Une Famille sans histoire Une Famille sans histoire

Transcription

Une Famille sans histoire Une Famille sans histoire
Une Famille sans histoire
Ils sont là, tous autour du lit de la vieille.
Elle va mourir, la vieille.
Ils sont cinq aujourd’hui, ils devaient être six, il y en a un qui a été rappelé à Dieu comme on dit ; il avait
quinze ans à peine, il n’y a pas eu de larmes.
Ils ont l’air un peu bête avec leurs mains abîmées par tant de travail, leur visage ingrat, buriné, déjà ridé, à
leur âge.
Ils n’ont jamais pleuré.
Jamais connu les sentiments, elle ne leur a jamais appris, la vieille.
Même pas appelés par leur prénom.
L’rougeau, l’grosse, l’louche, l’fauche, l’jaune.
Leur père ? Jamais vu, ou si, un peu, si peu.
Aucun de marié ?
Jamais de femme pas d’étrangère à la maison disait la vieille.
L’grosse ? Oui c’est une fille à l’état civil, mais si peu femme, ce mot là, elle ne le connaît pas.
Les frères lorsqu’ils venaient se plaindre à leur mère du manque de femelle.
-Allez chevaucher vot’ sœur elle ne demande pas mieux ça lui fera du bien.
Et à tour de rôle inlassablement, elle a servi à ça.
Oh ! Dire quelque chose, se plaindre, il n’en était pas question avec la vieille, et ses garçons étaient contents,
c’était le principal et ils ne s’en privaient pas, cela pouvait arriver n’importe quand, même pendant le repas.
Même pas tranquille pour manger….
Allez lève toi l’grosse va t’allonger, elle relevait sa robe, baissait sa culotte et attendait le râle de son frère,
signe que c’était terminé, qu’il s’était vidé.
Avec l’louche s’était différent il voulait toujours la prendre par derrière,
Comme elle avait mal, comme elle avait envie de crier.
Même pas le droit…
Il aurait eu moins de plaisir disait la vieille, car quelques fois elle regardait, elle aimait ça la vieille, elle les
encourageait et elle riait, elle riait, fort, fort.
Alors lorsque la grosse a été sure que la vieille était bien crevé,
Elle, la grosse, celle qui n’a jamais rien dit, a décroché le fusil, ça fait des années qu’elle a répété son geste
dans sa tête, elle a tiré sur l’ louche en premier, trop fait mal par derrière, puis elle a tiré sur les autres, la
vieille n’était plus là pour les protéger ils n’ont même pas bougé ils avaient tous l’air ahurie comme si tout à
coup elle existait, la femelle.
Ils sont morts sans un cri, dans leur sang.
Demain au cimetière, il y aura six cercueils dans la fosse commune, ont-ils vraiment existé ?
Pas de larme, pas de sentiment, personne à l’enterrement, un coup de folie a dit le curé pourtant d’bons gars,
des travailleurs, la vérité personne ne la saura et ça vaut mieux comme ça
Mais alors qui raconte cette histoire vous êtes sur qu’il ne restait personne ?
Nicolle Jahne Ancelet