Fiche pratique juridique n°8

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Fiche pratique juridique n°8
Fiche pratique juridique n°8
Par Maître Renaud Bertin
COMMENTAIRE D’UN IMPORTANT
ARRET RENDU LE 16 JUIN 2010
PAR LA COUR D’APPEL DE PARIS
(POLE 5 – CHAMBRE 4)
AFFAIRE : SA GROUPE VOLKSWAGEN FRANCE c/
SA EUROPE GARAGE
Renaud BERTIN
Avocat à la Cour
Cet arrêt a une portée jurisprudentielle particulièrement intéressante
puisque la Cour a été conduite à se prononcer sur 3 problèmes
juridiques distincts :
Magistère de Juriste d’Affaires Interne et
Européen de l’Université de NANCY
Major du Diplôme Scientifique de Maîtrise
en Droit Européen de l’Université de LIEGE
- la résiliation pour cause de réorganisation du réseau du
contrat de la Société EUROPE GARAGE avec préavis réduit de 24 à
12 mois (1)
- le refus d’agrément opposé par la Société GROUPE VOLKSWAGEN FRANCE SA à la candidature
de la Société EUROPE GARAGE pour être agréée en qualité de distributeur et réparateur VOLKSWAGEN
et AUDI (2)
- les perturbations apportées par la Société GROUPE VOLKSWAGEN FRANCE dans le cadre de
l’exécution des contrats de réparation VOLKSWAGEN et AUDI de la SA EUROPE GARAGE (3)
1) Sur la résiliation
Comme la plupart des constructeurs, la Société GROUPE VOLKSWAGEN FRANCE avait résilié les
contrats de tous ses concessionnaires en septembre 2002 avec prise d’effet au 30 septembre 2003,
soit moyennant le respect d’un préavis d’un an prévu dans le cadre des dispositions contractuelles et en
transposition de l’article 5 § 3 1er tiret du Règlement CE 1475/95 autorisant le fournisseur à réduire la
durée de préavis de résiliation à un an dans l’hypothèse de la nécessité de procéder à une réorganisation
rapide et substantielle du réseau de distribution.
La Cour d’Appel prend ici acte des exigences formulées par la jurisprudence communautaire de la Cour
de Justice des communautés européennes (3 arrêts des 7 septembre 2006, 30 novembre 2006 et 26
janvier 2007) qui ont dit notamment pour droit que :
le recours à cette procédure
« implique que cette résiliationse justifie d’une manière plausible, par des motifs d’efficacité
économique, fondés sur des circonstances objectives internes ou externes à l’entreprise du
fournisseur qui, à défaut d’une réorganisation rapide du réseau, seraient susceptibles,
compte tenu de l’environnement concurrentiel dans lequel opère ce fournisseur, de porter
atteinte à l’efficacité des structures existantes de ce réseau ».
« Pour apprécier la nécessité d’une réorganisation rapide du réseau, il est pertinent de tenir compte
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des éventuelles conséquences économiques défavorables que serait susceptible de subir un
fournisseur dans l’hypothèse où ce dernier procéderait à la résiliation de l’accord de distribution
avec un préavis de 2 ans, au lieu d’un préavis abrégé d’un an ».
La Cour de PARIS, rappelant qu’il appartient au Juge National d’apprécier en fonction de l’ensemble des
éléments concrets du litige le bien fondé du recours à cette procédure dérogatoire, statue en l’espèce en
faveur de la Société GROUPE VOLKSWAGEN FRANCE.
Pour légitimer cette résiliation la Cour se livre à une analyse juridique particulièrement précise des
conséquences qu’aurait entrainé le respect par le constructeur d’un préavis de 2 ans dont la moitié aurait
été exécutée après le 1er octobre 2003, c’est-à-dire postérieurement à l’entrée en vigueur du nouveau
Règlement CE 1400/2002.
