conseil d`etat - Le Conseil d`État

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conseil d`etat - Le Conseil d`État
CONSEIL D’ETAT
SECTION DES
FINANCES
N° 383.197
Mme EGERSZEGI,
Rapporteur
Extrait du Registre
des Délibérations
Séance du mardi 27 octobre 2009
DEMANDE D’AVIS
Le Conseil d’Etat (Section des finances), saisi par le ministre du budget, des comptes publics,
de la fonction publique et de la réforme de l’Etat, de la question suivante :
« Dans le cadre des programmes de fidélité clients, les entreprises peuvent-elles déduire en
franchise d’impôt une provision pour charges évaluée sur la base de l’avantage octroyé au
client et en fonction de la probabilité d’exercice des droits acquis par les clients :
-
au fur et à mesure de l’attribution de ces droits ;
-
ou seulement à compter de l’exercice au cours duquel le dernier achat permettant
d’atteindre le nombre minimum de points requis pour ouvrir droit à un avantage
(cadeau ou réduction) a été réalisé ?»
Vu le code général des impôts,
Est d’avis qu’il y a lieu de répondre, sous réserve de l’appréciation des juridictions
compétentes, dans le sens des observations ci-après :
1. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les
sociétés en vertu de l'article 209 du même code : « 1. Le bénéfice net est établi sous déduction
de toutes charges, celles-ci comprenant ... notamment : (...) 5° Les provisions constituées en
vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que les événements en cours
rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de
l'exercice... ».
Il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut valablement porter en provision et déduire
des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des charges qui ne seront
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supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces charges soient nettement
précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation
suffisante, qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la
date de clôture de l'exercice et qu'elles se rattachent par un lien direct aux opérations de toute
nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise, ce qui implique, s’agissant des provisions
pour charges, que celles-ci ne peuvent être déduites au titre d'un exercice que si se trouvent
comptabilisés, au titre du même exercice, les produits afférents à ces charges.
2. Par deux décisions du Conseil d’Etat statuant au contentieux du 2 juin 2006, Société
Lever Fabergé France et Société Unilever France, il a été jugé qu’une entreprise qui accordait,
lors de la vente d'un produit, un coupon de réduction à valoir sur l'achat ultérieur d'un même
article, pouvait constituer une provision déductible à la clôture de l'exercice au cours duquel
cette première vente avait été enregistrée pour faire face à la charge potentielle impliquée par
l'utilisation du bon. Le Conseil d’Etat a en effet considéré que les coupons de réduction
pouvaient être rattachés par un lien suffisamment direct au produit de la vente initiale à
l'occasion de laquelle ils avaient été distribués, dès lors que c’était à l’occasion de cette
première vente que naissait l’obligation de l’entreprise à l’égard du client.
3. Ce raisonnement paraît pouvoir être étendu au cas des programmes de fidélisation de
clientèle pour lesquels l’octroi d’un avantage (récompense) au client est subordonné à la
réalisation de plusieurs ventes et non d’une vente unique.
a) S’il est de jurisprudence constante qu'il ne peut y avoir d’événement rendant probable une
charge susceptible d'être provisionnée qu'à la condition qu'une obligation soit née, la nécessité
d'un engagement juridique n'exclut pas la reconnaissance d'une obligation non contractuelle,
unilatérale ou encore implicite. L'absence d'engagement contractuel peut, en effet, être
utilement suppléée par l'existence d'un usage qui s'imposerait, en pratique, à l’entreprise. Il a
ainsi été explicitement jugé que l'obligation pouvait découler d'un usage constant de la
profession et que le caractère d'usage n'était pas remis en cause par la circonstance que cet
engagement avait été pris de manière discrétionnaire et à titre exceptionnel.
Or, dans le cas des programmes de fidélisation, l’engagement de l’entreprise naît dès l’entrée
du client dans le programme, c’est-à-dire dès la première vente, de manière explicite (remise
de cartes de fidélité ou signature d’un contrat), ou de manière implicite (annonces
commerciales), par l’attribution des premiers droits à récompense à valoir ultérieurement,
indépendamment des conditions supplémentaires devant être satisfaites par le client pour
bénéficier de la récompense promise.
Cet engagement est renouvelé et accru lors des ventes ultérieures, jusqu’à l’utilisation par le
client des droits cumulés qui lui ont été attribués et l’octroi de la récompense.
b) Les programmes de fidélisation mis en place par les entreprises visent à retenir les clients
et à les rendre fidèles au produit, au service, à la marque ou au point de vente afin qu’ils
renouvellent leurs achats et génèrent ainsi du chiffre d’affaires.
Les droits à récompense attribués, à l’occasion de chaque vente, au client engagé dans un
programme de fidélisation, peuvent, dès lors, être regardés comme des coûts engagés par
l’entreprise en vue de faciliter chacune de ces ventes.
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Dans ces conditions :
-
d’une part, la charge correspondant au coût des droits à récompense peut être
rattachée par un lien suffisamment direct à la vente au titre de laquelle ils ont été
attribués ;
-
d’autre part, la contrepartie de cette charge est constituée par la comptabilisation
du produit de la vente ayant donné lieu à l’octroi de ces droits.
Cette charge augmente au fur et à mesure des ventes successives et de l’attribution de droits à
récompense supplémentaires et ce, jusqu’à ce que le client soit en mesure de faire valoir ses
droits cumulés et bénéficie de la récompense promise.
4. Ainsi, une entreprise peut être autorisée à constituer, en franchise d’impôt, une provision
pour charges :
-
évaluée sur la base des droits à récompense octroyés au client et non sur la base de
la récompense promise, en fonction de la probabilité d’exercice de ces droits,
-
au fur et à mesure de l’attribution de ceux-ci, et non pas seulement à compter de
l’exercice au cours duquel le dernier achat permettant d’atteindre le nombre
minimum de points requis pour l’utilisation de ces droits, a été réalisé.
Cette analyse permet le traitement uniforme comptable et fiscal des instruments
promotionnels bénéficiant aux clients à l'occasion de leurs achats, dès lors qu’aucune
disposition de la loi fiscale ne s’y oppose.
Signé :
P.-F. RACINE, Président
A. EGERSZEGI, Rapporteur
V. GALY, Secrétaire
Pour Extrait Conforme,
La Secrétaire de Section :
Valérie GALY
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