Note de synthese - 2006 - Admission en premiere

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Note de synthese - 2006 - Admission en premiere
PROCEDURE D’ADMISSION EN MASTER
Lundi 6 février 2006
(durée de l’épreuve : 4 heures)
Note de synthèse
SUJET 2 :
A partir des documents ci-joints, vous rédigerez une note de synthèse sur le traitement des violences urbaines par
les médias français et étrangers. Vous analyserez également les conséquences de ce traitement.
LISTE DES DOCUMENTS
Document 1
Télé : des images presque trop sages
Le Nouvel Observateur, 10 novembre 2005
Document 2
Images piégées
Télérama, 16 novembre 2005
Document 3
Bilan de trois semaines d’émeutes
La Croix, 26 novembre 2005
Document 4
Des télés plus prudentes dans la surenchère de l’insécurité
Libération, 9 novembre 2005
Document 5
« C’est à qui aura les propos les plus choquants ou l’image la plus dure » Libération, 9 novembre 2005
Document 6
Les rapports ambivalents des cités avec les médias
Les Echos, 24 novembre 2005
Document 7
La télé entretient la culture du « éliminer pour gagner »
La Croix, 12 novembre 2005
Document 8
A la une des cinq continents
Courrier International, 10 novembre 2005
Document 9
Inquiétude et ironie à l’étranger
Le Figaro, 7 novembre 2005
Document 10
Stop à l’emballement de la machine médiatique
Libération, 15 novembre 2005
Document 11
Un couvre feu pour les médias ?
Libération, 11 novembre 2005
DOCUMENT 1 - Le Nouvel Observateur, 10 novembre 2005
Télé : des images presque trop sages, par Claude SOULA
Vous voulez voir des images de violence, des voitures ou des
immeubles qui flambent dans la nuit ? Alors tournez-vous vers les
chaînes étrangères, comme l'américaine CNN ou la Deutsche Welle
allemande. Là vous verrez le cauchemar, tel qu'il est montré
quotidiennement à nos voisins. Mais pour une fois, les médias
audiovisuels français sont tous restés d'une sagesse qui ne leur est
pas habituelle. « Nous n'avons reçu aucune consigne ! » précisent
d'emblée Etienne Leenhardt, pour France 2, ou Paul Nahon, pour
France 3. Non, ce sont bien les rédacteurs en chef de TF1, France
2, France 3, LCI ou iTélé, qui ont décidé en choeur que mettre en
valeur des flammes dans la nuit ne constituait pas la meilleure façon
de relater les événements. Paul Nahon est même partisan de ne
plus citer le nombre de voitures détruites : « On donnera seulement
les grandes tendances », dit le patron de l'info sur France 3, qui
constate que dans les régions, la prudence règne : « Certains
responsables locaux ne veulent même plus dire quels sont les quartiers les plus atteints », dit-il. Sur France 2, on en saura un peu plus :
« On continuera à donner les bilans globaux », dit Etienne Leenhardt, qui
insiste lui aussi sur la volonté de mettre également en avant les
raisons d'espérer. Les dérapages qu'avaient connus les JT lors de la
fameuse affaire « Papy Voise » et les répercussions de cette
escalade d'images de violence sur le premier tour de l'élection
présidentielle, en 2002, appartiendraient donc au passé. Les
journalistes de télévision savent aujourd'hui, comme le créateur
« d'Envoyé Spécial », que « les images ont un côté démultiplicateur ».
Mais est-ce une raison pour ne pas tout montrer aux citoyens ? Les
étrangers s'en chargent, à leur façon : les émeutes sont en première
page du « New York Times ». Le « China Daily » nous apprend que
des Chinois ont été blessés à Paris. Et la « Pravda » décrit un pays
en proie aux émeutes et même aux pogroms. Les Etats-Unis, la
Russie et l'Australie conseillent donc à leurs concitoyens d'être
prudents dans leurs déplacements. Commentaire d'un journaliste
français : « J'espère que nous ne traitons pas l'actualité à l'étranger
comme eux traitent la nôtre... »
DOCUMENT 2 - Télérama, 16 novembre 2005
Images piégées, par Antoine Perraud
Le rôle de télévision en question
Plutôt prudentes, les chaînes ont malgré elles favorisé la contagion des actes de violence
Les petits écrans ont reflété une grande perplexité. Les banlieues y sont
apparues foncièrement étrangères: l'autre et son territoire. Comme si
cette discrimination que nous pointions aux Etats-Unis ou au Brésil en
refusant de la voir ici nous sautait aux yeux. Terrible privilège des
flammes, selon Véronique Nahoum-Grappe, chercheuse à l'Ecole
pratique des hautes études en sciences sociales (1) : « La violence nous
réveille sur des questions de fond que nous refusions de considérer tant
que nous n'avions pas cet embrasement sur nos écrans !… »
La bonne vieille télévision hertzienne des familles s'est retrouvée,
naturellement, au centre de tout. Le JT demeure le moment où « le corps
social se parle à lui-même », constate Véronique Nahoum-Grappe :
« Des millions de paires d'yeux anonymes regardent un visage qui
dit quelque chose. Voilà pourquoi le mot « racaille » lancé par Nicolas Sarkozy a eu une telle résonance. Il fut prononcé en situation,
lors de ce face-à-face du JT. Il a « traité » les petits machos des cités
- on n'insistera jamais assez sur la masculinité d'une révolte dont les
« sœurs » sont absentes. Ceux-ci ont réagi, tandis que nous, le
chœur antique des téléspectateurs, regardions les autorités se
dépatouiller et les journalistes, puis les intellectuels, commenter ».
La télévision a relayé un basculement irrémédiable, selon Daniel Bougnoux,
professeur émérite de sciences de la communication à Grenoble III :
« Que peut encore faire un homme d'Etat, à part susciter les
brocards? » L'universitaire a observé que tout conseil donné d'en haut
aboutit à une surenchère inverse venue d'en bas. La spirale de la
détérioration, de la rage et de l'excitation se nourrit d'un média pris au
piège: « Montrer, c'est inciter; décrire, c'est prescrire. Les images sont
contagieuses, excitent l'émulation. Quoi montrer qui ne soit dangereux,
crucial, bouillant? Les voitures sont brûlées pour être filmées, les
journalistes sont embarqués, pris en otages, acteurs ».
Guy Lochard, prof de sciences de l'information et de la communication
à Paris-III (2), reconnaît que des casseurs ont pu se senti implicitement
invités à participer à ce concours de violence. Mais il a surtout retenu
que par rapport aux années 80, quand de jeunes journalistes sans
expérience débarquaient à Vaulx.-en-Velin pour dramatiser à outrance,
« la télé s'est montrée plus retenue et réfléchie, moins stigmatisante et
irresponsable ».
