audrey vella jean marc florand - Maitre Jean

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audrey vella jean marc florand - Maitre Jean
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FAITS DIVERS
Le Parisien
Vendredi 9 mai 2014
La mort d’Audrey aurait pu être évitée
JUSTICE. Un jugement, rendu mercredi, a condamné l’Etat après le meurtre d’Audrey Vella par son
ex-compagnon. Il souligne l’inertie des services de gendarmerie, maintes fois alertés par cette femme en danger.
« L’ABSENCE DE RÉACTION des
services de gendarmerie a, à l’évidence, entretenu chez M. VincentSully un sentiment d’impunité et l’a
conduit à réitérer des actes de violences de plus en plus graves. » Le jugement, rendu mercredi par le tribunal
de grande instance de Paris, ne mâche pas ses mots : l’Etat est coupable
de n’avoir rien fait pour empêcher
l’escalade des violences qui ont
conduit, un jour de mars 2007, à la
mort d’Audrey Vella, 30 ans. Pis, en
ne l’empêchant pas, la gendarmerie
a peut-être favorisé cette fin tragique. Autre extrait du jugement : « Il
n’est pas à exclure que M. VincentSully (NDLR : ex-compagnon et
meurtrier d’Audrey), constatant
qu’aucune suite n’était donnée aux
plaintes de sa compagne puisqu’il
n’était même pas convoqué pour en
répondre, n’ait vu, dans cette attitude à son égard, une sorte d’encouragement à poursuivre ses agissements, lesquels de fait n’ont cessé de
s’aggraver au fil des mois… » L’Etat,
en conséquence, doit payer pour
« l’abstention fautive » de ces gendarmes, en tout plus de 132 000 €.
C’était un vendredi, peu après
17 heures. Audrey Vella travaille
dans une boutique de vêtements du
centre commercial de Claye-Souilly
(Seine-et-Marne). Un homme s’approche, avec un couteau de cuisine
acheté quelques minutes auparavant, et frappe neuf fois, debout puis
à terre. Son agresseur n’est pas un
inconnu, c’est Hervé Vincent-Sully,
32 ans à l’époque, avec qui Audrey a
vécu et a eu une fille d’alors 11 ans.
Un homme dont elle est séparée, surtout, depuis près de deux ans.
Des centaines d’appels
et de SMS menaçants
signalés à la gendarmerie
Le sort d’Hervé est rapidement
scellé. Aux assises, à Melun, il écope
en 2009 de vingt-cinq ans de réclusion. En appel, à Bobigny, la peine
est confirmée et assortie de fortes
sommes à régler aux proches d’Audrey au titre de « préjudice moral ».
Mais, dès le début de l’enquête, une
vérité effarante éclate : dès janvier 2006, soit plus d’un an avant le
drame, Audrey avait signalé à la gendarmerie des coups, des menaces.
En vain.
Ainsi, en octobre 2006, elle avait
porté plainte. Un mois plus tard aussi, en compagnie de sa sœur, qui témoigne de harcèlement téléphonique à son domicile, au travail, chez
des proches… Le 23 novembre, nouveau signalement pour des visites,
des menaces de mort… Ce seul jour,
83 appels, 19 SMS « injurieux et menaçants », rapporte le jugement de
mercredi. « jvé trefair ta guel… »,
« komence a trouvé 1 tuteur pourtafil », « dis à tes gendarmes que j’arri-
ve parce que tu veux te la raconter à
pas répondre »… Dans les cinq mois
précédant l’assassinat d’Audrey,
l’instruction dénombre 352 appels,
168 SMS. Malgré tout, pas d’enquête
ouverte, pas de convocation du suspect…
« Pourtant, dans cette gendarmerie, note Me Jean-Marc Florand, qui a
obtenu cette décision pour la famille
d’Audrey, comme dans toutes les
brigades, il y avait ces affiches de
sensibilisation sur les violences faites
aux femmes. Il faut que ce jugement
soit connu, qu’il fasse réfléchir les
institutions, des jeunes gendarmes
jusqu’aux procureurs. Des affiches
ne suffisent pas. »
JERÔME SAGE
« Pourquoi n’a-t-on pas
protégé ma fille ? »
Martine Vella, la mère d’Audrey
n
Au lendemain de
la décision du
tribunal de grande
instance de Paris,
Martine Vella, la mère
d’Audrey, se dit
soulagée. Mais elle
n’oubliera jamais les
manquements de la
gendarmerie et de la
justice.
Cette lourde condamnation,
est-ce une satisfaction ?
MARTINE VELLA. L’argent ne fera
pas revenir ma fille. Jamais. Mais voir
la faute de l’Etat reconnue fait du
bien. J’aurais été déçue s’il n’avait été
que légèrement condamné. Surtout
pour Laurina, ma petite-fille. Elle avait
11 ans et a été traumatisée par
l’assassinat de sa maman.
