VALLÉES ET PLAINES ALLUVIALES OU MARITIMES
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VALLÉES ET PLAINES ALLUVIALES OU MARITIMES
VALLÉES ET PLAINES ALLUVIALES OU MARITIMES Photo : B. Destiné 5 VALLÉES ET PLAINES ALLUVIALES OU MARITIMES PRÉSENTATION GÉNÉRALE Le Nord/Pas-de-Calais est une région parcourue par de nombreux cours d’eau. Les terres basses qu’ils traversent pour partie, propices à leur divagation, ont donné naissance à de vastes zones inondables parmi lesquelles on peut citer les lits majeurs de la Lys, de la Sambre, de l’Escaut et de la Scarpe. Ces vallées comblées d’alluvions, plus ou moins inondées et plus ou moins larges, sont typiquement occupées par des prairies, complantées de saules blancs taillés en têtard. Aménagées de longue date, ces rivières ne présentent pratiquement plus le tracé sinueux qu’elles ont naturellement. Elles ont perdu leur espace de liberté (zone de divagation latérale) puisqu’elles sont pour la plupart aujourd’hui canalisées et rectifiées. Par ailleurs, divers aménagements ont artificialisé leur régime hydrologique, notamment en régulant les niveaux d’eau. Seuls quelques cours d’eau plus modestes, souvent des fleuves, conservent leurs caractéristiques d’origine : Authie, Canche, Aa dans la partie amont... Bien qu’il n’y subsiste pratiquement plus d’espaces naturels inondables, en dehors des marais tourbeux évoqués précédemment, les polders cultivés de la plaine maritime flamande sont quadrillés par un réseau dense de canaux et de larges fossés de drainage (les “watergangs“), soulignés dans le paysage par de nombreuses roselières et mégaphorbiaies linéaires. Malgré leur mauvaise réputation injustifiée, les zones humides n’en sont pas moins des infrastructures écologiques de toute première importance dont on redécouvre un peu tardivement, à la suite des grandes inondations, les rôles majeurs qu’elles jouent. Bassins naturels de retenue d’eau et de soutien d’étiage, épuration biologique de l’eau sont quelques-uns des services rendus par ces espaces dépréciés par une économie plus productiviste que durable. Mais ces zones humides alluviales sont aussi un réservoir exceptionnel de biodiversité, tant pour les habitats et la flore associée que pour la faune. Des sources jusqu’au cours inférieur des rivières, les végétations aquatiques P L A N T E S P R O T É G É E S E T M E N A C É E S D U N O R D / PA S - D E - C A L A I S - 169 Prairie humide à Scorzonera humilis et Dactylorhiza incarnata - Trélon (59) Photo : B. Destiné amphibies et hygrophiles des cours d’eau et du lit majeur ne sont pas les mêmes. De même, les espèces et les communautés végétales s’organisent perpendiculairement au cours d’eau ou du fossé en fonction de la topographie et de la durée d’inondation qui s’ensuit. PATRIMOINE FLORISTIQUE La flore des zones humides alluviales est très diversifiée mais largement dépendante de la qualité de l’eau. La Renoncule flottante (Ranunculus fluitans) et la Renoncule en pinceau (Ranunculus penicillatus) qui formaient autrefois des radeaux de fleurs blanches portées par le courant ont soit probablement disparu de la région pour la première, soit continuent à se raréfier pour la seconde, même dans les hautes vallées de l’Artois, pourtant les mieux préservées jusqu’à ces dernières années. Dans les eaux un peu plus calmes, l’Œnanthe fluviatile (Oenanthe fluviatilis), une espèce rare en France, a été retrouvée récemment dans le marais audomarois. De nombreux potamots, comme le Potamot de Fries (Potamogeton friesii) ou le Potamot à feuilles obtuses (Potamogeton obtusifolius), sont en régression du fait de la pollution chronique des rivières. Parmi d’autres, le Potamot dense (Groenlandia densa) est une espèce typique de l’Artois, souvent