Cette illustration d'un journalisme « ébranlé comme s'il avait fini par
intégrer les critiques dont il est l'objet » a marqué Henri Boyer,
professeur de sciences du langage à Montpellier III (2). Celui-ci a
surtout observé un curieux flottement initial. Peut-être parce que la
France se paupérise, la majorité silencieuse n'a pas d'emblée pris
fait et cause pour le parti de l'ordre en s'identifiant aux possédants:
« Il y eut certes ces plans de voitures calcinées, comme pour
rappeler à chaque téléspectateur, dont on sait le rapport à
l'automobile, le résultat misérable des émeutes. Mais la télé ne s'est
pas contentée de tels signaux. Elle m'est apparue d'abord variée,
polyphonique: on entendait les jeune révoltés, cagoulés ou non, floutés
ou non. Ensuite, la mort de deux adolescents dans le transformateur
de Clichy-sous-Bois ayant été « neutralisée » par deux meurtres l'homme qui photographiait un lampadaire à Epinay, puis celui qui
protégeait ses poubelles à Stains -, un retournement de l'opinion
s'orchestra. » Comme le rappelle Guy Lochard, la télévision fonctionne
selon le même processus face aux mouvements de grève: elle est d'abord
en empathie avec le mouvement social, avant de se ranger du côté des
usagers, considérés comme victimes...Véronique Nahoum-Grappe a
pour sa part constaté que « la télévision nous amène trop vite à
incarner nos haines et nos peurs ». Elle évoque un reportage de
Sept à huit sur TF1. On y voyait, filmés en caméra cachée, des
policiers menaçant d'envoyer griller « dans un transformateur »
quelques banlieusards. Inadmissible, juge la chercheuse, qui pointe
cette culture de la violence et ses ravages chez les forces de l'ordre
: « Une telle séquence amène à s'interroger sur la haine comme
nécessité professionnelle chez les policiers. Pourquoi sont-ils obligés
d'abominer des petites frappes de moins de 20 ans? » Mais la télé
peut-elle charrier à la fois « l’émotion et la réflexion ? »
(1) Véronique Nahoum-Grappe vient de publier Balades politiques, entretiens avec Jean-Christophe Marti (éd. Les Prairies ordinaires, 240 p., 15 €).
(2) Guy Lochard et Henri Boyer sont les auteurs de Scènes de télévision en banlieues 1950-1994 (éd. INA-L'Harmattan, 1998, 202 p., 16,80 €).
DOCUMENT 3 - La Croix, 26 novembre 2005
Bilan de trois semaines d'émeutes
- 10 000 voitures brûlées
- 300 communes touchées par les trois semaines de violences dans les banlieues, qui ont débuté le 27 octobre à Clichy-sousBois (Seine-Saint-Denis). Les plus affectées ont évidemment été les banlieues du nord-est de Paris, puis celles d'Évreux,
Saint-Étienne, Toulouse, Lille et Lyon.
- Un retraité de 61 ans mort le 7 novembre après avoir été agressé au pied d'un immeuble de Stains (Seine-Saint-Denis).
- Plus de 120 policiers et gendarmes blessés.
- Une femme handicapée grièvement brûlée à la suite de l'attaque et de l'incendie d'un bus à Sevran (Seine-Saint-Denis).
- 200 millions d'euros : c'est ce que les violences devraient coûter aux compagnies d'assurance, selon la Fédération française
des sociétés d'assurance (FFSA).
DOCUMENT 4 - Libération, 9 novembre 2005
Des télés plus prudentes dans la surenchère de l'insécurité, par Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts
France 3 et LCI évitent désormais le «Téléthon» de la voiture brûlée
picions de pressions politiques circulent : le gouvernement
Des médias prudents ? En voilà une nouveauté... Depuis
aurait demandé aux chaînes de minimiser les violences en
quelques jours, les télés et radios rivalisent de précautions
banlieue. Ce qu'elles démentent en choeur.
dans leur traitement des violences dans les banlieues.
Las ! Malgré toutes leurs précautions, le traitement des
Ainsi, depuis lundi, France 3 ne donne plus le nombre de
télés est mis en cause. SOS Racisme a ainsi dénoncé « le
voitures incendiées. « Ça faisait un peu Téléthon, plaisante
traitement sensationnaliste » des violences en banlieue par
Paul Nahon, directeur de l'information, il ne manquait plus
les médias, tandis que le député UMP Jacques Myard
que le gros compteur derrière.» Plus sérieusement, Nahon
affirmait hier dans le Parisien que les médias sont
dit avoir pris cette décision « pour éviter la surenchère » :
« instrumentalisés par les casseurs », réclamant carrément
« Nous avons une responsabilité plus grande à cause du
« un moratoire » au Conseil supérieur de l'audiovisuel
pouvoir de l'image, et puis c'est une info qui ne voulait pas
(CSA) « sur la diffusion de ces événements ». Peyrefitte,
dire grand-chose.»
qui musela les télés sous De Gaulle, n'aurait pas espéré
France 3 va-t-elle contaminer ses consoeurs ? Pour l'insmieux.
tant, seule LCI lui a emboîté le pas et ne donne plus les
Instrumentalisée, la télé ? « Comme les chaînes ne couchiffres à l'antenne depuis hier matin. La raison : deux
vraient plus la banlieue, il y a une parole refoulée. Et faire
voitures auraient été incendiées pour faire de l'esbroufe
irruption dans les médias, c'est une manière pour ces jeudevant la caméra d'un reporter de LCI. A Radio France, « il
nes d'écrire l'histoire, puisque ce qui ne passe pas à la télé
y a eu discussion », raconte Michel Polacco, directeur de
n'existe pas », estime Denis Muzet, responsable de l'ObFrance Info. Lundi, les différentes stations de service public
servatoire du débat public. Problème : « Il y a un phénose sont réunies autour de leur président, Jean-Paul Cluzel,
mène d'accumulation. Et comme la télévision fonctionne
pour déterminer leur position. Polacco a refusé de garder
par analogie, un bus qui brûle à Aubervilliers, c'est comme
le silence sur le nombre de voitures incendiées. « Et si les
un bus qui brûle à Jénine. On retombe dans les travers de
chiffres sont en décroissance, que ferons-nous ? Notre rôle
2002. »
de journaliste, ce n'est pas de rentrer dans ce genre de
Censure. Eric Macé (1), sociologue au Centre d'analyse et
manipulations. En revanche, on évite de donner un aspect
d'intervention sociologique (Cadis), analyse la prudence
compétition à la présentation des chiffres, en parlant de
des télés comme «une forme de censure paradoxale : il y a
score, par exemple. »
une telle porosité idéologique entre les journalistes télé et
«Positiver». Sur France 2, Arlette Chabot, directrice de
les politiques que quand on leur dit : « C'est dangereux, ils
l'information, n'a pas suivi l'exemple de la Trois : « On
font attention ». Conséquence, « ils se montrent aussi
donne un chiffre global, pas par ville. De même qu'on ne
prudents qu'ils ont été imprudents avec le traitement de
donne pas le nom des villes. Et puis, nous montrons plus
l'insécurité en 2002 ». Alors, pyromane la télé, malgré sa
les dégâts que les feux très spectaculaires. » A TF1, «le
débauche de précautions ? Eric Macé est formel, il ne faut
mot d'ordre, c'est : « il faut positiver », témoigne un journapas se tromper de débat ni d'image : « Ce n'est pas le
liste ; les reportages sur les initiatives en banlieue succèspectacle des voitures qui brûlent, mais celui du
dent à ceux sur les violences.
gouvernement par sa gestion répressive de la crise, qui
Un tel excès de prudence ne laisse pas d'étonner de la part
alimente la rage et la révolte. »
de la télé qui, avant la présidentielle de 2002, avait sans
vergogne survendu le thème de l'insécurité. Déjà, les sus-
(1) Auteur, en 2002, avec Angelina Peralva, de Médias et violences urbaines, éditions la Documentation française.
