Show - Trois
Transcription
Show - Trois
Dans l’angle formé par la Salm et l’Amblève, pas très loin de TroisPonts et de la cascade de Coo, il y a au petit village de Wanne, un château du XVII ° siècle. Dans ce château, une grande pièce a été bizarrement baptisée : « li Malechamb », la chambre du malheur. Sur la rive droite de la Vesdre, près du village de Soiron, se dresse le château de Sclassin. Lui, il a la lugubre particularité d’être entouré d’arbres que hantent continuellement un nombre incroyable de corbeaux. Les deux châteaux sont très éloignés l’un de l’autre. Pourtant, entre « li Malechamb » de Wanne et la gent croassante de Sclassin, il y a un lien aussi étroit que sinistre. (cliquez pour agrandir ) Le vieux château de Wanne Au début du XVIII° siècle, le château de Wanne appartient au chevalier Christian d’Essomont et celui de Sclassin à sa tante, Aldegonde de Falhez. Aldegonde est une vieille demoiselle pieuse et charitable, fort aimée dans la région. Par contre, Christian d’Essomont, son unique héritier, on ne l’aime guère. A Liège où il s’est fixé, il mène en effet une vie tout-à-fait dissolue. Cela chagrine fort la châtelaine de Sclassin ; elle sermonne souvent son neveu, mais comme cela reste sans effet, elle le menace finalement de le priver de son héritage. Du jour au lendemain, Christian s’assagit : il revient au manoir de Wanne, il s’y occupe de culture, de chasse et même - et oui - de bonnes œuvres. Ravie, la vieille demoiselle décide d’aller faire un petit séjour à Wanne. A l’époque, les chemins sont hasardeux et mauvais et il fait déjà nuit quand le coche de la châtelaine s’engage dans l’allée qui mène au manoir. Courbatue, harassée, Aldegonde soupire d’aise en pensant au feu de bois qui l’attend certainement dans la grande cheminée, quand soudain un cri déchire l’air, un cri qui donne des frissons dans le dos et qui se répète inlassablement comme un sinistre refrain. Aldegonde et sa suite se penchent au dehors, essaient de voir d’où cela peut bien venir et tout à coup, là, devant la voiture, on voit un corbeau. Il vole d’arbre en arbre sans cesser de pousser ses cris qui ne ressemblent en rien aux croassements habituels des corbeaux ! Intrigués, les voyageurs écoutent mieux et l’oiseau s’y met de plus belle : « Louk à ti ! Louk à ti ! Louk à ti ! ». Cette fois, ça y est, tout le monde a compris : c’est un corbeau qui non seulement parle, mais qui connaît aussi le wallon : « Louk à ti ! Prends garde à toi ! Prends garde à toi ! » : c’est ça qu’il continue à lancer dans la nuit jusqu'à ce qu’Aldegonde et ses gens soient entrés dans le château. Mais pendant le fastueux et long repas, chaque fois qu’entre deux mets, la demoiselle de Sclassin va prendre un peu l’air à la fenêtre de la salle à manger, elle voit le corbeau au clair de lune. Perché sur un arbre tout proche, il la regarde avec insistance et lance énergiquement : « Louk à ti ! Louk à ti ! ». dessin d'Olivier WOZNIAK Christian rassure sa tante : « Mais c’est Jonas, le corbeau, dit-il. Il appartient au fils du chasseur qui s’est amusé à lui apprendre quelques mots de wallon et depuis l’animal casse les oreilles de tous les visiteurs. » A l’heure du coucher, quand Aldegonde fait quelques pas sur le balcon de sa chambre, elle l’entend de nouveau : « Louk à ti ! Louk à ti ! ». Elle a beau se répéter les explications de son neveu, elle n’est vraiment pas à l’aise. - « Je suis sûre, dit-elle à sa suivante Ursule, je suis sûre que c’est un avertissement du ciel et qu’un danger me menace. J’ai peur, d’autant que ces fenêtres n’ont ni barreaux, ni volets. » Ursule qui est sensée et bonne a tout de suite une solution : sa chambre à elle donne sur une cour qui est entourée de murs et gardée par des chiens. Que sa maîtresse dorme là cette nuit. Demain, on cherchera une autre chambre. Et la vieille demoiselle ne se fait pas prier. Le lendemain, sur le grand lit, on retrouve Ursule, pâle, immobile au milieu d’une mare de sang. Elle est morte, poignardée. La malle de voyage d’Aldegonde, qui était restée dans la pièce, a été forcée, les bijoux ont