Plus dure sera la chute

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Plus dure sera la chute
Croissance productiviste exponentielle:
Plus dure sera la chute
Les données relatives à l'évolution de la fréquence des cyclones destructeurs ont été publiées
suite aux catastrophes provoquées par Erika et
Rita 1. Ni le nombre annuel de cyclones dans le
monde, ni leur durée, ni la vitesse des vents n'a
varié cependant leur intensité a plus que décuplé
au cours des dernières décennies (Voir le graphe 1).
50
➊ CYCLONES
40
Echelle de Saffir-Simpson de mesure
des ouragans. Classement des dégâts:
1 Réduits (arbres abîmés)
2 Modérés (caravanes renversées)
3 Importants (toits et arbres arrachés)
4 Extrêmes (habitations menacées)
5 Catastrophique (bâtiments emportés)
30
20
10
0
1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000
Augmentation du pourcentage de cyclones de catégorie 4 et 5 dans le monde, soit les
deux niveaux les plus élevés de l'échelle de Saffir-Simpson.
Le Monde, 19.9.05. Science , 2005
Cette évolution est aussi caractéristique de l'augmentation du nombre de catastrophes naturelles
dans le monde (Graphe 2) et des pertes qui en
découlent (Graphe 3).
400
350
300
NATURELLES
250
200
150
100
50
140
200
6
100
4
50
2
D'autre part, parce que malgré l'emballement productif, la satisfaction des besoins vitaux des populations est en régression. Preuve en est qu'un tiers des
êtres humains manquent d'électricité ou qu'une personne sur cinq n'a pas accès à l'eau potable. Ceci
alors que la consommation mondiale d'énergie (Graphe 4) et d'eau explose (Graphe 5).
5000
➎ EAU
4000
Quantités
Courbe
exponentielle
80
8
"Guide de la technique, Énergie", PPUR, 1993 et Agence Internationale de l'Energie pour années postérieures à 80
➌ PERTES
100
POPULATION
10
150
6000
120
➍ ENERGIE et
Évolution de la consommation annuelle mondiale d'énergies primaires, bois exclus
(EJ/an) et évolution de la population mondiale (Mrd sur l'échelle de droite)
Nombre annuel de toutes les catastrophes "naturelles" dans le monde: séismes, éruptions,
raz de marée,cyclones, inondations, sécheresse, vagues de chaleur ou de froid, insectes,
glissements de terrain, incendies, famine… Le Monde diplomatique, Manière de voir 81, juin-juillet 2005, p. 89
160
250
12
0
0
1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000
0
1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000
180
300
➋ CATASTROPHES
HISROSHIMA-NAGASAKI 1945
450
La courbe exponentielle de leur évolution au
cours des dernières années suit celle tout aussi
exponentielle du pillage des ressources naturelles,
de la masse de marchandises, de déchets et de
pollutions que ce mode de production engendre.
Cette tendance n'est plus constante, ni graduelle
mais explosive : elle s'emballe et s'élance vers des
limites jamais atteintes dans l'histoire humaine et
son issue ne peut être qu'une chute.
La croissance exponentielle – "explonentielle" pourrait-on dire – de la production pouvait jadis s'expliquer par la demande d'une population mondiale en
augmentation. Mais cette interprétation est infirmée,
d'une part, parce que la croissance démographique
n'a pas été exponentielle (Graphe 4) mais régulière,
tendant à plafonner vers 8 milliards d'êtres humains
aux cours des prochaines décennies, avant de fléchir
lentement 2.
3000
2000
Années
60
40
1000
20
0
1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000
1950
1951
1952
1953
1954
1955
1956
1957
1958
1959
1960
1961
1962
1963
1964
1965
1966
1967
1968
1969
1970
1971
1972
1973
1974
1975
1976
1977
1978
1979
1980
1981
1982
1983
1984
1985
1986
1987
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
0
1950
1960
1970
1980
1990
2000
Pertes économiques dues aux catastrophes "naturelles" (en mrd $/an) et tendance
exponentielle calculée.