DOCUMENT 5 - Libération, 9 novembre 2005
«C'est à qui aura les propos les plus choquants ou l'image la plus dure»
par Eric Aeschimann, Olivier Bertrand, Olivier Costemalle, Gilbert Laval, Didier Arnaud, Ludovic Blecher, Philippe Grangereau
Dans les cités, les caméras fascinent les jeunes ou les révoltent.
C'est TF1 qui m'appelle !» Quartier de la Reynerie, à Toulouse,
un ado déconne avec son portable. Qu'un journaliste se
présente ici, et aussitôt la question fuse : « Quelle chaîne ? »
Sans caméra, un journaliste n'est pas vraiment journaliste.
« C'est quand même des enfants du XXIe siècle. Donc ils vivent
avec la télé, c'est comme une autre personne à la maison »
constate Karim, 27 ans, membre de l'association Espérance
musulmane de la jeunesse française, à Aulnay-sous-Bois
(Seine-Saint-Denis).
Le rapport à la caméra est complexe, mélange de fascination et de répulsion. « A la surenchère des jeunes correspond la surenchère des médias, poursuit Karim. C'est à
qui aura les propos les plus choquants ou l'image la plus
dure. C'est clair et net : le fait de montrer la violence, ça
instaure la violence comme une normalité. » De fait, explique Chems, rappeur du groupe Bled Side, en banlieue
lyonnaise, « les petits, ils regardent la télé et ils se disent :
« Quoi ? C'est Paris qui bouge maintenant ? On va leur
montrer qu'ici aussi on sait bouger. » Et ils jouent eux aussi
aux gendarmes et aux voleurs. Une caméra, c'est une
arme. Moi, ce soir, je peux aller aux Minguettes avec une
caméra et vous faire deux reportages qui diront des choses
complètement opposées ».
En même temps, la méfiance à l'égard de la télé est ancrée. « Surtout, ne croyez pas ce qu'ils racontent », enjoint
un jeune habitant d'Evreux, évoquant les journaux télévisés. Propos tenu sans agressivité, comme une évidence.
On ne croit pas la télé, de la même façon qu'on ne croit
pas aux institutions - école, police, justice...
Lundi matin à Grigny, dans le quartier du Méridien, la déferlante de journalistes (il y a des Belges, des Japonais et
des Australiens), est plutôt bien vécue. A la question :
« Pourquoi y a-t-il eu des violences hier soir ? » un jeune
homme répond, un grand sourire aux lèvres : « C'est parce
qu'il n'y a plus de shit. » Un autre déclare à la chaîne australienne, qui lui demande d'utiliser l'anglais : « Police were
shooting at people looking. » Un homme d'une quarantaine
d'années arrive et un jeune lance : « Vous voulez quelqu'un d'énervé ? En voilà un, interrogez-le. » L'homme ne
veut pas répondre, ni à la télé ni à la presse écrite, il dit
juste : « Ça ne va pas résoudre mes problèmes. »
Parfois, la présence de la télé est vécue comme une
provocation pure et simple. Hier, à Aulnay, dans le quartier
du Gros Saule, une équipe de télévision attend la sortie
des classes devant le collège Pablo-Neruda. Elle se fait
chahuter par les élèves. Il faut l'intervention de médiateurs,
puis de policiers en civil, pour la dégager. A Clichy-sous-Bois,
le ressentiment est fort contre les chaînes, en bloc, depuis
l'affaire de la grenade lancée dans une mosquée. « Les
grands commencent à comprendre que la compétition de
voitures brûlées ne mène à rien », commente Joseph Berreby,
directeur de la Mous, un service de l'association La
Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence, qui travaille
sur la cité La Forestière. « Le problème, c'est l'après :
comment on va retrouver le quotidien avec tous ces jeunes
qui ont parlé à la télé. Il y a eu une telle profusion de
parole, c'est la Star Academy version banlieue. Avec un
effet de narcissisme. Il y a une réflexion à avoir pour
après. »
DOCUMENT 6 - Les Echos, 24 novembre 2005
Les rapports ambivalents des cités avec les médias, par Véronique Richebois
Les jeunes des cités sont attirés par les médias mais les jugent « irrespectueux ». Récit de rapports oscillant entre méfiance et
fascination.
casquette à l'envers, entourés de filles sublimes, de produits de
Ils adorent passer à la télévision mais estiment que les médias
luxe et de substances plus ou moins licites. La surcharge de siprojettent d'eux une image souvent « irrespectueuse »... Tout
gnes y vient sursignifier la richesse », décrit Gilles Masson, présicomme ils raffolent des marques de luxe - Gucci, Dior, Vuitton... dent de l'agence M&C Saatchi GAD.
coûteuses et clinquantes, mais leur reprochent de détourner,
Pour ce dernier, le miroir idyllique tendu aux jeunes des banpour mieux les recycler, leurs codes, leurs fringues, leur look, en
lieues, où sont recyclés complaisamment la culture et les codes
somme tout ce qui fait leur identité de « jeunes de banlieue ».
des cités, et où se pressent des marques tendance ayant pignon
Bref, il y a au moins un point commun entre les rapports qu'ensur rue telles que Nike, Adidas, Lacoste, Levi's... est avant tout
tretient la jeunesse des cités avec les médias d'une part et les
un formidable miroir aux alouettes : « Il est flatteur mais fait
marques d'autre part : la même profonde ambivalence à leur
l'impasse sur toutes les problématiques auxquelles se heurtent
égard, qui mêle le sentiment d'être subitement « reconnus » par
ces jeunes : l'échec scolaire, le chômage, le déclassement... »
une France qui souvent les ignore, et la sensation déplaisante
Surtout, ce qui est décodé par les bobos comme des signes de
d'être utilisés.
tendance les « posant » différemment dans leur milieu social
Ainsi ces jeunes s'agacent-ils de la position des médias - surtout
(blouson à capuche, pantalons baggys, survêtements un peu
étrangers - depuis le début des troubles, le 27 octobre. Ils sont
large...) « est vécu beaucoup plus au premier degré, selon Gilles
ulcérés devant les images de CNN ou de Fox News, qui projetMasson, comme des signes identitaires pour les jeunes des cités.
