Souffle tropical sur la Biennale de Lyon

Transcription

Souffle tropical sur la Biennale de Lyon
Souffle tropical sur la Biennale de Lyon
by Valérie Duponchelle, lefigaro.fr
September 15
Le Silence des sirènes, création de l\'Argentin Eduardo Basualdo, représente une mare sanglante qui
résume la planète menacée.
Photo by: Blaise Adilon
Cette 11e édition de la manifestation bouillonne de vitalité et de poésie.
(Envoyée spéciale à Lyon)
Comment l'esprit vient aux femmes? La question plane comme une énigme tant le vent dominant est enthousiaste pour cette 11e
Biennale de Lyon placée sous la baguette magique de sa jeune commissaire, l'Argen​tine Victoria Noorthoorn. Statue altière drapée
dans le design net de sa compatriote Min Agostini révélée à la BAF Week de New York il y a deux ans, cette brune érudite, audacieuse
et francophone avait promis la naissance d'une «terrible beauté». Dont acte, dès le tombé de rideau somptueux de l'Allemande Ulla
von Brandenburg à la Sucrière. Au soulagement général, deux ans après le flop de la 10 e Biennale de Lyon, confuse et inachevée, du
commissaire chinois Hou Hanru, pionnier de l'art mondialisé pourtant vénéré de tous. À Lyon, sous ce nouveau souffle féminin et
sans complexe, pas de tristes tropiques ! Le raz-de-marée contemporain envahit avec force et grâce la sage ville des soyeux et des
gastronomes.
Inconnue du public français, Victoria Noorthoon ne l'est pas des connaisseurs et des globe-trotteurs qui, comme Alfred Pacquement,
directeur du Musée national d'art moderne, l'ont vue à l'œuvre en Amérique du Sud, à la 7e Bienal do Mercosul, dont elle a remporté
la direction artistique après compétition internationale. Tête artistique de la Biennale, Thierry Raspail a eu l'heureuse idée d'importer
cette littéraire qui a essaimé les poèmes du Brésilien Augusto de Campos sur tous les murs de la Biennale. Dans son sillage, le
continent sud-américain déboule avec toute sa fraîcheur, son énergie dansante et sa soif d'action à la Sucrière et autres lieux
industriels devenus scènes de l'art vivant. Ragaillardis, comme lorsque naît quelque chose pile dans l'air du temps.
3000 kilomètres de fil noir
Sa troupe d'artistes-saltimbanques est joyeuse, bigarrée, transfrontières. Avec eux, l'avenir du monde est un immense carnaval
propice aux idées. Ils sont jeunes comme l'Argentin Eduardo Basualdo, qui réinvente l'Apocalypse dans une mare spectaculaire au
rouge envahissant, ou le Vénézuélien Javier Téllez qui filme l'absurde et le salut par l'art avec Le Rhinocéros de Dürer. Ils sont
historiques comme feu le Brésilien Arthur Bispo do Rosario, qui se raconte entre art brut et folie douce, par des œuvres humbles aux
petits boutons de nacre cousus au fil bleu des uniformes psychiatriques. Ils sont légendaires comme le Brésilien Cildo Meireles dont
La Bruja (La sorcière), sidérante installation de 3000 kilomètres de fil noir et mat, envahit tout un étage du MAC (Musée d'art
contemporain). Cette marée noire comme les cheveux du terrifiant fantôme japonais de Ring avait subjugué les visiteurs du Frac
Lorraine en mai 2009, lors de «Constellation» qui annonçait le futur Centre Pompidou-Metz. John Cage et sa musique sourde,
Giacometti et ses visages d'ombres, lui répondent naturellement.
Face à ces cousins d'Amérique, les artistes d'Europe et d'ailleurs ont quelque chose à dire. Tout n'est pas passionnant, mais l'ensemble
respire la stimulation intellectuelle et la liberté créatrice. Marlene Dumas, peintre sud-africaine révélée il y a quelques siècles par
Charles Saatchi, prouve en deux portraits saisissants qu'elle n'a rien perdu de sa fougue acide. Tracey Rose, vidéaste sud-africaine, ose
le grotesque et l'obscène pour dénoncer le sexisme en Occident depuis la Genèse. La rue annonce la couleur avec ces affiches au bel
effet dramatique de l'artiste mexicain Erick Beltran. Elles marient les visages des pieuses références (Samuel Beckett, Sigmund Freud)
aux œuvres peintes ou sculptées, étonnants jokers dans la tradition surréaliste des ca​davres exquis. L'atout français?
Deux œuvres de la démesure
Attention, théâtre ! Derrière les rideaux noirs, bleu ardoise, vieux rose et beurre frais, épais papiers froissés au drapé splendide d'Ulla
von Brandenburg, l'œil se heurte à un très haut mur, arrondi comme les arènes antiques. À première vue, une cellule close qui évoque
les Cells de la terrible Louise Bourgeois. À l'étage seulement, l'installation gigantesque du Polonais Robert Kusmirowski révèle son
secret au public de la Sucrière. Bibliothèques aveugles et dévastées, livres abandonnés, inaccessibles et donc inutiles, espace sans âme
qui-vive dans ce repaire des fantômes de l'histoire… Le poids de la mémoire trouve ici sa métaphore bigger than life, sorte de baroque
contemporain presque enfantin (Stronghold, avec le soutien de l'Institut polonais, Paris). Même démesure apocalyptique avec
Eduardo Basualdo de Buenos Aires: Le Silence des sirènes est une mare sanglante qui résume la planète menacée, dans l'idée du
romantisme allemand mise en scène par Lars von Trier dans Melancholia. Beau, funeste, sans paroles.
«Une terrible beauté est née»,11e Biennale de Lyon jusqu'au 31 décembre. www.labiennaledelyon.com