Traitement antiagrégant après angioplastie : quelle durée

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Traitement antiagrégant après angioplastie : quelle durée
réalités Cardiologiques # 292_Mars 2013
Revues Générales
Cardiologie interventionnelle
Traitement antiagrégant
après angioplastie : quelle durée ?
Résumé : Du fait d’inquiétudes sur la survenue de thromboses tardives de stent après implantation de stent
V
oilà maintenant plus de 10 ans
que nous utilisons les stents
actifs (DES) dans nos salles de
cathétérisme. Ceux-ci ont progressivement remplacé les stents nus du fait de leur
supériorité démontrée dans la prévention
de la resténose intrastent ; ils représentent
maintenant plus de la moitié des près de
200 000 stents implantés par an en France.
➞ O. BARTHELEMY
Service de Cardiologie,
GH Pitié-Salpêtrière,
PARIS.
Initialement, dans les études princeps
(RAVEL 2002, TAXUS 2003) validant
l’utilisation des stents actifs de première
génération, la durée de la double anti­
agrégation plaquettaire (DAP) était relativement courte (2 mois pour le sirolimus,
6 mois pour le paclitaxel). Dès 2004, des
cas de thromboses tardives de stent sont
rapportés dans la littérature. L’inquiétude
se renforce avec la présentation des résultats de registres suggérant un surrisque
de thrombose de stent avec ce type de
prothèse (fig. 1) [1, 3]. Les études anatomopathologiques objectivent un retard
ou défaut de réendothélialisation des
mailles des DES, incriminé au même titre
que les polymères non résorbables, dans
la genèse de la thrombose tardive [4]. Par
Taux cumulé de thrombose de stent
actif (DES), la double antiagrégation plaquettaire a été empiriquement prolongée. Les recommandations
américaines et européennes sont sensiblement différentes, les premières préconisant 12 mois contre 6 à
12 mois pour les secondes.
Les résultats concordants d’études randomisées récentes suggèrent l’absence de bénéfice à prolonger la
double antiagrégation plaquettaire après implantation d’un stent actif, avec un surrisque hémorragique
démontré dans l’une d’entre elles. Ces études comportent cependant certaines limites méthodologiques. Les
diabétiques semblent bénéficier d’une double antiagrégation plus prolongée.
Les taux d’événements tardifs, observés dans les registres, après implantation de DES de seconde génération
sont très bas. Le développement de nouvelles prothèses et de nouvelles molécules antithrombotiques devrait
modifier la donne.
4
3
/an
%
0,6
2
1
0
0
Jours
180 360 540 720 900 1 180
Fig. 1 : Taux cumulé de thrombose de stent en
fonction du temps avec les stents actifs de première génération. D’après [3].
ailleurs, l’interruption prématurée de la
DAP apparaît comme un des principaux
déterminants de la thrombose de stent [5].
Tous ces éléments conduisent à prolonger
empiriquement la durée de la DAP après
l’implantation d’un DES, avec comme
corollaire l’augmentation du risque hémorragique et des surcoûts.
Ces incertitudes sur la durée optimale de
la DAP se traduisent par des divergences
de recommandations des différentes
5
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italienne, randomisée 4 x 2, multicentrique, en ouvert, comparant l’efficacité
et la sûreté de la poursuite de la DAP
jusqu’à 24 mois versus 6 mois [10]. Dans
cette étude, 1 970 patients ont été randomisés entre 4 types de stent (stent coaté
à l’évérolimus, au paclitaxel, au zotarolimus, ou stent nu) ; puis à 30 jours
entre les deux durées de DAP. Ainsi,
un quart des patients ont donc reçu un
stent nu. Si la population de l’étude est
moins sélectionnée que les précédentes,
il n’en demeure pas moins que de nombreux critères d’exclusion éliminent
les patients à haut risque, notamment
de saignement. A 2 ans, il n’y a pas eu
de différence significative sur le critère
de jugement primaire associant décès,
infarctus et AVC entre 24 versus 6 mois
de DAP (10,1 % vs 10 % ; p = 0,91). On
note cependant un doublement de la
fréquence des complications hémorragiques type 5, 3 ou 2 de la classification
BARC (7,4 % vs 3,5 % ; p < 0,001) et du
recours à la transfusion (2,6 % vs 1,3 % ;
p = 0,041) en cas de DAP prolongée
(fig. 2). Cet essai est donc en faveur d’une
durée courte de DAP (6 mois), il manque
cependant de robustesse (effectif réduit,
p = 0,91
10
24 mois
6 mois
p < 0,001
p = 0,99
%
5
p = 0,89
p = 0,04
p = 0,17
p = 0,04
Fig. 2 : Résultats de l’étude PRODIGY.
n
sf
us
io
re
Tr
an
aj
Im
TI
M
H.