tent en gros plan l'image d'une France à feu et à sang, ravagée
Même s'ils n'ont pas les moyens financiers d'accéder à ces
par la guerre civile. Et s'irritent encore plus lorsque Al-Jazira (*)
biens, beaucoup se débrouilleront alors pour y arriver... ».
compare les émeutes de Clichy-sous-bois à l'Intifada. Ou que la
Alimentant par la même occasion l'industrie de la grande
presse russe s'autorise un rapprochement sommaire entre la
consommation qui, à l'exemple d'un Burberry's utilisant l'image
fièvre qui s'est emparée des banlieues, les plans de voitures
sulfureuse de Kate Moss pour dépoussiérer sa marque, offre
calcinées, et la situation en Tchétchénie.
alors aux consommateurs un saut (largement symbolique) dans
Et pourtant... Il y a une pointe de fierté, la satisfaction d'une
un univers jeune, transgressif, créatif. Semblant même leur
reconnaissance tardive mais réelle depuis que les micros ont
transfuser une forme d'énergie et de violence largement adoucie
commencé à se tendre un peu partout vers les jeunes des cités pour
et formatée par le marketing. Ce que certains nomment,
recueillir, analyser, disséquer leurs frustrations et leur colère. Enfin,
précisément, « le marketing du ghetto »... « destiné prioritaire« on » admet publiquement que la France est désormais une
ment, aux catégories CESP+ et non aux jeunes des cités qui ne
société pluriethnique, pluriculturelle, plurireligieuse. Qu'il n'y a
figurent pas, de façon prioritaire, dans les plans marketing »,
pas de retour en arrière possible. D'où ce mélange intime de
glisse un publicitaire.
fierté et de revendication identitaires et d'indignation devant la
Mais comme dans toute situation paradoxale, il suffit d'une
mauvaise foi supposée des médias. Un constat que décrypte la
« pichenette » pour que le curseur se dérègle. « Qu'un homme
sociologue et linguiste Nicole Le Guennec, auteur d'« Autopsie
politique survienne tout d'un coup et parle des jeunes des cités
d'une émeute » (Albin Michel) : « Ces jeunes se plaignent des
comme de «racailles», emploie le mot de « Kärcher », fait voler
médias qu'ils jugent peu équitables, mais ils sont en réalité très
en éclats le miroir idyllique », analyse Gilles Masson. « Il a utilisé
ambigus dans leurs positions. Ainsi, en 1998, ils s'étaient déplaune forme d'insultes rituelles qui ne pouvaient amener qu'à la
cés pour aller voir les journalistes du « Parisien » afin de protesriposte et la bagarre », juge de son côté une publicitaire
ter contre l'image que le quotidien renvoyait d'eux, alors que,
anglo-saxonne, longtemps spécialisée dans l'ethnologie urbaine.
parallèlement, il était clair qu'ils éprouvaient une certaine fierté à
« Surtout, poursuit Gilles Masson, ces mots ont mis à nu le décase faire entendre dans les médias et à montrer ce qu'ils étaient...
lage entre l'exhibition ostentatoire de signes extérieurs de riMême si, cette fois-ci, on a entendu dans les médias français un
discours où l'on reconnaissait qu'il y a effectivement ségrégation
chesse - ce que l'on pourrait appeler une surcompensation soet discrimination. »
ciale - et une réalité matérielle beaucoup moins gratifiante. »
Une ambivalence à l'image des jeunes des cités pris en tenaille
Au point de servir de déclencheur ? « Certainement pas, c'est
entre une réalité sociale brutale... et la mythologie qui s'est
une addition d'éléments. Mais ces mots viennent nourrir la colère
édifiée tout autour. D'un côté, un avenir bouché, des jeunes
de ces jeunes qui ont à la fois beaucoup de temps, peu d'argent
stigmatisés ou exclus alors qu'ils aspirent à la « normalité », une
et beaucoup de frustration, en les renvoyant brutalement à leur
France à 40 % de chômage... De l'autre, un monde merveilleux,
situation d'origine. »
coloré et créatif, revu et visité par la pub, les icônes du sport
Surtout, la frustration risque d'être d'autant plus vive que, utilisés
(Thuram, Zidane...) et la musique (rap et R'n'B en tête), via les
complaisamment comme modèles pour certaines catégories bien
clips et la chaîne musicale américaine MTV. Un monde qui
particulières de biens de consommation (musique, streetwear ou
sécrète sa culture, sa légende... et fait rêver les ados ou les
sportswear, téléphonie mobile...), Beurs et Blacks ont beaucoup
bobos en mal d'identité ou de différenciation. Un monde où les
plus de mal à figurer dans les campagnes mettant en scène des
signes extérieurs de richesse ont valeur de sésame et, pour les
produits classiques de grande consommation. Et se voient
garçons, d'affirmation radicale de leur virilité.
cantonnés au statut de héros de campagnes mettant en scène
Au hasard d'une campagne ou d'un clip, le spectateur lambda peut
des produits tendance, coûteux, largement au-dessus de leurs
découvrir ainsi « allongés au bord de piscines splendides, des
moyens. Situation explosive, sinon inflammable. Sans mauvais
grappes de rappeurs, couverts de gourmettes scintillantes, la
jeu de mots.
(*) « Télérama » n° 2914, 16 novembre 2005.
DOCUMENT 7 - La Croix, 12 novembre 2005
La télé entretient la culture du « éliminer pour gagner », par Bruno BOUVET
Musique, cinéma, télévision et Internet, le réalisateur Christophe Nick livre les racines culturelles de la violence.
Christophe Nick, réalisateur de « Chroniques de la violence ordinaire » pour France 2.
Pendant deux ans, vous avez partagé la vie des habitants de Creil (Oise), notamment dans les quartiers
sensibles de la ville, dans le but de réaliser quatre
documentaires, diffusés l'hiver dernier sur France 2.
Comment définiriez-vous l'univers culturel des jeunes
de ces quartiers ?
Christophe Nick : Il faut d'abord établir une distinction entre
l'ensemble de la population vivant dans ces quartiers et les
« casseurs ». Je me souviens que la bibliothèque de l'une
des cités difficiles affichait un fort taux de fréquentation.
Mais s'il faut trouver le plus petit dénominateur commun
entre les jeunes qui se livrent à des actes de violence, c'est
la pauvreté culturelle dans laquelle ils évoluent. La violence
est le dernier langage lorsque vous ne possédez pas les
mots. J'ai été frappé de constater que la plupart d'entre eux
n'ont pas plus de 500 mots de vocabulaire.
De quoi se nourrit leur culture ?
Elle est centrée autour de trois pôles : le cinéma, la musique et Internet. Pour les mômes, Scarface de Brian de
Palma représente le mythe absolu. Leur univers cinématographique, c'est Wesley Snipes et les films ultra-violents à
la morale rudimentaire qui célèbrent le culte du surhomme,
victorieux de forces maléfiques. Dans ce cinéma d'action,
le flic n'est jamais du bon côté. Leurs goûts musicaux sont
dominés par le rap, en particulier par les grandes figures
françaises des années 1990 (IAM, NTM, Ministère Amer)
mais aussi La Clique, 113 et Oxmo Puccino. Il y a aussi un
courant plus violent, le « gangstarap », qui a donné lieu en
1996 à une chanson mettant en scène un viol collectif. Ce
rap-là magnifie la vie dans le quartier, fait de chaque jeune
la victime du système et envisage la vie en prison comme
un passage obligé. Enfin, il faut parler d'Internet, qui permet le piratage de films mais représente surtout un lieu de
discussions et d'échanges. Chaque quartier a son blog.
