QUEL AVENIR POUR LE MAINTIEN DE LA PAIX ?

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QUEL AVENIR POUR LE MAINTIEN DE LA PAIX ?
QUEL AVENIR POUR LE MAINTIEN DE LA PAIX ?
Par le Général Pierre Le Peillet, de l’AISP1
QUEL AVENIR POUR LE MAINTIEN DE LA PAIX ?........................................................................... 1
Historique ................................................................................................................................... 2
1948 – 1956 : les missions d’observation .............................................................................. 2
1956 – 1988 : les premières forces de maintien de la paix .................................................... 2
Depuis 1988 : les opérations de l’après guerre froide............................................................ 3
Les opérations actuelles ............................................................................................................. 3
Bilan ........................................................................................................................................... 3
L’avenir ...................................................................................................................................... 4
Conclusion.................................................................................................................................. 5
La Charte des Nations Unies adoptée le 26 juin 1945 reprenait les grands principes de la
société des nations, dont le maintien de la paix dans le monde, mais elle prévoyait des
mesures pratiques pour l’imposer. L’article 42 de la charte donnait ainsi au Conseil de
Sécurité le droit d’entreprendre « au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres toute
action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité
internationales ». Selon l’article 43, « les Etats membres s’engageaient à mettre à la
disposition du Conseil de Sécurité les forces armées nécessaires », dont la mise en œuvre,
précisait l’article 47, était confiée à un « comité d’état-major », constitué des chefs d’étatmajor des membres permanents.
Comme on le sait, ce bel édifice n’a jamais fonctionné. Il aurait fallu pour cela que l’alliance
du temps de guerre entre les 5 membres permanents se poursuive. Il n’en a rien été et le
système de sécurité collective qui avait été institué a été annihilé par les veto de tel ou tel
membre permanent. Les principaux problèmes de sécurité de l’après-guerre ont ainsi échappé
à l’Organisation, dont le Conseil de Sécurité était proprement paralysé.
La conséquence de cette paralysie a été l’incapacité de l’ONU à empêcher que n’éclatent
entre Etats une quarantaine de conflits qui firent plus de 10 millions de morts, les guerres
civiles ayant à peu près le même bilan.
Ce qui peut surprendre, c’est que, dans cette situation de paralysie et malgré les 40 années que
dura la guerre froide, l’Organisation ait réussi, à force d’imagination et d’obstination, à mener
un total de 57 opérations militaires, qui ont engagé quelques 90 000 hommes, dont 1800 y ont
laissé la vie.
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Historique
Trois périodes sont à considérer :
- 1948 à 1956
- 1956 à 1988
- depuis 1988
1948 – 1956 : les missions d’observation
Le problème, dès le début de la guerre froide, était de trouver un système répondant à la
mission de l’ONU sans provoquer de heurts entre les deux super-puissances. Ce fut la
création de simples missions d’observation à propos de deux conflits : le conflit israélo-arabe
et le conflit indo-pakistanais du Cachemire. On créa ainsi l’ONUST (UNTSO) en Palestine,
mission qui comporta jusqu’à 572 officiers, et le GOMMUIP (UNMOGIP) au Cachemire, qui
demeura une très petite mission. L’utilité de ces missions ne peut être contestée puisqu’elles
existent toujours aujourd’hui. L’ONUST a d’ailleurs constitué, pour New York, une
intéressante réserve de personnel pour un grand nombre de missions d’observation créées par
la suite.
L’opération de Corée, qui mobilisa quelque 150 000 hommes, n’a pas été retenue dans cette
énumération car il s’agissait en réalité d’une opération de guerre essentiellement américaine,
menée sous couvert et avec l’aval théorique de l’ONU.