Hé
m
or
ra
g
eu
ie
s
AV
C
fa
rc
t
us
0
In
Publiée en 2012 dans Circulation, cette
étude prospective multicentrique,
coréenne, compare cette fois-ci une
durée de 6 mois versus 12 mois de DAP
chez 1 400 patients avec un suivi de 1 an
Egalement publiée la même année dans
Circulation, PRODIGY est une étude
cè
s
2. L’étude EXCELLENT
3. L’étude PRODIGY
Dé
Cependant, cette étude présente de nombreuses limites : il s’agit d’une population
très sélectionnée (les patients ayant eu un
événement lors de la première année ont
été exclus) et le taux d’événement est très
faible, conduisant à un manque de puissance de l’étude, la randomisation est en
ouvert et la durée du suivi reste limitée.
Comme l’étude précédente, de nombreuses limites relativisent la portée des
résultats de cet essai. Il s’agit, là encore,
d’une population très sélectionnée, à bas
risque ; l’essai est en ouvert et un quart des
patients randomisés pour 6 mois de DAP
ont reçu plus de 6 mois de clopidogrel.
/A
VC
Cette étude publiée en 2010 dans le New
England Journal of Medicine est la compilation de deux études coréennes [8]. 2 700
patients n’ayant présenté aucun événement cardiovasculaire ou hémorragique
dans l’année suivant une angioplastie
avec un stent actif ont été randomisés,
en ouvert, entre la poursuite ou l’arrêt
du clopidogrel à 12 mois. Après un suivi
médian de 19 mois, aucune différence
n’apparaissait sur le critère primaire de
jugement associant décès cardiaques et
infarctus (1,8 % DAP versus 1,2 % aspirine ; p = 0,17). On observe même une
tendance pour une augmentation du taux
des critères secondaires (décès, infarctus
ou AVC) avec la DAP (HR : 1,73 ; p = 0,51).
M
1. REAL LATE-ZEST LATE
/Id
Il s’agit des études REAL LATE-ZEST
LATE, EXCELLENT et PRODIGY.
cè
s
[ Etudes randomisées
[9]. Il s’agit d’une étude de non-infériorité, avec pour critère de jugement
l’échec sur le vaisseau cible (TVF). Une
durée de DAP de 6 mois n’augmentait
pas le risque de TVF comparativement
à une durée de 12 mois (4,2 % vs 4,8 % ;
p = 0,6). Le critère de non-inferiorité était
atteint. Il n’y avait pas non plus de différence sur le critère décès ou infarctus
(2,4 % vs 1,9 % ; p = 0,58) ou la thrombose de stent (0,9 % vs 0,1 % ; p = 0,1).
Mais l’étude était sous-taillée pour
l’analyse de ce type de critères. Les taux
de complications hémorragiques TIMI
majeur étaient également faibles et comparables (0,3 % vs 0,6 % ; p = 0,42).
Dé
sociétés savantes, l’ACC/AHA préconisant 12 mois minimum et l’ESC 6 à 12
mois après implantation d’un stent actif
[6, 7]. Si une durée d’un mois de DAP est
recommandée en l’absence de syndrome
coronaire aigu après implantation d’un
stent nu, la durée optimale de la DAP
après implantation d’un DES reste inconnue et fait l’objet de plusieurs études.
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Echec sur le vaisseau cible (TVF)
%
6 mois
12 mois
p = 0,05
p = 0,03
Absence de diabète
Diabète
Fig. 3 : Analyse du sous-groupe des diabétiques de
l’étude EXCELLENT.
Les patients diabétiques présentent un
état prothrombotique et pro-inflammatoire ainsi qu’un taux de résistance
aux antiagrégants supérieur à celui de
la population générale. L’analyse du
sous-groupe des diabétiques de l’étude
EXCELLENT montre un excès de TVF
avec une durée de 6 mois de DAP versus
12 mois (9 % vs 3 % ; p = 0,005) (fig. 3).
Ces résultats sont concordants avec les
données d’autres études et ne vont pas
dans le sens d’une diminution de la durée
de la DAP chez les patients diabétiques.
p < 0,001
AVK + clopidogrel
AVK + DAP
40
30
p < 0,001
%
20
10
p = 0,027
p = 0,159
p = 0,382
p = 0,876
p = 0,128
p = 0,165
de
st
en
t
TV
R
AV
C
us
fa
rc
t
ro
m
bo
se
In
cè
s
Dé
r
Im
TI
M
Im
aj
in
eu
r
eu
I
0
Th
De nombreuses études sont actuellement en cours, certaines ont terminé
leur enrôlement, c’est le cas de l’étude
Certaines situations particulières
conduisent à envisager une stratégie
différente, c’est le cas des patients diabétiques ou des patients sous anticoagulant
au long cours.
TI
M
Les taux d’événements observés dans
les registres utilisant les DES de seconde
génération sont très faibles. L’utilisation
de polymères biorésorbables, l’optimisation des techniques d’implantation limitant la malapposition ont conduit à des
taux de thrombose de stent très faibles.
Dans ces conditions, le bénéfice de la
poursuite des antiagrégants devient de
plus en plus difficile à démontrer. Les
études (publiées ou en cours) sur les
nouveaux antithrombotiques au long
cours – inhibiteurs du récepteur P2Y12,
des anti-X, des anti-PAR – en sont l’illustration avec un surcoût hémorragique
pas toujours compensé par la prévention
d’événements ischémiques.
patients diabétiques
[ Letessous
anticoagulants
o.
