Un marin aviateur dans la grande guerre

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Un marin aviateur dans la grande guerre
Michel Royer
Un marin aviateur
dans la grande guerre
SOMMAIRE
Chapitre 1 – Le futur matelot charpentier Robert Palliot . . . . . . . . . . . .
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Chapitre 2 – Dans les équipages de la flotte au 2e dépôt à Brest
du 9 octobre 1912 au 30 juillet 1913 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Chapitre 3 – De Marseille à Saigon sur le Louqsor,
du 1er août au 2 septembre 1913 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Chapitre 4 – Découverte de Saigon et du Dupleix,
du 3 septembre 1913 au 3 avril 1914 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Chapitre 5 – À bord du Dupleix, de la mer de Chine
à la mer du Japon du 4 avril au 28 juillet 1914 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Chapitre 6 – La guerre à bord du Dupleix en Extrême-Orient
du 29 juillet au 3 septembre 1914 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Chapitre 7 – La guerre dans l’océan Indien à bord du Dupleix
du 4 au 27 septembre 1914 et les exploits du croiseur
allemand Emden . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Chapitre 8 – À bord du Dupleix, 28 septembre au 23 décembre 1914,
et derniers exploits du corsaire Emden . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Chapitre 9 – À bord du Dupleix en Méditerranée occidentale,
1er janvier au 11 mai 1915 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Chapitre 10 – À bord du Dupleix en Méditerranée orientale,
11 mai 1915 au 23 février 1916 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Chapitre 11 – Dans l’aviation maritime au sein des patrouilles
aériennes de la Loire, avril 1917 à novembre 1918 . . . . . . . . . . . . . . . .
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Annexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Orientation bibliographique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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CHAPITRE 1
Le futur matelot charpentier Robert Palliot
Né dans le village de Chaingy dans le Loiret, le 8 mai 1891, de Jules Édouard
Palliot (1860-1920), menuisier, et d’Angélina Louise Aigret (1870-1926), couturière. Sa sœur Lydie (1894-1963) de trois ans sa cadette deviendra ma
grand-mère maternelle à ma naissance le 12 octobre 1947. Chaingy est situé
dans le Val de Loire entre Beauce et Sologne à 11 kilomètres d’Orléans sur la
grand-route de Blois. C’est une commune rurale de 1 160 habitants, s’étendant sur plus de 2 000 hectares portant au nord de vastes bois, au centre un
plateau avec à son centre son bourg entouré d’une soixantaine de hameaux.
Après une scolarité à l’école communale, Robert Paillot obtient son certificat d’études primaires à 13 ans. Au foyer familial, il baigne dans l’atmosphère de l’atelier de menuiserie de son père (illustration I), qui fut aussi celui
de son grand-père paternel, et apprend les bases de son métier de menuisier.
Il occupe ses loisirs à la pêche, sur les bords de la Loire, dans le hameau de
Fourneaux à deux kilomètres du bourg. Ce fleuve qui a vu transiter des milliers de bateaux à la descente comme à la remonte n’est plus animé que par
les quelques barques des pêcheurs à la ligne et par une drague d’extraction
de sable et de graviers.
Il est aussi musicien et appartient dès l’âge de 16 ans à l’Harmonie municipale de Chaingy créée en 1887.
Vers l’âge de 17 ou 18 ans son père l’envoie en compagnonnage chez un
ami menuisier à Sainte-Adresse près du Havre, un nommé Letellier. Dans la
famille, on dira que plus tard que cette décision était justifiée par son caractère difficile. Le séjour du jeune villageois dans l’un des plus grands ports
français et même européen, face à la Manche, dut être une véritable découverte. Il a dû rêver aux horizons lointains vers lesquels se dirigeaient ou revenaient les navires présents au port ou en rade.
Le Havre est alors un grand port de commerce mais aussi un grand port de
passagers qui s’est développé à la fin du XIXe siècle avec l’immigration aux
Amériques et la mode des grandes croisières transatlantiques. C’est en effet la
« porte vers l’Amérique » depuis l’ouverture, en 1784, de la ligne régulière
Le Havre-New York. Les deux compagnies havraises, la Compagnie générale
transatlantique et la Compagnie des chargeurs réunis assurent les liaisons
transatlantiques. Des infrastructures portuaires importantes ont vu le jour :
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Un marin aviateur dans la grande guerre
Le futur matelot charpentier Robert Palliot
l’écluse des transatlantiques, le bassin de New York en 1862, le vaste bassin
Bellot en 1887 et dans son prolongement le canal du Havre et le canal de
Tancarville (1880-1887) pour la batellerie. Un avant-port protégé par les
digues nord et sud est livré en 1910. Au début du XXe siècle, le port poursuit
son développement commercial. C’est à cette époque un gigantesque
entrepôt où débarquent et d’où se réexpédient les denrées coloniales telles
que cafés, cotons, cacaos, poivres et bois précieux. L’activité industrielle
s’est développée autour de la construction et de la réparation navale. La
ville du Havre riche de son commerce par ses négociants, ses armateurs et
ses ingénieurs compte alors 130 000 habitants.
canton d’Orléans Nord-Ouest, Robert, avec ses camarades de la même
classe d’âge du village, se rend en groupe, endimanché, à la préfecture
d’Orléans où siège la commission de recrutement du canton appelée
conseil de révision.
