La grosse moto noire de Meï s`arrêta devant un imposant bâtiment

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La grosse moto noire de Meï s`arrêta devant un imposant bâtiment
La grosse moto noire de Meï s’arrêta devant un imposant bâtiment. Les deux
jeunes femmes descendirent de la bécane. Ani enleva son casque et libéra sa
crinière brune, exhibant fièrement le hair tattoo qui ornait sa tempe droite rasée,
puis elle grogna comme un lion qu’on réveille de sa sieste… C’était ce qu’elle
faisait à chaque fois qu’un truc la contrariait.
Meï enleva son casque à son tour, et lui jeta un regard réprobateur en sortant son
paquet de clopes.
« - Tu vas y aller, Ani.
- Ça me fait chier.
- T’iras quand même. Je passerai te reprendre dans une heure et demie.
- Je pourrais me barrer.
- Avec quoi ? T’as pas les clefs de l’appart, t’as pas de fric pour prendre le
bus, t’as pas tes papiers…
- Je le crois pas ! T’as vidé mes poches, garce ?!
- Ouais.
- J’ai mon portable. Je pourrais appeler un de mes potes pour qu’il me
prenne et m’emmène loin de tes plans foireux.
- Pour qu’il t’emmène vers des plans foireux d’un tout autre genre, je
suppose ?
- Ça c’est toi qui le dis.
Meï rangea la clope qu’elle s’apprêtait tout juste à allumer et dont le filtre était
maintenant marqué de rouge à lèvres. Elle s’approcha de sa sœur et plongea son
regard dans le sien.
- J’ai confiance en toi, Ani. Je sais très bien que tu n’en fais qu’à ta tête et
que tu penses que rien ni personne ne peut te forcer d’être là où tu veux
pas être, mais j’ai l’espoir idiot que tu es capable de te faire violence un
minimum pour apaiser l’esprit de ta pauvre sœur qui a beaucoup de travail
et qui a pas forcément besoin d’avoir plus de trucs pour lesquels elle
devrait s’inquiéter.
Ani détourna son regard vert d’eau.
- Okay, c’est bon. »
Meï tapota amicalement la joue d’Ani et l’étreignit vivement, la gratifiant d’une
bourrade affectueuse comme elle le faisait toujours pour cacher ses sentiments
les plus tendres.
Ani regarda sa sœur enfiler son casque à nouveau ; elle avait toujours trouvé que
son aîné avait un très joli corps. Très mince, mais empli de force, comme celui
d’un guépard… C’était le genre de morphologies atypiques que Ani adorait chez
les femmes. Est-ce qu’elle fantasmait toujours sur Meï ? Plus vraiment, depuis
qu’elle sautait sur tout ce qui bougeait, -sachant que ce qui ne bougeait pas, elle
s’arrangeait pour le faire bouger pour pouvoir sauter dessus après-.
Meï enfourcha sa bécane et disparut dans la nuit. Ani se résigna à tourner le dos
à la route, pour faire face à l’entrée du bâtiment. Elle pénétra à l’intérieur, et se
dirigea vers la réception.
« - Salut. Je cherche la réunion des fous. Dit la jeune brunette, blasée au
possible.
- Laquelle ? Lui répondit la réceptionniste, tout aussi blasée.
- Ceux qui ont des « troubles de l’interaction sociale » ou j’sais pas trop
quelle merde…
- Deuxième étage, quatrième porte du couloir de droite. Les escaliers sont
sur votre gauche. »
Ani partit sans dire merci, et se rendit à l’endroit indiqué. Elle entra dans la
salle ; grande blanche et vide, où un groupe d’une quinzaine de personnes
étaient réunies. L’orateur avait les cheveux longs et ondulés, il avait la
cinquantaine avancée, et affichait un éblouissant sourire ainsi que de jolies
poignées d’amour… Ce type ressemblait à un putain de gourou fringué en
business man.
« - Ah voici notre nouvelle camarade ! Je me présente, je suis Ben Walker, disnous ton nom, nouvelle venue !
- Euh… Ani.
- Bonjour Ani ! Répéta tout le groupe en chœur. »
« Oh putain, ça craint. » Pensa-t-elle.
« - Prends place Ani, je t’en prie !
Elle s’exécuta.