TI
M
Il faut également citer l’étude RESET
parue dans le JACC 2012, qui est une
“étude de stent” comparant 3 mois
de DAP avec le stent Endeavor versus
12 mois avec différents DES chez plus
de 2 100 patients [11]. La stratégie durée
de DAP courte + stent Endeavor est non
inférieure pour le critère primaire (décès
cardiovasculaire, infarctus, thrombose
de stent, TVR, hémorragie) à 1 an, avec
des résultats identiques : 4,7 % vs 4,7 %
(p = 0,84 et p < 0,001 pour la non-infériorité). Cependant, l’intervalle de noninfériorité est large compte tenu du taux
d’événements faible et l’extrapolation de
ces résultats reste difficile du fait du stent
utilisé : un DES de première génération
avec un relargage rapide de son principe
actif à l’origine d’une perte tardive relativement élevée, qui a par ailleurs disparu
des étagères des Cath Lab.
m
[ Autres données
géante américaine DAPT qui randomise,
en double aveugle cette fois, plus de
20 000 patients entre une stratégie de 12
versus 30 mois de DAP après angioplastie. La randomisation est effectuée à 1 an
et seuls les patients n’ayant pas présenté
d’événements ischémiques ou hémorragiques durant cette période sont randomisés. L’étude internationale, en double
aveugle ISAR SAFE prévoit, quant à elle,
d’inclure 6 000 patients sans critères
d’exclusion et de comparer une durée
de 6 versus 12 mois avec un suivi de 15
mois. Enfin, plusieurs essais français
sont en cours : OPIDUAL compare une
durée de 12 versus 36 mois de DAP chez
2 500 patients, ITALIC 6 versus 24 mois
chez plus de 3 000 patients et ARCTIC 12
versus 18 mois chez 2 500 patients.
He
un ¼ de stents nus, essai en ouvert, sélection des patients). Il confirme cependant
le signal sur l’augmentation des événements hémorragiques concordant avec
les données de la littérature.
Fig. 4 : Résultats de l’étude WOEST.
7
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POINTS FORTS
POINTS FORTS
û La durée recommandée de la DAP après implantation d’un stent actif est
de 12 mois minimum pour l’ACC/AHA, de 6 à 12 mois pour l’ESC.
û Les études randomisées à notre disposition ne sont pas en faveur de la
prolongation de la DAP, mais incluent des populations sélectionnées,
avec des suivis courts et des échantillons insuffisants.
û Les diabétiques semblent bénéficier d’une DAP plus prolongée.
û La première étude randomisée chez le patient sous anticoagulant au
long cours est en faveur d’une monothérapie antiagrégante (clopidogrel)
après angioplastie.
Une situation particulière concerne la
DAP chez le patient sous anticoagulant
au long cours. L’étude WOEST, présentée
à l’ESC 2012, est la première étude randomisée comparant une stratégie de monothérapie antiagrégante par clopidogrel
versus la DAP en association aux AVK.
Elle a randomisé près de 600 patients
dilatés (avec DES dans 2/3 des cas)
nécessitant un traitement anticoagulant
au long cours (pour une FA dans 2/3 des
cas). Dans cette étude, la DAP a entraîné
un doublement des hémorragies TIMI
(critère primaire, HR : 0,36 ; p < 0,001)
prédominant cependant sur les hémorragies mineures, sans augmentation des
événements ischémiques. Les auteurs
ont même rapporté une tendance en
défaveur de la DAP, avec une augmentation significative de mortalité (fig. 4).
Cependant, l’étude est sous-dimensionnée pour évaluer les critères secondaires,
et les résultats doivent être confirmés par
d’autres essais. Le choix du traitement
antiagrégant à privilégier en cas de monothérapie peut probablement se discuter
quand on sait qu’un quart des patients
sont mauvais répondeurs au clopidogrel.
[
Conclusion
Après implantation d’un stent nu, la
durée optimale de DAP est de 1 mois, elle
8
est de 12 mois en cas de syndrome coronaire aigu. Après implantation d’un DES,
les études randomisées plaident pour une
diminution de la durée de la DAP, avec
un signal concordant d’augmentation du
risque hémorragique non contrebalancé
par une diminution du risque ischémique en cas de prolongement de la DAP.
Certains sous-groupes de patients, tels
que les patients diabétiques, pourraient
bénéficier d’une DAP plus prolongée ; un
allégement du traitement antiagrégant
paraît également envisageable en cas
d’anticoagulation au long cours.
La question de la durée optimale de la
DAP après implantation d’un stent actif
reste cependant ouverte, et il faudra
attendre les résultats des grands essais
en cours pour y voir plus clair. Les taux
d’événements observés avec les nouvelles générations de DES sont extrêmement bas et les améliorations techniques
à venir, avec notamment le développement de prothèses biorésorbables, vont
probablement radicalement modifier la
problématique dans les années à venir.
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L’auteur a déclaré ne pas avoir de conflits
d’intérêts concernant les données publiées
dans cet article.