Le récit de Martine comme récit de révélation

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Le récit de Martine comme récit de révélation
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Le récit de Martine comme récit de révélation
Le Père alain Thomasset, jésuite, nous propose une relecture du témoignage de Martine et les difficultés
familiales .
Martine ne prétend pas être une mère modèle, là n’est pas son propos, bien au contraire. Mais à travers son
expérience, passée au feu de la galère, elle nous dit plusieurs choses à la fois simples et essentielles. La
misère nous dit en creux ce qui est vital pour chacun de nous mais que souvent nous oublions ou ne voyons
pas. C’est comme le négatif d’une pellicule photo qui fait voir des motifs invisibles autrement. Son récit est
une histoire de salut qui nous parle du travail de Dieu et d’une humanité réconciliée.
1. Une vie de famille brisée peut mener à toutes les dérives
Martine nous indique que la vie de famille, lorsqu’elle est brisée, peut mener à toutes les dérives. «Abandon,
déchirure, galère » sont les mots qu’elle met en relief. Combien de gens rencontrées dans les foyers de sansabris, les accueils de jour, les soupes populaires, sont des personnes ayant vécu une rupture familiale. À
l’envers, on peut dire que la vie de famille est quelque chose d’essentiel à la dignité des personnes, à leur
unité, à leur identité, à leur vie spirituelle. ATD nous rappelle que partout dans le monde, l’extrême pauvreté
sépare parents et enfants. La misère c’est être dans la peur de perdre à tout instant ceux que l’on aime (J.
Wresinski). Or la famille représente un repère fondamental pour toutes les personnes qui vivent dans la
misère, c’est le lieu ultime de la résistance à cette misère. En effet, la famille porte l’espoir d’un lendemain
meilleur pour les parents et les enfants. Elle suscite la joie de voir grandir les enfants, elle porte l’espoir d’un
monde meilleur, d’un renouveau possible. La pensée des enfants est aussi ce qui a empêché Martine de
tomber plus bas. Dans la Bible, l’enfant est la figure même de l’espérance : « un enfant nous est né, un fils
nous est donné… » chantons-nous à Noël. Cette espérance disparaît lorsque la famille est défaite. C’est un
ressort essentiel à l’existence qui est brisé pour longtemps.
2. Une espérance redonnée par des rencontres
Dans le témoignage de Martine, l’espérance a été redonnée par des rencontres avec des personnes qui ont su
redonner confiance, qui ont permis d’oser croire à nouveau, d’oser se mettre debout. Ce sont des liens qui
ont été brisés, ou défaits, par la situation dramatique de la famille (l’abandon du mari, des proches) mais
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aussi par des regards ou des jugements qui ont enfermé dans la honte, l’image de l’incapacité, de la galère
(la DDASS)… Ce sont d’autres liens qui permettent de renouer le fil d’une existence, de se redresser. Elle
parle de « frères » et souvent les gens de lamisère parlent de ces liens comme d’une nouvelle famille. Elle
nous rappelle ainsi que nous sommes des êtres de relations et que nous vivons de ces relations de confiance.
Il y a dans nos vies des liens et des rencontres qui appellent à l’existence. Les gens qui ont connu la misère
nous apprennent à les voir avec plus de clarté.Ils nous apprennent l’humilité afin de ne pas croire que nous
pouvons sortir des difficultés par nos seules forces. Les familles du quart monde insistent souvent pour dire
l’importance des liens, des relations qui permettent d’espérer quand bien même tout s’écroule.
3. Un amour qui vient d'ailleurs
Les personnes dont parle Martine ont porté témoignage d’un amour qui vient d’ailleurs : « Jésus t’aime » a-telle entendu. Elle évoque quelque chose de plus grand qu’elle et qui peut la tirer de là. « Pour moi c’était une
force… qui m’a tirée, comme s’il y avait une corde qui tombait dans le puits de misère que j’étais, pour me
tirer. Et cette corde, j’ai osé la saisir un jour dans ma vie, et petit à petit, elle m’a redressée, elle m’a
remontée du puits dans lequel j’étais ». Cette expression rappelle celle d’un jeune en grande difficulté qui
disait un jour, à l’issue d’un camp itinérant auquel il avait participé et dont le thème était la miséricorde: « J’ai
compris maintenant ce que c’est la miséricorde. C’est Jésus qui tend des cordes vers notre misère » ! Pour
Martine, les relations d’amitié, de compagnonnage ont permis la révélation d’une force qui vient d’en haut.
La fraternité vécue renvoie au Père de tous.
La métaphore du puits évoque le côté dramatique de la situation : l’enfermement, la noyade, le fait de
pouvoir encore voir le monde des vivants mais d’être incapable de le rejoindre par ses propres forces. Cette
image de la corde dit à la fois la nécessité d’une force extérieure mais aussi la nécessité de saisir cette force.
Martine emploie à plusieurs reprises l’expression « j’ai osé ». En même temps, elle évoque l’importance des
paroles des personnes rencontrées : « ne désespère pas, moi j'y crois » (quelqu'un qui s'engage dans ce qu'il
dit) ; et « la vie est plus forte que tout » (l'énoncé d'une conviction forte). Mais ces appels à la vie trouvent en
elle un terreau qui prépare leur germination : d’abord le souvenir de ses enfants. Dans son débat intérieur elle
se dit à elle-même : « je ne peux pas descendre plus bas, ne serait-ce que pour eux ». « Eux » ce sont ses
enfants. Il y a là un point d'appui : l'existence de ses enfants appelle en elle quelque chose, une exigence de
ne pas descendre plus bas. Par ailleurs il y a en elle une foi (sans doute un peu vague au départ) selon
laquelle « il y a quelque chose au-dessus de moi qui est plus grand que moi et qui peut me tirer de là ». Tout
se passe comme si les paroles entendues des personnes rencontrées permettaient à Martine de vraiment avoir
recours aux points d'appui qui étaient déjà présents en elle.