Habituellement, le trajet se fait à pied par l’actuelle route nationale 152,
drapeaux, clairons et tambours en tête. Au passage se joignent les gars de
la Chapelle-Saint-Mesmin, village situé à mi-chemin, qui gagnent, eux
aussi, la préfecture.
Le village de Sainte-Adresse à 6 kilomètres au nord (aujourd’hui intégré
dans la ville), au bord des falaises, est un lieu de villégiature aux villas élégantes, prisé par l’intelligentsia, les riches armateurs et les marchands.
Robert, lui, ne sera que le spectateur de ce monde-là.
L’origine de son nom n’est pas religieuse (il n’existe pas de « sainte
Adresse ») mais fut probablement donnée par un marin pour exprimer sa
gratitude d’être arrivé à bon port dans l’estuaire de la Seine. Son panorama unique sur l’estuaire de la Seine et la lumière qui s’en dégage en
font un lieu de qualité. Le site protégé du vent du nord est qualifié de
« Nice Havrais ».
Chargée d’histoire, la commune compte sur son territoire de nombreux
monuments liés à la mer qui font l’objet d’une promenade allant du Havre
jusqu’à un lieu appelé le Bout du Monde ! Quelle prémonition pour le
jeune Robert qui découvrira plus tard des horizons lointains ! On y
découvre les deux phares de La Hève élevés en 1775 sur la falaise, sur un
site déjà connu des Romains qui y faisaient de grands feux pour guider
leurs vaisseaux.
Un autre repère pour les marins, le Pain de Sucre, nom donné par les gens de
la région à l’édifice élevé par la veuve du général comte Lefebvre-Desmouettes, et cousine de Napoléon, en mémoire de son mari qui périt lors
d’un naufrage sur les côtes irlandaises, le 18 avril 1822. Un lieu de pèlerinage,
la chapelle Notre-Dame-des-Flots construite en 1857 est dédiée à la vierge
protectrice des marins.
Dès leur arrivée, première étape : passage au vestiaire pour en ressortir
nus comme des vers !
Deuxième étape : appel pour présentation devant une table où trônent les
maires (ou leurs adjoints) des communes du canton, un officier de santé et
un fonctionnaire de l’armée. Chaque appelé décline son état civil, ses
diplômes, son métier, et ses particularités physiques.
Troisième étape : examen médical superficiel par un officier de santé.
Pour Robert seront notées les caractéristiques physionomiques suivantes
(quel luxe de détails !) : « taille 1,67 m, cheveux châtains, yeux châtain verdâtre, front fuyant de hauteur moyenne et de grande largeur, voies nasales
sinueuses avec base horizontale et hauteur moyenne, visage allongé et
oreilles écartées ».
Quatrième étape : la question du choix de l’arme, posée par le fonctionnaire de l’armée. La réponse est souvent banale : le soldat souhaite le plus
souvent un service paisible dans une unité située à proximité de son domicile. Dans ce sens, la ville d’Orléans est bien pourvue en casernes, abritant
dans l’une le 131e régiment d’infanterie et dans l’autre le 30e régiment d’artillerie. Nombreux sont les gars de Chaingy à être affectés dans l’infanterie.
Mais la décision finale appartient toujours aux militaires.
Dernière étape : la séance de rhabillage aux vestiaires qui clôt officiellement le conseil de révision.
Robert comme nombre d’appelés de sa classe est déclaré « bon pour le
service ».
Depuis la loi du 21 mars 1905 le tirage au sort est aboli, mettant fin à près
d’un siècle (depuis 1818 exactement) de ce système d’incorporation. Tous
les jeunes hommes ayant atteint 20 ans dans l’année précédente sont
maintenant concernés par un service militaire actif d’une durée de deux
ans : Robert est de ceux-là en 1912. Inscrit sous le numéro 189 de la liste du
Les nouveaux conscrits fiers d’être reconnus bons pour le service se répandent joyeusement dans les rues d’Orléans, cocardes, insignes, décorations et
rubans accrochés sur le veston et la casquette. Leur rentrée au village en
groupe, clairon en tête, est le début d’une folle équipée. Ils visitent parents et
amis, d’un bout à l’autre de la commune, qui se doivent de leur offrir vin,
alcool ou nourriture. La nuit tombée, les têtes échauffées, ils arpentent
routes et chemins et s’amusent à déplacer divers matériels le plus souvent
agricoles, laissés dans les champs. C’est ainsi qu’au petit matin on pourra
retrouver par exemple une charrue hissée dans un arbre, un jeu de herse jeté
dans la mare du bourg ! Les agriculteurs propriétaires de ces instruments ne
s’en formalisent nullement car c’est une habitude dans le village après le
passage des conscrits.
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Robert chargé d’images marines regagne son village et commence à penser à son service militaire.