inféodée aux eaux claires des résurgences et des sources de la nappe de la craie, cette région ayant donné son nom aux fameux puits artésiens. Les prairies fauchées peu engraissées ont une flore exceptionnellement riche et colorée. La Fritillaire pintade (Fritillaria meleagris), une espèce plus commune dans la basse vallée de la Loire, est l’une des plus spectaculaires et des plus rares dans le nord de la France tout comme la délicate Renoncule à feuilles d’ophioglosse (Ranunculus ophioglossifolius), plante thermophile des prairies longuement inondables, en limite nord de son aire de répartition dans le Boulonnais et protégée au niveau national. D’autres espèces comme la Renouée bistorte (Polygonum bistorta), la Benoîte des ruisseaux (Geum rivale) et l’Œnanthe à feuilles de silaüs (Oenanthe silaifolia) sont également de plus en plus rares dans les prairies hygrophiles peu amendées, se réfugiant pour certaines en sous-bois de forêts alluviales. L’Ache rampante (Apium repens) est une plante discrète protégée en Europe, dont le Nord/Pas-de-Calais abrite une partie importante des populations européennes. Les prairies hygrophiles abritent également le Colchique d’automne (Colchicum autumnale), encore utilisé de nos jours dans la pharmacopée. La Dactylorhize négligée (Dactylorhiza praetermissa subsp. praetermissa) présente quant à elle, dans le Pasde-Calais et dans la Somme, ses plus importantes stations françaises. MENACES, PROTECTION, CONSERVATION Convoitées pour la richesse de leurs terres et la qualité des foins qu’elles produisaient, les grandes zones alluviales ont été longtemps entretenues par la fauche. Toutefois, avec la modernisation de l’agriculture, beaucoup de prairies hygrophiles ont perdu cette vocation au profit des labours, des prairies intensivement pâturées ou des plantations de peupliers tandis que les boisements alluviaux naturels d’ormes [Orme champêtre (Ulmus minor), Orme lisse (Ulmus laevis) vers l’est de la région] et de Frêne commun (Fraxinus excelsior) ont pratiquement disparu. Perçues comme des lieux maléfiques ou insalubres, les zones 170 - P L A N T E S P R O T É G É E S E T M E N A C É E S D U N O R D / PA S - D E - C A L A I S VALLÉES ET PLAINES ALLUVIALES OU MARITIMES humides ont aussi fait les frais de drainages et d’assèchements ainsi que de remblaiements divers. De nombreux cours d’eau ont été rectifiés et parfois bétonnés, ceci supprimant de manière radicale leurs fonctions écologiques et les milieux de vie de centaines d’espèces. La flore des zones humides du Nord/Pas-de-Calais est parmi celles qui ont payé le plus lourd tribut en terme de disparition au cours de ces deux derniers siècles. La difficulté de la protection de ces espaces tient en partie aux nombreux intérêts qui y sont liés : ressources piscicoles ou agricoles, tourisme et loisirs, alimentation humaine, support industriel... Malgré cela, de plus en plus de sites naturels remarquables sont maintenant gérés de façon à maintenir leurs fonctionnalités écologiques, leur richesse et leur qualité biologiques. Toutefois, la préservation à long terme de ces caractéristiques ne peut être efficace que si l’on maîtrise la gestion des espaces périphériques, c’est-à-dire l’ensemble du bassin versant dont les eaux de ruissellement et d’infiltration alimentent la nappe alluviale de la vallée. Malgré la prise de conscience de l’intérêt et de la nécessité des zones humides, beaucoup de chemin reste encore à parcourir si l’on veut restaurer la qualité de l’eau et la fonctionnalité des zones humides de la région pour assurer leur pérennité sur le long terme. TRANSECT 6 Dessin : F. Hendoux Les zones alluviales se décrivent schématiquement à partir du lit mineur (le cours d’eau proprement dit) vers l’extérieur