Relevant que : « Le fournisseur qui choisit de conserver le mode de distribution autorisé par le
précédent Règlement… n’est désormais plus en droit d’interdire à son concessionnaire exclusif de
revendre des véhicules neufs à des revendeurs non membres du réseau, ce qui a, en ce cas, pour
effet obligé la perte d’étanchéité de celui-ci et justifie la célérité apportée par la Société GROUPE
VOLKSWAGEN FRANCE à organiser son réseau uniquement selon le système de la distribution
sélective… »,
La Cour observe que si le contrat en cours de résiliation avait été amendé pour les besoins de l’exécution
d’une seconde année de préavis postérieurement au 1er octobre 2003 :
« la prestation caractéristique d’un contrat de distribution exclusive n’étant pas seulement la
fourniture du produit mais aussi l’obligation d’assurer l’exclusivité de distribution au cocontractant,
la modification proposée eût porté sur l’objet même de la convention et eût nécessairement
généré la conclusion d’un nouveau contrat, laquelle supposait l’acceptation préalable par le
concessionnaire considéré de ces nouvelles conditions ainsi qu’une durée d’engagement d’au
moins 5 ans dès lors que le Règlement communautaire n’accorde l’exemption qu’à des contrats à
durée indéterminée ou à durée déterminée minimale de 5 ans, ce qui exclut, en toute hypothèse,
toute possibilité légale d’adaptation de seulement une année ; qu’un tel contrat eût privé pendant
5 ans le concédant du bénéfice de l’étanchéité ; qu’en outre le maintien du contrat de concession
litigieux pendant une année supplémentaire eût interdit la prospection personnalisée et nominative
hors du territoire exclusif concédé de MONTLUCON et eût également interdit aux autres membres
du réseau de vendre activement – fût-ce conformément aux restrictions imposées jusqu’au 30
septembre 2005 – sur ledit territoire, ce qui n’aurait pu que créer une distorsion dans le jeu de la
concurrence et porter atteinte à la cohérence et à l’efficacité de la réorganisation engagée ».
En réalité, il aurait été possible de poursuivre l’ancien contrat sans l’amender durant 12 mois en
avisant les autres distributeurs du maintien de l’exclusivité territoriale concédée au concessionnaire
de MONTLUCON jusqu’en septembre 2004, le risque encouru par la perte de la présomption
d’exemption de ce seul contrat non couvert par le RCE 1400/2002 sur une période aussi courte
n’étant nullement susceptible d’affecter le commerce intra-communautaire et encore moins de
faire l’objet de la moindre poursuite par la Commission Européenne, celle-ci pouvant de surcroit
accorder une exemption individuelle.
La position de la Cour est ici fragile et critiquable en cas de pourvoi.
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2) Sur le refus d’agrément opposé par GROUPE VOLKSWAGEN FRANCE à la candidature de la
Société EUROPE GARAGE en qualité de distributeur de véhicules neufs VOLKSWAGEN
La Cour énonce tout d’abord, conformément à la jurisprudence constante : « qu’il appartient au concédant
d’examiner chaque candidature de façon non discriminatoire à partir de critères précis et objectifs
appliqués de façon uniforme à tous les candidats »,
le fournisseur étant « tenu d’apporter la preuve tant de l’objectivité des critères retenus que de
leur application non discriminatoire, le refus d’agrément ne pouvant reposer que sur des critères
déterminés ».
Ensuite, la Cour rappelle que si un ancien concessionnaire exclusif ne dispose d’aucun droit acquis à la
poursuite des relations contractuelles, «il ne saurait davantage subir de traitement de défaveur ou de
discrimination», sauf à ce qu’il soit démontré que sa candidature ait été présentée de mauvaise foi.
Procédant à une stricte application des principes fondamentaux propres à tout système de distribution
sélective, la Cour retient qu’au cas d’espèce, GROUPE VOLKSWAGEN FRANCE avait écarté d’emblée
« sans même l’examiner la candidature de la Société EUROPE GARAGE en qualité de distributeur
de véhicules neufs de sa marque pour ne prendre en considération que sa seule candidature en
qualité de réparateur agréé pour l’après-vente des marques VOLKSWAGEN et AUDI ».