Un marin aviateur dans la grande guerre
Robert apprend qu’il est versé dans la marine. Était-ce son choix ? En ce
début de siècle, la Royale a encore besoin de charpentiers sur ses vaisseaux
bien que la marine en bois ait quasiment disparu. Les humbles menuisiers
de villages, même issus de l’intérieur des terres loin des côtes maritimes sont
encore les bienvenus. Il est classé dans la première partie de la liste avec le
numéro matricule de recrutement 1 209 et est affecté à Brest.
CHAPITRE 2
Dans les équipages de la flotte au 2e dépôt à Brest
du 9 octobre 1912 au 30 juillet 1913.
Robert arrive par le train à Brest le 9 octobre 1912. Ce port, que le rail
atteint depuis 1865 (Paris est à 10 heures depuis 1899), compte une population de près de 125 000 habitants en incluant son agglomération. Son activité
est représentée essentiellement par son port de guerre avec toutes ses
dépendances et dans une moindre mesure par son port de commerce.
À la descente du train, les recrues sont rassemblées par des gradés : direction la caserne des marins. Il faut franchir la porte de Foy (la ville est encore
ceinte de remparts avec 40 000 habitants intra-muros) puis emprunter
l’étroite rue de Siam que parcourt le tramway de la ville.
Après avoir dévalé la rue, Robert découvre le port militaire occupant les
rives de l’embouchure de la Penfeld, un simple bras de mer, à près de
30 mètres en contrebas et le château en pointe sur la gauche. Un grand pont
tournant de 117 mètres de long, le pont national, enjambe à 27 mètres de
haut l’embouchure de la Penfeld, permettant de gagner le quartier de
Recouvrance sans entraver les entrées et les sorties des bâtiments de la
marine. Il suffisait d’un quart d’heure à quatre hommes au cabestan pour
ouvrir ou fermer ce pont inauguré en 1861 et composé de deux tabliers
tournant, chacun fixé sur une énorme pile en fonte
La vue est imprenable sur le port de guerre avec ses immenses bâtiments
du XVIIIe siècle, l’arsenal et sa grande grue électrique de 150 tonnes, les chantiers navals sur les deux rives et sur l’imposant bâtiment du 2e dépôt des
équipages de la flotte, dominant la Penfeld.
Au-dessous, une passerelle flottante, le pont Gueydon, est réservée au
service de la marine. Après avoir laissé la tour Tanguy sur la gauche, on
s’engage par la rue du Grand-Pont puis celle du quartier-maître Bondon
avant d’atteindre le 2e dépôt, la caserne des marins. Le bâtiment constitué de deux ailes à angle droit formant une cour intérieure date de 17661767 puis fut remanié en 1842 par l’ajout de trois étages dont l’un sous
toiture.
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Un marin aviateur dans la grande guerre
Dans les équipages de la flotte au 2e dépôt à Brest
Compte tenu de l’heure d’arrivée, les recrues gagnent sur deux files le
réfectoire pour le souper. Dans cette grande salle enfumée et bruyante donnant sur la cour, les hommes se regroupent par dix pour constituer un
« plat ». Deux d’entre eux, dits hommes de plat, vont quérir les jetons nécessaires à l’obtention des rations pour leur groupe. Après s’être procuré à la
gamellerie les contenants adéquats, la distribution se fait dans des guichets
qui délivrent, l’un du rata dans une grande gamelle à anse, l’autre du vin
dans un bidon et un morceau de boule de pain.
Chaque homme, en file indienne, reçoit alors une pochette de toile contenant ses ustensiles dits de plat, à savoir une assiette, un quart, une cuiller et
une fourchette en fer étamé qu’il devra conserver. Le partage équitable des
rations entre les dix est à la discrétion des hommes de plat ou… du plus fort !
Robert comme chacun de ses collègues reçoit ainsi :
– un paletot ou veste de drap bleu foncé sans bouton,
– sept pantalons à pont sans revers au bas : deux en drap bleu foncé, deux
en toile blanche, trois en toile rousse,
– quatre vareuses : deux en molleton et deux en toile rousse,
– trois cols amovibles en toile bleue, appelés aussi chemisettes, de quarantecinq centimètres de largeur au tombant et de vingt-cinq centimètres de hauteur, à l’encolure ornée d’un triple rang de tresses blanches et de revers en
toile de lin blanche,
– quatre chemises en coton tricoté, rayées bleu et blanc, comprenant
vingt-et-une raies blanches larges de vingt millimètres et vingt-et-une raies
bleues de dix millimètres pour le corps, quinze raies blanches et autant de
raies bleues pour les manches, qui ont la particularité de ne couvrir que les
avant-bras,
– deux tricots de laine jerseys bleu foncé (pulls ras du cou munis de trois
boutons sur l’épaule gauche, portés en hiver),
– deux bonnets en laine tissée raidie par un jonc (l’un pour le travail,
l’autre pour les sorties) ornés du fameux pompon rouge officiellement
appelé houppette, de deux raies rouges et d’un ruban à bouts flottants portant le nom du bâtiment. Deux petits boutons de cuivre cousus sur le côté
sont destinés à retenir une jugulaire en lacet blanc,
– deux coiffes blanches pour bonnet ou pour chapeau de paille,
– deux caleçons en coton avec liens se fixant aux chevilles et un caleçon de
bain,
– deux paires de chaussettes en laine,
– deux cravates noires : l’une en laine, l’autre en tissu de laine appelé
lasting,
– une ceinture en cuir,
– deux paires de souliers : une paire de brodequins cloutés et une paire de
chaussures de sortie,
– deux serviettes de propreté,
– deux mouchoirs,
– un peigne démêloir,
– quatre brosses : à dents, à habits, à laver, à souliers,
– du savon,
– deux sacs en toile blanche : le légendaire grand sac du matelot réservé
aux effets et le petit sac destiné aux accessoires et au linge sale,
– une plaque de marquage : tous les effets doivent être marqués à l’encre
indélébile et les accessoires poinçonnés au numéro matricule de son propriétaire selon un protocole bien précis,
– deux amarrages de sac,
– deux rubans non légendés destinés à recevoir la marque du bâtiment
d’affectation,
– une pochette,
– effets supplémentaires.