Le Monde, Le réchauffement climatique: le coût de l'imprévoyance , 2.9.2003 (Source: Munich Re) et presse.
Augmentation de la consommation d'eau dans le monde (en km3) et par habitants (en
litres). Au XXème siècle, elle a décuplé alors que la population a à peine quadruplé.
Reeves H. Mal de terre, Seuil, 2003, p. 135. Cf. Pour la Science, L'eau: les risques de pénurie, avril 2001, p.30
1/ 4
Il en va de même de l'accumulation de richesses
alors que près de la moitié des êtres humains vivent
en-dessous du seuil de pauvreté 3.
Accumulation privée et productivisme
La symbiose entre accumulation privée et productivisme apparaît avec le capitalisme. Cependant
l'année 1945 a marqué symboliquement une inexorable accélération, une fuite en avant conduisant à un
point de non retour. Cette année fut celle du massacre par les Etats-Unis de 200'000 civils – deux fois
plus en sont morts depuis – à Hiroshima et Nagasaki, horreur qui faisait dire à Albert Camus: « La
civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans
un avenir plus ou moins proche, entre le suicide
collectif ou l'utilisation intelligente des conquêtes
scientifiques » 4. Or ce choix n'a pas été fait et le
"suicide collectif" menace plus que jamais.
La tendance exponentielle est caractéristique de ce
qu'il convient d'appeler le "productivisme", ce «système d'organisation de la vie économique dans
4000
lequel la production, la productivité sont données
comme l'objectif essentiel » 5. C'est une combinaison organique entre accroissement de richesses et
réduction des biens d'usage. Alors que le nombre de
milliardaires ne cesse d'augmenter, 2.7 milliards
d'humains vivent en dessous du seuil de pauvreté et
un enfant sur 3 dans le monde souffre de malnutrition.
Vers un épuisement des ressources
La crise énergétique actuelle résulte de la priorité
donnée aux ressources fossiles au détriment des
énergies abondantes. Elle est la manifestation la plus
tangible et récente d'une crise globale du procès de
production capitaliste. Cette crise affecte plusieurs
conditions nécessaires à la vie : la dépendance croissante des humains à des ressources essentielles mais
non renouvelables (Graphe 6), leur raréfaction
consécutive (7), l'émission de gaz à effet de serre
(Graphe 8), le réchauffement climatique qui en
résulte (Graphe 9) et, plus grave, l'absence d'alternatives énergétiques crédibles à ces combustibles.
➏ PETROLE
370
3000
350
➑ EMISSION de GAZ à
EFFET de SERRE
330
2000
310
1000
290
0
1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000
270
1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000
Evolution de la quantité de pétrole extrait annuellement dans le monde (mio de tonnes)
Augmentation de la concentration de gaz carbonique dans l'atmosphère (en ppm
– parties par million –)
Reeves H., Mal de terre, Seuil, Paris, 2003, p. 45
G. Collet, Ph. Hertig, Des Mondes, un Monde, LEP, Lausanne 1998, p. 187 et WEB
60
50
Découvertes passées
40
14.4
➐ RARÉFACTION
FOSSILE
14.2
➒ ELEVATION de
la TEMPÉRATURE
14.0
30
13.8
20
Découvertes probables
13.6
10
13.4
1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000
0
1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 2040 2050
Découvertes mondiales de pétrole (en mrds de barils). Noter la croissance exponentielle
jusqu'aux années 60.
ASPO et Exxon Mobil, 02. Wingert, p.71. Cf Le Monde 23.6.05
Les 7 années les plus chaudes du
XXe siècle ont été enregistrées
pendant les 2 dernières décennies.
Elévation des températures globales sur la planète au XX siècle (en °C).
