Larbi Belkheir, Toufik, Khaled Nezzar et Smaïn Lamari

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Larbi Belkheir, Toufik, Khaled Nezzar et Smaïn Lamari
« Larbi Belkheir, Toufik, Khaled Nezzar
et Smaïn Lamari sont les quatre
commanditaires de l’assassinat de
Boudiaf »
08:49 mercredi 29 juin 2016 | Par Hadjer Guenanfa | Entretiens
MOHAMED BOUDIAF A DIRIGÉ L'ALGÉRIE DU 16 JANVIER AU 29 JUIN 1992. IL A ÉTÉ ASSASSINÉ LORS D'UNE CONFÉRENCE
DES CADRES À ANNABA. (© OUAHAB / NEWPRESS)
Nacer Boudiaf est le fils du président Mohamed Boudiaf, assassiné le 29 juin 1992 alors
qu’il prononçait un discours à la maison de la culture de Annaba retransmis en direct à la
télévision nationale. Dans cet entretien, il revient sur cet épisode qui a marqué des
millions d’Algériens et annonce le dépôt d’un recours pour la réouverture de l’enquête
sur l’assassinat de son père.
Vous ne croyez toujours pas à la thèse de l’acte
isolé. Pourquoi ?
Moi et ma famille n’avons jamais cru à la thèse de l’acte isolé. En fait, il y a trop
d’incohérences. Techniquement, il était impossible de commettre un tel assassinat dans
une salle, sans complicité. Je ne suis pas le seul à le dire. L’année dernière, Allal
Thalebi, un membre de la commission d’enquête mise en place après l’assassinat, avait
déclaré publiquement que Boudiaf a été assassiné par ceux qui l’avaient ramené.
Quelles sont ces incohérences qui vous font croire
qu’il ne s’agit pas d’un acte isolé ?
Dans la salle, Lembarek Boumaarafi avait rejoint à la dernière minute l’équipe (qui devait
assurer la protection du président) à Annaba. Mohamed Boudiaf a reçu une balle dans le
thorax qui n’a pas été mentionnée (dans les rapports). Les médecins ont dit qu’il
s’agissait, peut-être, de l’éclat de la grenade. Lors du troisième jour organisé à la
présidence, Nezzar avait promis de démasquer les commanditaires. Comment savait-il
qu’il y avait un ou des commanditaires ?
Vous avez accusé à plusieurs reprises certains
hauts officiers de l’armée. Vous leur reprochez de
n’avoir pas suffisamment protégé le président ou
d’avoir été complices ?
Non, Larbi Belkheir, Toufik, Khaled Nezzar et Smaïn Lamari sont les quatre
commanditaires de l’assassinat de Boudiaf. Le dernier (Lamari) était l’exécuteur de la
mission. Mohamed Boudiaf les dérangeait car ses objectifs étaient clairs : l’élimination
des mafias, la sauvegarde de l’Algérie et la démocratisation du système. Chose qu’ils
n’ont jamais acceptée !
En quoi la déclaration de
la mafia pouvait-elle les déranger ?
la
guerre
à
Elle les dérangeait parce qu’ils avaient des accointances avec ces gens-là. Quand ils ont
ramené Mohamed Boudiaf, ils pensaient qu’ils allaient avoir affaire à un vieux sénile. Ils
se sont rendus compte par la suite que ce n’était pas le cas. Le problème de mon père
est qu’il ne connaissait personne au moment de son retour en Algérie. Il avait ramené
avec lui une équipe de France qui était un peu déconnectée. Mon père avait commencé
à travailler en formant son groupe. Ils ne l’ont pas accepté.
Le départ du général Toufik à la retraite vous
redonne espoir ?
Bien sûr ! On l’appelait le « dieu de l’Algérie ». Maintenant qu’il est à la retraite, il n’a plus
d’immunité. On peut aller vers la justice. J’ai toujours pointé du doigt Toufik, Nezzar et
les autres. Ils ne m’ont jamais répondu. J’ai encore une fois accusé Nezzar et Toufik
d’être les commanditaires (de l’assassinat). Cela fait six mois, personne ne m’a répondu.
À l’époque, (Nezzar) avait traité les gens du FIS de rats. À moi, il n’a rien dit car il ne
peut pas le faire. Il sait pertinemment que si on va à la justice, c’est le dossier de Boudiaf
qui sera rouvert. Il n’en veut pas.
Comptez-vous
l’enquête?
demander
la
réouverture
de
Demain (ce mercredi, NDLR) au cimetière d’El Alia, je serai accompagné par mon
avocat. Je demanderai officiellement la réouverture du dossier. On déposera un recours
auprès du procureur de la République à Alger. Évidemment, on va donner un peu de
temps à la justice algérienne. Si elle peut rouvrir ce dossier, c’est très bien. Sinon, on ira
devant une juridiction internationale. On ira en Suisse ou aux États-Unis pour poursuivre
ces quatre personnes.
Qu’est-ce qui vous a empêché de le faire durant 24
ans ?
