Vous savez, nous savons tous ici, ou nous devrions - Saint-Fons

Transcription

Vous savez, nous savons tous ici, ou nous devrions - Saint-Fons
Discours pour la commémoration du 17 octobre 1961
17 octobre 2010
Monsieur le Consul Général d’Algérie, Monsieur Abdelkader KACIMI EL HASSANI
Madame le Conseiller Général, Madame Jacqueline VOTTERO
Monsieur Brahim HAMZI, représentant du collectif de Saint-Fons pour la réhabilitation de la
mémoire,
Monsieur Jacques DUMORTIER, Président de la section Saint-Fons Feyzin de la Ligue des
Droits de l’Homme,
Mesdames et Messieurs les adjoints et conseillers municipaux,
Mesdames et Messieurs,
Nous le savons tous, l’heure est à une certaine inquiétude en France et dans toute l’Europe.
Des discours xénophobes qu’on croyait appartenir à un autre âge ressurgissent ici et là. En
Suède, un parti d’extrême-droite est entré au Parlement pour la première fois il y a quelques
jours. En Allemagne, cette année, un livre écrit par un des dirigeants de la banque centrale, et
défendant ouvertement des thèses xénophobes, s’est diffusé à des dizaines de milliers
d’exemplaires et a suscité un débat public. En Italie, aux Pays-Bas, au Danemark, en
Belgique, en Suisse, l’extrême droite obtient ses meilleurs résultats électoraux depuis des
décennies. En France, les discours et agitations législatives jouant de l’amalgame entre
insécurité et populations d’origines étrangères sont mobilisés en tant que de besoin pour
masquer les carences d’un pouvoir aux abois. Les discours qui opportunément surfent sur tel
ou tel fait divers tournent toujours autour des mêmes pesanteurs : nationalisme, conservatisme
de repli, rejet de l’autre. Dans ce marasme où les raccourcis faciles et rapides sont légion, une
tendance marquante est celle de la montée des discours qu’il nous faut bien qualifier
d’islamophobes. Partout, les discours et les lois prolifèrent pour nous faire croire, pour
inscrire dans nos vies quotidiennes l’idée qu’une guerre des civilisations serait en train de se
jouer.
Pour justifier ces manifestations de peur et de haine, on met souvent en avant l’argument de la
crise. C’est parce qu’il y aurait une crise économique que les citoyens, mis en situation de
précarité, développeraient un sentiment de méfiance, d’animosité envers tout ce qui serait
étranger... C’est un argument qui en réalité n’explique pas grand-chose, ou seulement
superficiellement. C’est vrai que, pendant les crises, les extrémismes sortent au grand jour ; à
période extrême, comportements extrêmes. Et bien non ! Aucune crise ne justifie la haine de
l’autre.
Il y a soixante ans à peine, une bonne partie des Européens estimaient qu’il était normal pour
l’Europe de posséder des colonies. Qu’il était normal, logique et justifié que l’Etat français se
soit emparé de l’Algérie pour en faire une province, un département français. Qu’il était
normal qu’un Français et qu’un Algérien n’aient pas les mêmes droits civiques.
Il a fallu bien des luttes, bien des guerres sanglantes, pour que les colonies obtiennent leur
indépendance. Pour que ce mot, « colonie », et la réalité qu’il désigne, soient bannis, comme
avait été banni l’esclavage. Mais les traumatismes liés à ces luttes ne sont pas encore
définitivement pansés, soignés.
Il reste un impensé de la guerre d’Algérie. Une amnésie volontaire de cette guerre. Il reste un
profond traumatisme dans l’inconscient collectif des Français, des Algériens et des Français
d’origine algérienne. Songez que le terme officiellement employé jusqu’en 1999 par la France
était « événements d'Algérie », et qu’il a fallu attendre jusqu’à là pour qu’on puisse enfin
parler de « guerre d’Algérie » !
Alors que de part et d’autre de la Méditerranée, des initiatives tendant à réactiver la
concurrence des mémoires ressurgissent, je pense à la loi de février 2005 sur les aspects
positifs de la colonisation, je pense à la proposition de loi déposée en début d’année au
Parlement algérien visant à criminaliser le colonialisme français, il est temps d’écrire et de
vivre une histoire de la guerre d’Algérie sans tabous, libérée du poids des mémoires
antagonistes.
Il faut du temps pour que le monde change. Alors voilà, nous en sommes encore là
aujourd’hui, au lendemain de cette guerre. Il faudra encore du temps, encore des années pour
que les crimes qui ont eu lieu soient reconnus, pour que la page puisse être vraiment tournée
sur ce passé. Tel est le sens de la commémoration qui nous rassemble aujourd’hui.
Les horreurs, les massacres qui ont eu lieu à Paris le 17 octobre 1961 sont une des pages
hideuses de l’histoire française contemporaine. Certaines des tensions, des incompréhensions
que notre pays connaît actuellement trouvent leur origine dans des journées comme celle-là.
Ce qui est grave, c’est quand cette origine est passée sous silence, refoulée ou même déniée.
Car aucune solution ne viendra tant que la vérité ne sera pas regardée en face, vérité
concernant la guerre d’Algérie, vérité concernant le colonialisme. La mémoire est devenue un
enjeu directement politique. Les historiens doivent trouver l’espace nécessaire pour sortir ce
cet étau.
La bonne nouvelle dans tout cela, c’est que, aussi lentement que les choses évoluent, elles ne
reviennent pas en arrière ; l’histoire ne revient pas sur ses pas. Cela ne veut pas dire que ces
morts étaient nécessaires, que ces assassinats furent utiles à la marche du progrès. Ils sont et
resteront une pure injustice, un scandale, une atrocité. Mais cela veut dire que, demain, malgré
tous les dangers et toutes les violences qui restent en ce monde, il est permis d’espérer que ce
scandale-là, cette injustice, cette atrocité, celle-ci précisément, ne se répétera jamais.
A Saint-Fons, des échanges, des rencontres ont eu lieu. Les approches des uns et des autres
ont été entendues et l’ont été par tous. Des clivages subsistent encore mais tout le monde est
écouté. Nous prenons sereinement le chemin de la reconnaissance et l’apaisement. Et allons
travailler ensemble cette année pour faire du cinquantenaire du 17 octobre, l’année prochaine
en 2011, un moment fort et riche. Je vous donne donc rendez-vous l’année prochaine pour
inaugurer un nouveau lieu de notre mémoire collective, ici même.

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