Un congrès scientifique international au Centre ENSAM de Paris
Transcription
Un congrès scientifique international au Centre ENSAM de Paris
1ère Ecole d’été CNRS « Théories du droit et systèmes juridiques comme systèmes évolutifs complexes » Un premier bilan Du dimanche 11 septembre soir au vendredi 16 septembre 2005 après-midi s'est déroulée au Centre LVT, Ile Berder, Morbihan, la première école thématique sur le Droit et les systèmes complexes. A notre connaissance, le principe d’une école thématique dans les sciences du droit est suffisamment rare pour qu’on en souligne la double originalité, celle de la formule et celle du thème. La genèse : recherche sur les systèmes complexes Subventionnée par le CNRS et par le Ministère de la Recherche, cette école s’inscrit dans le projet COMP-LEX ((2003-2006), recherche sur la représentation des dynamiques du droit. Ce projet a été sélectionné dans le cadre de l’Action Coordonnée « Systèmes complexes en SHS » (2003-2006). La coordination scientifique était assurée par Paul Bourgine, enseignant chercheur au CREA, Ecole polytechnique et Danièle Bourcier, directrice de recherche au CNRS-CERSA. L’organisation et le site en ont été confiés au CREA (Ecole Polytechnique) et au Centre de recherche en science administrative (CERSA) UMR 7071 du CNRS et de l’Université de Paris II. Le public : diversité Articulant approches théoriques et méthodologiques dans une recherche permanente d'interdisciplinarité, cette école a permis aux 27 stagiaires venus de Paris (10) et de plusieurs régions de France (7) et appartenant à différentes cultures (Chine, Colombie, Ukraine) : - de s'ouvrir à des représentations nouvelles en décloisonnant des savoirs trop spécialisés, - d'échanger et de comparer leurs connaissances et leurs méthodes. Parmi ces stagiaires, 17 étaient juristes, les autres étant majoritairement informaticiens. Leur statut variaient de celui de doctorants (18) de post-doctorants (4), de chargé de recherche (1) ou de maître de conférences (4). Les interventions : interdisciplinarité Pour dispenser les connaissances juridiques - fondamentales ou spécialisées- et les divers modèles et méthodes sur lesquelles ces connaissances pouvaient s’articuler, l’Ecole avait invité une équipe d’enseignants et de chercheurs appartenant à des disciplines aussi variées que les mathématiques, la logique, les sciences économiques, les sciences cognitives et bien sûr au droit et aux sciences du droit. Des exposés théoriques ont eu lieu plutôt le matin et des compte rendus d’expériences et de recherches l’après-midi. Paul Bourgine a fait une introduction aux systèmes complexes fondée sur l’évolution du vivant. Jean Sallantin (avec Jean Baptiste Soufron, boursier du programme COMP-LEX) a utilisé sur le modèle d’apprentissage du wikipedia, une représentation « incrémentale » du choix de contrats en matière de logiciels libres. Filipe Borges, dans la suite de sa thèse récemment soutenue, a montré comment les Réseaux 1 connexionnistes pouvaient représenter la catégorisation et la justification dans les mécanismes de raisonnement du juge. Georges Garcia et Olivia Breysse ont brillamment décrit l’intérêt des modèles locologiques pour définir la dynamique d’une frontière (en l’occurrence entre les décisions de conformité du Conseil constitutionnel). Quant à moi, j’ai dressé un panorama des travaux en cours dans le domaine du droit et de la complexité (COMP-LEX) et montré comment le législateur était actuellement demandeur de recherches sur ce thème pour concevoir de nouveaux instruments normatifs (le rapport du Conseil d’Etat en 2005 portera sur « Sécurité juridique et complexité du droit »). Quatre stagiaires ont proposé des ateliers supplémentaires en soirée. Une soirée a été consacrée à l’utopie dans l’histoire des Sciences (Laurent Loty), le modèle étant sans doute une forme d’utopie. Les sessions se sont donc déroulées dans un climat attentif et convivial avec des discussions ontologiques et des ajustements réciproques. C'est dans le cadre de ces sessions que s'est manifestée le mieux la fécondité de la pensée modélisatrice, comme son aptitude à faire dialoguer ensemble des scientifiques venus d'horizons très différents, par exemple un mathématicien spécialiste la co-évolution des systèmes biologiques et un philosophe du droit, ou des spécialistes des réseaux de neurones artificiels ayant travaillé ensemble sur la jurisprudence du