Le repas terminé, c’est l’heure du coucher annoncé par une sonnerie de
clairon : le branle-bas du soir. Les dortoirs forment de grands espaces dominant le port, mais sans les lits !
Robert découvre que les marins, même à terre, couchent dans des hamacs
(appelé aussi branles parce qu’ils bougent, d’où le terme de branle-bas qui
signifie mettre à bas le hamac), décrochés le matin et raccrochés le soir.
Long de 2 mètres et large de 45 centimètres, le hamac comprend un double
fond en solide toile à voile muni d’œillets à chaque extrémité, le double fond
permettant de glisser un matelas en laine et crin.
Aux deux bouts du rectangle un système de neuf cordelettes, appelées araignées, se termine par une boucle métallique au moyen de laquelle le hamac
se suspend à des crocs disposés à cet effet. Du côté de la tête, les cordelettes
de l’araignée passent dans une barre rigide, la buquette, qui maintient l’écartement.
Il peut recevoir drap et couvertures comme pour toute literie. Le matin il
est roulé, maintenu en l’état par un ensemble de rubans appelés hanets,
cousus à même la toile, puis logé dans des caissons. Un coffre de 2 mètres
de haut sur 3 mètres de large environ peut contenir 36 hamacs. Chaque
hamac est numéroté par trois chiffres peints sur une étiquette de toile
bleue : c’est un numéro attribué à chaque marin et correspondant à un
caisson particulier. Ainsi serrés et roulés, les hamacs d’un équipage de
800 hommes occupent, un volume équivalant à celui de 50 lits. De plus,
son coût pour l’État est moitié moins élevé que celui d’un lit de caserne
de l’armée.
Après une nuit probablement agitée dans le hamac, branle-bas du matin à
six heures. Rassemblement au son de trois coups de sifflet pour un déjeuner
avalé debout en trente minutes autour d’un morceau de pain ou d’un biscuit
et d’un café sucré. Après une toilette rudimentaire et une visite médicale tout
aussi sommaire, les nouveaux arrivants gagnent le magasin d’habillement.
Un fourrier, installé derrière un comptoir devant des étagères chargées
d’effets, jette à chacun, sur l’énoncé de sa taille, une foule de vêtements. Un
véritable inventaire à la Prévert avant la lettre.
Mais, le marin achète ses effets à l’État hormis ses ustensiles de plats. Alors
que la solde d’un apprenti marin à terre est fixée en 1912 à 55 centimes par
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Un marin aviateur dans la grande guerre
Dans les équipages de la flotte au 2e dépôt à Brest
jour, l’État prélève une retenue d’habillement, appelée diminution de solde
et qui s’élève à 25 centimes par jour. En subissant cette retenue, le marin
arrive à payer son sac en… 22 mois. Si dans l’intervalle il prend d’autres effets
au magasin il subit une retenue supplémentaire de quinze centimes par
jour !
Cette inspection se déroule selon un cérémonial décrit avec soin dans le
manuel des recrues qui y consacre deux pages, dont un schéma explicatif
(illustration III). Le manuel spécifie les positions respectives du sac, du
marin et de ses effets. Ainsi, le marin en tenue de drap bleu avec bonnet de
travail se tient à côté de son sac, et à hauteur des tricots. Le grand sac, plié est
placé au sol sous les effets sans les déborder. Ses effets sont disposés comme
indiqué sur la figure. De la main gauche, il tient son livret de solde en direction de l’officier inspecteur, son nom bien en évidence. Il a dû préalablement
vérifier les apostilles portées sur son livret, tant du point de vue de la solde et
de l’habillement qu’à celui des notes, pour pouvoir présenter des réclamations, s’il y a lieu.
Le processus de paiement de la solde est bien rôdé. En fin de mois, le maître
fourrier accompagné du commissaire et sous escorte se rend à la trésorerie
générale. Il emporte avec lui une mallette chargée de contenir l’argent
liquide pour payer la solde des marins. Ce coffre porte le nom de Dominique
car il est constitué de bois issu de cette île antillaise, autrefois française située
près de la Guadeloupe. On comprend que l’arrivée de Dominique universellement connu dans la marine, est toujours une bonne nouvelle.
