Un accompagnement gagnant gagnant

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Un accompagnement gagnant gagnant
Un accompagnement des grands malades gagnant‐gagnant Laurence : j’ai rencontré Sami au cours d’une visite à l’hôpital, il y a 6 ans. Depuis, nous avons cheminé ensemble vers une relation de plus en plus chaleureuse et intime, au point d’avoir l’impression d’être unis par un lien familial : nous sommes devenus frère et sœur de chemin grâce à la maladie. Sami : J’ai 43 ans, je suis atteint d’une maladie auto‐immune, diagnostiquée à 28 ans. Mais dès 16 ans, j’étais sujet à des coups de fatigue inexpliqués qui sont allés crescendo. J’ai tellement forcé sur mon corps que j’ai perdu soudainement la vue de l’œil gauche ; c’est là qu’après des investigations médicales, une neurologue m’annonça que j’avais une sclérose en plaques. L’annonce de ce diagnostic a été un véritable soulagement, car cela mettait enfin des mots sur des symptômes qui n’avaient aucun sens et me culpabilisaient depuis des années : je savais enfin le nom de mon adversaire. Je me suis pris en main pour le dompter, niant l’issue fatale qui m’était en même temps annoncée. Il a fallu que je perde la vue de l’autre œil pour réaliser que ma vie allait continuer de pertes en pertes. En moi, il n’y eut plus que deux alternatives : « dépêche‐toi de vivre ou dépêche‐toi de mourir ! » J’ai choisi de vivre, de garder le sourire quoi qu’il advienne et de me poser des questions en rejoignant un groupe de parole SEP. La vie m’a souri : j’ai rencontré une femme, nous nous sommes mariés et avons vécu 10 ans ensemble ‐ juste le temps octroyé par la maladie pour goûter les joies d’une vie de couple ‐ puis j’ai dû être pris en charge en institutions médicales. Laurence : Lors de ma première visite, je rencontre un homme au cœur déchiré. Après de nombreux séjours au centre de rééducation fonctionnelle pour ralentir les multiples handicaps, cette fois Sami ne retournera plus chez lui et il en est très affecté. Je l’écoute me confier son chagrin, avec respect. C’est toujours un honneur de recevoir les confidences de quelqu’un qui ose se livrer avec confiance alors que je ne suis qu’une étrangère débarquant dans sa chambre. Alors que je suis prête à le plaindre, quelque chose se lève en moi pour l’aider à dépasser sa peine et lui répondre : « la vie vous éloigne de votre femme pour vivre encore mieux les moments où vous la retrouverez, et pour ouvrir vos bras à tous ceux que vous rencontrerez quand vous souffrirez son absence. Ça tombe bien, à l’hôpital il y a plein de gens qui ont besoin d’amour ! » D'où me vient cette inspiration ? Depuis que j’ai eu ce cancer (voir témoignage sur la maladie) j’ai la conviction que la maladie n’est pas là pour nous faire du mal : elle a été pour moi l’opportunité d’une évolution consciente. Au fond de mon lit, privée de toutes activités, j’ai découvert ma capacité à aimer la petite bonne femme que j’étais, mais aussi mes proches, les soignants et tous ceux que j’ai rencontrés dans les salles d’attente. Je parcours les couloirs d’hôpital pour semer cette contagion de « bonne santé intérieure », témoin vivant de cette véritable initiation. Guidée par mes intuitions j’aide les malades à profiter de leur maladie au lieu de gémir sur ce qu’ils perdent. Sami : Les séjours à l’hôpital m’ont conduit à rencontrer de nombreux handicapés. Je me suis enrichi à leur contact trouvant la force de garder le sourire pour avancer autrement dans cette nouvelle famille d’imparfaits chroniques. Laurence a rejoint cette famille, elle a fait de son cancer une force, comme je tente de faire avec ma sclérose en plaques. En plus, elle a appris à mettre en