Cash management : quand les ETI s`inspirent des grands

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Cash management : quand les ETI s`inspirent des grands
Entreprise
& finance
Alors que le nombre d’ETI qui se développent à l’international est en augmentation
constante, la maîtrise du cash au niveau central s’impose progressivement chez elles au
rang de priorité. Une stratégie qui les amène à mettre en place des outils et des systèmes
de plus en plus performants, souvent identiques à ceux des grands groupes.
Cash management :
quand les ETI s’inspirent
des grands groupes
INTERNATIONAL
C’
est un changement majeur qui
s’opère progressivement au sein
des entreprises de taille intermédiaire (ETI) présentes à l’international. «J’ai récemment audité les
outils de pilotage du cash d’une ETI présente dans
plusieurs pays européens, témoigne un consultant. A mon grand étonnement, ils étaient plus
performants que ceux d’un de mes clients du CAC
40 !» Dans un contexte marqué par une internationalisation croissante des ETI, tant en Europe que
dans les pays émergents, l’intérêt d’une grande
partie d’entre elles pour les problématiques de
cash management n’est désormais plus relégué au
second plan. Une tendance qui ne surprend pas les
banquiers. «Quelle que soit leur taille, les entreprises sont confrontées aux mêmes contraintes et réglementations locales, qui affectent de manière identique la gestion de
leurs liquidités, signale Benoît Desserre, directeur paiements et
cash management à la Société Générale. En conséquence, les
outils de cash management utilisés par les sociétés de taille significative présentent une utilité comparable pour les ETI, justifiant
Le recours à des outils internationaux de
cash management implique généralement
une adaptation des organisations et des
systèmes existants des ETI.
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ainsi qu’elles s’y intéressent davantage.»
Pour ces dernières, structurellement plus fragiles que les grands groupes en raison de leur
taille, cette attention est devenue d’autant
plus nécessaire aujourd’hui que les pressions
pesant sur les marges – faible croissance
en Europe, inflation nulle, etc. – et l’accès
moins aisé au crédit bancaire depuis la crise
imposent un suivi plus rigoureux du cash.
Le suivi en temps réel des comptes
plébiscité
Certes, le degré de montée en gamme des
outils de cash management déployés varie
selon le profil des ETI. Toutefois, ce mouvement tend à la fois à se généraliser et à
s’accélérer. «Conscientes que le moindre
dérapage de trésorerie peut mettre en danger leur croissance, les
ETI nous sollicitent de plus en plus afin de pouvoir notamment
mieux maîtriser leurs flux, explique Benoît Desserre. Pour ce
faire, elles doivent recourir à des outils internationaux, ce qui
passe généralement par une adaptation de leurs organisations et/
ou systèmes existants.»
Parmi les entreprises réalisant entre une cinquantaine et une
centaine de millions d’euros de chiffre d’affaires, cette évolution
s’inscrit généralement dans une ampleur limitée compte tenu
des ressources à leur disposition. «N’ayant pas toujours le budget et le nombre de collaborateurs suffisant pour gérer des solutions trop lourdes (voir encadré p.16), cette catégorie de clients
«Conscientes que le
moindre dérapage de
trésorerie peut mettre en
danger leur croissance,
les ETI nous sollicitent
de plus en plus afin de
pouvoir notamment mieux
maîtriser leurs flux.»
Benoît Desserre, directeur paiements
et cash management, Société Générale
recherche avant tout des outils simples d’utilisation, confirme
Isabelle Bordeneuve, responsable animation commerciale et
support réseau cash management chez BNP Paribas. Ce critère reste essentiel, que l’entreprise soit présente en Europe, en
Afrique ou en Asie.» A ce titre, les solutions classiques d’«Internet
banking», qui permettent de gérer les comptes en se connectant
sur le site de la banque partenaire, conservent la faveur de cette
clientèle. Mais dans la mesure où celles-ci tendent à offrir les
services les plus basiques, comme la réalisation de virements et
la consultation de relevés de comptes, les banques sont amenées
à innover pour proposer des services enrichis. «En se connectant
simplement sur leurs comptes, les entreprises souhaitent désor-
La lutte contre la fraude fait bouger les lignes
F
ace à la recrudescence des
tentatives de fraudes, les
ETI cherchent à adapter leurs
pratiques afin de sécuriser
leur cash. Cette volonté se
traduit actuellement par
plusieurs évolutions.
