En prenant de l`âge, le parc nucléaire présente un risque nouveau
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En prenant de l`âge, le parc nucléaire présente un risque nouveau
Le Soir Mercredi 5 mars 2014 3 L’ACTU En prenant de l’âge, le parc nucléaire présente un risque nouveau et accru ENVIRONNEMENT Greenpeace met en garde contre la prolongation des réacteurs Olkiluoto Forsmark Moins de 20 ans 14 réacteurs FINLANDE SUÈDE De 20 à 29 ans 71 réacteurs Ringhals Plus de 30 ans 66 réacteurs (7 d’entre eux ont plus de 40 ans) LE SOIR - 05.03.14 Source Greenpeace Loviisa Hunterston L’âge des réacteurs nucléaires en Europe Oskarshamn Torness Hartlepool Brokdorf Heysham Wylfa ROYAUME-UNI Hinkleypoint Grohnde Sizewell Borssele Doel Emsland ALLEMAGNE Grafenrheinfeld Dungeness Gravelines BELG. Tihange REP. TCHÈQUE Chooz Isar Dukovany Philippsburg Penly FRANCE Flamanville Paluel Neckarwestheim Bohunice SLOVAQUIE Cattenom Temelin Dampierre Nogent Gundremmingen B St. Laurent Fessenheim Mochovce Leibstadt Beznau Paks Chinon Belleville Muehleberg Goesgen HONGRIE Krsko Bugey SUISSE Civaux SLOVÉNIE Blayais St. Alban Rovno Khmelnitski Zaporozhe South Ukraine ROUMANIE Cernavoda Cruas Golfech UKRAINE Tricastin Kozloduy BULGARIE Santa Maria Degarona Asco Trillo Almaraz ESPAGNE France, Belgique, Pays-Bas, Etats-Unis, la prolongation des réacteurs nucléaires est dans l’air. Si c’est très rentable pour les opérateurs, cela ne va pas sans risque, estime Greenpeace. A 50 ans ou 60 ans, les installations accusent le poids des ans. E n Belgique, Tihange 1 a reçu le feu vert pour rempiler dix années de plus. Aux Pays-Bas, la centrale de Borssele, âgée de 41 ans, a obtenu l’autorisation d’être poussée jusqu’à 60 ans. Aux Etats-Unis, deux tiers des réacteurs pourront poursuivre jusqu’à 60 ans. En République tchéque, on y songe. En France, EDF s’est lancée dans la bataille pour obtenir de tirer ses centrales nucléaires au-delà de 40 ans, jusqu’à leur demisiècle. Pour Greenpeace, une prolongation des centrales nucléaires se ferait au détriment de la sûreté. L’organisation écologiste publie ce mercredi un rapport alertant sur les risques de poursuivre la production nucléaire au-delà du terme initialement fixé. Le Soir a pu prendre connaissance de cette étude réalisée par l’ÖkoInstitut de Darmstadt (Allemagne). « Sur les 151 réacteurs en fonctionnement en Europe (hors Russie), rappelle l’organisation, 66 ont plus de 30 ans, 25 ont dépassé les 35 années d’exploitation et sept ont été mis en service il y a plus de 40 ans. » Avec le temps, leur état s’est dégradé, « augmentant ainsi la probabilité d’un accident et les risques de complication ». « L’allongement de la durée de vie et l’accroissement de puissance (NDLR,par remplacement de la turbine ou par utilisation d’un combustible plus enrichi) dont ont fait l’objet beaucoup de réacteurs diminuent la marge de sûreté et augmente le risque », résume Eloi Glorieux, expert énergie chez Greenpeace Belgique. Les sept réacteurs belges figurent dans la moyenne européenne (29 ans). Doel 1 et 2 et Tihange 1 sont les plus anciens : 39 ans. Les deux premiers doivent être fermés en 2015. Le réacteur liégeois a obtenu du gouvernement l’autorisation de Avec le vieillissement des centrales et leur prolongation, on est entré dans une nouvelle ère du risque tourner dix années de plus, moyennant des améliorations. Pour obtenir le droit à une prolongation de leurs installations, les opérateurs doivent en effet consentir des travaux de remise à niveau. En France, EDF a évalué le coût de la remise à niveau de ses 58 réacteurs à 55 milliards d’euros. Estimation basse : un rapport de l’association Wise évoque quant à lui un coût de 4,5 milliards par réacteur. Vandellos Cofrentes Pour le rapport de l’Öko-Institut cependant, « les anciennes centrales nucléaires sont loin de satisfaire aux normes technologiques les plus avancées des nouveaux réacteurs, et il serait impossible de les mettre intégralement à niveau en cas de prolongation de leur exploitation ». Selon Greenpeace, le remplacement de certains équipements diminue certains risques, mais en fait apparaître de nouveaux. Ainsi l’installation d’un nouveau générateur oblige bien souvent à ouvrir puis refermer la paroi de l’enceinte du confinement. Par ailleurs, souligne le rapport, « certains équipements des