- Nous allons commencer par un exercice très simple ce soir ! Comme vous
le voyez, les chaises sont disposées de façon à ce que chacun aie
quelqu’un en face de lui, vous allez tous parler à votre voisin durant 5
minutes. Vous pouvez parler de ce que vous voulez, l’essentiel est que
vous ayez une conversation avec votre vis-à-vis. Parlez-lui donc de votre
journée, de votre famille, de votre travail, n’importe quoi qui vous tienne
à cœur. N’oubliez pas de vous écouter ! L’écoute est primordiale dans une
conversation ! Si le sujet de la conversation tourne autour de votre voisin,
apprenez à vous intéresser sincèrement à ce qu’il raconte, et ne ramenez
pas tout à vous de manière systématique, cela pourrait blesser la personne
avec laquelle vous parlez. D’autre part, ne soyez pas trop mystérieux non
plus ; votre voisin ne pourra pas avoir confiance en vous si vous ne lui
dites rien à votre sujet. Il faut que vous essayiez de trouver un équilibre
entre l’écoute et la parole durant cet exercice ! Allons-y, c’est parti !
Ani lança un regard qui signifiait « au secours » à l’orateur.
- Allez Ani, vas-y, cela te permettra de faire connaissance avec tes
camarades comme ça ! »
Alors Ani s’assit et l’enfer commença. Elle se retrouva devant une petite vieille
dame très très très timide, qui devait avoir Parkinson ou une autre merde du
genre parce que trembler comme ça, c’était juste pas possible. Ani savait qu’elle
était plutôt impressionnante, mais franchement de là à trembler comme ça…
« - Heu… Salut, je suis Ani.
- …
- C’est quoi ton nom ?
- Maggie.
- Ok, cool, Maggie… Ça… Va ?
- …
- Oookay… Super. »
La vieille peau continua à la regarder avec ses grands yeux de bovins effarés et
son sourire de bécasse. Ani pensa qu’elle lui avait certainement fait peur…
C’était le genre de trucs qui faisait bien chier la jeune brune, mais elle
comprenait. Elle avait un look très atypique avec sa sidecut, ses piercings, et
tous les tatouages qui recouvraient sa peau.
Deuxième candidat ; un hyperactif d’une trentaine d’années stressé comme un
poulet élevé en batterie et manifestement excité comme un lapin, vu qu’il
n’arrêta pas de lui mater les nichons pendant tout le tête-à-tête. Ça aussi c’était
le gros problème de l’apparence physique d’Ani ; elle était bien roulée.
Sacrément bien roulée. Et la plupart des hommes de ce groupe étaient frustrés…
Mais chacun l’était à sa manière ; il y avait le frustré qui essayait de paraître
débauché en passant son temps à parler de cul pour espérer serrer, sauf que ça ne
trompait jamais personne, puis il y avait le nerd frustré, qui parlait de cul à
longueur de journées lui aussi, mais en faisant des vannes qu’il était le seul à
comprendre, y’avait le vieux dégueulasse aussi, qui gratifiait Ani d’un affreux
sourire édenté qui donnait franchement pas envie… Et le préféré d’Ani ; le jeune
puceau. Elle adorait martyriser les jeunes puceaux, surtout les moches. Plus
leurs cheveux étaient gras, plus leurs pustules étaient nombreuses, plus le duvet
de leur moustache était abondant, et plus ils étaient ignorants et soumis… Et elle
adorait ça.
Nouvelle arrivante : une jeune fille d’à peu près l’âge d’Ani. Elle était vraiment
mince, mais pas de la même manière que Meï… Cette nana était maigre, et elle
ne semblait pas du tout forte… Elle s’assit et offrit un piteux sourire à Ani, qui
ne put s’empêcher de repenser à cette pub de l’UNICEF qu’elle avait vu sur un
bus, où une petite somalienne famélique recouverte de mouches tendait les
mains.
« - Salut.
- Salut. Je m’appelle Chloe.
- Ani, mais j’imagine qu’avec tout ce putain de raffut, tu le sais déjà.
- Oui…
- Ça va ?
- Heu… Oui ça va.
Ani leva un sourcil.
- T’es sûre ?
- Oui oui ! C’est juste que tu… Tu es tellement belle…
Ani crut un instant que Chloe lui faisait du gringue.
- Excuse-moi, qu’est-ce que… ?
- Je suis boulimique.
- Ah… Changement de sujet, d’accord. Et… C’est bien, la boulimie ?
- Tu sais ce que c’est ?
- C’est quand tu gerbes tout ce que tu manges, c’est ça ?
- Oui…
- Depuis combien de temps ?
- Quatre ans.
- Dur. Pourquoi ?
- Pour devenir une fille comme toi… Quand j’était au lycée, il y avait un
gars dont j’étais très amoureuse. Il s’appelait Oliver.