conseil d’Etat. Chacun a trouvé intérêt à cet échange –même si certains exposés étaient trop spécialisés pour s’adresser à touset pouvait en retirer, par analogie, des transpositions conceptuelles pour sa thèse ou sa spécialité. La simple énumération des intitulés donne une idée de la diversité et de l'interdisciplinarité rendues possibles par l'approche modélisatrice : dans l'univers hyper spécialisé dans lequel a trop tendance aujourd'hui à se déployer le droit, ce type d’école peut constituer un des rares lieux où il serait encore possible de faire œuvre de curiosité transdisciplinaire ou d'inventivité conceptuelle. Le fil conducteur : la modélisation de la complexité Pour fédérer des thèmes aussi divers, le fil conducteur a été celui de l’épistémologie de la modélisation. La modélisation se généralise dans les sciences sociales impliquées dans la représentation de connaissances ou la simulation de la décision. Mais il faut se souvenir que la modélisation du droit a d’abord été fondée sur des modèles comme le systèmes à base de connaissance (règles) ou des systèmes à base de cas (précédents, exemples) correspondant respectivement, d’ailleurs, aux deux aires culturelles de référence : droit romano-germanique et Common Law. La modélisation largement utilisée dans les sciences physiques, biologiques et en ingénierie pour concevoir des automates nécessite lors de sa transposition au droit une réflexion sur les fondamentaux du droit, principes ou structures. Ce à quoi s’est employée l’équipe scientifique c’est de montrer en quoi les systèmes juridiques étaient avant tout des systèmes évolutifs et que toute modélisation devait intégrer la dynamique de l’évolution : la notion de « revirement de jurisprudence » attachée à une vision positiviste et discontinue de l’évolution jurisprudentielle mérite à ce titre d’être revue. La pertinence de certains modèles comme ceux de l’analyse économique du droit ont aussi été examinés à la fois par les informaticiens et les juristes Les informaticiens dont la plupart étant impliqués dans des projets appliqués de modélisation ont bénéficié des échanges des juristes sur des concepts aussi « complexes » que celui de hiérarchie des normes, des rapports entre loi et contrat, de marge d’appréciation, de concepts à structure ouverte, d’harmonisation des règles, autant de notions ou d’opérations que les représentations informatiques doivent prendre en compte. C'est donc à une transposition méthodologique, conceptuelle et opératoire de modèles plus ou moins formalisés en direction des systèmes juridiques que s'est essayée cette école. Et cela, dans le but très pratique d'aider les juristes affrontés à des situations de complexité à devenir capables de penser et d'agir dans cette complexité. 2 Plusieurs sessions ont été l'occasion de revenir sur les principales étapes de la philosophie du droit (Pompeu Casanovas) et sur une nouvelle approche cognitive du droit tenant compte de rationalités argumentatives multiples du texte normatif (Giovanni Sartor). Courants et points de vue Une « sortie découverte » a été organisée au site mégalithique de Gavrinis et à ses inscriptions murales. Un détail intéressant : la disposition du site renvoie à d’autres sites avoisinants suivant une topologie précise. Le voyage en bateau et la découverte des îles du Morbihan prolongeait in situ la conférence magistrale de Jacques Caillosse sur les limites de la domanialité publique et sur les conflits d’accès à la mer, dont il est un spécialiste dans cette région. L’alternance entre séances, réflexions et discussions s'est trouvée facilitée par la disposition de l’espace mis à la disposition des stagiaires par le Centre LVT. Cet environnement exceptionnel permettait de se retrouver dans diverses pérégrinations autour de l’île, ou lors des pauses en plein air. Le caractère « isolé » du lieu a facilité les rencontres et échanges entre stagiaires et enseignants et conduit à des projets de collaboration futurs. Ainsi les participants de la Première Ecole thématique sur le Droit et les Systèmes complexes ont-ils pu, grâce au « passeur » de l’île, rejoindre (sans dérive) le continent à travers les courants puissants de la baie, avec le sentiment d'avoir acquis de nouveaux points de vue tout au long de ces cinq jours, et d'être mieux armés "pour penser et représenter le droit dans la complexité". Danièle Bourcier co-présidente de l’Ecole thématique 3