Chapitre 12 : « N`avoue Jamais »
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Chapitre 12 : « N`avoue Jamais »
Chapitre 11 : « N’avoue Jamais » Le chapitre explique comment les hommes politiques utilisent la langue de bois en temps de crise pour dissimuler la vérité aux populations ou la rendre plus supportable. On analyse la communication de l’Etat autour de crises différentes 1) Une crise lié à un accident technique : la catastrophe de Tchernobyl, qui soulève des questions autour de la sécurité du nucléaire et de la protection des populations. 2) Les périodes de crises économiques, avec comme exemple le « tournant de la rigueur » (1982-1983) mis en place par Mitterrand, la crise des années 1970 et celle plus récente qui a débutée en 2008. 3) les crises « internes » qui concernent des oppositions au sein d’un parti politique ou d’un gouvernement (congrès socialistes, duels entre personnalités rivales à droite). I. Comment le gouvernement français fait-il usage de la langue de bois pour masquer les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl ? Retour sur le contexte : Accident nucléaire de Tchernobyl (Ukraine) en avril 86 : le nuage radioactif aurait recouvert près de 40% de l'Europe. Les conséquences de Tchernobyl et les possibles mensonges du gouvernement français de l’époque (avec Chirac comme 1er ministre, Juppé porte parole et Alain Carignon ministre de l’environnement) soulèvent encore des controverses aujourd’hui. Pourquoi accuse-t-on le gouvernement Français ? On voit que dès 1986, le gouvernement français fait preuve de langue de bois car son discours ne correspond pas du tout à la réalité des faits. Dates Faits importants En France Avril 1986 la Suède enregistre une hausse de la radioactivité sur son sol et alerte les autres pays européens. le nuage radioactif de Tchernobyl arrive en France. Mai 1986 La plupart des Etats européens prennent des mesures pour contrôler l’alimentation. (Pologne, Danemark, Norvège, Finlande, Suède, Royaume-Uni, Pays-Bas, Allemagne, Autriche, Italie, Grèce) En France, aucune mesure n’est prise. (l’Italie décide de contrôler les importations françaises pour éliminer les produits contaminés) Discours du gouvernement Français (ex de Langue de bois) déclarations rassurantes (le territoire français est trop éloigné pour être touché, la pluie a réduit les risques). Le 30 avril 1986, Jean Chanteur (le directeur adjoint du SCPRI) déclare qu’il n’y a « aucun risque en France du point de vue de la santé publique » et « qu’aucune élévation significative de la radioactivité n’a été constatée". 6 mai 1986 : Communiqué du Ministère de l’agriculture : « Le territoire français, en raison de son éloignement, a été totalement épargné par les retombées de radionucléides consécutives à l’accident de Tchernobyl. » 1986 Une note confidentielle révèle que la France a "obtenu un adoucissement des mesures de contrôle" envisagées par Bruxelles. (1987) 2000 / 2001 Fermeture de la centrale, plus de 20 ans après sa mise en service. on apprend que la radioactivité aurait en fait touché l’Est, le Sud Est, la Corse… => scandale du lait de brebis en Corse qui n’est pas retiré de la vente alors que sa contamination dépasse très largement les normes européennes. une plainte est déposée par la commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité (Criirad) ainsi que certains malades : tous considèrent que le gouvernement a mal géré la crise et a contribué à augmenter les cancers de la thyroïde. Le professeur Pellerin (directeur du SCPRI) reconnaît que les mesures de radioactivité sont anormales sur le territoire français, et ce depuis le 30 avril, mais que les taux ne sont pas dangereux. Des perquisitions dans différents ministères permettent de saisir un document dans lequel le gouvernement précisait : « Nous avons des chiffres qui ne peuvent être diffusés ». Le 11 mai, le ministre de l’environnement, Alain Carignon, accepte de s’exprimer à la télévision. IL est interrogé par le journaliste Hervé Claude, qui demande « Pourquoi n’a-t-on pas dit que la radioactivité augmentait ? » L’argumentaire du Ministre est un bel exemple de langue de bois. 1) Il rejette la faute commise par le gouvernement : les chiffres ont soit disant été diffusés tous les jours « en fin de soirée, vers minuit » et si personne ne l’a su c’est parce ce sont les médias qui doivent « répercuter ces chiffres ». 