G. Collet. Ph. Hertig, Des Mondes , un Monde, LEP, Lausanne 1998, p.239
2/ 4
L'étude de cette crise énergétique permet de mieux
comprendre le choix productif absurde qu'a fait le
Capital il y a deux siècles. Cette crise montre – ce
qui est nouveau pour la gauche anti-capitaliste – que
son projet de transformation sociale doit inclure
dorénavant un projet de transformation du procès de
production dominant en vigueur, projet que les révolutions passées n'ont su réaliser.
Certes l'épuisement des gisements fossiles est
l'inquiétude du moment mais la plupart des autres
intrants suivent une même tendance vers leur irrémédiable raréfaction. L'augmentation de l'extraction
de bauxite, minerai de l'aluminium (Graphe 10), par
exemple, suit la même courbe folle que toutes les
autres ressources minérales dont le pillage aboutira
d'ici un vingtaine d'années à l'épuisement de cinq
métaux essentiels (Graphe 11). Il en est de même
pour l'eau douce, les surfaces cultivables, les forêts
et la biodiversité…
Si l'effet de serre est l'objet présent des inquiétudes,
bien d'autres bombes à retardement, à mèches plus
lentes certes, sont à prévoir. Si nous ne subissons
qu'aujourd'hui les ravages de l'amiante c'est que les
pathologies qu'il engendre tardent plusieurs décennies avant de se manifester : les 50'000 à 100'000
morts attendus en France jusqu'à 20306 résultent de
la consommation exponentielle d'amiante depuis
l'après-guerre (Graphe 12). Les effets des milliers
d'autres substances cancerogènes et toxiques produites massivement depuis les trente glorieuses manifesteront leurs effets plus tardivement, mais sûrement.
120000
10000
100000
➓ BAUXITE
25000
20000
➊➋ AMIANTE
Crise
15000
5000
80000
0
1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000
60000
Augmentation des importations d'amiante en Suisse (en tonnes/an). La courbe rouge
indique la tendance exponentielle jusqu'à la crise de 80
40000
F. Iselin, Registre des douanes Suisses
20000
0
1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000
Evolution de la quantité de bauxite extraite dans le monde en millions de
tonnes / an. La courbe rouge montre sa tendance exponentielle.
J-M. Naredo y A. Valero, Desarrollo económico y deterioro ecológico, Argentaria, Madrid, 1999, p. 111
2225
Années
Or
Argent
Zinc
Plomb
Cuivre
Nickel
Etain
Molybdène
Tantale
Tungstène
Manganèse
Fer
Chromite
Niobium
Platine
Bauxite
Vanadium
réserves depuis 1996 en 2000
17
2013
Argent
19
2015
2175
Zinc
20
2016
Plomb
22
2018
2150
Cuivre
28
2024
Nickel
34
2030
2125
Etain
37
2033
Molybdène
44
2040
2100
Tantale
65
2061
Tungstène
70
2066
2075
Manganèse
113
2109
2050
Fer
125
2121
Chromite
127
2123
2025
Niobium
182
2178
Or
2200
➊➊ MINERAIS
2000
Estimation de la durée de disponibilité de diverses ressources métalliques, au taux
actuel de leur exploitation, tenant compte des quantités, de énergie grise et de leur
recyclage
H. Scheer, Le Solaire et l'économie mondiale, 2001, p. 125. Voir aussi Naredo et Valero
Croissance contre humanité
Les courbes de l'évolution de la production de marchandises divergent de celles inverses de la satisfaction des besoins et de l'amélioration des conditions
de vie des êtres humains. Les premières s'emballent
alors que les secondes stagnent ou décroissent. Cet
écart entre production et contentement se retrouve
dans l'accès des populations aux ressources qu'elles
détiennent et aux richesses qu'elles produisent.
L'espérance de vie est un bon des indicateurs de ces
inégalités car elle dépend principalement des disponibilités en moyens et services qu'ils soient alimentaires, médicaux ou en habitats dont on estime que
leur rareté ou leur insalubrité provoque annuellement 2.2 millions de décès. L'espérance de vie va du
simple au double selon les pays et les écarts se creusent entre classes sociales d'un même pays: Par
exemple, en Zambie où l’espérance de vie n'est que
de 37 ans, alors qu'elle devrait atteindre le double,
c'est comme si la moitié de ses habitants étaient
décimés (Graphe 13).
