La chauve-souris de la garrigue
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La chauve-souris de la garrigue
La chauve-souris de la garrigue « Quand il était petit, il a été témoin et même – même ! – victime d’un acte plutôt…sadique ? Non, je ne qualifierais pas cela de sadique. Seulement l’acte d’un pur ivrogne indigné. C’était un jeudi soir. Dylan devait avoir…sept ans ? Mais il était déjà capable de comprendre certaines choses. Il rentrait de l’école. Sur le chemin, il s’était disputé avec des amis. Qui le traitaient d’idiot parce qu’il n’avait pas de Nintendo DS. Il avait même failli se battre. Mais à ce moment-là, il y avait le chien de la gardienne qui s’était échappé. Et le bus était arrivé. Je ne sais pas ce qui est arrivé au chien, maître Jungfrau. Je ne l’ai plus jamais revu. Personne ne l’a jamais revu. Ce soir-là, Dylan était rentré tard, vers cinq heures. Il râlait. Quand il avait ouvert la porte, il avait vu un nouveau manteau sur la patère. Mais il savait très bien que ses parents n’avaient pas les moyens d’acheter de manteaux aussi chers. Il traînait les pieds jusqu’à la cuisine. Là, il avait découvert sa mère avec un autre homme que son père. En train de faire des choses de grands. C’est bien sûr le moment qu’avait choisi le père pour rentrer du pub. Son éternelle bouteille de whisky à la main. Oui, quand je dis éternelle, c’est parce que cet homme mangeait ses céréales avec du Jack Daniel’s, et non pas du lait. Le clandestin s’était enfuit à toutes jambes. Le père était alors entré dans une colère noire, et n’avait eu qu’un seul but. Frapper, frapper sa femme, jusqu’à son dernier soupir. La frapper avec la bouteille. Oui, ça fait encore plus mal… Mais son fils s’était interposé. Et l’homme n’eut ni le temps, ni la présence d’esprit de suspendre son geste. Le verre s’était éclaté contre les doigts de la main gauche de Dylan. La mère avait hurlé. Dylan, tellement horrifié, n’avait même pas eu le réflexe de pleurer. Le père écarquillait les yeux. Sur le carrelage blanc de la cuisine, gisaient cinq doigts, maigres et pâles, mêlés à du sang, de l’alcool et du verre. A Dylan, il ne restait que de pauvres moignons, pas plus hauts que la première phalange. Et puis du sang. Du sang, partout. A onze ans, il avait quitté le foyer pour être placé dans une famille d’accueil. Il y avait deux enfants, Camille et Baptiste. Dès que Dylan avait vu son frère, il avait su qu’il ne l’aimait pas. Camille, elle, paraissait tellement insignifiante et immature qu’il ne la regardait même pas. Le père, il en avait peur. Il ne cessait de superposer le visage de l’ivrogne incarcéré sur celui du quinquagénaire accueillant. Son épouse, une bonne femme grassouillette, qui le pomponnait comme un roi, mais qui jetai des regards en coin à sa main gauche, il la détestait tout autant que son fils. Aux premiers jours où il reprit l’école, il avait une confiance extrême. On ne pouvait penser que ce jeune apprenti-collégien venait d’un foyer avec professeurs spécialisés, personnalisés. Pour s’habituer, il n’eut pas beaucoup de mal. Les professeurs du collège n’étaient pas si terribles, après tout. Mais, la chose qu’il détesta, c’était l’ambiance qui trônait autour de lui. Une ambiance tendue. Des regards en coin, des questions indiscrètes. Et les filles ! Ce ne sont que des imbéciles, qui se soumettent aux désirs des hommes. Elles se moquaient. Le traitaient de monstre. Leurs insultes ne faisaient que me forger l’esprit, Maître Jungfrau. Elles ne m’atteignaient pas. Je ne les insultais pas non plus en retour. Ç’aurait été une satisfaction bien trop grande pour elles. Alors je ne suis pas fautif, Maître. On ne gagne que ce que l’on cherche. De jour en jour, il développait une haine croissante envers les femmes, de plus en plus sauvage, de plus en plus aveuglante. Il déclina peu-à-peu son style décontracté pour des jeans noir, moulants et troués, pour les chaînes, les crucifix, les bottes de motard, les blousons de cuir. Il se laissa pousser les cheveux. Je ne suis pas gothique. Je suis juste fasciné par le paranormal et la mort. Je me rapproche de la couleur de Lucifer. Oui, fasciné par la mort. Vous comprenez, votre honneur ? Non ! Il n’était pas suicidaire. Le jeu de l’indien, celui où on retient sa respiration le plus longtemps possible. Le jeu du foulard, celui où on serre une écharpe le plus fort possible autour de son cou. Les cordes raides serrées en un nœud coulant. Les médicaments durs en grande quantité. L’héroïne, vendue par un lycéen rencontré à la piscine. Les lames de rasoirs, piquées dans la chambre des parents, appuyées contre les plus grosses veines de ses bras. L’alcool…à ses quatorze ans, ils les avaient déjà tous goûtés. Mais non, il le soutient, il