Cash management : quand les ETI s`inspirent des grands
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Cash management : quand les ETI s`inspirent des grands
Entreprise & finance Alors que le nombre d’ETI qui se développent à l’international est en augmentation constante, la maîtrise du cash au niveau central s’impose progressivement chez elles au rang de priorité. Une stratégie qui les amène à mettre en place des outils et des systèmes de plus en plus performants, souvent identiques à ceux des grands groupes. Cash management : quand les ETI s’inspirent des grands groupes INTERNATIONAL C’ est un changement majeur qui s’opère progressivement au sein des entreprises de taille intermédiaire (ETI) présentes à l’international. «J’ai récemment audité les outils de pilotage du cash d’une ETI présente dans plusieurs pays européens, témoigne un consultant. A mon grand étonnement, ils étaient plus performants que ceux d’un de mes clients du CAC 40 !» Dans un contexte marqué par une internationalisation croissante des ETI, tant en Europe que dans les pays émergents, l’intérêt d’une grande partie d’entre elles pour les problématiques de cash management n’est désormais plus relégué au second plan. Une tendance qui ne surprend pas les banquiers. «Quelle que soit leur taille, les entreprises sont confrontées aux mêmes contraintes et réglementations locales, qui affectent de manière identique la gestion de leurs liquidités, signale Benoît Desserre, directeur paiements et cash management à la Société Générale. En conséquence, les outils de cash management utilisés par les sociétés de taille significative présentent une utilité comparable pour les ETI, justifiant Le recours à des outils internationaux de cash management implique généralement une adaptation des organisations et des systèmes existants des ETI. Option Finance n°1314 - Lundi 20 avril 2015 13 Entreprise & finance ainsi qu’elles s’y intéressent davantage.» Pour ces dernières, structurellement plus fragiles que les grands groupes en raison de leur taille, cette attention est devenue d’autant plus nécessaire aujourd’hui que les pressions pesant sur les marges – faible croissance en Europe, inflation nulle, etc. – et l’accès moins aisé au crédit bancaire depuis la crise imposent un suivi plus rigoureux du cash. Le suivi en temps réel des comptes plébiscité Certes, le degré de montée en gamme des outils de cash management déployés varie selon le profil des ETI. Toutefois, ce mouvement tend à la fois à se généraliser et à s’accélérer. «Conscientes que le moindre dérapage de trésorerie peut mettre en danger leur croissance, les ETI nous sollicitent de plus en plus afin de pouvoir notamment mieux maîtriser leurs flux, explique Benoît Desserre. Pour ce faire, elles doivent recourir à des outils internationaux, ce qui passe généralement par une adaptation de leurs organisations et/ ou systèmes existants.» Parmi les entreprises réalisant entre une cinquantaine et une centaine de millions d’euros de chiffre d’affaires, cette évolution s’inscrit généralement dans une ampleur limitée compte tenu des ressources à leur disposition. «N’ayant pas toujours le budget et le nombre de collaborateurs suffisant pour gérer des solutions trop lourdes (voir encadré p.16), cette catégorie de clients «Conscientes que le moindre dérapage de trésorerie peut mettre en danger leur croissance, les ETI nous sollicitent de plus en plus afin de pouvoir notamment mieux maîtriser leurs flux.» Benoît Desserre, directeur paiements et cash management, Société Générale recherche avant tout des outils simples d’utilisation, confirme Isabelle Bordeneuve, responsable animation commerciale et support réseau cash management chez BNP Paribas. Ce critère reste essentiel, que l’entreprise soit présente en Europe, en Afrique ou en Asie.» A ce titre, les solutions classiques d’«Internet banking», qui permettent de gérer les comptes en se connectant sur le site de la banque partenaire, conservent la faveur de cette clientèle. Mais dans la mesure où celles-ci tendent à offrir les services les plus basiques, comme la réalisation de virements et la consultation de relevés de comptes, les banques sont amenées à innover pour proposer des services enrichis. «En se connectant simplement sur leurs comptes, les entreprises souhaitent désor- La lutte contre la fraude fait bouger les lignes F ace à la recrudescence des tentatives de fraudes, les ETI cherchent à adapter leurs pratiques afin de sécuriser leur cash. Cette volonté se traduit actuellement par plusieurs évolutions. Un Internet banking mieux contrôlé : pour les entreprises qui consultent leurs comptes en se connectant sur le site Internet de leur banque, la priorité consiste à mieux maîtriser les procédures depuis le siège. «Lorsque l’ETI a des filiales dans différents pays, la direction financière groupe nous demande à ce que les Internet bankings fonctionnent de manière homogène, ce qui lui permet de régler • 14 elle-même les paramétrages pour l’ensemble du groupe, témoigne Christophe Roy, responsable cash management chez HSBC France. En particulier, la faculté de pouvoir gérer directement depuis l’interface les mandats des collaborateurs autorisés à valider une transaction est très demandée.» Les clés de paiement sécurisées davantage demandées : en cours de déploiement dans de nombreux grands groupes, les outils permettant de confier la validation d’ordres de paiement à un nombre limité de responsables commencent également