2) Il feint de partager les préoccupations de la population et utilise des formules « mécaniques » : Les Français sont « majeurs », ont le « droit de savoir », « droit de connaître ». 3) Il minimise le problème : - en affirmant que « les taux ne sont pas dangereux ». - Il parle d’ « incident » et non pas « d’accident ». - Il utilise des arguments d’autorités (la France respecterait les normes de l’OMS ou d’Euratom) et nie les inquiétudes d’une partie de la population (dont les écologistes). 4) Il détourne la question en évoquant le sujet plus général de la sécurité. Deux jours plus tard, le 13 mai au JT de 20 heures, c’est au tour du Ministre de l’Industrie, Alain Madelin de faire une intervention. Jeu dans sa manière de parler, sûr de lui, souriant et rassurant. Déclare vouloir « jouer cartes sur tables », rappelle qu’il n’y a eu aucun problème de sécurité mais juste des problèmes de « communication ». mise en place d’une cellule d’information (un numéro vert gratuit) C’est la fin d’une crise de confiance dans l’opinion. II. Comment s’exerce alors la langue de bois en temps de crise économique ? On a un exemple avec le changement de politique décidé par Mitterrand devant les difficultés économiques de la France. Le changement de politique entre 1931 et 1983 est bel et bien radical (on voit que cela se traduit par un changement dans les discours). Dates Fait important Mots utilisés dans les discours Politique mise en place 1981 Election de Mitterrand (élu sur le thème du changement et de la relance) «priorité à l’emploi » ; « lutte contre le chômage » Plans de relance par la consommation ; grands travaux ; nationalisations de groupes industriels (Thomson) ; ↗ du SMIC + ↗ des allocations familiales; ↘ du temps de travail ; retraites à 60 ans. 1983 Mesures insuffisantes pour contrer la crise économique et explosion des dépenses, d’où un changement de politique : Tournant de la rigueur. Nouvelles expressions : « accroître la compétitivité », « reconstituer l’épargne », « priorité à l’investissement » blocage des salaires ; ↗ des taxes diverses (tabac, alcool) ; ↗ des prix du gaz, de l’électricité, de la SNCF ; privatisations ; compression du pouvoir d’achat. Pourtant, officiellement, il ne faut surtout pas dire que l’on change de politique. Les ministres ont pour consigne d’éviter le mot « rigueur » face aux journalistes. Retour sur la langue de bois des Socialistes : 1) ignorer le changement et faire comme si cette politique n’était que la continuité de la précédente => « Nous garderons les mêmes objectifs », ceci n’est que « la deuxième phase du changement », celle de « l’effort » ; (Mitterrand utilise la métaphore du coureur cycliste qui fait une étape de montagne après la plaine, mais cherche toujours à atteindre le même but) 2) Le Parti refuse de reconnaître que sa première politique était une erreur, il est plus facile de dire que le changement de politique constitue une adaptation : « il nous a fallu du temps pour saisir les objectifs, nous coordonner » Plutôt que de dire « nous nous sommes trompés », le gouvernement présente les choses comme s’il faisait preuve de clairvoyance et pragmatisme. « Nous poursuivons en adaptant le rythme et les moyens » => donne l’idée d’une forme de contrôle. 3) Mitterrand rejette la faute sur des facteurs externes : la crise mondiale qui s’aggrave (La France est prise dans le « creux de la tempête » et ne peut rien faire) et l’ « héritage » désastreux du précédent gouvernement. En mars 83, le Gouvernement annonce le second plan de rigueur. Cette fois ci, le mot est assumé, mais le Président le minimise. Il contourne le thème de la rigueur en parlant plutôt de modernisation de la France (sens positif du terme : avenir, progrès..). La rigueur est présentée comme une étape, ce sur quoi il faut se concentrer c’est l’avenir de la France => thème récurrent dans la langue de bois : parler de l’avenir pour esquiver les problèmes du présent. III. Existe-t-il des points communs avec la langue de bois qui accompagne d’autres crises économiques ? On fait une comparaison entre la langue de bois de