« Les gendarmes
et la justice n’ont pas
fait leur travail »
Martine Vella
Audrey Vella, 30 ans, a été poignardée à mort par son ex-compagnon en mars 2007. Dès janvier 2006, la jeune femme avait
signalé à de nombreuses reprises le comportement violent de l’homme. (DR.)
Pourquoi avoir saisi la justice ?
Pour que cela ne recommence plus et
faire comprendre qu’il reste beaucoup
à faire dans ce domaine. Et pour dire
au public que les gendarmes et la
justice n’ont pas fait leur travail. Ils se
sont moqués des alertes lancées par
Audrey. Six fois, au cours de l’année
qui a précédé ce drame, elle est allée
porter plainte auprès de
la gendarmerie pour
menaces de mort et
harcèlement. Jamais, ils
n’en ont tenu compte.
Jamais, ils n’ont
convoqué son exconjoint et futur
assassin. Ma fille leur a
pourtant montré des
SMS dans lesquels son
ex lui conseillait de
trouver un tuteur pour
son enfant. Les gendarmes lui ont ri
au nez. Ils ont été laxistes. C’est
inadmissible. Audrey pourrait encore
être à mes côtés. Placer Hervé
Vincent-Sully en garde à vue, rien
qu’une fois, aurait pu lui faire
comprendre qu’il s’exposait à des
sanctions. Il a pensé pouvoir agir en
toute impunité.
La colère est toujours présente,
sept ans après ?
Contre les gendarmes de l’époque,
forcément. Je suis allée les voir après la
mort de ma fille. Je leur ai parlé des
plaintes. Ils m’ont répondu qu’ils en
recevaient tous les jours, parfois pour
des pots de fleurs cassés. Comment
peut-on comparer cela à une menace de
mort ? Personne ne s’est jamais excusé.
Avez-vous réussi à vous reconstruire ?
Je pense à Audrey tous les jours, plus
qu’à mes autres enfants. Je n’arrive
pas à aller sur sa tombe, me dire
qu’elle est juste là. Je me demande
pourquoi n’a-t-on pas protégé ma fille.
(LP/Floren Hélaine.)
Le Plessis-Belleville (Oise)
Propos recueillis par FLORENT HÉLAINE
Un procureur muté d’office par Taubira
LA MESURE n’a qu’un seul précédent : la mutation de l’emblématique procureur de Nanterre (Hautsde-Seine) Philippe Courroye l’an
passé. Selon nos informations, le
procureur de la République de
Saint-Denis-de-la-Réunion, Philippe Muller, s’est vu notifier son déplacement d’office « dans l’intérêt
du service » mercredi par la chancellerie. L’ancien chef du parquet
de Pau et de Dunkerque était
contesté depuis son arrivée en juin
dernier, accusé d’autoritarisme par
plusieurs magistrats locaux qui
avaient saisi la ministre de la Justi- cés sous ses ordres alertent le comice. Sans pour autant relever de fau- té d’hygiène et de sécurité, critite disciplinaire, celle-ci a finale- quant une gestion « autocratique »
ment décidé de sa mutation forcée et une « caporalisation » de la juri« pour le bon fonctionnement de la diction. « Il est arrivé dans un
contexte de déjuridiction », selon
et a
son entourage.
Réputé directif, sa gestion sorganisation,
simplement vouRéputé directif
« autocratique »
lu remettre de
mais fin juriste,
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l’ordre dans le traPhilippe Muller
vail. Et pour cela,
avait pris la tête
du parquet du tribunal de grande il a donné des directives. C’est le
instance de Saint-Denis-de-la-Réu- rôle d’un chef », plaide l’un de ses
nion, poste alors vacant depuis six proches. En décembre, une inspecmois. Dès juillet, les magistrats pla- tion de la chancellerie est envoyée
sur place, mais ses conclusions
n’entraînent pas l’ouverture d’une
procédure disciplinaire.
Dans le même temps, la presse
locale multiplie les articles sur l’atmosphère délétère au sein du tribunal, se faisant bientôt l’écho des
relations par ailleurs exécrables entre le procureur et son supérieur,
Claude Laplaud, le procureur général de l’île. « Cette situation devenait intenable car elle donnait une
mauvaise image du service public
de la justice », commente un proche du ministère.
« Cette mutation d’office en dehors de toute procédure disciplinaire, sans possibilité pour l’intéressé de s’expliquer ou de se défendre, aucun prédécesseur de Madame Taubira n’avait osé le faire »,
tempête Emmanuel Poinas, secrétaire général de FO magistrats, en
charge de la défense du procureur.
Philippe Muller entend faire annuler cette décision devant le Conseil
d’Etat. En cas d’échec, il devrait
être nommé avocat général près la
cour d’appel de Grenoble.
THIBAULT RAISSE

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