Texte - Belle Meunière
Transcription
Texte - Belle Meunière
Extrait du texte du spectacle « SEXAMOR » Le capitaine embarque sur une mer en désordre le vent taille sa peau les larmes lui écorchent la bouche il tente de retenir le silence donne du mou à sa douleur caresse la corde bleue de l’horizon nu ouvre les bras penche le ventre tend tout de son corps tout de lui puis se jette sur le côté/ gouvernail /il lève l’ancre Je te cherche / le bateau part en mer qu’importe la distance à parcourir je te cherche le ciel se cendre la terre éclate l’océan n’est plus que flaque où flottent des lambeaux de désir son âme est lourde un gros cailloux cri qui déchire la robe de l’océan cri que crache l’océan qui se dresse en un couteau tranchant Je te cherche les crocs de la mer lui mordent le coeur il perd du sang tombe se relève tombe sa mémoire glisse sur le pont sa tête se cogne au mat il sonne la cloche hisse sa peau harangue le ciel et ses flammes hurle à contre vent sous la grande voile rouge je voudrais une chevelure de ciel où déposer mon cailloux O Calliope Russalka Ophélie Lorelei Melisande O fées aquatiques je vous appelle le capitaine danse avec ses mains mes mains comme un message je dessine l’ombre d’une bouteille vide la caresse de l’horizon femme « oui » le capitaine dit « oui » à chaque vague « oui » à chaque mouvement oui à la tempête du dedans oui en imaginant oui ce qui oui se passe oui au plus noir de lui mon âme est un cailloux My soul is a stone /My love is a blues /I drink the hole/ rages hard rock In a bottle of love I die on the sea … » le bateau fonce sur un récif le capitaine n’est plus le maître dans sa propre cabine il hurle dans la tempête Comment rejoindre notre amour il veut mourir je ne contrôle plus rien j’oublie tout corps-cailloux qui l’entraîne vers le fond de l’abîme gospel des baleines je te cherche le capitaine ferme les yeux il touche enfin l’horizon des sirènes Nadège Prugnard le trou ce qui me manque c’est un trou ou plutôt : ce qui me manque fait un trou, un trou en moi, me troue, je suis troué par ce qui me manque non pas qu’on me l’ait enlevé, que je l’aurais eu un jour, que j’aurais été entier, ce trou c’est mon manque ce manque c’est l’Autre, l’Autre toujours troue trou en moi emporte-pièce dès que je nais, l’Autre me troue moi aussi je fais des trous chez l’Autre, sans le vouloir, avec le regard, et je comprends que j’ai dû trouer ou percer quelque chose en voyant de l’eau pleurée par les yeux de l’Autre, je ne savais pas, ça se met à fuir, ça se répand, ça ne s’arrête plus, les larmes du trou l’Autre n’est plus qu’un trou en larmes, un puits pleureur, et c’est moi qui ai fait ce trou. au trou ! condamné au trou ! à se faire trouer la vie ce qui reste c’est la passoire de l’être, mille fois trouée, cachée au cœur d’une forme en viande qui se fait croire qu’elle est entière et que tout va bien. mais quand je serai tout troué, quand je ne serai plus qu’un trou ambulant, une lacune humaine, une absence debout, quand je n’aurai plus que mes bords, quand je ne serai plus qu’un bord de trou, une margelle à sang chaud, alors l’Autre qui n’aura plus rien à trouer, s’approchera, il se tiendra au bord de mon trou, devenu le sien aussi, à force de tant me trouer, trou des deux donc, avec lui, penché, à prier que l’horizon se découvre enfin au plus profond de cet Autre , qui se demande lui-même s’il existe encore, étant complètement trou devenu, ce qu’au fond je cherche dans le noir de l’autre, n’est-ce pas qu’il soit là quand je l’appelle ? Pierre Meunier (…) depuis le début on m’a traité de petit garçon, on disait « il » en parlant de moi, « il » comme vir-il, « il » va bien nous soulever ça, « il » va quand même pas pleurer pour ça, « il » sera officier de marine, et pour que ce soit bien clair on a mis une barre à son vélo, pour qu’en cas de chute il s’éclate les testicules dessus, et que ça me serve de leçon. On m’a coupé les cheveux court et donné des petites voitures. On nous a mis entre nous dans des cours d’école en culottes courtes, pour qu’on se batte entre nous. On s’épiait en train de grandir, on devinait des différences secrètes sous les habits, dans les dessous, on aurait bien été voir de plus près, on finissait par s’allonger tout nus sur du carrelage froid en riant bêtement devant nos différences qui nous sautaient aux yeux. C’était maintenant une certitude que j’étais bien un garçon parce que j’en avais une, et qu’elle était bien une fille parce qu’elle n’en avait pas. Ou alors est-ce qu’il m’en était poussée une à force qu’on me dise que j’étais un ? Je n’ai jamais