Les cris de révolte, de rage s'y font entendre, les rumeurs
s'y propagent. L'expression est brute, violente, souvent de
l'ordre des insultes : il n'y a pas de production de pensée.
Tout est de l'ordre de la vérité immédiate : cette dimension
se retrouve d'ailleurs dans l'expansion de l'islam. Cette
religion est réduite à une vulgate qui établit un rapport
direct entre l'homme et Dieu, seul capable de comprendre
la souffrance des jeunes de banlieue.
Quelle est la place de la télévision dans cet environnement culturel ?
Tel un aquarium, ou une plante verte, elle est allumée en
permanence, prioritairement sur TF1 ou M6. Les antennes
paraboliques, très utilisées, diffusent en boucle les feuilletons des chaînes arabes. La télévision entretient la culture
« Star Ac » (« éliminer pour gagner ») ou Koh Lanta (« si tu
ne « baises pas l'autre, tu es baisé » »). Toute personne
qui tente de développer une morale différente est
considérée comme un imbécile ou un menteur...
Peut-on établir un lien direct entre la pauvreté culturelle dont vous parlez et le passage à l'acte violent ?
Dès qu'ils possèdent un bagage intellectuel, les jeunes
quittent le quartier, tout en maintenant souvent un lien. De
même, dès qu'ils parviennent à produire une pensée, les
gamins comprennent qu'il est totalement imbécile de brûler
les voitures des voisins. La pauvreté culturelle empêche
d'exprimer sa frustration en termes politiques. Elle traduit
en actes violents le rappel de traumatismes passés : ce
n'est pas un hasard si les écoles sont attaquées ces jours
derniers.
Existe-t-il une réponse culturelle à ces formes de violence ?
Bien sûr, c'est une évidence. Mais c'est le défi gigantesque
auquel est confronté le système scolaire, tout autant que la
télévision. J'ai assisté dernièrement à l'enregistrement de
la nuit du Ramadan sur France 2. Durant ce moment
magique, Sapho, d'origine juive, a chanté en arabe. Après
quelques secondes de sidération, le public l'a ovationnée.
Ce moment de fraternisation a été diffusé à 2 heures du
matin...
Peut-on espérer que France 2 rediffuse votre série
documentaire ?
Je l'ignore... En tout cas, nous avions essayé de démonter
le mécanisme de la violence. En ce moment, il me semble
important de mettre du sens dans tout ce que l'on entend,
y compris à la télévision.
DOCUMENT 8 - Courrier International, 10 novembre 2005
A la une des cinq continents
VU DES PAYS-BAS La violence comme seule alternative
Les révoltes en France sont presque toujours véhémentes. Les
protestations violentes de jeunes habitants des quartiers
d'immigrés s'inscrivent dans cette tradition. De ce point de vue,
leur intégration, qui laisse à désirer dans bien d'autres domaines,
a bien réussi. L'intensité des violences a déclenché une véritable
crise d'autorité. Le gouvernement français ne peut pas faire
autrement qu'agir fermement contre les provocateurs. Mais un
rétablissement de l'ordre ne peut pas être la seule réponse. Car
la raison profonde de ces troubles réside dans de sérieux abus.
Malgré plusieurs alertes, les conditions de vie dans les banlieues
restent misérables. L'économie française, qui n'est pas très
florissante, n'aide pas à améliorer la situation. En outre, une
proportion inacceptable de jeunes immigrés reste sans perspectives de travail. Les violences perdurent en partie parce qu'ils
n'ont rien d'autre à faire.
Le gouvernement français semble réaliser qu'il faut agir aussi sur
ce terrain. Il est également nécessaire d'examiner de près et de
façon critique toute la politique d'intégration. Il y a un gouffre trop
grand entre l'idéal d'égalité républicain et la dure réalité des
discriminations et de l'inégalité des chances.
C'est de Nicolas Sarkozy que l'on peut attendre de telles propositions. En tout cas, le ministre de l'Intérieur et le Premier ministre,
Dominique de Villepin, feraient mieux de mettre un terme à leur
joute mutuelle. Car, dans une telle situation, il est important que
le gouvernement parle d'une seule voix.
VU DU JAPON Echec de l'intégration
« On parle de la dégradation de la situation dans les banlieue depuis
les années 1970, quand les immigrés se sont installés dans les cités
HLM de banlieue », rappelle le quotidien Asahi Shimbun. Il souligne
également que le taux de chômage est particulièrement élevé
parmi ces populations, notamment quand elles sont d'origine
algérienne ou marocaine. Elles sont aussi souvent victimes de
discrimination raciale ou religieuse en matière d'embauche. "La
pauvreté engendre la pauvreté et fait des banlieues des zones
où se concentrent les Français d'origine étrangère les plus
démunis et que le reste de la société n'aime pas, poursuit le
journal japonais. Parallèlement, la multiplication d'actes criminels
a fait s'éloigner les classes moyennes de ces lieux. »
« La difficulté de cohabiter avec les populations immigrées est un
problème que partagent, à des degrés divers, de nombreux pays
d'Europe », estime le journal tokyoite, en expliquant aussi qu'à la
différence de certains pays européens, comme la Grande-Bretagne,
qui pratique le communautarisme, la France mène une politique
d'intégration qui refuse la formation de communautés ethniques
ou religieuses au sein de la société. Tout en observant que la
politique de Londres a abouti aux attentats islamistes de juillet
dernier, le quotidien estime que « c'est ce principe républicain qui
a engendré l'isolement profond des populations immigrées. Les
jeunes de ces quartiers éprouvent un sentiment de désespoir et
ont l'impression d'être abandonnés par l'Etat. ». En abordant
l'aspect politique de la crise des banlieues, l'Asahi Shimbun
rapporte également que les critiques adressées à Nicolas Sarkozy
n'entament pas pour le moment sa popularité, qui reste très élevée.
Mais « l'extrême droite, qui était plutôt calme ces derniers temps,
s'apprête à relancer une campagne contre les immigrés. La France
n'a pour l'instant pas trouvé la solution pour résoudre sa fracture
social »", conclut le journal.
VU D'IRAN Boycottez la France !
« Paris à feu et à sang »", écrit l'éditorialiste du Tehran Times.
Pour ce journal très proche du régime islamique, cette situation
prouve que « le gouvernement français maltraite ses citoyens
noir ». « Les Français d'origine africaine subissent des discriminations depuis des années. Une simple comparaison entre le
niveau de vie des Français blancs et noirs montre que les Français blancs sont racistes et considèrent leurs concitoyens noirs
comme dès esclave »", soutient l'éditorialiste Hassan Hanizadeh,
connu pour ses prises de position extrêmes. « La France se veut
un modèle de démocratie dans le monde, mais, dans le même
temps, elle tolère la discrimination envers sa population noire »,
critique-t-il.