réacteurs ne peuvent être remplacés : c’est le cas de la cuve sous pression et de l’enceinte de confinement, dont les conditions d’exploitation se sont détériorées année après année ». Certains composants ne se trouvent par ailleurs plus sur le marché. « On dispose de très peu d’expérience avec des réacteurs âgés de plus de 40 ans, poursuit Glorieux. Sept seulement ont atteint cet âge ; un seul a 45 ans, celui de Beznau 1 en Suisse. » A l’époque de leur construction, les plus anciens réacteurs belges devaient durer trente ans. Aujourd’hui, ils en ont quarante. Après dix années de prolongation, Tihange 1 en aura cinquante. « Or le concept date des années 60. Ces centrales ont été construites avec les technologies et la compréhension de l’époque. » Fragilisation de la cuve, fissures au niveau des traversées du couvercle de la cuve, détérioration des équipements internes, détérioration du câblage, usure des transformateurs, effritement du béton de l’enceinte extérieure, incapacité de résister à l’impact d’un avion de ligne, résistance inadaptée aux séismes et aux inondations, la liste des points faibles potentiels n’est pas courte. Il faut ajouter à cela le fait qu’avec la prolongation de l’activité s’accumulent les quantités de déchets et de combustible usé dans des installations dont la sûreté peut être mise en question. « Officiellement, les piscines belges où se trouve le combustible usé seront saturées « Les anciennes centrales nucléaires ne satisfont pas aux normes technologiques les plus avancées » LE RAPPORT en 2020 », affirme Glorieux. De quoi craindre une catastrophe imminente ? Les auteurs du rapport ne vont pas jusque-là. Ils relèvent cependant que « les réacteurs les plus âgés ne pourront jamais être en phase avec les meilleures technologies disponibles ». On est donc entré, disent-ils, « dans une nouvelle ère du risque ». Dans un rayon de 30 km autour de la centrale de Doel vivent 1,5 million d’habitants, avec Anvers à 15 km. Autour de Tihange, on compte 840.000 personnes. Certes, reconnaît Glorieux, des adaptations ont été réalisées sur la centrale de Tihange. Mais pas toutes. Enfin le vieillissement conceptuel ne permet pas de tout adapter. Résultat : les marges de sûreté sont diminuées. ■ MICHEL DE MUELENAERE www.out-of-age.eu assurances « La couverture 100 à 1000 fois trop faible » elon la Commission européenne, la catastrophe de FuS kushima (Japon) coûterait 187 milliards d’euros en dommages aux biens, aux personnes et à l’environnement. Coût de l’explosion de Tchernobyl (Ukraine) : 450 milliards. Si un accident survenait en Europe, les opérateurs nucléaires devraient dédommager les entreprises, les populations, l’Etat. Mais la couverture d’assurance est limitée : 2,5 milliards en Allemagne, 1,2 milliard en Belgique et aux Pays-Bas, 809 millions en Suisse… Pour Tom Vanden Borre (KUL) et Michael Faure (Université de Maastricht), deux des auteurs belges du rapport, « si un accident grave devait se produire, le niveau de couverture prévu par les systèmes européens de responsabilité civile serait, en fonction des États, entre 100 et 1.000 fois trop faible pour faire face aux coûts encourus ». Si l’on part du principe que le vieillissement des centrales nucléaires accroît le risque, la question des dédommagements est centrale. Avant d’envisager une prolongation des réacteurs, « les Etats devraient d’abord s’assurer que les conditions d’indemnisation des victimes soient considérablement améliorées ». Actuellement, les demandes de dédommagement sont d’office plafon- Michael Faure : « Augmenter les primes versées par l’exploitant. » © D.R. nées. « Il s’agit d’une double subvention accordée à l’industrie nucléaire qui se cache derrière le plafonnement de la responsabilité de l’exploitant : le coût de l’assurance est sous-estimé, et lorsque le montant de la responsabilité est insuffisant, c’est l’État qui doit intervenir. » Une telle situation donne « un avantage compétitif artificiel » par rapport à d’autres technologies de production d’énergie. Cela « n’incite pas l’exploitant à réduire les risques d’accident nucléaire ». Et « cela peut entraîner une indemnisation insuffisante ». Pour les chercheurs, la responsabilité doit être déplafonnée et un fonds commun d’assurance européen « encouragerait les exploitants à exercer une surveillance mutuelle ». ■ M.d.M. 3