la crise des années 1970 et celle qui débute en 2008. On constate que l’on retrouve toujours certains éléments dans les discours : relativiser et atténuer des réalités trop cruelles, rassurer les populations, et surtout éviter de prononcer certains mots. L’auteur dit que la langue de bois progresse car les Ministres sont beaucoup plus vagues sur l’évolution de la situation : plutôt que de faire des promesses, on cherche à présent à faire passer un message de compassion et à reconnaître la dureté de la situation. Période et contexte Gouvernement au pouvoir Similitudes dans la langue de bois : Différences Années 1970 : choc pétrolier en 73, la France commence a en subir les effets en 1975 : 15000 faillites d’entreprises / un million de chômeurs. Président : Valery Giscard d’Estaing 1er ministre : Chirac Nier la crise : « il n’y a pas de crise économique française » Chirac (1974) Faire croire à des améliorations : « le plus dur de la crise est derrière nous » VGE Eté 2007 : crise des subprimes aux USA. 2008 : La France entre en récession Sarkozy Fillon Nier la crise : «l’économie française repose sur des fondamentaux qui sont solides » Christine Lagarde (2007). Faire croire à des améliorations : « le gros risque systémique est derrière nous » (Lagarde en 2008) Euphémiser le mot tabou, et ne pas parler de récession : les élus UMP parlent de « croissance négative » ; « passage récessif, « décroissance »… Les promesses d’améliorations des chiffres du chômage ne coïncident pas avec la réalité (1,5millions de chômeurs en 1980). + 14 % de hausse des prix. Les chiffres discréditent la parole gouvernementale en 1980. Début 2009, très mauvais chiffres du chômage : 90200 chômeurs. Lagarde et Wauquiez sont questionnés sur l’évolution des chiffres : les deux reconnaissent que les chiffres seront encore mauvais (Façon d’amortir par avance les futurs statistiques de l’INSEE) mais il n’en disent pas plus et ne citent aucune prévision => « toute précision peut avoir un effet boomerang ». Comment la langue de bois peut-elle masquer des désaccords internes ? Au sein d’un même parti politique, il arrive souvent que plusieurs hommes politiques soient en désaccord. La langue de bois est utilisée par la gauche… - en 1983, changement de politique de Mitterrand => désaccords chez les socialistes. Mais devant les médias, Bertrand Delanoë (porte parole du PS à l’époque), fait de la langue de bois : il parle « d’unité » et de « rassemblement ». - En 1990, Jospin et Fabius utilise les mêmes mots (synthèse ; rassemblement ; projets) pour faire comme s’ils étaient d’accord, alors qu’ils sont rivaux pour succéder à Mitterrand. - Meilleur exemple de langue de bois chez les socialistes : celle de Mitterrand lors de sa candidature à la présidentielle. Il maintient le suspens et annonce sa candidature très tard : il insiste sur la nécessité de voir les socialistes remporter l’élection, et dit qu’il fera tout pour ça, mais ne précise pas s’il se portera ou non candidat. => Façon de faire comme s’il mettait en avant le projet socialiste avant sa carrière. Et aussi à droite : - De Gaulle se sert de la langue de bois pour répondre indirectement à Pompidou. Celui-ci a parlé de son souhait d’être un jour Président, et De Gaulle le voit comme une attaque personnelle. Il répond dans un communiqué « qu’il remplira son mandat jusqu’à son terme ». - « duel » en 1974 entre Chirac (1er ministre de droite) et Giscard d’Estaing (Président centriste) qui s’adressent l’un à l’autre en utilisant des phrases codées. - duel entre Chirac et Balladur (tous deux membres du RPR) qui seront candidats à la présidentielle de 1995 (pour rappel, l’élection est gagnée par Chirac contre Jospin, Balladur d’abord favorable dans les sondages est éliminé au premier tour). Avant l’élection, Balladur (qui est toujours 1er ministre) ne déclare pas tout de suite sa candidature et répond aux questions des journalistes en faisant de la langue de bois : « le gouvernement gouverne » et le moment venu, le RPR choisira le candidat le mieux placé pour gagner. (sous entendu : Chirac doit se retirer de luimême de cette élection car Balladur est favorable dans les sondages). Mais Chirac va faire cesser cette langue de bois en déclarant sa candidature.