Un Internet banking mieux
contrôlé : pour les entreprises
qui consultent leurs comptes
en se connectant sur le site
Internet de leur banque, la
priorité consiste à mieux maîtriser les procédures depuis
le siège. «Lorsque l’ETI a des
filiales dans différents pays, la
direction financière groupe
nous demande à ce que les
Internet bankings fonctionnent de manière homogène,
ce qui lui permet de régler
•
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elle-même les paramétrages
pour l’ensemble du groupe,
témoigne Christophe Roy,
responsable cash management chez HSBC France.
En particulier, la faculté de
pouvoir gérer directement
depuis l’interface les mandats
des collaborateurs autorisés
à valider une transaction est
très demandée.»
Les clés de paiement sécurisées davantage demandées :
en cours de déploiement
dans de nombreux grands
groupes, les outils permettant de confier la validation
d’ordres de paiement à un
nombre limité de responsables commencent également à se développer dans
•
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les ETI. Outre les applications
numériques accessibles sur
téléphones et tablettes, la clé
«3SKey», qui permet de signer
un ordre bancaire de manière
électronique et sécurisée, fait
l’objet de marques d’intérêt
croissantes.
Une utilisation plus élevée
des crédits documentaires :
à l’instar de la plupart des
sociétés, les ETI présentes à
l’international utilisent principalement le virement comme
mode de paiement. Mais face
à l’augmentation des risques
de fraude, plusieurs d’entre
elles changent de méthode.
«Depuis quelques semaines,
nous constatons que certains
clients reviennent aux crédits
•
documentaires au détriment
des virements, indique Olivier
Mouchet, responsable développement des offres flux et
cash management au sein de
la direction des paiements et
commerce international de
LCL. Même si le recours à ce
produit est plus lourd pour
les entreprises (documents
à traiter) et légèrement plus
coûteux, ces dernières sont
rassurées par son caractère
sécurisé.»
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Guillaume Bizon, coresponsable de la commission cash management
international de l’Association française des trésoriers d’entreprise (AFTE)
«Les sociétés se demandent si elles doivent maintenant
appliquer à leurs filiales des rendements négatifs.»
En matière de cash
management, quelle est
la priorité actuelle des
entreprises présentes à
l’international ?
La remontée des liquidités
au niveau central reste au
centre des attentions des
trésoriers. Cette situation
est d’abord favorisée par
l’environnement de taux bas.
Dans la mesure où ces derniers tendent à augmenter le
coût de portage des liquidités détenues, les groupes
cherchent de plus en plus à
centraliser leurs ressources
afin de les utiliser pour financer leur développement ou
de les placer sur des produits
plus attractifs. En outre, plusieurs pays, comme la Chine,
ont récemment fait évoluer
leur réglementation relative
aux entrées et aux sorties de
cash, offrant ainsi de nouvelles possibilités aux entreprises. A l’inverse, certaines
zones spécifiques posent
actuellement d’importants
problèmes, à l’image de la
Russie avec les embargos
internationaux.
Comment la commission
cash management
international de l’AFTE
prévoit-elle de répondre à
ces préoccupations ?