La Cour relève aussi que GROUPE VOLKSWAGEN FRANCE a « retenu la candidature de la Société
GARAGE SAINT CHRISTOPHE bien que présentée postérieurement à celle de la Société EUROPE
GARAGE… ».
La Cour en déduit logiquement que « l’appelante… doit être regardée comme s’étant abstenue
d’organiser la sélection de ses candidats dans les conditions d’impartialité exigées pour la mise
en place d’un réseau de distribution sélective » !!!
Il est difficile d’être plus clair.
En effet, selon la Cour, seuls des critères qualitatifs de sélection préalablement définis et spécifiés peuvent
être opposés à un candidat, « mais aucunement des conditions floues subjectives dont le nonrespect par l’intimée n’était au surplus pas démontré ».
Pour parfaire, la Cour relève que le candidat agréé ne respectait nullement les critères de sélection requis
lors de son agrément puisqu’elle ne les respectait pas plus d’un an plus tard.
L’arrêt conclut que la Société GROUPE VOLKSWAGEN FRANCE : « a engagé sa responsabilité
délictuelle sur le double fondement des articles 1382 du Code Civil et L.420-1 et suivants du Code
de Commerce ».
3) Sur les perturbations apportées par le GROUPE VOLKSWAGEN FRANCE aux conditions
d’exécution des contrats de réparateur VOLKSWAGEN et AUDI de la Société EUROPE
GARAGE
Ici encore, la Cour retient le principe de la responsabilité de la Société GROUPE VOLKSWAGEN FRANCE
pour avoir fautivement préjudicié à la bonne exécution des contrats en cause et avoir gratifié la Société
EUROPE GARAGE de discriminations.
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Au total, la Société GROUPE VOLKSWAGEN FRANCE est condamnée à payer à la Société EUROPE
GARAGE 400.000,00 € à titre de dommages et intérêts, outre 10.000,00 € en application de l’article 700
du CPC.
Cet arrêt vient confirmer une jurisprudence qui ressortait déjà d’un jugement rendu quelques jours plus
tôt, soit le 9 juin 2010 par le Tribunal de Commerce de VERSAILLES à l’encontre de la Société NISSAN
FRANCE.
Dans ce dossier où les parties étaient ici encore défendues par Maître Renaud BERTIN pour le distributeur
et par le cabinet VOGEL & VOGEL pour le constructeur,
le Tribunal de Commerce de VERSAILLES avait adopté la même analyse que la Cour d’Appel de PARIS
sur les conséquences juridiques découlant de la poursuite d’un préavis de 24 mois au-delà du 1er octobre
2003, date d’entrée en vigueur du RCE 1400/2002, en jugeant qu’un nouveau contrat avait été conclu
entre NISSAN et la Société GIRODO LE CLEZIO, contrat non résilié valablement par la suite et dont le
Tribunal a prononcé la résiliation judiciaire aux torts et griefs de NISSAN.
Comme la Cour d’Appel de PARIS, le Tribunal de Commerce de VERSAILLES avait également sanctionné
le constructeur pour avoir refusé d’examiner de façon objective la candidature de son concessionnaire et
avoir agréé de façon tout aussi discriminatoire une candidature postérieurement déclarée qui ne respectait
pas davantage les critères de sélectivité lors de son agrément.
Ces deux décisions convergentes constituent à ce jour le droit positif ; pour parfaire, elles s’inscrivent dans
le droit fil de la jurisprudence de la Cour de Cassation (Cf. GARAGE GREMEAU / DAIMLER CHRYSLER
FRANCE CASS. COM. 28 juin 2005).
Renaud BERTIN
Avocat à la Cour d’Appel de PARIS
Avocat Conseil du CNPA
Diplômé du Magistère de Juriste d’affaires interne et européen de l’Université de NANCY
Diplômé avec distinction du grade scientifique de
Maîtrise en Droit Européen de l’Université de LIEGE.
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