La distribution se termine par la fourniture de trois livrets individuels : un
livret de solde qui sert à enregistrer tous les mouvements d’argent, un livret
matricule à couverture verte où sont inscrits les renseignements concernant
la conduite, l’instruction militaire et l’aptitude professionnelle et un livret
médical strictement confidentiel !
Il faut maintenant quitter ses vêtements civils et s’affubler devant ses nouveaux collègues avec cet assemblage de nouvelles tenues. On imagine les
quolibets qui fusent en découvrant son voisin transformé en apprenti marin !
Les tenues sont au nombre de six à bord des navires de guerre (illustration II).
Un exercice difficile va alors consister à arrimer les effets d’habillement
dans le grand sac avec ordre et méthode selon les consignes de l’instructeur.
Les vêtements pliés selon un carré de 22 centimètres de côté (un gabarit
peut faire partie des accessoires) sont mis par catégories dans les serviettes. Il est conseillé de loger dans le fond du sac les effets dont on a le
moins besoin suivant la saison et sa propre situation (paletot, jerseys, cravate de laine en été). Il est judicieux de disposer à l’entrée du sac, un
paquet contenant un rechange complet (tricot, chemise, vareuse et pantalon de fatigue) et un paquet contenant la tenue d’inspection et celle de
terre. L’entrée du sac, amarrée, il convient de le maintenir en bon état en
s’interdisant de le traîner au sol ou sur le pont. Petit sac et livrets sont réunis dans le grand sac qui suit son propriétaire en toutes circonstances. Le
marin peut y adjoindre des objets personnels (souvenirs, nécessaires à
écrire, à coudre…). À bord comme à terre, les sacs sont rangés dans des
placards métalliques sous la garde du capitaine d’armes qui en détient la
clé. Deux après-midi par semaine pendant deux heures, l’équipage est autorisé à accéder aux sacs.
Les appelés du contingent comme Robert, mais aussi les recrues de toutes
origines (inscrits maritimes, engagés volontaires), sont incorporés comme
apprentis marins et affectés à une compagnie de formation sous le commandement d’officiers et d’instructeurs spéciaux.
Dès son arrivée au dépôt, tout nouveau marin est présenté à la commission
de classement des spécialités qui examine s’il possède les conditions d’aptitude physique et l’intelligence voulues pour rentrer dans une spécialité. Ce
premier classement n’est apparemment que provisoire. La fiche matriculaire
de Robert indique néanmoins que dès le 17 octobre il est breveté matelot
charpentier de 2e classe !
Les charpentiers à bord des navires sont versés dans le service sécurité.
Comme breveté, Robert peut porter comme marque distinctive un galon de
laine rouge sur chaque manche (illustration IV) et sa solde passe de 55 à
95 centimes par jour.
D’une durée minimum de six semaines, l’instruction comprend les premiers éléments d’éducation nautique (matelotage et embarcations), d’infanterie (école du soldat, école de section), de tirs et d’éducation physique. Elle
intègre également des théories sur les devoirs militaires, les grades, les
marques de respect, l’habillement, la tenue, l’hygiène et des notions complémentaires maritimes.
Consultons le manuel des recrues des équipages de la flotte de 1913 (158 pages
petit format !) qui décrit par le menu et avec force illustrations, les formations
auxquelles sont astreints les marins, quelle que soit leur spécialité :
« Recrutement. Arrivée au service. Hiérarchie des grades et appellations
dans la Marine et dans l’armée de Terre. Avancements. Solde. Habillement,
tenue et propreté. Discipline, punitions et avantages de la bonne conduite.
Règles de bonne conduite à terre et à bord. Éducation morale. Conseils
d’hygiène. »
Une contrainte sérieuse pour tous les marins : les sacs peuvent être inspectés à tout moment.
« Tout marin doit savoir naviguer dans une embarcation, manœuvrer la
voilure, et s’acquitter de toutes les fonctions que peut avoir à remplir un
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Un marin aviateur dans la grande guerre
Dans les équipages de la flotte au 2e dépôt à Brest
homme faisant partie d’un canot. Tourner une manœuvre sur un taquet,
bosser et faire rapidement les nœuds les plus employés. Il doit connaître le
service de garde à bord, les consignes des factionnaires du pont et les
consignes de l’homme de vigie sur les bossoirs, à la mer, de jour et de nuit. »
hangar sur le port de commerce et en fournissant trente matelots du
Borda, le navire-école de la marine impériale pour tirer l’engin et le faire
décoller. Une deuxième tentative sans pilote se termina par la destruction
de l’appareil. Ce précurseur de l’aviation n’en était pas à son coup d’essai
puisqu’il aurait réalisé dès 1856 à Sainte-Anne-la-Palud le premier vol
d’un plus lourd que l’air, tiré par un cheval face au vent dans un engin
hybride appelé la barque ailée. En 1884, un officier de marine breton,
Gabriel La Landelle, spécialiste de l’aéronautique et initiateur du terme
« aviation », demandait la création sous le contrôle de la marine d’une
« école flottante d’aviation », à laquelle seraient affectés les officiers de
marine compétents. Il y eut bien une école maritime de l’aviation, dont
une partie des découvertes a été faite à Brest à la fin du XIXe siècle, mais il
fallut attendre près de trente ans pour que le rêve de ces pionniers voie le
jour. En 1911 fut créé le service de l’aéronautique maritime dont le programme avait été proposé par le capitaine de vaisseau Daveluy. Nous
aurons à reparler longuement dans les chapitres suivants de ce capitaine et
de l’aéronautique maritime.