du lit majeur (l’ensemble de la zone inondable). LIT MINEUR La dureté ou au contraire l’acidité de l’eau sont un des éléments clefs de l’écologie des cours d’eau, avec la teneur en éléments nutritifs (nitrates et phosphates en particulier). Les cours d’eau aux eaux vives de bonne qualité sont le milieu d’élection des renoncules aquatiques (Ranunculus penicillatus et R. fluitans) tandis qu’au pied de la berge le Cresson de fontaine (Nasturtium officinale), l’Ache nodiflore (Apium nodiflorum) et la Petite berle (Berula erecta) s’y développent naturellement, sous des formes parfois submergées liées au courant. Les puits artésiens, remontées d’eau de la nappe de P L A N T E S P R O T É G É E S E T M E N A C É E S D U N O R D / PA S - D E - C A L A I S - 171 Iris jaune (Iris pseudacorus) Photo : C. Blondel la craie, peuvent se détecter grâce au Potamot dense (Groenlandia densa). Les cours d’eau plus lents, aux eaux plus riches, sont le domaine du Callitriche à angles obtus (Callitriche obtusangula), du Potamot de Berchtold (Potamogeton berchtoldii) et, lorsque l’eau est plus profonde, du Potamot perfolié (Potamogeton perfoliatus). Une eutrophisation plus importante favorise le Potamot pectiné (Potamogeton pectinatus) et la Zannichellie des marais (Zannichellia palustris subsp. palustris), tandis que les autres espèces aquatiques sensibles disparaissent (renoncules notamment). Les eaux calmes sont peuplées de diverses lentilles d’eau. Par place, des grèves vaseuses peuvent émerger en période d’étiage (plus basses eaux de fin d’été) colonisées par des végétations de plantes annuelles . C’est notamment le domaine des bidents (Bidens sp.) et de diverses patiences et renouées (Rumex maritimus, R. palustris, Polygonum lapathifolium et P. hydropiper). Selon le profil des berges et la vitesse du courant, des roselières inondées à Baldingère (Phalaris arundinacea) et Iris jaune (Iris pseudacorus) s’observent parfois. Dans le lit mineur des grandes vallées alluviales peuvent aussi se différencier de plus ou moins vastes forêts de bois tendres (saules, peupliers), mais celles-ci sont inexistantes dans le Nord/Pas-deCalais. Par contre, çà et là le long du bourrelet alluvial décrit ci-après, en particulier dans certaines basses vallées, divers saules arbustifs colonisent naturellement la ripisylve , comme le Saule à trois étamines (Salix triandra) et le Saule des vanniers (Salix viminalis). Berge de cours d’eau stagnante à Petit nénuphar (Hydrocharis morsus-ranae) Photo : B. Destiné BOURRELET ALLUVIAL Le bourrelet alluvial est une zone légèrement bombée où se déposent les sédiments les plus grossiers, lors des crues mais aussi lors des travaux de curage. C’est aussi la première zone exposée à l’érosion en particulier à l’extérieur des méandres. Ce bourrelet est naturellement occupé par une végétation arbustive à arborescente, appelée ripisylve à base d’Aulne glutineux (Alnus glutinosa) et de Frêne commun (Fraxinus excelsior) mais elle est souvent remplacée par des alignements de saules têtards (Salix alba, S. fragilis plus rarement et souvent leur hybride S x rubens) . Il est également fréquent que la végétation ligneuse ait disparu au profit de communautés de friches en raison des mouvements de terres ou des curages. C’est alors le domaine du Chardon crépu (Carduus crispus) et de la Moutarde noire (Brassica nigra). LIT MAJEUR En l’absence d’occupation humaine, la plaine inondable des rivières est en général colonisée par la forêt. Le Frêne commun (Fraxinus excelsior), les Ormes champêtre et lisse (Ulmus minor et U. laevis) occupent les parties les moins mouillées. Le Houblon (Humulus lupulus) et l’Ortie dioïque (Urtica dioica) y trouvent leur habitat naturel. L’Aulne glutineux (Alnus glutinosa) et