4. La vie est un cadeau
A l’occasion de cet événement, Martine fait ainsi une expérience essentielle : elle découvre que la vie est un «
cadeau », qu’elle nous est donnée. Elle réalise qu’elle n’a pas le droit de l’abimer mais le désir de la rendre
belle. Elle perçoit la vie de manière nouvelle comme un cadeau qu’on peut abîmer mais dont on peut «
prendre soin ». Dans le même temps elle comprend que cette vie reçue doit aussi être donnée. C’est à ce
moment-là qu’elle peut récupérer ses enfants, et renouer les liens brisés. Martine nous fait sentir combien
nous sommes pris dans le flux de la vie, objet d’un amour premier, d’un pardon qui vient de plus loin que
nous. Impossible de garder cela pour soi. C’est la dynamique même de la vie selon l’évangile. Comme dit
Jésus : « qui veut sauver sa vie la perdra, qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera ».
Lorsque Martine retrouve ses enfants, deux éléments importants sont mentionnés : « nous avons beaucoup
parlé ensemble » et « je me suis mis à genoux devant eux ». Ce sont des paroles et un geste très fort, pour
renouer des liens qui ont été mis à mal. Elle fait l’expérience du pardon avec ses enfants, signe qu’il est
possible de recommencer une relation brisée, de refaire un chemin ensemble. Une telle traversée de la galère
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crée des liens que rien ne pourra alors briser, dit-elle. Expérience du pardon si importante dans les familles,
si difficile souvent. Le pardon comme les amis, Martine déclare qu’il faut en « user et en abuser ». Ces
relations nouvelles, recrées ne sont pas fusionnelles pour autant : les enfants font leur vie, « je leur ai donné ce
que j’avais, je leur ai appris à quitter le nid avec des bons atouts ». C’est une relation qui sait garder la bonne
distance, qui ne s’impose pas, mais qui respecte chacun dans ce qu’il est. Nous savons d’expérience que
cette juste distance est difficile à trouver.
5. S'ouvrir aux beautés de la vie
A la fin de son témoignage, Martine nous invite à ouvrir nos yeux, nos oreilles aux beautés de la vie ! A
ouvrir nos bras et nos coeurs pour aider les autres, en tendant la main comme elle-même a été aidée par la
main tendue. La vie apparaît alors comme une « série de relais » où le don passe de main en main. Il s’agit
d’être attentif à cela, et de savoir saisir ces cadeaux qui nous sont donnés. On pourrait dire que Martine est
passée de l’abandon au don. Ou encore de l’abandon de l’errance et de la déchéance à l’abandon dans la
confiance de l’amour du Père. École tout à la fois de dessaisissement et de courage. Oser y croire ! On
pourrait dire aussi que c’est un passage de la honte à la fierté. C’est aussi une invitation à l’espérance : «
L’espérance que tout est possible, même si on galère (…) Quand je disais « la vie ne nous appartient pas »,
elle peut permettre des tas de choses. Il y a des événements qu’on ne calcule pas, tout comme de tomber, tout
comme de relever, ce n’est pas calculé, ça, ça se fait. Et je dirais qu’il faut être ouvert à ça, attentif à ça, et
que la vie est tellement belle qu’elle donne autour de nous toujours des gens… il y a toujours des clins
d’oeil, il y a toujours des gens, il y a toujours des choses qui font que… on a une main tendue pour aller plus
loin »
Ne pas calculer, accueillir les cadeaux, user et abuser, saisir la main tendue, espérer : tous ces termes
renvoient à un type de relation qui sortent du calcul, du jugement, de l’évaluation, de la concurrence, de
l’équivalence. Ce sont des relations de gratuité et de générosité réciproque que la Bible décrit précisément
comme des relations d’alliance.
6. La vie de famille est fondée sur une alliance
Les familles pauvres nous rappellent ces éléments essentiels que la vie familiale pour tous est fondée sur une
alliance, au sens fort du terme. Alliance de chacun avec Dieu, alliance des hommes entre eux, alliance
d’amour qui se répand de main en main. Tout sauf ce qui se réduirait ces relations à un contrat, un calcul, un
simple intérêt. La précarité menace ce lien et donne la peur de le perdre, mais elle révèle sa dimension
essentielle et vitale, comme ce qui est situé à la racine de nos vies.
Ces familles sont aussi les témoins les plus parlants de la résurrection. Ils savent d’expérience ce que sont les
renaissances, les recommencements qui semblaient impossibles, les réconciliations humainement
inenvisageables. Ils peuvent témoigner des passages au-delà de la souffrance, des traversées de la mort
sociale et psychique. Je n’oublierai jamais le visage de ces mères rencontrées au sein de la communauté de
Magdala à Lille et qui ont retrouvé leurs enfants après des années de séparation et de brouille…. Ces visages
portaient la trace d’une vie redonnée après la mort, une mort sociale, psychologique, relationnelle. Ils
rayonnaient d’une joie que rien ne pouvait leur ravir.
Intervention orale du Père Alain Thomasset s.j. « Familles et précarité : une révélation du Dieu de l’Alliance
», 7 mars 2016.
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© Crédit photos : Martine Fernet - Secours Catholique Caritas France
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