à se développer dans • Option Finance n°1314 - Lundi 20 avril 2015 les ETI. Outre les applications numériques accessibles sur téléphones et tablettes, la clé «3SKey», qui permet de signer un ordre bancaire de manière électronique et sécurisée, fait l’objet de marques d’intérêt croissantes. Une utilisation plus élevée des crédits documentaires : à l’instar de la plupart des sociétés, les ETI présentes à l’international utilisent principalement le virement comme mode de paiement. Mais face à l’augmentation des risques de fraude, plusieurs d’entre elles changent de méthode. «Depuis quelques semaines, nous constatons que certains clients reviennent aux crédits • documentaires au détriment des virements, indique Olivier Mouchet, responsable développement des offres flux et cash management au sein de la direction des paiements et commerce international de LCL. Même si le recours à ce produit est plus lourd pour les entreprises (documents à traiter) et légèrement plus coûteux, ces dernières sont rassurées par son caractère sécurisé.» Entreprise & finance Guillaume Bizon, coresponsable de la commission cash management international de l’Association française des trésoriers d’entreprise (AFTE) «Les sociétés se demandent si elles doivent maintenant appliquer à leurs filiales des rendements négatifs.» En matière de cash management, quelle est la priorité actuelle des entreprises présentes à l’international ? La remontée des liquidités au niveau central reste au centre des attentions des trésoriers. Cette situation est d’abord favorisée par l’environnement de taux bas. Dans la mesure où ces derniers tendent à augmenter le coût de portage des liquidités détenues, les groupes cherchent de plus en plus à centraliser leurs ressources afin de les utiliser pour financer leur développement ou de les placer sur des produits plus attractifs. En outre, plusieurs pays, comme la Chine, ont récemment fait évoluer leur réglementation relative aux entrées et aux sorties de cash, offrant ainsi de nouvelles possibilités aux entreprises. A l’inverse, certaines zones spécifiques posent actuellement d’importants problèmes, à l’image de la Russie avec les embargos internationaux. Comment la commission cash management international de l’AFTE prévoit-elle de répondre à ces préoccupations ? Nous travaillons depuis plusieurs mois sur la création de fiches pratiques. L’objectif consiste à recenser par zone géographique les moyens de L’avènement de SwiftNet dans les ETI Un investissement que les entreprises déjà dotées de systèmes de cash management performants sont également prêtes à consacrer à leurs canaux de communication. Afin d’échanger ses fichiers de paiement et de reporting avec ses banques, chaque société s’appuie sur un protocole de communication bancaire standardisé et sécurisé. Généralement, les entreprises de taille limitée utilisent un protocole simple, comme Ebics. Pour leur part, les grands groupes ont l’habitude de recourir à un protocole offrant davantage de services à l’international : SwiftNet. Or cette option commence à séduire les ETI réalisant plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires. «C’est désormais une attente classique des entreprises, confie Bernadette Durantin. Une fois leur cash management structuré, les ETI les plus internationales cherchent à se lancer dans une démarche d’optimisation, avec l’objectif de réduire le nombre d’outils utilisés tout en renforçant la qualité des informations à leur disposition.» Un chantier que déploie actuellement une entreprise du SBF 120 (environ 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2014). «Nous prévoyons de migrer vers SwiftNet dans le courant de l’année prochaine, signale son directeur financier. Alors que le groupe est présent sur tous les continents et qu’il croît rapidement, nous souhai- faire circuler les liquidités, les solutions à la portée des trésoriers pour piloter au mieux le cash ainsi que leur coût. Nous prévoyons de finaliser ces travaux d’ici le début de l’année prochaine. Quels autres sujets préoccupent les trésoriers ? Outre la fraude, une des principales incertitudes du moment concerne l’attitude à adopter face à la baisse des taux pour des groupes disposant de cash poolings. En effet, en contrepartie de la remontée de leurs liquidités, les filiales concernées perçoivent généralement une rémunération de la part du groupe. Mais alors que les taux courts se rapprochent de 0 %, voire s’établissent déjà en deçà, les sociétés se demandent si elles doivent appliquer ces rendements négatifs ou fixer un plancher à 0 %. La centralisation de trésorerie permet notamment aux ETI de limiter le nombre de leurs partenaires bancaires dans le monde. tons en effet bénéficier d’un canal de communication bancaire plus complet et davantage sécurisé. Avec SwiftNet, nous pourrons bénéficier d’une information enrichie, notamment sur nos relevés de compte où chaque rejet de prélèvement sera expliqué et chaque numéro de facture renseigné, facilitant ainsi le travail de réconciliation des données. En outre, nous pourrons gérer nos couvertures de change électroniquement, alors que nous devons actuellement envoyer des fax à nos partenaires bancaires !» Une telle valeur ajoutée a toutefois un prix. Outre le coût d’un tel dispositif, rarement inférieur à 1 000 euros par mois, le pilotage de ce projet implique la mise en place d’une équipe dédiée de plusieurs collaborateurs. De quoi restreindre l’utilisation de