1 MARIE-DENISE DOUYON Bonjour, je m`appelle Marie

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1 MARIE-DENISE DOUYON Bonjour, je m`appelle Marie
MARIE-DENISE DOUYON
Bonjour, je m'appelle Marie-Denise Douyon. Je suis d'origine haïtienne. Je suis arrivée
d’Haïti à Montréal en 1991.
QUITTER HAÏTI
Je suis arrivée à Montréal dans des circonstances un peu spéciales. J'avais 29 ans et
c'était à la suite d'une arrestation arbitraire qui a eu lieu en Haïti, à Port-au-Prince.
L'arrestation a eu lieu sous Prosper Avril.
Il y avait eu un meurtre ou un assassinat d’un membre de l'armée. Et après cette
arrestation, j’étais avec mon copain et l'on voulait m'accuser, donc, du meurtre de cette
personne. J'ai passé un mois en prison, incarcérée à Port-au-Prince. J’ai souffert de
toutes sortes de traumatismes, parce que j'ai été battue. Donc, il a fallu après ça, faire
des démarches au niveau international. Il y a eu des démarches qui ont été faites à tous
les niveaux en France, aux États-Unis. Parce que la diaspora haïtienne est établie dans
tous ces pays-là. Et j'avais de la famille établie au Canada également. Donc, à la suite de
ces démarches, qui ont eu lieu au Canada, après le 7 février, il y a eu une amnistie. J'ai
été relâchée. Il faut que je dise aussi que durant ce couvre-feu, il y a eu beaucoup
d'arrestations arbitraires : des arrestations de journalistes, des arrestations d'hommes
politiques. Et le 7 février, les prisonniers ont été libérés et quelques semaines après, j'ai
décidé de venir m'établir à Montréal, où j'avais de la famille : mon frère, mes cousines,
ma belle-sœur et d'autres amis.
LA RECONSTRUCTION
Les premières semaines et les premiers mois, arrivée à Montréal, je me suis concentrée
sur la reconstruction de ma personne. Je peux le dire comme ça, a priori, en regardant
maintenant avec le recul, mais lorsque je vivais cette reconstruction intérieure, j'avais,
d’abord, à regagner confiance, à regagner du poids et à stabiliser mon statut. Donc, j'ai
fait une demande d'asile, de statut de réfugié politique. Ce qui a occupé une partie de
mon temps. Je me suis plongée dans la récupération d’archives de dossiers, des appels
aussi, auprès du député de l'époque. Et finalement aussi, rencontrer un avocat qui a fait
la demande de statut de réfugié. J'avais également ma cousine qui avait un studio
d'artiste-peintre à travers des connexions. Et elle l'a mis à ma disposition, ce qui m'a
permis aussi de créer et de m'évader un petit peu à travers la création pour me
reconstruire. Et les choses se sont mises en place, tout doucement. Je n'avais pas le
souci d'abord de me trouver un logement, parce que j'avais de la famille ici. Je n'avais
pas le souci de travailler immédiatement non plus. Mais, au fur et à mesure, j'ai eu un
premier contrat en illustration et ainsi de suite. Des amis de la diaspora haïtienne m'ont
présentée à d'autres amis. On a monté un magazine ensemble, qui s'appelait, à
l'époque, « Images Interculturelles ». Puis, je me suis reconstruit une vie, tout
doucement, au cours du temps.
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SUR L’ADAPTATION
Refaire sa vie quelque part est un défi. Refaire sa vie, avant qu’elle soit une question
d'ordre de citoyenneté ou d'identité démographique, est une reconstruction en soi. Je
pense qu'il faut d'abord, en ce qui me concerne, rebâtir la confiance en soi, faire peutêtre le deuil d'une vie dans une autre destinée, un autre chemin, un autre lieu. Et après,
viennent les défis de s'approprier les outils nécessaires pour pouvoir évoluer
confortablement.
J'ai grandi quand même hors d'Haïti. J’ai quitté Haïti, j’avais quatre ans. Je suis allée en
Afrique du Nord, je suis allée d’abord en Algérie, mes parents se sont établis ensuite à
Casablanca. J'ai fait mes études à New York et à Washington. Donc, je pense que la
plupart des années de ma vie d'adulte se sont passées en Amérique du Nord. Donc, le
défi n'était pas un défi d'apprendre les outils tels que : s'inscrire dans une banque, avoir
un compte bancaire, une carte de guichet automatique, louer un appartement. Ces
mécanismes-là viennent assez rapidement. Je pense que le grand défi, c'est au niveau
peut-être du langage. Et je ne parle pas de la langue. Parce que je suis francophone, je
suis bilingue, je parle anglais aussi. Mais le langage pour moi, c'est avoir les outils.