À Brest, les exercices à la mer ont lieu dans le port, au pied de la caserne
près du bassin de Pontaniou. On apprend à se familiariser avec le langage
marin, bien déroutant au début. Ainsi, à bord des navires on apprend qu’il
n’y a ni cordes (hormis celle de la cloche) ni ficelles (hormis les galons des
officiers), mais des cordages aux noms très énigmatiques (écoutes, aussières,
faux bras, grelin, drisses…).
L’apprentissage de la navigation se fait sur d’immenses embarcations en
bois marchant à la voile ou à l’aviron. Ils sont lourds et encombrants ces avirons, longs de cinq à six mètres ! Les hommes assis sur des bancs, répartis en
deux rangées de sept, manœuvrent leur aviron sous la direction d’un marin
gouvernant debout la barre de fer, comme du temps des forçats. La navigation à la voile est moins éprouvante, hormis la phase initiale de dressage du
mât, le vent assurant en partie la relève de l’effort humain.
« Tout marin doit savoir tirer un coup de fusil, entretenir en bon état
l’arme qui peut lui être occasionnellement confiée. Il doit connaître tous les
mouvements de l’école du soldat et avoir exécuté dans le rang les divers
mouvements de l’école de section, afin de pouvoir être utilisé dans son corps
de débarquement. Il doit connaître les devoirs des factionnaires, sentinelles
et hommes de patrouille à terre. »
e
Au 2 dépôt, la formation militaire se déroule d’abord pour les exercices
élémentaires dans la cour. On y apprend par section à se regrouper en
colonnes, à se mettre au garde-à-vous et à marcher colonne par quatre. Pour
les exercices plus sérieux, il faut franchir la porte du dépôt et, clairons en tête,
toujours en colonne par quatre, se diriger vers la plaine de Kerangoff. C’est le
polygone de la marine implanté sur la commune de Saint-Pierre Quilbignon,
voisine de celle de Recouvrance, et dominant la rade. On y pratique des tirs
de fusils modèle 1886, modifiés en 1893, sur des cibles dressées devant la
grande butte du polygone.
Sur le trajet entre le dépôt et le polygone on a tout loisir de faire provision,
auprès de marchandes ambulantes et pour quelques sous, de gâteaux, de
lait, de bière, de saucissons, de pains et de fruits.
Effectuons un retour de près d’un demi-siècle sur l’histoire de ce polygone
qui eut son heure de gloire dans le domaine de l’aviation balbutiante du
e
XIX siècle ! En effet, en 1868, le marin breton Jean-Marie Le Bris effectua en
privé à bord d’une machine volante de sa conception, l’Albatros II, avec
commandes centralisées sur des leviers verticaux (ancêtres du manche à balai),
un vol plané sur environ deux cents mètres à quarante mètres de hauteur. La
marine avait apporté son concours technique en mettant à sa disposition un
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« Le but de l’entraînement est de devenir fort d’une manière utile, c’est-àdire pouvoir exécuter les exercices indispensables pour se tirer d’affaire en
toutes circonstances. »
Le manuel du charpentier de la marine nationale souligne encore dans
l’introduction de son édition de 1937 que l’action du charpentier reste d’une
réelle importance dans la marine actuelle avec ses navires en fer et en acier.
Comme autrefois, le charpentier reste le spécialiste du bois, on le surnomme
d’ailleurs « bout de bois ». Cette matière est considérée dans toutes ses multiples applications traditionnelles telles que la menuiserie, l’ébénisterie, le
charpentage, le charronnage, la tonnellerie, la construction d’embarcations,
la confection de mâts, vergues, gouvernails, poulies et palans, et le calfatage.
Si cette dernière activité a perdu à bord des navires modernes son importance d’autrefois, c’est aujourd’hui le maître charpentier qui a pris la relève
du maître calfat d’antan. Le calfatage ou étanchage consiste à enfoncer à
coups de maillet, au moyen de ciseaux en fer de différentes dimensions
(appelé calfats ou calfaits), des tresses de coton suiffé dans les joints ou
coutures entre les planches du bordé, entre les lattes du pont et des
gaillards d’un navire mais aussi sur le pont, la passerelle et les superstructures. On recouvre ensuite ces tresses de brai bouillant (résidu de la distillation du goudron) à l’aide du guipon, sorte de pinceau rudimentaire à
long manche.
