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Introduction
21_PHI070450_01C.fm Page 156 Mardi, 24. juillet 2007 10:32 10 LE VIVANT • SUJET 21 Le plan A priori la technique comme instrument de domination de la nature et d’émancipation de l’homme ne peut qu’inspirer la confiance (première partie). Cependant, c’est un fait que de nombreux exemples attestent des dangers d’une technique qui se retourne contre l’homme (seconde partie). La question est alors de savoir non plus seulement ce qui est à l’origine d’un sentiment de méfiance, mais comment détecter les signes d’une technique pervertie et comment rester lucide et garder le contrôle de la technique (dernière partie). ■ Éviter les erreurs Une première erreur serait de se contenter de lister tous les dangers de la technique sans se préoccuper de les relier à son analyse conceptuelle. Il ne faut pas non plus tomber dans l’excès inverse et se priver des nombreux exemples que le sujet peut appeler. L’autre erreur serait de tomber dans un des excès à dépasser : soit la fascination, soit la diabolisation de la technique. C O R R I G É Les titres en couleurs servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie. Introduction La technique est par définition le moyen qu’a inventé l’homme pour modifier la nature et la lui rendre utile. Elle semble donc le résultat d’une activité de l’homme extrêmement précieuse à sa vie et survie. Produite ainsi par l’homme et pour l’homme, pourquoi se méfie-t-on alors de la technique ? En effet, les avancées techniques, plutôt que d’être envisagées comme un progrès, sont souvent conçues comme un danger, que ce soient le nucléaire, l’essor industriel ou encore les nouvelles technologies appliquées aux domaines médical ou informatique… Mais doit-on avoir peur de la technique ? Le problème est donc le suivant : ou bien la technique en tant que savoirfaire propre à l’homme est l’expression de son intelligence et de sa liberté, mais alors craindre la technique serait douter et avoir peur de ce qui fait la © Hatier 2007 156 C O R R I G É 21_PHI070450_01C.fm Page 157 Mardi, 24. juillet 2007 10:32 10 B. La technique résulte de l’intelligence et de la volonté de l’homme Or la technique désigne l’ensemble des procédés permettant d’assurer un travail. Qu’est-ce que le travail ? Il est la transformation et l’assimilation de la nature dans un but utilitaire. Le travail est formateur pour l’humanité car en produisant ses conditions de vie, l’homme se produit lui-même (croissance, développement). Mais cette première définition du travail est trop générale. Elle ne prend pas en compte la spécificité de l’activité humaine qui reste sur un mode instinctif (idée d’une nature qui agit en nous, malgré nous comme chez les animaux). Marx compare alors le travail du tisserand © Hatier 2007 157 C O R R I G É La culture La raison et le réel A. Origine mythologique de la technique L’origine mythologique de la technique est racontée par le sophiste Protagoras dans le dialogue platonicien du même nom. Il y eut une époque où les dieux commencèrent par façonner l’ensemble des êtres vivants (animaux et hommes), mais avant de leur donner la vie ils chargèrent Prométhée et Épiméthée de leur distribuer les qualités leur permettant d’assurer leur subsistance. Épiméthée commença alors à donner à chacun des qualités selon ses attributs : des ailes pour s’envoler quand on est petit, des fourrures en guise de couverture, une forte fécondité pour les espèces fragiles. Mais dans sa répartition, Épiméthée oublia l’homme, qui restait nu sans vêtements ni armes. Afin de lui donner le moyen de se conserver, Prométhée vola aux dieux le feu et sa maîtrise par les arts. Ainsi, la technique représente le moyen donné à l’homme pour qu’il assure lui-même les conditions de son existence. La technique vient palier une faiblesse originelle, et en même temps elle est la marque de la supériorité de l’homme sur les autres vivants, le signe visible de son intelligence et de sa créativité. Mais la technique, en permettant à l’homme de produire lui-même les conditions de son existence, incarne aussi la liberté de décider de soi. Craindre la technique, ce serait avoir peur de sa liberté, ce serait penser que l’on puisse vouloir se nuire. Finalement, douter de la technique ce serait douter de l’homme lui-même. La politique 1. La technique, marque de supériorité