Je me suis retrouvé seul. La deuxième femme de mon père n’a pas fait son travail. Elle a
été corrompue par les militaires dont Toufik, Nezzar et Belkheir. D’ailleurs, je l’ai
dénoncée dans mon livre. On lui a donné des biens, de l’argent et des affaires. Cela dit,
bien avant, j’avais cette idée-là. J’aurais pu le faire l’année dernière. Cette fois-ci, j’ai
rencontré un avocat et il m’a expliqué ce qu’il faut faire.
Avez-vous des preuves sur le fait que ces quatre
anciens responsables soient les commanditaires ?
Je ne peux pas avoir de preuves. Pourquoi Toufik n’a pas été démis de ses fonctions si
c’était un acte isolé ? Pourquoi n’a-t-il pas démissionné ? La personne qui a tué Boudiaf
était bien un élément du GIS ? Dans l’assassinat d’un chef d’État, une seule personne a
payé, Boumaarafi. Ce n’est pas normal. Aucun responsable n’a démissionné ou été
traduit devant la justice.
Est-ce suffisant pour les accuser ?
Je n’ai pas de preuves matérielles, mais les faits sont là.
Vous avez fait des recherches vous aussi et
interrogé des personnes. Qu’avez-vous trouvé ?
J’ai su que Lembarek Boumaarafi n’était pas islamiste. À l’hôtel Seybousse où ils
(l’équipe du GIS) ont passé la nuit la veille du drame, on m’a indiqué que l’homme était
monté à la discothèque, qu’il s’était saoulé et qu’il s’était bagarré. Dès leur arrivée, leur
responsable leur avait ordonné de rester dans leurs chambres et de ne pas sortir.
Boumaarafi lui avait répondu qu’ici, tout le monde est responsable de lui-même.
Comment pouvait-on mobiliser quelqu’un comme lui pour la protection du président ?
Le chef de l’État était le dernier à être évacué de la salle. Trouvez-vous cela normal ?
Même si on me donne ce scénario pour un film, je le refuserai tellement il ne peut pas
tenir. En arrivant à Boufarik, l’hélicoptère a tourné durant une demi-heure parce qu’il
n’avait pas reçu une autorisation pour atterrir. Le cœur de Boudiaf battait encore. Il est
mort à Aïn Naâdja. Je pense qu’il aurait été sauvé s’il y avait une prise en charge à
Annaba. Mais ils ont tout fait pour que Boudiaf soit assassiné à Annaba.
C’était la première tentative ?
À Aïn Timouchent, ils ont également essayé d’attenter à sa vie. C’est Yasmina Khadra,
encore militaire à l’époque, qui m’a dit : « On a arrêté les gens qui voulaient tuer
Mohamed Boudiaf ». Je lui ai demandé s’il s’agissait d’islamistes. Il m’a répondu par un
« laisse tomber ! ». Il y a aussi l’épisode de la bombe qu’ils ont placée à la mosquée
mais qui n’a pas dissuadé le président Boudiaf à s’y rendre. Tout cela a commencé vers
le mois de mars (1992). Ils pensaient qu’ils avaient ramené un petit vieux, un affamé du
pouvoir. Ils ne le connaissaient pas. Il fallait donc lui faire comprendre qu’il était en train
de dépasser les lignes rouges.
Pourquoi cette question n’est pas portée par la
classe politique ou la société civile ? Pourquoi cette
date est-elle devenue un non-événement ?
Est-ce que vous avez une classe politique en Algérie ? Il n’y a plus de société civile
depuis longtemps. Si je ne parle pas de lui, personne ne le fera. Fatiha (Boudiaf) s’est
retirée depuis des années. Et puis, le système a voulu faire oublier Mohamed Boudiaf
comme ils l’ont fait oublier en 1963 quand il est parti. Mais les Algériens n’oublient pas.
Vous avez déclaré que le président Bouteflika a
tenté de rouvrir le dossier. Qu’en est-il réellement ?
Je sais qu’il voulait le faire mais ils ont exercé des pressions sur lui durant le premier
mandat. Avant de devenir président, Bouteflika était tout le temps à la Fondation
Mohamed Boudiaf. Bouteflika respecte les historiques. Quand il est devenu président, il
a promis à Fatiha de rouvrir le dossier.
Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ?
À l’époque, il ne pouvait pas.
Ne pouvait-il pas le faire durant le deuxième ou le
troisième mandat au courant desquels il a limogé de
nombreux hauts officiers militaires ?
Justement, il fallait les écarter tous. Le dernier, c’était Toufik. D’ailleurs, demain
(aujourd’hui mercredi, NDLR), je publierai une lettre ouverte au président de la
République pour demander la réouverture de l’enquête.
Le dossier ne pouvait pas être rouvert avec le
général Toufik à la tête du DRS ?
C’était difficile d’ouvrir le dossier avec Toufik à la tête des services (de renseignement). Il
était impliqué directement d’une façon ou d’une autre.