pu le savoir, mais le chemin était tout tracé, ça ne semblait faire aucun doute pour personne. Après avoir espéré des années qu’on ne m’appelle plus madame au téléphone, on m’a sacré« jeune homme ». Quand il m’arrivait d’avoir plus peur qu’une fille, je claquais des dents en silence, pour qu’elle continue à croire que j’étais bien un homme. Je sentais qu’il ne fallait pas décevoir, et que si une guerre éclatait, il faudrait s’élancer le premier à l’assaut de l’ennemi en poussant un cri de bête, sinon c’était pas la peine d’être un homme. Ca me donnait des sueurs froides, rien que d’y penser, seul dans la nuit. Il ne me restait plus qu’à entrer dans la femme, dans la faille, dans cette fente brûlante, enfente-moi, je priais, j’implorais : je te salue, vierge bleue, pleine de grâce, que ton doux con soit foutu, le plaisir est avec toi et ton foutre est sacré, tu es bénie entre toutes les femmes, vierge bleue prends ma queue, mets-là toi, mets-là moi, que j’entre, jet jouissons maintenant et jusqu’à l’heure de notre mort. À l’hôtel des Grands Hommes, en pénétrant un corps, j’en devins enfin un, je fus violemment soulevé de terre jusque derrière les étoiles, en découvrant dans les bras de la femme une stupéfiante immensité. J’étais donc bien un homme. Je viens de cet homme, qui crut le devenir, là. Pierre Meunier qu’est-ce que sexe ? la question du sexe est soulevée. qu’est-ce que ? quoi est ce « que » , ce « que » là, non pas cette queue là on ne réduira pas la question du sexe à la queue, à cette queue là, ou à tout autre queue, mais on la maintiendra ouverte. La main tiendra la question ouverte, jusqu’à la crampe. Qu’est-ce que sexe ? Sexe est un mot. Ce n’est qu’un mot, mais il y a des mots qui vous laissent tranquille. Sexe non. Pourquoi ? Il y a des mots, on peut s’asseoir dessus : talus, chaise, rivage… et penser à autre chose. Il y des mots qui rassurent : diversité, magique, confiture, tintement, ensemble… Sexe ne rassure pas du tout, sexe vient inquiéter, vient troubler, vient exciter quelque chose qui n’attend visiblement que ça pour manifester son existence. Pierre Meunier Il était une fois Il était une fois une princesse qui en avait assez d’attendre face à la muraille Je veux pas aller au bal Je n’ai plus rien qu’une robe sale et usée Je suis moche dans le miroir Je vomis des roses et des serpents Je secoue la tête Moche moche moche Je brûle mon soutien gorge Déchire la peau d’âne Dénoue le voeu Couleur du temps soleil lune morte Blanche neige casse son cercueil Cendrillon jette sa croix Citrouille au plafond Je sors de la trappe a cochon Barbe bleu fils de pute file moi les clefs Je prends la hache de l’ogre Tarte ma belle mère Crache sur la tombe du roi Noie le petit poucet Bâillonne les 7 nains Pète la belle vaisselle du dedans Repousse les murs enfonce défonce la porte du château Je sors de l’histoire Lumière crue Le vent Loup y es tu ? J’ai besoin de te parler Le prince charmant est mort je l’ai défoncé Je ne peux aimer qu’un fou Loup y es tu ? (…) Loup y es tu ? Je suis le petit chaperon rouge qui a désobéit a sa maman Le prince charmant m’a donné son cœur je l’ai mangé Je suis prête Je suis neuve J’ai peur Je sais pas Nadège Prugnard Chanson du vieux Berry : De bon matin je me prends je me lève et à la chasse je m’en vais tous les trois chiens à la fois derrière moi j’ai rencontré la belle meunière, voulez vous donc venir chasser avec moi ? allons mon garçon, finissez vos discours, calmez vos paroles car j’aime mieux mon garde-moulin qui tous les matins me touche la main et me met tout en train puis il s’en va de ville en village pour demander à moudre du grain Regarde regarde j’ouvre grand j’ouvre tout regarde le cri entre cuisses le cri libre le cri sale et désordonné le cri interdit regarde je brûle je suis vénus vénéneuse vierge damnée femme serpent enragée jusqu’à l’orgasme je suis ta femme ta mère ta sœur ton père ta pute belle belle belle regarde l’origine qui coule le ressort de la mémoire ta tête dans le miroir l’origine du tremblement regarde l’ apocalypse brune belle belle belle putain belle ma beauté fatiguée assise sur les genoux ma beauté fragile au fond de l’abîme sans visage regarde je suis là dans le chagrin accroupie dans la pisse d’une mauvaise nuit regarde les ruines de l’amour mon architecture odorante mes cheveux défaits belle belle belle putain belle regardes l’endroit ou naissent les nuages et le vent je suis ivre du désert qui m’habite ivre du temps qui déborde regarde la caresse absolue belle belle belle c’est immense le trou d’une femme c’est immense Nadège Prugnard