Mais les attributions du charpentier se sont largement étendues aux fonctions de peintre (intérieur et coque), de vernisseur (vernis, cire, encaustique), de poseur de vitres, de linoléum et de ciments, auxquelles s’ajoute le
travail du cuir (bourrellerie).
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Un marin aviateur dans la grande guerre
Dans les équipages de la flotte au 2e dépôt à Brest
Enfin, il est un domaine où l’action du charpentier est primordial, c’est
bien celui de la sécurité. Nous avons vu qu’il appartient au service sécurité
du navire (5e spécialité). De ses connaissances, de ses qualités et de la rapidité de ses interventions peuvent dépendre la survie du bâtiment et de son
équipage, tout en maintenant ses capacités combatives. La sécurité consiste
à savoir lutter contre les deux fléaux que représentent à bord l’incendie et les
voies d’eau.
Le manuel du charpentier de 1937 détaille les connaissances nécessaires à la
lutte contre ces deux dangers : rassé alors en rade. Or sa fiche matriculaire ne le mentionne nullement
puisqu’il n’était pas encore affecté à un quelconque bâtiment : le photographe a dû proposer ce bonnet pour faire sa photo.
« Précautions d’action contre l’incendie. Moyens d’action contre l’incendie (installations fixes, matériel pour combattre l’incendie à bord : manches,
lances, pompes, extincteurs, autres). Matériel pour combattre l’incendie à
terre. Préparation et répartition du matériel d’incendie pour le combat.
Règles pratiques pour la mise en œuvre du matériel en cas d’incendie à bord
et à terre. Protection contre les gaz délétères (défense contre les gaz : protection individuelle, désinfection). Disposition à prendre en cas d’invasion par
la fumée (observation des brèches de cheminée), appareils respiratoires. »
« Renseignements sur les tuyautages, vannes, robinets, collecteur d’eau de
mer. Lutte contre les voies d’eau (généralités, pompes d’épuisement, éjecteurs à vapeur, avertisseur de voies d’eau, redressement et changement
d’assiette). Moyens d’action contre les voies d’eau par des moyens fixes (collecteurs d’assèchement, pompes) et par du matériel mobile (paillet d’obturation Makaroff, du nom de son inventeur l’amiral russe Makaroff, constitué
d’une combinaison étanche faite de bâches et de tissus en grosses tresses
servant à colmater une brèche dans la coque contre laquelle il est plaqué par
la pression de l’eau) et des plaques obstructives. Épontillage des cloisons et
obstruction des brèches. Répartition du matériel mobile d’action contre les
voies d’eau (distribution de petits récipients de bords pour écoper, appelés
moques). »
Comme on peut s’en rendre compte par l’étendue de ces tâches, le travail
de charpentier de la marine s’avère des plus variés et plus important qu’on
ne l’imagine en première approche. Ses talents sont aussi mis à disposition
du navire pour quantité d’autres services que la sécurité. Ainsi leur
débrouillardise les rend à même, dans l’atelier de menuiserie, de construire
aussi bien des buts flottants pour tirs en mer, des décors de théâtre pour une
fête à bord, bâtir des échafaudages en bois ou même réparer des souliers.
La caserne dispose d’une salle de détente avec débit de boissons gazeuses
et jeux de dominos. Le décor est plutôt lugubre mais cela reste un lieu de
rencontre pour se faire des camarades avec qui l’on peut profiter des permissions de sorties pour découvrir la ville et le port.
La visite du photographe est certainement le passage obligé pour garder en
mémoire la nouvelle tenue. Robert se retrouve devant l’objectif du photographe J. Inizan au 77-79 rue de Paris (illustration IV). Il porte un bonnet
légendé au nom de Saint-Louis, laissant supposer qu’il est à bord de ce cui20
La découverte du centre-ville commence par la rue de Siam, au nom bien
étrange pour un Orléanais. Il faut se replonger dans l’époque de Louis XIV
pour en avoir l’explication. Dévoilons-en succinctement l’origine.
Des relations sont nouées vers 1660 entre la cour de Versailles et le
royaume de Siam (actuelle Thaïlande), donnant lieu à l’échange d’ambassades. La plus mémorable d’entre elles sera l’ambassade siamoise partie le
22 décembre 1685 depuis le mouillage de la barre de Siam, face à Bancoq
(l’actuelle Bangkok), à bord de l’Oyseau, vaisseau de quatrième rang, et de la
frégate la Maligne. La délégation siamoise comprend trois ambassadeurs,
huit mandarins et leur suite, soit une trentaine de personnes. Elle est accompagnée de missionnaires français. Après un voyage de près de six mois, les
deux navires chargés de cadeaux accostent à Brest le 18 juin 1686. Ces diplomates ont logé à l’hôtel Saint-Pierre, sis dans la rue du même nom, devenue
depuis cet événement, la rue de Siam. Ils sont dirigés le 8 juillet vers Paris
qu’ils atteignent le 12 août, après un passage à Orléans. Le 1er septembre, la
délégation est reçue avec faste à Versailles par le roi en personne. Le retour
se fait par le Val de Loire et l’embarquement a lieu le 1er mars 1687 à Brest.