Les yeux d’Ani se mirent instantanément à pétiller ; bien qu’elle s’efforce de
passer pour une grande gueule la plupart du temps, elle adorait les histoires
d’amour.
- Il était comment ?
- Magnifique, blond aux yeux bleus… Un si beau sourire… Et puis
intelligent aussi. Mais il ne s’intéressait pas aux filles comme moi.
- Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
- J’étais en surpoids de trente kilos à l’époque, et dans notre classe il y avait
Lena. Une fille superbe, avec un corps de rêve, et beaucoup de charisme.
Elle brillait comme un soleil, et elle obtenait tout ce qu’elle voulait, parce
que tout le monde voulait se rapprocher d’elle. Oliver aussi.
- Et tu t’es dit que tu devais ressembler à cette pute pour avoir ton gars ?
- C’était pas mon gars…
- Mais tu voulais qu’il le soit.
- Oui, j’imagine… En fait je voulais juste lui parler.
-
Attends, tu lui as jamais parlé ?
Non…
Mais… POURQUOI ??
Parce que…. J’avais trop peur de me faire rejeter.
Et au lieu de ça tu t’es mise à gerber, pour ressembler à un cure-dent en
espérant attirer l’attention de ce mec.
- Oui…
- T’es conne, Chloe, tu le sais ?
Chloe rit jaune.
- Haha, tu ne comprends pas… Mais ce n’est pas étonnant. Tu es
magnifique, toi, tu dois certainement avoir tous les mecs que tu veux…
Tu as un corps parfait.
- Je suis bi. Et j’adore les filles rondes.
- Quoi ? Mais personne n’aime les grosses…
- Si, moi, ça m’excite. Et peut-être qu’Oliver aussi, ça l’excitait.
- Mais c’est impossible, il regardait Lena, et elle était si mince…
- Il la regardait parce que les autres mecs la regardaient aussi. Quand l’un
des mecs d’un groupe désire une fille, les autres vont la désirer aussi, mais
c’est pas parce qu’ils sont attirés par cette fille, ça n’a rien à voir… C’est
simplement parce que leur pote la désire qu’elle est désirable, tu me suis ?
- Comment tu peux affirmer une chose pareille ? Tu ne le connaissais pas,
tu ne connaissais pas Lena, tu n’étais pas là, alors comment tu peux
savoir ?
- J’le connaissais peut-être pas, mais je connais les mecs, j’en ai fait le tour,
ça tu peux me croire. Et je suis aussi pas mal calée sur la question
lorsqu’il s’agit des filles. Laisse moi deviner, cette meuf, elle se trimbalait
pas tout le temps avec des nanas au physique « plutôt pas mal mais
moyen » avec elle ?
- Si on veut…
- Voilà, la tactique du faire valoir. C’est le genre de nanas qui est au centre
du monde dans son cercle d’amis, mais si tu la prends toute seule, sans
rien autour d’elle, elle vaut rien, que dalle, nada. Et t’as jeté 4 ans de ta
vie à cause de cette pauvre pute. »
Chloe avait les larmes aux yeux quand Ben annonça que les conversations
étaient terminées et qu’il était maintenant l’heure de changer de partenaire pour
la dernière fois. Ani se retrouva en face d’une chaise vide ; il n’y avait que
quinze personnes dans le groupe. Elle allait donc parler au mur…
Soudain quelqu’un frappa à la porte.
« - Désolé, je suis en retard.
- Keith ! S’exclama Ben d’un ton enjoué. Ce n’est pas grave ! Il y a une
chaise au fond, juste en face d’Ani, notre nouvelle arrivante, prends
place. »
Le retardataire s’assit en face d’Ani qui était bouche bée. Au moment où il avait
parlé elle l’avait reconnu. Il ouvrit de grands yeux ronds en la voyant, lui aussi.
« - Putain... T’es le mec des nouilles aux crevettes d’hier soir !
- Et toi tu es la fille des nouilles aux crevettes d’hier soir !
- Oh mon dieu… »
Elle le dévisagea, et Keith détourna le regard ; c’était la raison pour laquelle il
mettait un bob et des lunettes, il n’aimait pas qu’on le dévisage ainsi, il avait
l’impression d’être une bête de foire.
Ani elle, n’en revenait absolument pas. Ce type était juste… magnifique ! Très
grand, plus d’1m90, brun, la peau mate, large d’épaules, carrure apparemment
athlétique… Il avait les cheveux très sombres, en bataille sur son front, mais
courts dans la nuque et sur ses tempes, de magnifiques yeux verts perçants, une
petite barbe désinvolte au poil noir et dru... Putain, ce qu’il était beau ! C’était
pas permis, un mec pareil ! Tu m’étonnes qu’il se cache avec un bob et des
lunettes, il provoquerait des émeutes sinon !