humaine, inspire la confiance La morale valeur même de l’homme. Ou bien la technique elle-même est dangereuse dans la mesure où elle échappe au contrôle de l’homme, mais alors comment comprendre que ce même instrument de domination de la nature puisse aliéner l’homme et le rendre dépendant ? Entre la fascination pour une technique au service du bonheur humain et sa diabolisation devant ses dangers, ne peut-on pas lui trouver des critères garants de lucidité sur ses effets ? Le sujet 21 Sujets d’oral LE VIVANT • SUJET 21_PHI070450_01C.fm Page 158 Mardi, 24. juillet 2007 10:32 10 LE VIVANT • SUJET 21 avec celui de l’araignée, et celui de l’architecte avec celui de l’abeille. Ce qui distingue le travail de l’animal de celui de l’homme n’est pas la qualité du produit (le résultat comme la cellule parfaite de la ruche), mais la nature même de cette activité (processus) : chez l’homme uniquement elle est le résultat d’un projet, d’une intention. Elle n’obéit pas qu’à une cause (l’instinct), mais vise une fin. Ce sens fort du travail est selon Marx le propre de l’homme. Même si l’animal a comme l’homme une activité de transformation de la nature, il reste dépendant de ses instincts et de ses automatismes. Seul l’homme travaille dans la mesure où il conçoit ce qu’il va faire. Le travail devient la marque de l’esprit et de la volonté de l’homme. La technique est alors le signe de la domination de l’homme sur la nature. Ainsi la technique est le moyen que l’homme a trouvé pour parer, faire face aux faiblesses de sa propre nature (son essence, ses caractères innés). Elle lui permet de réutiliser les éléments de la nature (la phusis, la réalité donnée) pour son existence (survie et bien-être). La technique permet à l’homme de se distinguer ainsi de la nature et du règne animal par son intelligence et sa volonté. Pourtant elle n’inspire pas toujours une confiance aveugle. 2. Cependant, c’est un fait paradoxal, la technique effraye malgré les bienfaits qu’elle promet A. Descartes voit en la technique une promesse de domination de la nature Si la technique est l’expression de l’humanité de l’homme, elle représente aussi les pouvoirs de la science lorsque celle-ci n’est plus seulement spéculative. Ainsi au XVIIe siècle naît le projet d’une « maîtrise de la nature » qui n’est plus une déesse inatteignable. La science, qui est de plus en plus expérimentale, devient pratique et adopte comme finalité le bonheur de l’homme. La médecine représente un bon exemple de technique, au sens de science appliquée au bien-être de l’homme. Descartes voit ainsi le moment pour l’humanité de se rendre « comme maître et possesseur de la nature ». Ce projet de maîtrise est cependant sur le mode de la comparaison : il s’agit de faire « comme » si l’on détenait une puissance infinie, mais non de se mettre à la place de Dieu. Les découvertes scientifiques permettent à l’homme de ruser avec la nature en la faisant travailler à sa place grâce à l’utilisation des différentes énergies. La technique n’utilise plus la force musculaire, mais les forces naturelles. Aussi il s’agit paradoxalement pour Bacon de « vaincre la nature en lui obéissant », c’est-à-dire de gagner sa liberté tout en respectant les lois physiques. La technique, en tant que « savoir-faire », consiste alors à utiliser ses connaissances pour mettre la nature à son service. © Hatier 2007 158 C O R R I G É 21_PHI070450_01C.fm Page 159 Mardi, 24. juillet 2007 10:32 10 A. La technique, source d’aliénation et d’exploitation Pour Marx, l’essence du travail consiste en une réalisation de l’homme par lui-même, et cela grâce à la technique. Cependant, ce travail devient aliénant quand la technique ne consiste plus en un simple emploi d’outils, mais en un travail aux rythmes et aux cadences des machines. Une machine est un système instrumental si perfectionné, que l’homme qui l’utilise n’en maîtrise plus la complexité. Une machine, n’étant pas seulement transfert mais transformation d’énergie, se caractérise par son autonomie. L’homme dépassé se transforme en un rouage de la machine. Le mouvement de la machine qui ne connaît aucune fatigue renvoie l’homme à ses propres limites. Le travailleur perd la maîtrise de son travail lorsqu’il perd la maîtrise de son propre mouvement, comme avec l’apparition du machinisme. Le critère d’aliénation ou de dangerosité de la technique en est