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Jeudi 3 décembre 2009
Les nouveaux planificateurs
L'Express (édition internationale)
Tourisme, industrie, agriculture, développement régional : la plupart des grands projets du
royaume ont été concoctés par des cabinets conseil, internationaux ou marocains. Enquête
sur ces discrets stratèges de l’économie.
On lui prête volontiers les pouvoirs occultes d’un cabinet de l’ombre, aussi effacé que
puissant. Leader mondial du conseil en stratégie, le groupe américain McKinsey a travaillé
ces dernières années sur les principaux « projets royaux » de développement : la stratégie
régionale de développement du Souss-Massa-Draâ en 2004, le « plan Emergence » de
redéploiement industriel en 2005, le « Plan Maroc Vert » de 2008 pour
l’agriculture… Aujourd’hui, ses experts planchent sur une nouvelle stratégie nationale dans
le domaine des transports. Comme toujours, ils s’entourent de la plus grande discrétion.
« Nous ne parlons jamais de nos clients, c’est chez nous une règle absolue» indique Amine
Tazi Riffi, directeur associé senior et responsable du bureau Afrique du Nord du cabinet. «
Pendant quelques temps, tout le monde parlait du « plan McKinsey » à propos du plan
Emergence, simplement parce qu’on ne lui avait pas encore donné un nom. Cela a
contribué à donner l’impression que la société américaine agissait comme un cabinet
fantôme. Du coup, chez McKinsey, ils sont devenus très prudents quand il s’agit de leur
communication » analyse un consultant.
Actif au Maroc depuis une dizaine d’années, McKinsey s’est implanté en 2004 à Casablanca.
Mais ses responsables insistent sur la vocation régionale de cet établissement…. « Nous
avons beaucoup d’activités en Algérie, presqu’autant qu’au Maroc », souligne Amine Tazi
Riffi. Un bureau a été ouvert en Alger en 2009 et des démarches sont en cours à Tunis. Au
total, McKinsey Afrique du Nord compte une quarantaine de consultants et au moins sept
nationalités. Le secteur public représente 25% de son activité.
En comparaison avec d’autres pays émergents, le Maroc est un gros « consommateur » de
conseil en stratégie. « Cela permet de gagner beaucoup de temps et de se mettre dans un
mode d’excellence assez rapidement », estime Abdelmounaim Faouzi, directeur associé de
Capital Consulting. Ce cabinet marocain, créé y a onze ans par des anciens d’Arthur
Andersen pèse aujourd’hui 50 millions de dirhams (4,4 millions d’euros) et emploie 63
consultants recrutés dans les grandes écoles de commerces et d’ingénieurs, ou dans les
universités, françaises, américaines et marocaines. Moyenne d’âge : 33 ans.« En France, les
consultants interviennent après un premier travail réalisé au sein des ministères par des
technocrates, des hauts fonctionnaires, souvent des énarques. Au Maroc, les consultants
arrivent dès le premier niveau, poursuit Abdelmounaim Faouzi. Le recours à des cabinets
conseil n’est pas une nouveauté au Maroc, mais il s’est accentué depuis 2002. Cela traduit
une certaine ouverture. Au total, cela permet un bon équilibre entre la vision politique et
l’approche des professionnels plus en prise avec les réalités de l’environnement global ».
Le précurseur en la matière fût Adil Douiri, l’ancien ministre du tourisme. Il est le premier
responsable gouvernemental à avoir fait appel à des cabinets conseil en stratégie. C’était en
2001, il s’agissait alors de définir les ambitions touristiques du royaume à travers le « plan
Azur ». McKinsey était d’ailleurs déjà de la partie, pour une étude sur le développement des
transports aériens. « Il est le premier à avoir voulu inscrire des orientations et des objectifs à
long terme, et à avoir eu le courage de prendre des engagements chiffrés en s’aidant d’un
savoir-faire externe. Son exemple a fait école», souligne Nicolas Berbineau, directeur
associé du cabinet local Valyans Consulting. « Les ministres qui font appel à des cabinets
conseil sont souvent, ajoute-t-il, issus du secteur privé, avec des carrières de manager assez
réussies. Arrivés au gouvernement, ils décident d’appliquer les recettes du privé au secteur
public ».
Avec 70 consultants, une quarantaine de missions cette année et 86 millions de dirhams de
chiffre d’affaires (environ 7,6 millions d’euros), un résultat qui a triplé en cinq ans, Valyans
Consulting se présente comme le cabinet marocain numéro un sur le marché du conseil
stratégique. 40% de son activité porte sur le secteur public.
Valyans travaille aujourd’hui sur la mise en œuvre du « pacte Emergence II » et sur la
« Vision 2020 » pour le secteur touristique. Il est également l’architecte du « plan Halieutis »
présenté par le ministère de l’Agriculture et de la Pêche en octobre dernier.
Entre cabinets locaux et internationaux, la différence de coûts est de taille : un peu moins de
1 000 euros jour pour un consultant local, entre 2 000 et 3 000 euros pour un consultant
international. Avec la crise, la compétition entre cabinets au Maroc se fait plus aigüe. « Les
cabinets européens ont besoin d’occuper leurs équipes. Mais cette situation est temporaire »,
estime Nicolas Berbineau.
Pour Laurent Benarousse, directeur du bureau casablancais de Roland Berger Strategy
Consultants, « ce qui fait la différence entre cabinets locaux et étrangers c’est la capacité à
accéder à un benchmarking (banc d’essai NDLR) international ». Installé au Maroc depuis
2008, le cabinet européen est associé à Capital Consulting. Un partenariat qui a séduit le
ministère de la Jeunesse et des Sports pour l’élaboration de la « stratégie sport 2020 ». « Il
est important d’avoir des sensibilités différentes et une connaissance du contexte local. Je
vois mal des cabinets parisiens organiser des forums en régions », indique Abdelmounaim
Faouzi.
Dernièrement, Roland Berger et Capital Consulting se sont vu confier la mission d'établir, en
quelques mois, un schéma directeur d’autonomie pour l'Université, dans le cadre du plan
d'urgence sur l'éducation. La taille du cabinet et la connaissance du terrain ont fait la
différence. Même avantage comparatif pour Valyans, le premier cabinet à être intervenu sur
ce plan éducation. « Près de 95% de nos consultants sont Marocains. Ce qui a joué
également c’est que nous pouvions aligner du jour au lendemain une quinzaine de consultants
à plein temps pendant plusieurs semaines », précise Nicolas Berbineau.
Si le Maroc consomme beaucoup de stratégies, il sait aussi garder la main. Certains cabinets
ont dû revoir leur copie quand ils n’ont pas été tout simplement débarqués, comme le cabinet
américain Booz Allen Hamilton qui avait travaillé sur le plan « Maroc Export Plus » pour le
compte du ministère du Commerce extérieur. Le réajustement et la mise en œuvre de cette
stratégie font aujourd’hui l’objet d’un nouvel appel d’offres. Booz Allen Hamilton a
également été écarté de la vision 2020 sur le tourisme.
De stratégies en stratégies, la cohérence est-elle toujours au rendez-vous ? « Nous devons
nous assurer qu’il existe bien une lecture croisée. Par exemple, sommes- nous sûrs que les
stratégies de l’agriculture et celles de l’environnement ou de l’énergie abordent la question
de l’eau de la même manière ? interroge Abdelmounaim Faouzi, de Capital Consulting. Ces
stratégies sont-elles en phase avec les priorités du Maroc, en termes de cohésion sociale et de
développement durable ? »