SwiftNet, d’après les banquiers, aux plus grosses ETI. ■ Arnaud Lefebvre Option Finance n°1314 - Lundi 20 avril 2015 17 Entreprise & finance mais pouvoir gérer un plus grand nombre de thématiques, explique Christophe Roy, responsable cash management chez HSBC France. Nous investissons donc pour étendre les facultés de leur Internet banking. Ce faisant, les clients peuvent dorénavant accéder à de nouveaux modules, qui leur laissent la possibilité de gérer par exemple leurs produits de trade finance (financements internationaux, garanties…) et de couverture. Surtout, les entreprises multibancarisées peuvent consulter les comptes détenus dans l’ensemble de leurs banques à partir de ce seul outil, ce qui améliore sensiblement leur pilotage du cash.» Une possibilité qui séduit de plus en plus d’entreprises. «Pour les ETI, la première étape est le plus souvent l’acquisition d’une solution qui permet de visualiser, le cas échéant en temps réel, l’état des comptes tenus dans toutes leurs banques à l’international, signale Olivier Mouchet, responsable développement des offres flux et cash management au sein de la direction des paiements et commerce international de LCL. Alors que ce produit est déjà très répandu dans les grands groupes, nous enregistrons un regain sensible de demandes.» Pour les ETI, un tel outil présente une double utilité : d’une part mieux maîtriser en central les délais de paiement clients (DSO), notamment dans les zones émergentes où les retards tendent Directions financières : des effectifs souvent trop limités • Si les ETI présentes à l’international disposent de plus en plus souvent d’outils de cash management performants, le bât blesse en revanche en ce qui concerne les équipes en charge de ces prérogatives. «Alors qu’elles affichent généralement une croissance forte à l’international, beaucoup d’ETI considèrent qu’elles peuvent maîtriser leur développement en maintenant leurs ressources humaines inchangées, signale Benoît Desserre, directeur paiements et cash management à la Société Générale. Or la taille et le profil des effectifs peuvent rapidement devenir un problème en raison notamment des particularités locales en matière de cash, qui requièrent une réelle expertise.» Selon plusieurs spécialistes, les lacunes concernent principalement la fonction de trésorier. «Ce poste est en effet fréquemment occupé dans les PME-ETI par une personne qui se charge en parallèle d’autres tâches, comme l’administratif ou le contrôle de gestion, témoigne Stéphane Nénez, associé responsable de l’offre cash chez Eight Advisory. Nous accompagnons les trésoriers face à la complexité des missions qui leur incombent (prévisions budgétaires, couvertures de change…), laquelle expose la société à des risques significatifs.» • 16 Option Finance n°1314 - Lundi 20 avril 2015 «Pour les ETI, la première étape est le plus souvent l’acquisition d’une solution qui permet de visualiser, le cas échéant en temps réel, l’état des comptes tenus dans toutes leurs banques à l’international.» Olivier Mouchet, responsable développement des offres flux et cash management au sein de la direction des paiements et commerce international, LCL depuis un an à augmenter, d’autre part effectuer plus rapidement un reporting de trésorerie. Une généralisation des cash poolings avec le Sepa En raison de flux de trésorerie plus importants, c’est logiquement du côté des ETI de taille plus importante (plusieurs centaines de millions d’euros de chiffre d’affaires) que les changements opérés sont les plus significatifs. Parmi ces derniers, les solutions de centralisation de trésorerie connaissent ainsi un fort engouement. «Même si l’attrait des cash poolings pour les ETI est apparu dès la création de l’euro, les demandes de ce type se sont généralisées, favorisées par l’adoption du système de paiement unique en Europe (Sepa), constate Bernadette Durantin, responsable du desk grandes relations chez BNP Paribas. A ce jour, il s’agit d’ailleurs d’une des principales attentes de nos clients affichant un chiffre d’affaires compris entre 500 millions d’euros et 5 milliards d’euros.» Outre la migration vers le Sepa, cette volonté de remonter le cash des filiales au niveau du groupe dès lors que la réglementation locale le permet vise à satisfaire des objectifs identiques à ceux des grandes sociétés. «De la même façon que ces dernières, les ETI sont engagées dans un mouvement de rationalisation du nombre de comptes et de contreparties bancaires, destiné à diminuer leurs frais, poursuit Bernadette Durantin. Dans ce contexte, la centralisation des liquidités constitue un levier efficace.» Surtout, cette technique participe à l’optimisation du fonds de roulement du groupe. «Dans certains pays, il peut se révéler compliqué et onéreux pour une ETI de se financer directement auprès de banques domestiques compte tenu de son déficit de notoriété sur le marché local, remarque un banquier. Ainsi, le fait de procéder à des prêts intragroupe en s’appuyant sur les ressources du cash pooling peut présenter un intérêt financier significatif, de nature à rentabiliser rapidement le coût d’une telle structure.» L’intérêt manifesté par les ETI est d’autant plus fort que la mise en place d’un cash pooling est devenue assez facilement accessible. «Celle-ci ne nécessite en effet pas de modifier les systèmes en place et son coût est limité, à savoir quelques dizaines d’euros par mois pour des remontées hebdomadaires», précise Olivier Mouchet.