➊➌ ESPERANCE de VIE
Dégradation du milieu vital
L'évolution de la dégradation consécutive du milieu
vital suit la même tendance exponentielle mais s’est
décalée d'un temps de latence de quelques décennies, soit de la durée nécessaire aux émissions polluantes d'exercer leurs ravages sur la santé des espèces vivantes, la vigueur de la nature et la qualité de
l'atmosphère terrestre.
USA
77 ans
France
80 ans
Japon
82 ans
Nigeria 44 ans
(idem Suisse
en 1880)
Le Monde 22.7.2005
3/ 4
Russie
65 ans
Inde
62 ans
Zambie
37 ans
Les tendances exponentielles ne peuvent qu'aboutir
à leur chute. Pour la rendre moins dure aux générations futures, il n'y a plus rien à attendre du Capital
qui, obnubilé sur ses profits immédiats, ne manifeste
pas la moindre intention d'inverser la tendance. Pour
ce qui est de la sortie du fossile on comprend, par
exemple, que les cinq “majors”: Exxon-Mobil,
Shell-BP, Total, Chevron-Texaco, dont le bénéfice
net s'élevait à 65 milliard d'euros en 2004, ne
veuillent point tuer la poule aux œufs d'or… noir
pour épargner la Planète ! 7.
Espérer pour agir
Pas d'espoirs non plus sur le développement d'alternatives énergétiques: les prévisions de l'AIE –
l’Agence Internationale de l’Énergie – pour 2030
sont claires: la demande d'énergie augmentera de
59%, l'énergie fossile couvrira le 85% des besoins
mondiaux et les énergies renouvelables resteront
marginales avec 2% ! 8. Quant à une sortie de crise
par la "décroissance", si elle était encore envisageable après guerre, un demi-siècle de dégâts ont
rendu cette option obsolète. En effet, il est vain de
freiner et faire reculer un bolide fou qui va droit
dans le mur et s'y trouve déjà à moitié démoli !
Alors il ne reste plus qu'à compter sur les milliards
d'êtres humains pour qui le "Progrès", promis jadis
par le Capitalisme n'aura été que sang et larmes.
Certes, la catastrophe productiviste ne se serait pas
produite sans les producteurs que nous sommes par
un travail, contraint certes mais trop souvent servile.
Nous avons trop tergiversé entre les « Grands
Soirs » se couchant sur une grève générale et permanente et les Ouvertures Nocturnes des temples de la
consommation factice !
Il faudra se remettre à espérer, même si l'aube
radieuse suivant ce Grand soir s'annonce plus que
jamais incertaine. Quoi qu'il en soit, nous n'avons
plus le choix car «cette crise ne nous quittera pas,
aussi longtemps que les hommes n'auront pas
inventé des formes sociales nouvelles, un mode de
développement des techniques énergétiques et d'utilisation de la force de travail humaine affranchis
des lois de l'accumulation du capital »9.
François Iselin. 1.10.2005
1
2
3
4
5
6
7
8
9
4/ 4
Le Monde 19.9.05, à propos de l'étude parue dans
Science du 16 septembre 05.
Isaac Johsua, Le Grand tournant , PUF, 2003, p. 24
Ricardo Pétrella, Monde Diplomatique , août 05
Albert Camus, Article d'actualité paru le journal Combat,
cité par Le Courrier, 6-7-8.8.05
Le Petit Robert
Le Monde , 16.9.05
Le Monde , 19.2.05
Rapport de L'AIE publié le 26.10.2004. Le Monde
28.10.04
Debeir J.-C., Deléage J-P., Hémery D.: Les servitudes
de la puissance , Flammarion, 1986, p. 378