Pour le Tehran Times, « comme la plupart de ces pauvres Français noirs sont musulmans », il est du devoir de « la république
islamique d'Iran et des autres pays musulmans d'observer leurs
devoirs religieux et humanitaires pour former une commission
d'enquête sur les conditions de vie de ces musulmans. Si le
gouvernement français rejette la proposition des pays musulmans, il devra être boycotté par tous les Etats musulmans jusqu'à ce qu'il change son comportement envers les musulmans
français ». Et l'éditorialiste de conclure que « la France est dans
une situation si critique que l'extension de ces démonstrations de
violence pourrait même mener à l'effondrement de la France et à
sa division entre les zones musulmane et chrétienne ».
VU DE CHINE Une leçon à prendre
L'agitation en France nous lance à tous un avertissement, écrit le
quotidien pékinoIs Xinjing Bao. Les violences ont déjà touché les
résidents d'origine chinoIse, dont plusieurs entrepôts situés dans
la banlieue nord de Paris ont brûlé. Mais cette agitation souligne
surtout « la difficulté d'intégration d'une population de migrants
reléguée dans des quartiers oubliés ». « Sans aucun doute, la
France n'a pas su réaliser un développement harmonieux de ses
banlieues, en même temps que de ses villes, et c'est là véritable
cause de cet éclatement de violence. Les troubles à Paris nous
montrent que ce n'est pas parce que la pauvreté et la discrimination
atteignent une population minoritaire qu'elles n'ont pas de
répercussions. Sans un développement harmonieux, le monde
ne peut rester à l'abri des troubles. La France est en train de
payer trente ans de fracture sociale, territoriale et raciale. Il faut
espérer que le monde entier puisse en tirer des leçons. »
DOCUMENT 8 - Courrier International, 10 novembre 2005
A la une des cinq continents (suite)
TIME
(New York)
Explosif.
Comment des décennies de dénuement et de désespoir ont déclenché la révolte
dans les banlieues françaises hideuses et sans âme.
THE INDEPENDENT
(Londres)
Liberté ? Les musulmanes françaises n'ont pas le droit de porter le foulard à l'école.
Egalité ? Les personnes de couleur ont deux fois plus de risque d'être au chômage.
Fraternité ? Le gouvernement français admet que les politiques d'Intégration ont échoué.
Réalité. Des émeutes éclatent pour la onzième nuit d'affilée.
Milliyet
(Istanbul)
L’interprétatlon d'Erdogaw à propos des violences à Paris.
Le Premier ministre a lié les événements de Paris à la question de l'intégration des immigrés
et a déclaré que l'Interdiction du voile dans les écoles a été un des facteurs qui a mis le feu
aux poudres.
DOCUMENT 9 - Le Figaro, 7 novembre 2005
Inquiétude et ironie à l'étranger
La presse européenne et américaine rend largement compte des violences des banlieues françaises
décennies durant fondé la conception qu'elle a d'elle-même
MORT du « modèle français » d'intégration, mises en
est en flammes », écrivait samedi la Frankfurter Allgemeine
garde aux touristes : la presse internationale, qui rend
Zeitung, tandis que le journal Berliner Zeitung faisait sa
largement compte des violences dans les banlieues,
« manchette » sur « une France sans fraternité ».
n'hésite pas à tirer des leçons sévères de ces événements.
En Italie, toute la presse a repris le cri lancé par
Ceux-ci faisaient encore ce week-end la une de la presse
Romano Prodi : « L'Italie n'est pas très différente de la
américaine, qui n'a pas mâché ses mots pour stigmatiser
France. Ce qui se passe dans la banlieue parisienne
l'impuissance du gouvernement français. Les chaînes de
arrivera chez nous tôt ou tard. » Dans Il Sole 24 Ore, le
télévision retransmettent largement les images des voitusociologue Marzio Barbagli, auteur de livres sur la
res qui flambent. « Paris brûle », a même annoncé ABC.
criminalité et l'immigration, estime que le risque se
Rappelant les termes employés par Nicolas Sarkozy, le
posera dans cinq à dix ans en Italie, quand la deuxième
New York Times relevait samedi que certains le blâment
génération de fils d'immigrés arrivera sur le marché du
d'avoir attisé la violence. « La France lutte depuis des
travail.
années devant une colère de plus en plus exprimée des
La presse africaine et du Maghreb répercute amplement
jeunes issus de la deuxième ou troisième génération d'imles événements qui secouent la banlieue parisienne. Son
migrés d'Afrique du Nord qui doivent faire face au chôjugement est souvent sans appel. « La France est en train
mage et à la marginalisation », souligne le quotidien.
de faire face aux conséquences d'une gestion catastrophi« Le modèle part en flammes »
que de trois générations d'immigration (...) qui ont connu la
Pour les médias les plus conservateurs, tels la télévision
marginalité et le racisme le plus primaire », écrit ainsi le quotiFox News ou le quotidien Washington Times, la France
dien algérien La Nouvelle République.
reçoit la monnaie de sa pièce pour avoir dénoncé les
En Israël, une référence, attendue, revient dans tous les
carences de l'Administration américaine face au cyclone
médias, qui décrivent une France « en proie à l'intifada ».
Katrina.
L'assimilation entre les banlieues françaises et le soulèLe ton est fort différent dans la presse européenne, pour
vement palestinien est déclinée tel un cliché, non sans une
laquelle les troubles dans les banlieues françaises sonnent
certaine amertume parfois. « De nombreux Israéliens se
comme un avertissement. En Espagne, La Vanguardia met
disent à propos des Français « ils l'ont mérité » pour la
en garde ses lecteurs : « Que personne ne se frotte les
manière injuste (NDLR : vis-à-vis d'Israël) dont ils ont réagi
mains, les bourrasques de l'automne français pourraient
durant l'Intifada, pour la compréhension qu'ils ont manifesêtre le prélude à un hiver européen. » Comme d'autres
tée face au terrorisme palestinien, et surtout pour leur refus
journaux, le quotidien catalan évoque « l'échec du modèle
de voir le problème musulman », souligne ainsi Sever
intégrationniste à la française ».
Plotzker, éditorialiste du Yédiot Aharonot.
