nous de rester les bras croisés, indifférents, alors que nous savons que le
Christ est le Chemin, la Vérité et la Vie, et que le rencontrer, le connaître, le suivre, est un chemin qui conduit à la liberté, à la vie en abondance. Voilà pourquoi Jésus envoie ses disciples en
mission… « Vous êtes le sel de la terre. Vous êtes la lumière du monde. » Quelle confiance Il
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place en nous pour nous envoyer en mission, pour vivre, témoigner et rayonner dans toutes les
sphères de la vie humaine, pour y injecter l’espérance de la foi et Sa Lumière.
Le fondateur de la Congrégation du Très-Saint-Sacrement avait bien compris cela. Il se
nourrissait abondamment d’une relation profonde et intense avec le Christ, source de la vie, mais
il était aussi conscient de la responsabilité de porter du fruit. Son processus de croissance spirituelle le porta à une vision de l’Eucharistie comme un don de la personne du Christ, dans son
grand amour pour nous, qui attend notre réponse d’amour pour Lui et pour l’humanité. C’est ici
que se fonde la dimension sociale de l’Eucharistie. Elle trouve son expression concrète dans
l’engagement de saint Pierre-Julien Eymard pour améliorer la situation des pauvres de la classe
ouvrière à Paris.
Dans la vie d’un chrétien, d’un disciple de Jésus, il y a toujours ce double mouvement :
vers le Christ, source et sommet de la vie chrétienne, et vers l’humanité, à qui nous sommes envoyés comme témoins et missionnaires.
Le père Eymard disait dans sa prédication : « Le cœur de Jésus est une fournaise où votre
cœur doit aller s’enflammer, et cette flamme doit s’étendre, elle doit s’alimenter par les œuvres
de zèle, elle doit se propager. » (PA 2, 1)
C’était vrai à son époque et c’est encore vrai aujourd’hui. Dans ce temps particulièrement
exigeant de l’histoire de l’Église du Québec, laissons-nous interpeller par la vie de ce grand saint
dont nous célébrons le deuxième centenaire de sa naissance.
Il n’y a pas d’autre chemin à prendre que le chemin de la Rencontre avec le Christ dans sa
Parole, dans l’Eucharistie, dans les sacrements célébrés en communauté pour que notre Église
continue son pèlerinage, sa mission ici. Pas d’autre chemin que de redécouvrir l’urgence de notre
présence au cœur du monde, en véritables disciples du Christ, qui acceptent d’être « sel de la terre et lumière du monde ».
Depuis 1915, nous sommes bénis de pouvoir compter sur la Congrégation du Très-SaintSacrement dans notre ville de Québec. Dans quatre ans, ce sera le premier centenaire de votre
présence ici. Présence qui nous rappelle sans cesse la grandeur du don qu’est l’Eucharistie. Rassemblés ce matin pour cette célébration eucharistique, nous rendons grâce au Seigneur pour le
don de la vie consacrée qui s’exprime par votre charisme propre, ainsi que celui des Servantes du
Très-Saint-Sacrement. Ne diminuez en rien votre attachement au Christ dans l’Eucharistie. Ne
baissez pas les bras devant les défis de taille qui sont les nôtres. À vous aussi, le Seigneur dit :
« Vous êtes le sel de la terre. Vous êtes la lumière du monde. »
Saint Pierre-Julien disait : « Qu’on le sache bien : un siècle grandit ou décroit en raison de
son culte pour la divine Eucharistie. » (PG 241, 5) Aidez notre communauté diocésaine à croître.
Prions Dieu notre Père, par Jésus Christ, afin que votre Congrégation, l’Église de Québec et
l’Église universelle connaissent un nouveau printemps de vie eucharistique dans l’Esprit de votre
fondateur, le saint de l’Eucharistie.
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Et vous, fidèles de cette communauté chrétienne, vous êtes privilégiés de pouvoir compter
sur la présence, le témoignage et l’accompagnement pastoral et spirituel de ces communautés
vouées à l’Eucharistie. Avec vous, nous rendons grâce pour ce trésor spirituel qui est à votre portée et vous invite sans cesse à être des chrétiens et des chrétiennes cohérents et crédibles au cœur
du monde.
À vous tous et toutes, ici rassemblés, je répète les mots du Seigneur Jésus. Recevez-les selon votre vocation, votre état de vie, comme un souffle pour poursuivre votre mission : « Vous
êtes le sel de la terre. Vous êtes la lumière du monde. » Je termine avec ces mots tirés de la correspondance de saint Pierre-Julien Eymard : « Soyez donc jeune d’amour pour Notre Seigneur,
reprenez cette joie du printemps de votre vie. » (CO 2191).
† Gérald Cyprien Lacroix
Évêque auxiliaire à Québec
Administrateur diocésain