n’était pas suicidaire. Son premier acte, avait été prémédité. Il avait alors seize ans. Camille était une belle jeune fille de quinze ans et quelques, charmante, mature et sympathique. Baptiste, seize ans, était un accro aux jeux vidéo, qui passait son temps soit devant son ordinateur ou sa console, soit chez ses copains ou dehors avec sa petite amie. Dylan, lui, était la terreur de son lycée. Il savait se faire respecter, et cognait ceux qui se moquaient de ses moignons. Il était déjà allé plusieurs fois à la gendarmerie, pour vols de cigarettes dans la supérette à côté de la boulangerie. Tout le monde avait entendu parler de la chauvesouris de la garrigue Nîmoise. Chauve-souris ? Oui, comme il était gothique, on le comparait souvent à un vampire. C’était sa période Notre Père récité à l’envers, films interdits aux moins de dix-huit ans, allant du pornographique jusqu’au thriller traumatisant. Il avait acheté un magnifique couteau de boucher au marché. Prétextant une soudaine passion pour le Moyen-Âge, il avait aussi acheté des boulets de massue. Et aussi, une hache de bucheron. Sa famille ne soupçonnait pas que la cabane, demandée par Dylan, cette cabane qu’ils avaient dû construire dans un lieu isolé de la garrigue, serait un lieu si souillé. Ils l’avaient installée dans un jardin secret, une petite clairière entourée de pins immenses, au Mas d’Escates. A l’intérieur, il y avait un lit en fer, surmonté d’un vieux matelas. Dylan entreposait la hache, le couteau, les boulets, des chaînes, les lames de rasoir, des bouteilles de whisky et des seringues d’héroïne dans une armoire. La porte de cette cabane était scellée par une chaîne et un cadenas, dont seul Dylan possédait la clef. Ce vendredi 13 novembre 1986, il avait emmené la belle Camille dans son jardin secret du Mas d’Escates. Dans sa cabane. S’il s’était enfermé avec elle, c’était bien pour une raison. Mais l’idiote, elle ne s’en était pas rendu compte. Il s’était d’abord montré aimable accueillant. Vous savez, Maître, il faut se méfier des chats. Les chats sont imprévisibles. Méfiez-vous des chats. Ce n’est que quand il l’avait forcée à s’allonger sur le lit, la menaçant d’un canif, qu’elle réalisa l’immensité de sa bêtise. Et bien sûr, elle s’était exécutée, la pauvre. Il l’avait attachée au cadre de fer, les bras en croix, des chaînes autour des poignets et des chevilles, un bâillon sur les lèvres. A souffert sous Ponce Pilate. A été crucifié. Est mort et a été enseveli. Alors, il l’avait violée. Après, il avait pris le couteau, et avait coupé tous ses doigts, un à un, comme de vulgaires tranches de saucisson. Ils tombaient mollement sur le sol, emmenant derrière eux une traînée de sang. Oh, oui, vous dites traînée de sang, Maître. Mais ce sont elles, les traînées. Elles m’ont insulté à cause de ma main gauche. Je leur ai coupé leurs doigts. Après les avoir souillées, comme tous être impurs qu’elles sont. Il lui tranchait les orteils, le nez, les oreilles avec la hache. Et avec les boulets, il la frappait avec force. Avec les lames de rasoir, il lui écorcha le visage. Ce n’est qu’après toute cette boucherie, cette torture immonde, que sa pulsion meurtrière et misogyne fut calmée. Mais la trêve fut de courte durée. Il recommençait, les torturant jusqu’à la mort, toujours plus avide de sang, de cris et de pleurs. Et les doigts. Tous, ils devaient disparaître. Tous les doigts des jeunes filles de Nîmes devaient disparaître. Il enterrait les corps dans une carrière, non loin du jardin. Personne ne passait par là, je vous dis. On m’a dénoncé. On m’a espionné. Ce n’est pas un délit, ça ?! C’est son frère qui avait dénoncé le comportement étrange de Dylan à la gendarmerie. Ce sont les brigadiers Nîmois qui firent le lien entre les disparitions de jeunes filles et l’attitude angoissante de ce jeune gothique macabre. Et ils découvrirent la cabane. La drogue. Les instruments de torture. Le chemin vers la carrière. Et les corps. Tous mutilés, sans doigts. Et bien sûr, c’était clair. Le jeune homme qui venait régulièrement au commissariat, ce jeune aux moignons, qui était le meurtrier. Le psychopathe tueur en série de Nîmes. Je vous raconte tout cela, dévoilant à toute l’assemblée le jardin secret de mon client, pour plaider son innocence. Il a été traumatisé dès son plus jeune âge, puis insulté durant toute son adolescence…On peut comprendre qu’après l’accumulation de tant de faits, on devienne fou, non ? S’il-vous-plaît, votre honneur. Ne le condamnez pas à la prison à vie. - Vous faites là un très bon orateur, Maître Jungfrau. Mais un avocat doit rester objectif. Et ce n’est pas au tribunal que l’on accepte d’épargner un tel…être, qui, en un autre siècle, aurait eu rendez-vous avec la Veuve Guillotine.»