En Allemagne, les grands journaux soulignent que c'est «
un modèle d'intégration » qui part « en flammes ». « Le
modèle d'intégration républicain sur lequel la France a des
DOCUMENT 10 - Libération, 15 novembre 2005
Stop à l'emballement de la machine médiatique, par Denis Muzet, président de l'Observatoire du débat public
La rhétorique des images et des mots, où la menace terroriste fait écho aux violences des banlieues, crée une dramaturgie dangereuse pour nos sociétés.
levier d'intérêt, d'un mécanisme d'implication du média-consommateur. Il
Avec les événements récents dans les banlieues, on assiste à un nouvel
s'agit non seulement de mettre le gouvernement sous la pression de
épisode du feuilleton bien connu de l'insécurité. Après les flambées de
l'urgence médiatique, mais aussi de redonner des enjeux, dans un
violence de Mantes-la-Jolie ou de Vaulx-en-Velin au début des années 90, et
monde désenchanté qui a le sentiment d'en manquer et qui tend à ne
après l'hiver de tous les dangers qui a précédé la présidentielle de 2002, les
parler que d'économie. Plus le monde dans lequel nous vivons se motélés nous rejouent le film Paris brûle-t-il ? Et on arrive, une fois de plus, à ce
dernise, s'accélère et se complexifie, plus l'existence d'objets simples et
point paroxysmique et dangereux où l'insécurité médiatique vient s'ajouter à
archaïques est nécessaire à sa représentation. Durant la période de
l'insécurité tout court.
notre histoire récente, la peur a rempli ce rôle de dramatisation et les
Depuis le début de l'année, les Français sont assaillis dans les médias
médias celui de dramaturges. Faute de proposer une autre dramaturgie,
par des menaces d'ordre lointain dont ils craignent de voir surgir les
la classe politique tout entière est soumise à cette thématique, forcée de
répercussions sur l'ordre proche : catastrophes naturelles, avec le
subir « l'emballement ».
tsunami d'Asie en début d'année, attentats terroristes à Londres en juillet,
Car ce qui s'est passé dans la banlieue parisienne est une nouvelle
cyclones aux Etats-Unis cet été, grippe aviaire cet automne... Les scènes
illustration de l'emballement médiatique. Au départ un fait divers : queld'émeutes dans les banlieues marquent le retour en force de l'insécurité
ques jeunes réagissent localement à un événement dramatique en
du coin de la rue. Avec ses différences - on n'est pas dans le fantasme,
mettant le feu à des voitures. Puis, progressivement et par effet d'écho,
ça brûle près de chez nous -, mais aussi ses points communs : comme
s'opèrent un renforcement et une extension, dans une ambiance
pour Al-Qaeda ou comme pour le virus H5 N1, l'important est d'être aux
médiatique générale, au travers de la duplication des images visuelles et
aguets et d'essayer d'anticiper la trajectoire du risque. Face aux
sonores. C'est l'emballement. Très vite, les médias, qui ont amorcé le
incendies qui, partout dans les villes de France, se répandent comme
phénomène, le voient leur échapper. Pire, ils sont instrumentalisés, en
une traînée de poudre, on veut savoir si son quartier, sa rue, sa voiture
particulier par les jeunes de ces cités. Dans une surenchère générale,
risquent d'être touchés. C'est sur cette angoisse majeure que s'accroche
déferle la compétition d'une ville à l'autre : nombre de voitures, de bus ou
d'abord l'intérêt pour l'information.
de lieux publics brûlés. Et les médias de compter les points, au nom de
L'Observatoire du débat public a forgé une expression pour décrire la
la vérité des faits et de la transparence. Entendons-nous bien. Il ne s'agit
représentation collective de notre pays, telle que les médias la construisent
pas de désigner ou de montrer du doigt tel ou tel média en particulier. Ce
aujourd'hui, et telle qu'ils l'avaient déjà construite entre le 11 septembre 2001
qui est en cause, c'est le système médiatique dans son ensemble, en ce
et le 21 avril 2002 (de la tuerie de Nanterre à la mort d'un père de famille
qu'il procède par accumulation : le média-consommateur se lève avec
d'Evreux, en passant par l'agression emblématique de « Papy Voise » à
les chiffres de la radio, il allume la télé et reçoit une nouvelle dose de
Orléans) : celle de champ de ruine. Ce qui se passe en France
brèves affolantes, il consulte les journaux ou va sur Internet, qui en
aujourd'hui confirme plus que jamais notre analyse(1). Certes, aujourd'hui
remettent une couche, au risque de nourrir ce que nous appelons « la
comme hier, ce ne sont pas les médias qui font l'insécurité. Ils
mal info ». La responsabilité est collective. Les médias le savent, qui sont
dépeignent le champ de ruine, souvent lourdement et avec
interpellés ; et certains réfléchissent à ce qui se passe, voire tentent de
complaisance, utilisant un marketing de la peur, et répondant en cela à
tracer un chemin étroit entre la nécessité d'informer librement et la maîune demande sociale de notre société du spectacle, sans distance,
trise des mots et des images, et de leurs conséquences sur les esprits.
jusqu'à stimuler la peur à leur tour. Ce n'est pas seulement une pression
Les dirigeants politiques, eux aussi, sont concernés et interpellés. Les
qui s'exerce, conduisant à multiplier les sujets qui traitent des
jeunes des cités, de culture cathodique, ont appris les leçons de la
événements des banlieues dans les JT ou à la une des journaux jusqu'à
télé-réalité. Ils savent parfaitement que, dans notre société médiatique,
saturation, c'est aussi toute une rhétorique qui se déploie, une rhétorique
n'existe que ce qui passe à la télé. Les images des voitures brûlées sur
de l'analogie et de l'amalgame. La télévision est en première ligne dans
les écrans donnent aux auteurs de ces actes le sentiment non
ce phénomène. Par son audience considérable - plus de douze millions
seulement d'exister, mais d'accéder à la parole et peut-être, quelque part,
de personnes regardent chaque soir un JT -, mais aussi parce qu'elle est
d'écrire l'histoire. La parole des banlieues, si longtemps refoulée et qui
une formidable machine à produire de l'analogie : un bus qui flambe sur
prend aujourd'hui le tour d'une parole-acte, brutale (quoi de plus spectale parking d'une de nos cités rappelle un bus qui brûle en Palestine ; une
culaire qu'un incendie ?), prend le statut de parole médiatique, et devient
école qui brûle dans une banlieue marseillaise évoque un bâtiment
de facto légitime. Elle fait irruption, par médias interposés, dans l'agenda
public qui brûle à Bagdad.
politique. L'Etat est obligé de la prendre en compte. Les pouvoirs publics lui
Mais la télévision n'est pas seule en cause. La rhétorique analogique
donnent même une légitimité quasi institutionnelle, en recevant à Matignon
galope aussi de façon impressionnante au travers des mots. Tel celui de
seize jeunes des cités, pour dialoguer avec le Premier ministre.
guerre civile qu'on lit dans la presse ou qu'on entend à la radio, au point
En ce début novembre, les jeunes des banlieues sont ainsi au centre de
de susciter des connexions fausses et largement fantasmatiques entre
l'information. Ils occupent les écrans et les ondes. Ils ont pris en otage
des événements qui ne sont pas reliés dans le réel, mais qui le devienl'agenda politique, et on ne peut qu'espérer qu'il en sortira de vraies
nent au plan symbolique. La machine médiatique n'a pas de frontières,
prises de conscience et de sages décisions. Et pendant ce temps, on ne
elle mélange dans son grand mixer d'images et de sons le proche et le
parle plus du chômage, de la privatisation d'EDF ou de la grippe aviaire.