la finalité elle-même : © Hatier 2007 159 C O R R I G É La culture La raison et le réel La politique 3. Qu’est-ce qui rend la technique dangereuse ? et à quelles conditions peut-on lui faire confiance ? La morale B. Contre-exemples : l’homme se voit dépassé par la technique Cependant, l’application du projet cartésien à une certaine échelle industrielle ne semble pas toujours synonyme de progrès et de bien-être. En effet, l’essor industriel s’accompagne d’une pollution de plus en plus inquiétante pour l’environnement humain. La production en masse des armes fait d’un moyen de se défendre ou de chasser un commerce de la mort. Hannah Arendt repense également la technique en termes contemporains. En effet, la mécanique des fluides par exemple n’a pas les mêmes implications que les nouvelles techniques nucléaires. Il y a une différence essentielle : la nature est modifiée de l’intérieur ; de ce fait de nouveaux processus naturels inconnus peuvent apparaître. Cette imprévisibilité constitue le risque même de cette technique. Nous sommes incapables de créer la nature, mais nous pouvons déclencher en elle certains processus que nous ne contrôlons pas. La différence traditionnelle entre la nature prévisible et l’histoire imprévisible tend alors à disparaître. Avant l’apparition du nucléaire, la science permettait de comprendre et de prévoir les transformations engendrées par la technique. En la modifiant, nous « faisons la nature », c’est-à-dire que nous la transformons en sachant qu’il y a une part d’inconnu, donc une part de risque. La question de savoir quelle instance doit la contrôler reste ouverte. Si la technique est l’instrument du bonheur, comment expliquer qu’elle puisse se retourner contre l’homme ? N’est-elle plus efficace, ou n’est-elle plus au service d’une bonne fin ? Ou encore n’est-elle plus un simple moyen ? Le sujet 21 Sujets d’oral LE VIVANT • SUJET 21_PHI070450_01C.fm Page 160 Mardi, 24. juillet 2007 10:32 10 LE VIVANT • SUJET 21 si cette production n’est plus mise au service de l’homme qui travaille mais d’un profit économique extérieur, il y a risque d’exploitation. L’autre critère est plus psychologique : si l’homme ne reconnaît plus dans son travail l’expression de ses compétences, c’est-à-dire de sa volonté et de son intelligence, alors il reste un étranger pour lui-même, et la technique à ce moment-là constitue un véritable danger. B. Nécessité d’accompagner toute pratique d’une éthique, d’une réflexion sur ses finalités Pour se prémunir de cette perversion de la technique, sa condamnation pure et simple ne semble pas adéquate dans la mesure où ce serait renoncer à tout contrôle de l’homme sur la nature. Reste alors à considérer la technique comme un instrument qui n’est pas neutre, et qui en plus d’être mis au service d’une intention destructrice (industrie de l’armement), peut échapper au contrôle de l’homme (nucléaire). Il s’agit alors d’accompagner la pratique d’une réflexion sur ses effets et ses finalités. Ainsi, l’expérimentation sur le vivant peut faire l’objet d’un contrôle, voire d’une censure, imposé par un comité de bioéthique. Par exemple, le clonage humain reste pour l’instant interdit parce qu’on en ignore les effets, et pour des raisons plus anthropologiques, philosophiques et morales d’identité humaine. Ainsi toute utilisation de la technique doit s’accompagner d’une réflexion sur ses finalités et ses conditions d’utilisation. L’éthique et la politique doivent veiller à ce que la technique ne se retourne pas contre celle qu’elle doit servir : la nature, et plus particulièrement la nature de l’homme. Conclusion La technique, en tant que savoir-faire, doit être au service de l’homme pour assurer les conditions de sa subsistance et contribuer à son bonheur. Mais ce n’est que dans la mesure où elle exprime l’intelligence et la liberté de l’homme qu’elle lui est utile et mérite toute notre confiance. Tout usage dévoyé constitue une aliénation pour l’homme. Il s’agit donc d’accompagner toute activité technique d’une réflexion sur ses finalités (une éthique), et d’une réflexion sur ses conditions d’utilisation (une politique). En dehors de ce cadre, on est en droit de se méfier non pas de la technique elle-même, mais de ce qu’elle sert. La question ne serait plus alors de savoir s’il faut en avoir peur, mais à qui elle profite. © Hatier 2007 160 C O R R I G É