mots ce qu’elle a vécu et perçoit que, dans mon fauteuil roulant, je peux devenir « une bombe d’amour », comme elle dit. Laurence : Trouver sa juste place aux côtés d’un malade nécessite d’avoir traité ses propres souffrances, sinon on l’encombre avec nos commentaires et nos jugements. Mon chemin m’a non seulement permis de m’apaiser avec ma maladie, mais surtout avec mes faiblesses ; c’est grâce à ce parcours que je peux recevoir celles de l’autre et l’aider à apprivoiser son histoire. Plusieurs mois se sont écoulés, j’ai de plus en plus de plaisir à rencontrer Sami. Avec lui, j’apprends à quitter la complaisance pour aller vers l’essentiel : l’accueillir tel qu’il est et me livrer telle que je suis. Il devient un soutien précieux dans plusieurs actions au sein de l’hôpital, parraine une exposition de photos de malades « Sourires d'ici et maintenant ». Enchanté de se rendre utile, il témoigne : « La plus belle chose à conquérir, mettre sur ses cicatrices de la joie ». Nous avançons avec les mêmes certitudes : quand l’un doute l’autre l’encourage à ne pas perdre le fil. Sami : Quand je sais que je fais quelque chose de bien je suis heureux. Si ça arrange les infirmières de me coucher à 17h30, parce qu’elles sont moins nombreuses, je suis comblé de pouvoir leur rendre ce service et heureux d’être dans mon lit, même si c’est un peu tôt ! Au fil de nos rencontres, en révélant ma vie je prends conscience de mes manques. J’ai quitté ma famille et mon pays pour devenir un homme, il y a 20 ans. Je perçois maintenant la nécessité de repartir en Tunisie pour revoir mes parents et me rapprocher d’eux. Pas facile de concrétiser une telle décision lorsqu’on est dépendant de tous ; sans l’aide de Laurence pour organiser la logistique de ce voyage et déjouer mes peurs, j’aurais probablement baissé les bras. Laurence : J'ai dépassé mes propres inquiétudes pour respecter ses envies, même si je n'étais pas tout à fait d'accord, car accompagner ce n'est pas imposer ses idées, mais devenir complice de l'autre. Je suis en demeure de trouver des solutions pour mieux le soutenir : je rencontre sa famille, débloque certaines situations afin qu'il soit suffisamment entouré, veillant à ne pas me substituer à l’accompagnement familial. Mais le rendez‐ vous auquel je suis conviée est bien plus élevé : où ai‐je moi‐même à me réconcilier avec ma famille ? C’est en portant ce problème avec autant de gravité que le sien que nous nous sommes retrouvés dans un véritable partage de souffrance, dialoguant ensemble, lui pour se rapprocher de ses parents et moi pour me rapprocher de ma maman. Grâce à mes questions, Sami est devenu autant utile à ma vie que je l’étais pour lui. Nous nous sommes rejoint dans la compassion et la fraternité pour s’entraider mutuellement. Sami : Nous avons partagé nos peurs et nos douleurs, devenant miroir l’un pour l’autre, pour relever nos défis. La vie n’est faite que de challenges : tenter de donner à nos parents l’amour que nous n’avons pas reçu parce qu’eux‐mêmes en ont manqué, a été un véritable dépassement où je me suis senti toujours soutenu parce que je savais qu’au moins une personne traversait la même expérience que moi. Alors même en Tunisie, ce lien spirituel a perduré, malgré les coups de téléphone espacés. Ce voyage a allégé mon cœur pour me tourner vers la suite… Laurence : Loin d'être un sacrifice, ces visites hebdomadaires sont devenues les petits cailloux blancs d'une tranche de vie, où aider l'autre est une opportunité de s'aider soi‐
même pour grandir ensemble. Il n’y a plus de différence entre accompagnant et accompagné car chacun peut guider l’autre dans une véritable communion d’expérience. Sami et Laurence