lointain. L'accumulation opère comme une stimulation dramaturgique
Les jeunes des cités ont même fait davantage : ils ont fait bouger les
dans laquelle se font écho la menace terroriste, à l'échelle mondiale ou
lignes politiques dans notre pays, voire jusqu'aux pays étrangers, sous
dans le conflit israélo-palestinien, et la flambée de violence de nos banl'oeil desquels nous sommes désormais placés ; une autre découverte
lieues. Toutes ces visions - fondées sur des faits réels, bien entendu -,
de la globalisation. En convoquant coup sur coup le président de la
ont pour effet d'installer l'idée d'un pourrissement de notre société. Un
République et le Premier ministre à la télé, et en posant la question de la
thème dont chacun sait que l'extrême droite saura, le jour venu, tirer les
démission du ministre de l'Intérieur, ils réussissent, par une expression
bénéfices.
subversive et médiatique, à faire ce que la gauche, par la voie
Est donc ici posée, à nouveau, la question de la responsabilité médiatiinstitutionnelle et politique, ne parvient pas à faire depuis des années.
que. Ce qui se passe aujourd'hui dans les banlieues, et qui est relayé par
les télévisions et les médias en général, fonctionne à la manière d'un
(1) Cf. La France blessée. Sous la direction d'André Gattolin et François Miquet-Marty, Denoël, 2003.
DOCUMENT 11 - Libération, 11 novembre 2005
Un couvre-feu pour les médias ? par Daniel Schneidermann
Dire ou ne pas dire. Montrer ou cacher. Avec l'installation
possible, dans la durée, d'émeutes dans les banlieues
françaises, la réflexion sur les médias est déjà en train,
sans s'en rendre compte, de changer de catégorie. Etat de
crise, état d'urgence, peu importent les mots : déjà, dans la
gestion de l'information audiovisuelle comme dans celle de
l'ordre public, les têtes pensent en termes d'exception.
Pour l'écrasante majorité des journalistes d'aujourd'hui,
c'est une découverte. Lisons-la en détail, la fameuse loi de
1955 : « Prendre toutes mesures pour assurer le contrôle
de la presse et des publications de toute nature ainsi que
celui des émissions radiophoniques, des projections
cinématographiques et des représentations théâtrales. »
Censure, saisies de journaux, descentes de police au
marbre : comme elles paraissaient jaunies, toutes ces
images liées à l'impuissance de la quatrième République
devant la guerre d'Algérie. Les voilà donc qui resurgissent.
Mais à l'époque des blogs, des paraboles et des téléphones
portables.
Ne pas jeter d'huile sur le feu : alors que flambent les
écoles maternelles, l'objectif ne peut être rejeté d'un revers
de main. On peut brûler des voitures pour attirer l'attention
des médias, mais aussi pour passer à la télé, ou vendre de
belles images vidéo à des chaînes avides, nationales ou
étrangères. Si les troubles devaient s'aggraver, ou
simplement s'installer dans la durée, c'est aux médias qu'il
appartiendrait de créer leur propre espace, pour résister
aux tentatives liberticides de l'autorité politique, qu'on verra
mécaniquement resurgir. C'est pour les nouveaux médias,
que la douche sera la plus froide. Les poursuites contre
trois blogueurs qui avaient appelé aux émeutes en donnent
l'avant-goût. « L'Ile-de-France unissez-vous, et faites
cramer tous les keufs » : on peut comprendre que les
autorités fassent les gros yeux, et on aurait préféré que
l'hébergeur Skyblog y remédie de lui-même, avant que la
Justice s'en mêle. Quant aux grands journaux télévisés
français, chacun aura noté, surtout après quelques jours,
leur tonalité inhabituellement détachée. Pas d'envoyés
spéciaux essoufflés en direct devant la préfecture de
Bobigny ou le ministère de l'Intérieur, donnant en temps
réel le bilan des dégâts, et multipliant les interventions
creuses (« si vous en apprenez davantage avant la fin de
ce journal, n'hésitez pas nous rappeler »). L'information
électronique, pour le moment, a renoncé à l'immédiateté
aveugle qui la pollue habituellement, et tant mieux.
L'Elysée, comme l'affirme le Canard enchaîné, est-il
intervenu en ce sens auprès des chaînes ? On préférerait
évidemment que non.
Toute la difficulté consiste à ne pas confondre la liberté
d'informer avec celle de mettre en scène. Ainsi, la décision
du directeur de l'information de France 3, chaîne publique,
de ne plus livrer à ses téléspectateurs le nombre de
voitures brûlées chaque jour, laisse perplexe. La prudence,
d'accord. Ne pas abuser d'images des voitures qui brûlent,
d'accord. On sait comme elles réveillent des émotions
enfouies, des pulsions inavouables. L'image d'une voiture
en feu, c'est-à-dire en somme l'image du feu, est une
image qui crie. Elle ne parle pas, elle n'apprend rien, elle
crie. Elle ne produit aucun enseignement audible. Elle est
simplement assourdissante. Celle-là appelle légitimement
le couvre-feu. Allons plus loin. Il peut aussi paraître légitime, pour éviter de susciter de puériles émulations, de
cesser de citer les noms des cités où flambent les voitures,
comme semble l'avoir décidé France 2. Ces noms, en
eux-mêmes, n'apportent rien au public, et peuvent
provoquer des compétitions.
Mais un chiffre, c'est autre chose. Une information brute.
Quoi de moins émouvant qu'un chiffre ? Censurer un
chiffre, c'est cacher la vérité à l'état brut. Certes - soyons
honnêtes -, le chiffre peut aussi porter une surenchère
quotidienne. Cette étrange fébrilité, mi-angoisse
mi-exaltation, chaque matin au réveil, cette fascination
ambiguë pour le désastre (le record a-t-il été battu ?) nul
ne saurait jurer en être épargné.
Alors ? Alors il existe bien des manières de délivrer
l'information, sans la surcharger d'émotion. Les recettes,
pour les responsables de l'information télévisée, restent à
explorer. Ce chiffre, ce fameux chiffre, on peut le donner
sans le tambouriner, manière Téléthon, au premier rang du
sommaire du journal. On peut le citer dans le corps d'un
reportage, ou d'une phrase. On peut cesser de détailler les
résultats de la nuit cité par cité, ville par ville, en continuant
pourtant de donner le total. On peut décider que les reportages sur les victimes des dégâts, les images de ruines
froides et de l'accablement des victimes, précéderont systématiquement dans le menu du journal les flamboyants
reportages nocturnes au coeur de l'action. Autrement dit, il
urge d'explorer toutes les manières de donner toute l'information possible, mais rien d'autre que l'information.
Toute l'information, rien que l'information : cette boussolelà, après tout, n'est pas la plus insupportable. Après quoi,
la paix revenue, restera à voir comment les médias peuvent restituer à ces quartiers et à leurs habitants toute leur
place dans l'espace public. Ce qui est un tout autre problème.

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