Depuis 1797, l’hôtel Saint-Pierre, toujours présent, est devenu le siège du
2e arrondissement maritime, résidence du commandant en chef puis du préfet maritime dont l’actuel occupant est le vice-amiral Chocheprat. Le commandant du front de mer est depuis le 2 septembre 1912, le contre-amiral
Guépratte (entré à l’école navale à quinze ans en 1867)…. Robert n’imagine
pas en parcourant la rue de Siam qu’il découvrira avec la marine les portes
de ce royaume de la lointaine Asie.
Les marins de tous grades ne manquaient pas non plus d’arpenter le
cours d’Ajot (comme l’écrivent les Brestois), belle promenade longue de
600 mètres environ, créée avec l’aide des forçats du bagne en 1769, sous la
direction de M. Dajot, officier du génie et directeur des fortifications sur les
remparts construits par Vauban et dominant la rade.
Les dimanches de 16 heures à 17 h 15, la musique des équipages de la
flotte, sous la direction du chef de musique de 1re classe J.M. Farigoul, offre
aux Brestois un traditionnel concert très apprécié. Parmi le répertoire on
notera les deux morceaux suivants : La première marche aux flambeaux de
Meyerbeer et l’ouverture de La princesse jaune de Saint-Saëns. Quand ses
permissions le permettent, Robert, qui est musicien à l’Harmonie municipale de son village, ne manque pas probablement ces rendez-vous dominicaux.
Haut lieu du cyclisme, Brest accueille depuis 1891 la première édition de
la course Paris-Brest-Paris longue de 1 200 km, parcourue en 72 heures et
22 minutes sans arrêt par le vainqueur. Cette course a lieu tous les dix ans.
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Un marin aviateur dans la grande guerre
Depuis 1893 la cité dispose d’un vélodrome à Kérabécam sur piste en cendrée en forme d’anneau de 310 mètres de longueur où se déroulent des
courses cyclistes d’hommes et de dames. En 1905 s’est déroulée une course
franco-anglaise à l’occasion de l’Entente cordiale conclue en 1904 avec les
Britanniques et depuis 1906, le Tour de France y fait étape. Des courses sont
réservées aux militaires (marins, soldats et sous-officiers en activité) pour le
plus grand plaisir de leurs collègues spectateurs. Robert, passionné de
cyclisme, doit propablement être assidu à ces manifestations sportives.
Hors la ville, la découverte des installations portuaires constitue le point
d’orgue de la visite de Brest. Les plus grands navires peuvent y accéder aisément, quel que soit le temps, par un chenal profond de plus de 20 mètres sur
1 200 mètres de largeur et de 40 mètres sur 200 mètres. Le goulet s’étend sur
une longueur de 6 500 mètres pour s’ouvrir sur une rade de 15 000 ha avec
des fonds de 12 à 20 mètres. La rade abri protégée est délimitée par une
immense digue de 1 500 mètres, parallèle au rivage, et d’une jetée perpendiculaire de 400 mètres.
En octobre 1912, Robert a la chance de découvrir et d’admirer à Brest une
partie de la flotte de guerre française. À cette date, la ville abrite les six cuirassés de la troisième escadre de ligne (ex-escadre du Nord, débaptisée le
1er août 1911) et plusieurs croiseurs cuirassés de l’escadre légère, regroupés
dans la division du Nord et une division de réserve. En complément, Brest
dispose d’une défense mobile importante, constituée d’escadrilles de petits
torpilleurs et de sous-marins et commandée par le capitaine de frégate de
Stabenrath.
Cette force n’est pas la plus puissante de notre Marine car, en application
de la politique de l’Entente cordiale, la flotte française est affectée à la Méditerranée pour surveiller les flottes italienne et autrichienne. La Royal Navy
est chargée de couvrir nos côtes Nord et Ouest contre la flotte allemande
alors en pleine montée en puissance. C’est ainsi que dès octobre 1911, deux
de nos escadres de ligne ont été regroupées à Toulon pour constituer la première armée navale. Le mouvement vers la Méditerranée ne s’arrête pas, car
l’année suivante le ministre de la Marine Delcassé décide d’y transférer également la troisième escadre. Le départ de Brest a lieu le 16 octobre. Quel
spectacle grandiose pour Robert et tous les marins !
La rade accueille aussi à demeure au mouillage d’antiques trois-mâts de la
marine à voile qui ont reçu de nouvelles affectations, en particulier en les
transformant en écoles flottantes. S’y côtoient le Borda, bâtiment de l’école
navale qui forme les officiers de marine, l’Armorique et le Magellan, deux
bâtiments de l’école des mousses. L’Armorique (ex Bretagne IV, ex Mytho),
transport de 1re classe à hélice (déplacement 5 928 tonnes, longueur 105
mètres, maître-bau 15 mètres, tirant d’eau 7 mètres, vitesse 14 nœuds)
accueille depuis 1912 trois compagnies sur les quatre qui composent l’école
et depuis 1910 son annexe, le Magellan, transport de 2e classe (déplacement
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