disparu. Il y a des traces d’escalade sur le mur du jardin : on conclut donc immédiatement au meurtre pour vol et on l’impute tout naturellement à Wolf le Roux, un brigand qui, avec sa bande, sévit dans la région. Très impressionnée par le drame, Aldegonde retourne immédiatement à Sclassin, mais emporte Jonas qui lui a en quelque sorte sauvé la vie. Le temps passe, et peu à peu la châtelaine se remet de ses émotions. Quant à Jonas, elle le soigne comme un prince : elle le nourrit de viandes excellentes, lui fait construire un superbe logement dans une tourelle et, pour qu’on le distingue bien de ses congénères, elle lui passe un joli collier rouge au cou. Lors de ses excursions aériennes, Jonas rencontre d’autres corbeaux et, généreux, il les ramène à Sclassin où il leur fait les honneurs de son gîte et de ses copieuses rations ! Christian d’Essomont est revenu, lui, à ses anciennes habitudes de débauches. Comme ses pertes au jeu et ses folles dépenses finissent par le ruiner, il vient un jour supplier sa vieille tante de l’aider. Habile séducteur, il finit par la convaincre, mais, au moment où il tend la main, où il va, enfin, palper les beaux écus, Jonas, qui perché sur le dossier d’un fauteuil, a assisté à tout l’entretien, Jonas saute brusquement sur l’épaule de sa maîtresse et crie : « Louk à ti ! Louk à ti ! ». Ces mots, Jonas ne les a plus jamais prononcés depuis le meurtre d’Ursule. La demoiselle est troublée, mais Christian fait valoir l’intelligence, la mémoire exceptionnelle de l’animal et la tante charmée ne demande qu’à le croire... Peu de temps après, la châtelaine se trouve indisposée. Très légèrement, et Christian accourt aussitôt à Sclassin. Mais chaque fois qu’il tente de s’approcher de sa tante, Jonas, le bec grand ouvert, les ailes frémissantes, les plumes hérissées, l’œil étincelant hurle désespérément : « Louk à ti ! Louk à ti ! ». En quelques jours, le mal empire tellement qu’il faut faire venir le plus grand médecin de Verviers. Il administre un vomitif à la vieille demoiselle et, impressionné par les cris de plus en plus violents de Jonas, il promet de revenir le lendemain. Soulagée, la malade finit par s’assoupir tard dans la nuit et Christian se retire à son tour pour prendre quelque repos. Une demi-heure plus tard, des cris horribles réveillent tout le château : ce sont des croassements affolés mêlés d’appels humains terrifiés. Cela vient de la tourelle aux corbeaux. Les domestiques s’y précipitent et, là, au milieu de la pièce, la scène est insoutenable : par terre, étendue de tout son long, il y a une forme humaine et, sur elle, des corbeaux, un tas de corbeaux, un tas de becs tranchants piquent, coupent, déchirent et blessent avec rage. Sur le plancher, cinq, six autres, les pattes allongées, agitent les ailes et se débattent convulsivement : ils sont à l’agonie. Les domestiques chassent tant bien que mal cette masse grouillante et alors ils le voient, le chevalier d’Essomont : les vêtements en lambeaux, les chairs à vif, les yeux crevés et à demi arrachés, il respire à peine et râle. Sa main droite serre frénétiquement le corps inanimé d’un corbeau : c’est Jonas qui a le cou tordu, Jonas que ses compagnons sont venus venger, parfois au prix de leur vie. Quelques heures plus tard, Aldegonde meurt dans d’atroces souffrances : le médecin constate l’empoisonnement mais il n’en dit rien à la justice des hommes car le criminel, Christian d’Essomont, dont il panse les profondes blessures, a déjà cruellement payé et continuera à payer : il restera en effet défiguré et aveugle jusqu'à la fin de ses jours et pire, accusé par la voix publique du meurtre d’Ursule et d’Aldegonde, il sera à jamais rejeté par tous. Héritier de Sclassin, il s’y installe un moment, mais il doit fuir très vite, car, dès qu’il se hasarde hors du château, des nuées de corbeaux s’abattent sur lui, impitoyablement. Depuis lors, les vengeurs de Jonas ont définitivement investi le domaine de Sclassin et ses ormes séculaires, car rien, ni personne jusqu’ici n’est parvenu à disséminer ces noirs messagers de la malédiction ...