1956 – 1988 : les premières forces de maintien de la paix
La première force de maintien de la paix a été créée en 1956 pour s’interposer entre l’armée
égyptienne et le corps expéditionnaire franco-britannique à Suez. En raison des vetos de la
France et de la Grande-Bretagne au Conseil de Sécurité, c’est l’Assemblée Générale qui dut
prendre la décision de l’envoi de cette force dite d’urgence (la FUNU) Le type de force ainsi
créé n’était pas du tout prévu par la Charte. C’est le Canadien Lester Pearson qui en a donné
l’idée au Secrétaire Général Dag Hammarskjöld. Pour la petite histoire, rappelons que c’est au
cours de cette opération qu’est apparu le fameux casque bleu.
Les forces créées par la suite obéirent au même schéma, c’est à dire une mise en œuvre
subordonnée à l’accord préalable des parties en conflit et à un cessez-le-feu effectif, avec un
emploi des armes limité au cas de légitime défense.
Sur ce modèle ont été lancées, pendant cette période, les opérations du Zaïre (1960),
d’Indonésie (1962), de Chypre (1964), de Sinaï (1973), du Golan (1974) puis du Liban
(1978). Ces opérations purent s’effectuer sans opposition des super-puissances, même si celle
du Zaïre, créée d’abord pour obtenir le retrait des troupes belges, se compliqua avec la
sécession katangaise. Dag Hammarskjöld, dont la politique n’était guère appréciée des
Grands, trouva la mort en 1961 dans un accident d’avion dont les circonstances demeurent
mystérieuses. Une particularité de cette opération du Zaïre est l’autorisation donnée par le
Conseil de Sécurité de recourir à la force « si besoin est, en dernier ressort ». Cette opération,
qui engagea 20 000 hommes, demeure une des plus dures menée par l’ONU, qui y perdit 234
hommes. Trois missions d’observation ont également été créées au cours de cette période : au
Liban, au Yemen Nord et entre l’Inde et le Pakistan.
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Depuis 1988 : les opérations de l’après guerre froide
Dans les années qui ont suivi la fin de la guerre froide, nous avons assisté à une soudaine
intensification des opérations de maintien de la paix. Six forces de l’ONU ont ainsi été mises
sur pied du 1989 à 1993 : en Namibie, au Cambodge, en Mozambique, en Somalie, en exYougoslavie et au Rwanda, totalisant plus de 100 000 Casques Bleus. Cette « embellie » était
due à une plus grande cohésion des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité, mais
aussi à une multiplication des conflits, entraînée par une brusque libération de forces et
d’énergies jusque là étroitement bridées. Si l’on additionne les forces et les missions
d’observation, ce sont au total 37 opérations nouvelles qui ont été établies entre 1988 et 2004,
alors que 14 seulement avaient été créées entre 1948 et 1988. Cet accroissement quantitatif
s’est accompagné d’une amélioration qualitative avec l’adjonction aux personnels militaires
de spécialistes civils aptes à appréhender tous les domaines et à prendre en charge toutes les
fonctions de l’Etat assisté. La force du Cambodge comptait ainsi 6 composantes civiles.
Cette nouvelle donne explique qu’on ait considéré qu’il s’agissait d’une seconde génération
d’opérations de l’ONU. C’est dans cette nouvelle optique que l’ONU a pris en charge des
Etats en décomposition et a travaillé à leur reconstruction. C’est ce qui s’est passé en exYougoslavie, au Cambodge et dans plusieurs Etats africains.
Les opérations actuelles
L’ONU entretient actuellement un total de 16 opérations que l’on peut classer en 3
catégories :
-
Les missions d’observation, au nombre de 4, en Palestine, au Cachemire, au Sahara
Occidental et en Géorgie ;
Les forces de police ; il n’y en a qu’une, au Kosovo, avec 3600 policiers mais plusieurs
missions militaires comportent une composante policière ;
Les forces de maintien de la Paix, au nombre de 11 : à Chypre, au Liban, sur le Golan, en
Sierra-Leone, au Congo-RDC, en Erythrée – Ethiopie, au Timor Oriental, au Libéria, en
Côte d’ivoire, en Haïti et au Burundi.
L’ONU prépare en outre l’envoi de 10 000 hommes au Soudan Sud pour y superviser l’accord
de paix. L’effectif total des Casques Bleus dans le monde sera alors d’environ 75 000.