Keith observa Ani. Elle était totalement différente de la veille… Elle ne portait
plus de talons ni de tailleur… Ses cheveux étaient lâchés, et il remarqua qu’elle
avait la tempe droite rasée de manière inégale, de façon à ce que ses cheveux
plus ou moins ras forment des dessins abstraits qui lui rappelaient les tatouages
traditionnels de cette tribu coupeuse de têtes du fin fond des Philippines sur
laquelle il avait lu un article à la page 75 du NatGeo n.683 qu’il avait lu jeudi
dernier dans le métro ; cette coiffure était beaucoup plus atypique que celle avec
laquelle il l’avait vue pour la première fois… Mais il la trouvait mieux pour une
raison qui lui échappa. Il vit qu’elle avait plein de tatouages aussi, et des
piercings. Alors c’était ça les marques sur sa bouche ! C’était clair désormais ; il
s’agissait en fait de trous.
-
Tu m’en veux pour cette histoire de nouilles ?
Oui.
Elles étaient dégueulasses, tu n’as rien raté, si ça peut te consoler.
Je te crois pas.
Sois pas vénère… Keith ? C’est bien ton nom ?
Keith Adam.
Tu t’appelles Keith ? Ou Adam ?
Keith.
-
Alors pourquoi il y a Adam derrière Keith ?
Parce que c’est mon nom de famille.
C’est bizarre… Un prénom en guise de nom de famille…
Tu t’appelles bien Ani, toi.
J’ai un nom de famille, moi aussi, va pas croire.
C’est quoi ?
Vesselovski. Mon vrai prénom c’est Agniezska, Ani, c’est un diminutif,
parce que les américains arrivent pas à le prononcer.
- Ça veut dire quoi, ton tom ?
- « Fière guerrière »... Vieux prénom viking. Et Keith, ça signifie quoi ?
- C’est un nom américain. Les noms américains ne veulent rien dire.
Ani plissa les yeux ; ça venait pas d’un film, c’te réplique ?
- Pourquoi est-ce que t’es là, Keith, dis-moi ?
- Je suis autiste.
- Quoi ?
- On m’a diagnostiqué le syndrome d’Asperger.
Un autiste sexy ? Qui l’aurait cru…
- Jamais entendu parler. C’est quoi ?
- C’est une maladie mentale qui fait que je suis incapable de vivre en
société. Et toi ? Pourquoi tu es là ?
- Parce qu’on m’a forcée à venir.
- Pourquoi ? Est-ce que ça a un rapport avec ton changement d’apparence ?
Elle haussa les sourcils.
- Tu n’es pas du tout habillée pareil que l’autre soir.
- L’autre soir j’avais un job. Le lendemain je l’ai perdu alors j’avais plus
aucune raison de me fringuer comme une secrétaire. J’aurais dû te filer
ces foutues nouilles ; mauvais karma…
- C’était un bon travail ?
- Oui, carrément. Le meilleur job que j’aurais jamais pu espérer ! Et
maintenant je suis dans la merde.
- Tant mieux.
- Pardon ?
- Non.
Ani était interloquée ; décidément, il était bien autiste… Keith la regarda
fixement, la sondant de ses yeux verts émeraude, tandis qu’Ani soutenait
insolemment le contact visuel du beau brun avec son regard tout aussi vert que
le sien. Il la regarda longuement, et semblait réfléchir à quelque chose de très
compliqué et de très important qu’Ani ne pourrait jamais saisir.
« - Tu mens. Lâcha-t-il de but en blanc.
- Hein ?
- Tu mens. Hier tu étais complètement différente d’aujourd’hui.
- C’est normal ! Je sortais du boulot, j’te le répète ! J’allais pas me ramener
là bas en exhibant mes tattoos tribaux et mon crâne à moitié rasé !
- Si quelqu’un doit t’embaucher, il doit t’embaucher en sachant qui tu es, tu
ne devrais pas avoir à changer d’apparence physique pour plaire aux
autres, sauf si l’entreprise pour laquelle tu travailles exige le port d’un
uniforme et que tu as signé un contrat dans lequel tu t’engageais à porter
ledit uniforme.
- La vie ça marche pas comme ça. J’ai besoin d’un job pour bouffer, je me
donne les moyens de vivre dans tous les milieux. Je m’adapte c’est tout.
- Tu t’adaptes en mentant.
- Nan. C’est comme ça que ça marche entre les gens.