Nous travaillons depuis
plusieurs mois sur la création
de fiches pratiques. L’objectif
consiste à recenser par zone
géographique les moyens de
L’avènement de SwiftNet dans les ETI
Un investissement que les entreprises déjà dotées de systèmes de
cash management performants sont également prêtes à consacrer à leurs canaux de communication. Afin d’échanger ses
fichiers de paiement et de reporting avec ses banques, chaque
société s’appuie sur un protocole de communication bancaire
standardisé et sécurisé. Généralement, les entreprises de taille
limitée utilisent un protocole simple, comme Ebics. Pour leur
part, les grands groupes ont l’habitude de recourir à un protocole offrant davantage de services à l’international : SwiftNet. Or
cette option commence à séduire les ETI réalisant plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires. «C’est désormais une attente
classique des entreprises, confie Bernadette Durantin. Une fois
leur cash management structuré, les ETI les plus internationales
cherchent à se lancer dans une démarche d’optimisation, avec
l’objectif de réduire le nombre d’outils utilisés tout en renforçant
la qualité des informations à leur disposition.» Un chantier que
déploie actuellement une entreprise du SBF 120 (environ 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2014). «Nous prévoyons
de migrer vers SwiftNet dans le courant de l’année prochaine,
signale son directeur financier. Alors que le groupe est présent
sur tous les continents et qu’il croît rapidement, nous souhai-
faire circuler les liquidités, les
solutions à la portée des trésoriers pour piloter au mieux le
cash ainsi que leur coût. Nous
prévoyons de finaliser ces travaux d’ici le début de l’année
prochaine.
Quels autres sujets
préoccupent les
trésoriers ?
Outre la fraude, une des
principales incertitudes du
moment concerne l’attitude
à adopter face à la baisse
des taux pour des groupes
disposant de cash poolings.
En effet, en contrepartie de la
remontée de leurs liquidités,
les filiales concernées perçoivent généralement une rémunération de la part du groupe.
Mais alors que les taux courts
se rapprochent de 0 %, voire
s’établissent déjà en deçà,
les sociétés se demandent si
elles doivent appliquer ces
rendements négatifs ou fixer
un plancher à 0 %.
La centralisation de trésorerie permet
notamment aux ETI de limiter le nombre
de leurs partenaires bancaires dans le
monde.
tons en effet bénéficier d’un canal de communication bancaire
plus complet et davantage sécurisé. Avec SwiftNet, nous pourrons bénéficier d’une information enrichie, notamment sur nos
relevés de compte où chaque rejet de prélèvement sera expliqué
et chaque numéro de facture renseigné, facilitant ainsi le travail
de réconciliation des données. En outre, nous pourrons gérer nos
couvertures de change électroniquement, alors que nous devons
actuellement envoyer des fax à nos partenaires bancaires !»
Une telle valeur ajoutée a toutefois un prix. Outre le coût d’un
tel dispositif, rarement inférieur à 1 000 euros par mois, le pilotage de ce projet implique la mise en place d’une équipe dédiée
de plusieurs collaborateurs. De quoi restreindre l’utilisation de
SwiftNet, d’après les banquiers, aux plus grosses ETI. ■
Arnaud Lefebvre
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mais pouvoir gérer un plus grand nombre
de thématiques, explique Christophe Roy,
responsable cash management chez HSBC
France. Nous investissons donc pour étendre
les facultés de leur Internet banking. Ce faisant, les clients peuvent dorénavant accéder
à de nouveaux modules, qui leur laissent la
possibilité de gérer par exemple leurs produits de trade finance (financements internationaux, garanties…) et de couverture.
Surtout, les entreprises multibancarisées
peuvent consulter les comptes détenus dans
l’ensemble de leurs banques à partir de ce
seul outil, ce qui améliore sensiblement leur
pilotage du cash.» Une possibilité qui séduit
de plus en plus d’entreprises. «Pour les ETI, la
première étape est le plus souvent l’acquisition d’une solution qui permet de visualiser,
le cas échéant en temps réel, l’état des comptes tenus dans toutes
leurs banques à l’international, signale Olivier Mouchet, responsable développement des offres flux et cash management au
sein de la direction des paiements et commerce international de
LCL. Alors que ce produit est déjà très répandu dans les grands
groupes, nous enregistrons un regain sensible de demandes.»