Bilan
Le bilan de ces opérations est évidemment inégal. Des résultats positifs ont été obtenus. Les
opérations de Namibie, du Cambodge et du Mozambique se sont soldées par des succès
appréciables. Mais les échecs subis au Rwanda, en Somalie puis en ex-Yougoslavie ont
refroidi l’enthousiasme des nations contributrices. Aussi l’engouement qui avait suivi la fin de
la guerre froide s’est il vite dissipé. Si l’effectif total des casques Bleus , qui était monté à 78
000 en 1993 était encore de 67 000 en 1995, il a chuté à 12 000 en 1999. Quelles sont les
causes de cette désaffection ?
Les pays développés ont vite tiré les conséquences de ces faiblesses et ont préféré intégrer
leurs forces dans des organisations offrant plus d’efficacité. On a ainsi vu l’OTAN relever
l’ONU en ex-Yougoslavie , puis prendre à son compte, d’emblée, le contrôle du Kosovo,
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avant d’établir une force en Afghanistan. L’Union Européenne a pris, il y a quelques mois, le
relais de l’OTAN en Bosnie et avait patronné en 2003 l’opération franco-européenne de Bunia
au Congo. Toutes ces actions ont toutefois été mandatées ou au moins entérinées par l’ONU,
seule source de légitimité.
Les effectifs engagés par les pays développés dans ces opérations extra-onusiennes ne leur
permettent d’ailleurs plus de contribuer aux opérations de l’ONU. Pourtant, les motifs
d’intervention n’ont pas diminué, au contraire. Il a bien fallu que l’ONU prenne à sa charge le
rétablissement de la paix et la reconstruction de l’Etat dans des pays tombés par la guerre
civile dans le chaos, tels la Sierra-Leone, le Libéria, Haïti, le Burundi et intensifie son action
au Congo de Kinshasa et tente de prévenir un conflit interne en Côte d’Ivoire. On a vu ainsi
remonter le volume des forces qui a atteint de nouveau, aujourd’hui, celui de 1995 avec près
de 67 000 hommes. Mais il y a une nouveauté. C’est que ces nouvelles missions sont
essentiellement alimentées par des Afro-Asiatiques. Ainsi, les six pays qui entretiennent le
plus de soldats à l’ONU sont le Pakistan (7 000) le Bangladesh (6 000), le Nigéria (3 000),
l’Inde, le Ghana et le Népal.
Une autre nouveauté est apparue : le recours plus fréquent au Chapitre VII de la Charte qui
autorise l’emploi des armes. C’est sous l’impulsion du français Jean-Marie Guéhenno, qui est
chargé à New-York des opérations de maintien de la paix, que la Monuc, au Congo, a ainsi
été autorisée à utiliser la force pour protéger les civils et les personnels humanitaires.
Plusieurs réformes, nées du fameux rapport Brahimi, ont en outre été prises pour améliorer le
fonctionnement des opérations de l’ONU. Mais Brahimi en proposait d’autres, qui ont été
rapidement enterrées. Aussi les pays européens ne sont –ils pas prêts à confier de nouveau
leurs soldats à l’organisation internationale. Ils se préparent au contraire à engager euxmêmes, dans le cadre de l’Union Européenne (avec l’aide encore nécessaire de l’OTAN), les
actions qui leur paraîtraient indispensables, d’abord à la sécurité de leurs nationaux, puis à la
sécurité du monde. Faute de consensus européen, ils n’hésitent pas à engager leurs propres
soldats pour des opérations nationales, comme la Grande-Bretagne en Sierra-Leone ou a
France en Côte d’Ivoire, avec, toujours, un aval voire un mandat, des Nations Unies.
L’avenir
Quel avenir peut-on prédire aujourd’hui aux opérations de maintien de la Paix de l’ONU ?
On pourrait penser que la réticence des pays européens à participer aux missions militaires de
l’ONU s’effacerait si de vraies réformes amélioraient l’efficacité de celles-ci. Mais, même
dans ce cas, on imagine mal que les chefs des Etats européens accepteront de confier à des
états-majors hétéroclites et souvent peu fiables la vie de leurs soldats.