- Si tu sais comment ça marche entre les gens, alors pourquoi t’es ici ?
- Je suis pas ici de mon plein gré, j’te l’ai déjà dit, mec. J’me serai bien
abstenue de venir ici, j’aurais pas eu à subir vos têtes de tarés !
- S’il te plaît, ne reviens pas.
- Pourquoi ?
- Parce que je crois que je ne t’aime pas… du tout.
Ani gratifia Keith d’un sourire de prédateur tandis que Ben Walker frappait dans
ses mains pour signifier que la rencontre était finie. Tout le monde se leva et
forma un cercle. Keith s’éloigna d’Ani très vite pour aller se mettre à côté de la
veille peau… Maggie ? Ani quand à elle, resta en retrait et continua de fixer
Keith, qui lui-même sentait le regard de la brune peser sur lui. Elle le
déstabilisait désormais de façon tout à fait volontaire. Ben Walker passa une
main dans ses cheveux un peu gras et prit la parole d’une voix claire :
- Bien, vous vous êtes tous plutôt bien débrouillés à ce que j’ai pu voir. Vu
que ce n’est pas la première fois qu’on fait cet exercice, j’imagine que
cela peut s’expliquer. Vous avez maintenant appris à lier une relation
jusqu’au stade de « connaissance ». Nous allons maintenant essayer
d’aller plus loin encore ! Vous allez entamer un travail de groupe où vous
allez essayer d’apprendre à vous connaître, à devenir amis. Vous allez
vous mettre par groupes, et vous allez vous voir en dehors de séances de
réunion, dans le simple but d’échanger, et de créer des liens. Et la semaine
prochaine, chacun fera un débriefing au groupe de ce qu’il a apprit en
matière de communication via ce travail avec son partenaire. Choisissez
une personne avec laquelle le courant passe bien ! Allez, c’est parti ! »
Keith eut l’impression d’avoir avalé une enclume à l’entente de la consigne. Il
mettait toute sa bonne volonté (et plus encore) dans la thérapie qu’il suivait avec
le groupe de soutien, et avec son psy, mais là… Il ne se sentait pas du tout prêt !
Il n’avait jamais eu d’amis… Réel. Et il n’y avait personne avec qui il
s’entendait vraiment bien dans le groupe… Il y avait Richie ! Richie était un bon
gars, il parlait beaucoup, de baseball la plupart du temps, mais ça n’avait pas
d’importance, il faisait un bruit rassurant avec sa bouche quand il parlait, même
s’il ne disait que des conneries. Keith chercha Richie du regard ; il s’était déjà
mis avec Marshall. Keith vit que Chloe le regardait, et détourna immédiatement
les yeux. Elle aussi elle avait ce même regard que les autres personnes posaient
sur lui ; le jugeant, encore et encore… Il valait mieux trouver quelqu’un d’autre.
Il sentit la panique monter alors qu’il voyait le groupe épars se rassembler en
binômes, alors que lui restait seul. Même Maggie avait trouvé quelqu’un elle
aussi ! En fait, Keith avait trop pensé, tout le monde était déjà prit. Il se souvint
avec soulagement que l’effectif du groupe était impair, et que peut-être, il
pourrait rejoindre un groupe déjà formé… Ou mieux ! Il pourrait être carrément
dispensé !
- BOOH !
Keith fit un bond de deux mètres. Ani était là, derrière lui, à rire, fière de son
coup. Elle avait le sourire d’une panthère, et Keith l’imaginait parfaitement bien
avec le visage maculé de sang ; cette fille lui faisait vraiment peur, et il ne
l’aimait pas du tout. Il voulait juste qu’elle parte, vite et le plus loin possible !
Ani passa un bras autour du cou de Keith sans aucune gêne en offrant un sourire
commercial à Ben qui lui répondit par un clin d’œil. Les yeux de Keith
s’ouvrirent encore plus grand –si c’eut été possible-. Nan mais c’était quoi ça ?!
Qu’est-ce que ça voulait dire ? C’était une machination ! Il ne voulait pas ! Il ne
voulait rien avoir à faire avec Ani ! Jamais !
- Merci Keith, c’est très gentil à toi de prendre Ani sous ton aile, elle vient
d’arriver. C’est important que les membres d’une communauté mettent à
l’aise les nouveaux venus ! C’est très bien !
- Je…
- Je suis ravie d’avoir été si bien accueillie, Ben ! Je suis sûre que tout se
passera pour le mieux, n’est-ce pas, Keith ?
Pour toute réponse, il déglutit avec difficulté en fixant le vide, refusant
d’affronter le regard d’Ani. »