Festival de La Chaise-Dieu Séjour paradisiaque, comme ils se doit

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Festival de La Chaise-Dieu Séjour paradisiaque, comme ils se doit
Festival de La Chaise-Dieu
Séjour paradisiaque, comme ils se doit au seuil de la Maison de
Dieu (Casa Dei ou Casa Deï comme l’écrivent des commerçants
du lieu), où le premier des quatre évangélistes et sa femme nous
ont reçus dans leur Pénide 1, antichambre du ciel. Belle maison
auvergnate remise à neuf, modernisée et augmentée d’un vaste
garage, murs très épais pour braver la chaleur des canicules et les
frimas de l’hiver, sous ce climat continental et montagnard, grand
confort et belle cour ornée d’une grande pelouse fleurie où nous
avons pris presque tous nos repas. Ajoutez à ces charmes la
compagnie et la conversation d’amis provençaux, et vous
comprendrez qu’il nous a fallu bien du courage pour renoncer à
la petite laine du soir et regagner samedi la fournaise parisienne.
Mais le Témoin gaulois, bien que sybarite, se proposait de plus
hautes satisfactions. Franchissant hardiment les 1500 mètres qui
séparent ces délices de la demeure divine, nous avons découvert
la magnifique abbatiale Saint-Robert construite entre le XIVe et le
XVIIe siècle et généreusement pourvue à une date plus récente de
ces installations que les dames apprécient encore plus que leurs
compagnons, et qui sont si rares dans les églises. Ce temple aux
allures de forteresse écrase de sa masse le charmant village de La
Chaise-Dieu (faut-il encore parler de ville quand la population qui
1 « Sucre tors, anciennement pâte faite de sucre et de jus de réglisse, à laquelle on donne la
forme de petits bâtons tordus ; aujourd'hui sucre très blanc, cuit au petit cassé, coulé sur
un marbre, étiré vivement et souvent, entre les mains, pour le rendre opaque et blanc,
puis divisé en petits cylindres que l'on tord deux à deux ; on l'appelait jadis pénide. »
« ÉTYMOLOGIE Latin des anciens chimistes, penidium, dérivé du grec signifiant,
faisceau de fils. » (Dictionnaire Littré)
Reverso propose : « D'après M. Devic, Dict. étym., pénide est le persan panidh ( a et
i longs), sucre purifié ; cette étymologie est bien préférable à l'étymologie grecque. »
a frôlé les 2 000 habitants entre 1846 et 1851 en compte moins de
700 ?) Mais la qualité supplée amplement, dans ce cas, à la
quantité. Qualité du sourire qui, même chez les marchands, n’a
rien à voir avec la grimace commerciale (ils pratiquent d’ailleurs
des prix inférieurs de moitié à ceux de Paris, pour des denrées
alimentaires d’une qualité qu’on avait oubliée), mais exprime une
amabilité naturelle et un abord facile, qui permet d’échanger tout
de suite quelques mots amicaux, beauté des jeunes filles, en
particulier de celles qui accueillent en une dizaine de jours les 20
000 spectateurs du festival de musique, modèle d’organisation in
situ et contre-modèle d’information sur Internet. Qualité de l’air,
on est à près de 1 100 mètres d’altitude, et entourés de prés et de
forêts. Qualité des ruelles pentues qui vous offrent toujours un
coin d’ombre. Qualité de cette architecture auvergnate, qu’il
s’agisse des humbles maisons de pierre grise ou de l’orgueilleuse
abbatiale qui a dû coûter bien des peines à leurs habitants, de
même que l’entretien de leurs moines (144 stalles prévues pour
ces messieurs, soit les trois quarts du sanctuaire principal) a dû
leur coûter bien de l’argent. Du moins ont-il laissé aux héritiers
que nous sommes un ensemble monumental de toute beauté,
avec son cloître, sa chapelle des Pénitents (l’ancien réfectoire), ses
bâtiments annexes et surtout ce chœur gothique, l’un des plus
magnifiques du monde dans sa simplicité, admirable instrument
destiné à élever l’âme, jadis par la prière, et toujours par la
musique et les chants.