Comprendre ce qui, culturellement, est codifié et non dit. Dans les démarches
d'entrevue, dans les démarches d'emploi, dans la façon de répondre aux autres. Je
pense qu’on maîtrise la langue, mais on n'a pas le langage. Alors, je pourrais dire, par
exemple, on a une boîte d'outils, on a un tournevis, mais il nous manque le tournevis à
étoile. On a le tournevis carré et ainsi de suite. Donc, il y a des petits outils comme ça
que je pense qu'en grandissant ici, la personne qui est née ici, grâce à tous ces cours de
civisme, va avoir tous ces petits outils pour comprendre les non-dits. Et chaque culture a
ses codes.
Des codes invisibles qu'on apprend au fur et à mesure.
L’ART ET L’IDENTITÉ
La question identitaire fait partie aussi de ma création, en tant qu'artiste-peintre. Est-ce
que quand je peins, je me dis : « Là, je vais peindre quelque chose d'africain, je vais
peindre quelque chose d’haïtien ou de Créole. » Non, je pense que la question
identitaire, la création – je pense que c’est (Marcelle) Ferron qui a dit ça – c'est la
récréation. C’est d’abord un acte ludique. Et après ça, il y a tout ce qu'on a accumulé sur
la rétine. J'ai beaucoup voyagé. Donc, au fil du temps, on voit des choses qui
resurgissent. J'ai une attirance pour l'art africain. Cela s'explique probablement par mes
origines, mais je ne me sens pas non plus obligée d'expliquer cette attirance. Je dis
souvent que Gauguin est allé peindre dans le Pacifique et il n'a pas eu besoin
d’expliquer. Être artiste, c’est suivre ses élans, ses émotions. Alors, dans tout ça, il y a
l'accumulation de toutes les expériences de vie.
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SUR LE MULTICULTURALISME
Le multiculturalisme est un défi énorme, étant donné de tous les mouvements
démographiques. On vit dans des sociétés où il y a toutes sortes de parcours qui
viennent s'intriquer, se croiser. Il y a des réfugiés climatiques, il y a des réfugiés de
guerre. Donc, regarder le multiculturalisme sans tenir compte de l'échiquier
géopolitique serait un leurre. Mais, le grand défi, c’est d'amener tout le monde à ce
consensus qui évolue et qui change. Comment faire face à toutes ces nouvelles valeurs,
ces nouvelles religions, ces nouvelles façons de faire, ces identités métissées? Donc,
c’est de trouver l'équilibre qui va nous permettre de vivre face à un consensus social
pour le mieux-être de tous.
CONSEILS AUX NOUVEAUX ARRIVANTS
Ce serait un peu prétentieux de ma part d'avoir à donner des conseils à des gens qui
arrivent, parce qu'on ne sait jamais dans quelles circonstances les gens sont arrivés.
Parler à quelqu'un qui est un réfugié de guerre, on ne peut pas tenir le même discours
face à quelqu'un qui a décidé de faire une demande et qui vient s'établir ici, disons,
d'une entreprise à une autre et qui vient avec sa famille, qui a déjà quelqu’un en
« relocalisation », qui a une maison qui l'attend dans un quartier huppé. Donc, les
circonstances du départ vont marquer le type de conseil. Mais, de façon générale, si l'on
parle d'intégration, je parlerais tout simplement de curiosité. Soyez curieux de l’autre.
Allez vers l'autre. Faire preuve d'ouverture. Mais, c'est paradoxal, parce que si l'on a subi
un traumatisme, la première chose qu'on veut, c'est peut-être le réconfort de sa propre
communauté. On n'a pas besoin de vivre d'autres traumatismes trop violents. Mais,
comment expliquer tous ces parcours qui sont si complexes? Alors, je dirais qu’en règle
générale, la découverte de l'autre dans ce qu'il est, en tant qu'individu, devrait primer.
Allez à la rencontre de l'individu et non de la culture, et ce sera une expérience de vie
enrichissante.
FIN DU VIDÉO
Marie-Denise Douyon travaille à la Commission des droits de la personne et des droits de la
jeunesse du Québec, à Montréal, où elle réside. En 2012-2013, Marie-Denise Douyon a réalisé un
documentaire intitulé Raconte-moi... Haïti et Montréal.
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