Pour les ETI, un tel outil présente une double utilité : d’une part
mieux maîtriser en central les délais de paiement clients (DSO),
notamment dans les zones émergentes où les retards tendent
Directions financières :
des effectifs souvent trop
limités
•
Si les ETI présentes à l’international disposent de plus en
plus souvent d’outils de cash management performants, le bât
blesse en revanche en ce qui concerne les équipes en charge
de ces prérogatives. «Alors qu’elles affichent généralement
une croissance forte à l’international, beaucoup d’ETI considèrent qu’elles peuvent maîtriser leur développement en
maintenant leurs ressources humaines inchangées, signale
Benoît Desserre, directeur paiements et cash management à la
Société Générale. Or la taille et le profil des effectifs peuvent
rapidement devenir un problème en raison notamment des
particularités locales en matière de cash, qui requièrent une
réelle expertise.»
Selon plusieurs spécialistes, les lacunes concernent principalement la fonction de trésorier. «Ce poste est en effet
fréquemment occupé dans les PME-ETI par une personne qui
se charge en parallèle d’autres tâches, comme l’administratif
ou le contrôle de gestion, témoigne Stéphane Nénez, associé
responsable de l’offre cash chez Eight Advisory. Nous accompagnons les trésoriers face à la complexité des missions qui leur
incombent (prévisions budgétaires, couvertures de change…),
laquelle expose la société à des risques significatifs.»
•
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«Pour les ETI, la première
étape est le plus souvent
l’acquisition d’une solution
qui permet de visualiser, le
cas échéant en temps réel,
l’état des comptes tenus
dans toutes leurs banques
à l’international.»
Olivier Mouchet, responsable
développement des offres flux et
cash management au sein de la
direction des paiements et commerce
international, LCL
depuis un an à augmenter, d’autre part effectuer plus rapidement
un reporting de trésorerie.
Une généralisation des cash poolings avec le Sepa
En raison de flux de trésorerie plus importants, c’est logiquement
du côté des ETI de taille plus importante (plusieurs centaines de
millions d’euros de chiffre d’affaires) que les changements opérés sont les plus significatifs. Parmi ces derniers, les solutions
de centralisation de trésorerie connaissent ainsi un fort engouement. «Même si l’attrait des cash poolings pour les ETI est apparu
dès la création de l’euro, les demandes de ce type se sont généralisées, favorisées par l’adoption du système de paiement unique
en Europe (Sepa), constate Bernadette Durantin, responsable
du desk grandes relations chez BNP Paribas. A ce jour, il s’agit
d’ailleurs d’une des principales attentes de nos clients affichant
un chiffre d’affaires compris entre 500 millions d’euros et 5 milliards d’euros.» Outre la migration vers le Sepa, cette volonté de
remonter le cash des filiales au niveau du groupe dès lors que
la réglementation locale le permet vise à satisfaire des objectifs
identiques à ceux des grandes sociétés. «De la même façon que
ces dernières, les ETI sont engagées dans un mouvement de rationalisation du nombre de comptes et de contreparties bancaires,
destiné à diminuer leurs frais, poursuit Bernadette Durantin.
Dans ce contexte, la centralisation des liquidités constitue un
levier efficace.»
Surtout, cette technique participe à l’optimisation du fonds de
roulement du groupe. «Dans certains pays, il peut se révéler compliqué et onéreux pour une ETI de se financer directement auprès
de banques domestiques compte tenu de son déficit de notoriété
sur le marché local, remarque un banquier. Ainsi, le fait de procéder à des prêts intragroupe en s’appuyant sur les ressources du
cash pooling peut présenter un intérêt financier significatif, de
nature à rentabiliser rapidement le coût d’une telle structure.»
L’intérêt manifesté par les ETI est d’autant plus fort que la mise
en place d’un cash pooling est devenue assez facilement accessible. «Celle-ci ne nécessite en effet pas de modifier les systèmes
en place et son coût est limité, à savoir quelques dizaines d’euros par mois pour des remontées hebdomadaires», précise Olivier
Mouchet.

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