le Saule cendré (Salix cinerea) recherchent les sols engorgés presque toute l’année. Les lisières forestières ou les délaissés derrière les clôtures des prairies sont le domaine des mégaphorbiaies . Ces végétations de hautes herbes se remarquent par la floraison colorée de la Reine-des-prés (Filipendula ulmaria) et de l’Épilobe hérissé (Epilobium hirsutum). Souvent, des plans d’eau sont creusés dans le lit majeur des rivières. C’est alors le domaine des Nénuphars jaunes (Nuphar lutea) et blancs (Nymphaea alba) et des grands potamots, comme le Potamot nageant (Potamogeton natans) . Les berges en pente douce favorisent l’installation des roselières et des cariçaies dans les niveaux les plus humides. Les cariçaies sont des étendues de hautes herbes coupantes à base de laîches (Carex sp.). Différentes espèces peuvent se rencontrer en fonction de l’engorgement du sol et de la richesse en éléments nutritifs des eaux qui les baignent. Les plus 172 - P L A N T E S P R O T É G É E S E T M E N A C É E S D U N O R D / PA S - D E - C A L A I S Prairies inondables et fossé de la vallée de la Slack (62) Photo : B. Destiné VALLÉES ET PLAINES ALLUVIALES OU MARITIMES P L A N T E S P R O T É G É E S E T M E N A C É E S D U N O R D / PA S - D E - C A L A I S - 173 Watergang dans l’Audomarois Photo : B. Destiné oligotrophes se distinguent par la Laîche ampoulée (Carex rostrata), les plus eutrophes et les moins inondées par la Laîche des marais (Carex acutiformis). Les roselières sont dominées par le Roseau commun (Phragmites australis) ou, si les niveaux d’eau varient beaucoup, par le Rubanier (Sparganium erectum), parfois accompagné du Butome en ombelle (Butomus umbellatus) ou de l’Œnanthe aquatique (Oenanthe aquatica). L’Iris jaune (Iris pseudacorus) est aussi une espèce fréquente dans ces milieux. Les prairies traditionnellement fauchées ou pâturées extensivement sont le domaine d’élection de nombreuses espèces : l’Œnanthe fistuleuse (Oenanthe fistulosa) et l’Éléocharide des marais (Eleocharis palustris) occupent les parties les plus humides avec le Vulpin genouillé (Alopecurus geniculatus) puis viennent le Séneçon aquatique (Senecio aquaticus) et la Pulicaire dysentérique (Pulicaria dysenterica) ainsi que les joncs glauque et épars (Juncus inflexus et J. effusus). C’est dans ces niveaux moyens que peuvent s’observer d’importantes populations de Dactylorhize négligée (Dactylorhiza praetermissa subsp. praetermissa), une orchidée rare en France. Les parties les plus hautes, rarement inondées , sont caractérisées par le Colchique d’automne (Colchicum autumnale), le Silaüs des prés (Silaum silaus) et l’Orge faux-seigle (Hordeum secalinum). L’apparition du Fromental (Arrhenatherum elatius) indique que la limite du lit majeur est proche. Dans des conditions d’engorgement fréquent, les sols des secteurs les plus humides peuvent s’enrichir en matières organiques. Si les apports minéraux des crues sont limités et si le sol est saturé en eau la plupart de l’année, des prés tourbeux peuvent se développer (au niveau de et ). Ils sont caractérisés par le Jonc à fleurs obtuses (Juncus subnodulosus) et diverses espèces comme l’Écuelle d’eau (Hydrocotyle vulgaris), le Troscart des marais (Triglochin palustre) ou la Valériane dioïque (Valeriana dioica). Ils ont déjà été présentés dans le grand type de milieu précédent. Enfin, les prairies sont fréquemment ponctuées de mares où s’abreuve le bétail et où se développent d’intéressantes communautés aquatiques. Les callitriches (Callitriche sp.) et les glycéries (Glyceria sp.) y sont souvent abondantes. 174 - P L A N T E S P R O T É G É E S E T M E N A C É E S D U N O R D / PA S - D E - C A L A I S Fauche des prairies hygrophiles dans l’Audomarois Photo : B. Destiné