En six jours utiles, nous n’avons pu entendre que cinq des 30
concerts payants (sans compter les nombreux concerts gratuits
que nous n’avons pu fréquenter), le premier dimanche ayant été
consacré à la découverte de notre environnement. Bien trop peu,
sans doute, mais assez pour témoigner de la réussite de cette
grande fête annuelle de la musique, du talent des orchestres et des
chanteurs qui s’y produisent, et pour regretter de n’avoir pu
prendre que quelques miettes de ce festin. À savoir :
– Lundi 22, Orient et Occident, à la Chapelle des Pénitents : c’est un
véritable spectacle musical qu’offre La Camera delle Lacrime (La
Chambre des Larmes), sous la direction de Bruno Bonhoure qui
tisse sa toile sur des musiques médiévales d’Europe et d’Asie pour
nous faire entendre la relation de voyage adressée à Saint-Louis,
par le moine franciscain Guillaume de Rubrouck qui, devançant
Marco Polo, visita l’Empire de Grand Mogol de 1253 à 1255 et
organisa en 1254 une controverse religieuse dans la capitale de
Karakorum, entre bouddhistes, musulmans et chrétiens. Ce débat
met en évidence les convergences sur les points fondamentaux,
mais sa conclusion, à savoir que, de même que Dieu a donné à
l’homme une main munie de cinq doigts, il lui a offert plusieurs
chemins pour faire son salut, a dû laisser pantois l’un de nos rois
les plus intolérants. Mais cette belle leçon si proche de nos
préoccupations actuelles – l’Histoire bégaie – est l’occasion d’un
concert sublime. Les suivants ont été donnés dans l’abbatiale.
– Mardi 23, Jesu mein Freude : sous ce titre, l’ensemble musical et
vocal Gabrieli Consort & Players de Manchester dirigé par Paul
McCreesh a présenté outre la fameuse cantate BWV 227 de
Johann Sebastian Bach la cantate « Singet dem Herrn » et deux
œuvres de Felix Mendelssohn, un Ave Maria et Hear my Prayer.
Si la réputation de cet ensemble, fondé en 1982, n’est plus à
faire, c’est le concert qui nous a le moins enthousiasmés :
question de sensibilité, sans doute.
– Mercredi 24, À la Cour des Médicis : encore un montage d’œuvres
inspirées du mythe d’Orphée et Eurydice, commandées à
divers musiciens italiens à l’occasion de mariages princiers,
entre 1580 et 1609, et regroupées en quatre actes. Un
ravissement ! L‘ensemble Pygmalion de Raphaël Pichon s’y
surpasse. Et c’est l’occasion de mieux comprendre comment,
de la musique de Cour, est né l’Opéra.
– Jeudi 25, Concerto en Sol pour Piano et Orchestre de Ravel et
Symphonie n° 2 en Ré majeur opus 43 de Sibelius : interprétés par
l'orchestre Ose ! Sous la direction de Daniel Kawka, ces deux
morceaux magnifiques, ont été l’occasion (pour nous) de
découvrir le jeune pianiste Vincent Larderet, dont le talent est
à la hauteur de cette génération d’interprètes géniaux.
– Vendredi 26, Zelenka, Le Bach de Dresde : le Collegium &
Collegium vocale 1704, dirigé par Václav Luks, présente sous ce
titre trois œuvres de trois compositeurs allemands de l’époque
baroque : Concerto à 7 en sol majeur de Johann David Heinichen,
Messe en sol mineur, BWV 235 de Bach et Missa Dei Filii, ZWV
20 de Jan Dismas Zelenka. Pour nous, c’était une fin en
beauté. Une réserve toutefois : le Festival de La Chaise-Dieu,
qui s’efforce depuis plusieurs années de faire revivre Zelenka,
et a voulu présenter « en miroir » son œuvre et celle de Bach,
donne à entendre successivement des œuvres si proches qu’on
peine à les distinguer. Certes, le but est atteint, mais les
médiocres amateurs que nous sommes eussent préféré plus
d’écart entre les deux morceaux.
Retour dans le Paris torride du samedi 27, et attente de vingt
minutes en plein soleil d’un taxi bien long à venir, mais conduit
par un chauffeur des plus sympathiques : belle occasion de
prendre contact avec cette canicule tardive qui, de nos hauteurs,
paraissait presque improbable. Pour nous consoler, nous
rapportons des images et des sons plein la tête !
Lundi 29 août 2016