En revanche, il existe chez les européens, et en particulier chez des Etats comme la GrandeBretagne et la France, qui entretiennent des relations étroites avec les pays africains, une
réelle volonté d’aider ceux-ci à se doter de leurs propres forces de maintien de la paix.
L’initiative RECAMP2, à laquelle la France parvient maintenant à associer d’autres pays
européens (et même les Etats Unis), commence à donner des résultats. Mais, même si l’Union
Africaine (ou l’un des groupements régionaux en Afrique) parvient peu à peu à se substituer à
l’ONU pour policer le continent africain, elle devra veiller à designer une nation-pilote pour
chaque opération, sous peine de retomber dans la confusion onusienne. Actuellement, l’Union
Africaine n’est pas en mesure de mener des opérations d’envergure sans une aide logistique
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extérieure. On le voit bien à propos de son engagement au Darfour, qui ne se fera pas sans
aide de l’Union Européenne et de l’OTAN. Il faudra aussi que l’ONU exerce un contrôle de
ces opérations sur le plan moral, pour éviter le renouvellement des exactions commises par
l’ECOMOG au Libéria entre 1990 et 1993. Il faudra sans doute aussi que des pays ou des
organisations disposant de troupes aguerries leur apportent leur soutien dans les situations à
risque. C’est ce que fait actuellement la France en Côte d’Ivoire avec ses 4 000 hommes de
l’opération « Licorne », qui prêtent main forte aux 6 000 Casques Bleus d’ONUCI en cas de
besoin. Le vrai problème, en effet, est que, à l’exception du Nigéria et de l’Afrique du Sud, il
n’existe pas encore sur le continent africain de forces armées nombreuses, bien équipées et
entraînées.
Aussi sera-t-il difficile de se passer des troupes asiatiques (Inde, Pakistan, Népal…) pour les
interventions importantes. Et on voit mal ces troupes intervenir sur le sol africain autrement
que sous le drapeau de l’ONU. Un de leurs handicaps est leur méconnaissance du milieu
africain et, dans les anciennes colonies francophones, la barrière de la langue. A tel point qu’il
a fallu envoyer des officiers français au Congo pour servir de truchement entre les troupes de
la MONUC et la population locale. Il y a peut être là une manière nouvelle d’utiliser des
européens au sein des forces de l’ONU en Afrique…
Enfin, il existe une autre solution pour améliorer l’efficacité des troupes de l’ONU. C’est la
création de forces permanentes de l’ONU, dont je m’étais fait le promoteur en 19953. Mais
ceci est une autre histoire…
Conclusion
Pour conclure, nous observons que les opérations de maintien de la paix, qui ont été
longtemps l’apanage de l’ONU, peuvent aujourd’hui relever de l’une des trois catégories
suivantes :
-
-
les opérations internationales, qui sont menées par l’ONU, qui demeurent les plus
nombreuses et aussi les plus importantes en volume global, mais dont le recrutement
européen s’est tari et ne pourrait reprendre qu’après de profondes réformes dans le
système de commandement onusien ;
les opérations multinationales, montées et commandées par des groupes d’Etats
essentiellement européens et africains ;
les opérations nationales, entreprises par un seul pays à la demande d’un Etat ami.
Nous avons vu, en Côte d’Ivoire et au Soudan, que ces trois formes peuvent coexister, voire
s’entraider sur le même territoire.
1
AISP : Association Internationale des Soldats de la Paix (siège social : 178 rue Garibaldi,
69003, Lyon)
2
RECAMP : Renforcement des capacités pour le maintien de la Paix en Afrique. Les
Britanniques ont leur propre programme intitulé « Peacekeeping Training Support
Programm »
3
Article paru dans le bulletin spécial « 50ème anniversaire de l’ONU » , publié par le Centre
d’Information des Nattions Unies à Paris et intitulé « Vers une force d’intervention rapide au
service des Nations Unies ».
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