Amateurs d`art contemporain africain, c`est le moment d - Magnin-A

Transcription

Amateurs d`art contemporain africain, c`est le moment d - Magnin-A
Amateurs d’art contemporain africain, c’est
le moment d’acheter !
Par Roxana Azimi (Londres, envoyée spéciale)
LE MONDE Le 05.10.2016 à 14h40
Bamako, 1963. Le « groupe de barbus » que feu le
photographe malien Malik Sidibe avait capturé n’a pas la
pilosité des djihadistes qui menacent aujourd’hui le Mali.
Normal, il s’agissait d’un groupe de chanteurs et musiciens
réputés. Le jeune couple que l’œil de Bamako saisit treize
ans plus tard sur une plage n’est guère plus inquiétant. Les
jeunes gens à peine pubères ont beau se toiser avec des
pierres, leur gestuelle relève moins de l’affrontement que
de la parade sexuelle.
Lire aussi : Les artistes africains sous le regard de l’Occident
Ce n’est pas le moindre mérite de la foire 1:54 que d’exposer en majesté l’un des maîtres de la
photographie africaine décédé au printemps, en ravivant un temps, pas si lointain, où les corps
1
répondaient plus volontiers au son du twist qu’à l’appel du muezzin. Et c’est là l’autre qualité
de ce salon créé voilà quatre ans par Touria Al-Glaoui : rompre avec les clichés et les plaies
qui plombent l’Afrique pour en montrer la diversité créative.
A 10 000 euros, un monde foisonnant qui s’ouvre
Si la foire a contribué à asseoir un marché pour les créateurs africains, elle ne tombe pas dans
la facilité. On y trouve certes des stars, comme le Soudanais Ibrahim Al-Salahi, dont un
diptyque est présenté pour 680 000 euros par la galerie londonienne Vigo. Mais le salon reste
avant tout un lieu de découvertes, où les amateurs lassés par les usual suspects occidentaux
peuvent sortir des sentiers battus sans se ruiner. Comptez à peine 850 euros pour les photos de
Girma Berta, un jeune Ethiopien de 26 ans fou d’Instagram repéré par une jeune galerie
d’Addis-Abeba, Addis Fine Art. Pour quelques centaines d’euros de plus, on peut emporter
les collages-palimpsestes de la Franco-Béninoise Leslie Amine sur le stand du centre d’art
Bandjoun Station, animé par l’artiste camerounais Barthélémy Toguo. Un effort
supplémentaire, et, pour moins de 10 000 euros, c’est tout un monde qui s’ouvre aux
amateurs : des dessins foisonnant de détails du Tunisien Slimen Elkamel chez Aïcha Gorgi,
aux feuilles gorgées de mystère de Franck Lundangi sur le stand de la Parisienne Anne de
Villepoix.
« Depuis janvier, les Nigérians viennent voir les expositions, mais ils n’achètent pas » Caline
Chagoury, galeriste à Lagos
Nous voilà bien loin des emballements de prix recensés par les rapports sur le marché de l’art
africain. Selon le dernier en date, pondu par le portail Barnebys, les tarifs des artistes africains
auraient été multipliés par cinq ou dix en une décennie. Derrière les effets de loupe, la réalité
se révèle plus contrastée. « On parle de 54 pays qui sont tous à des moments différents de leur
évolution », insiste Touria Al-Glaoui.
Prenez le cas du Nigeria. Le pays jouit d’un marché intérieur très fort. Trop fort peut-être, ce
qui a conduit les artistes à se reposer sur leurs lauriers. Or la chute du baril du pétrole a
fortement affecté l’économie et, a fortiori, l’appétit des amateurs. « Depuis janvier, les
Nigérians viennent voir les expositions, mais ils n’achètent pas, ce qui n’arrivait jamais
avant », confie la galeriste de Lagos Caline Chagoury, qui présente un solo show de l’artiste
helvéto-guinéenne Namsa Leuba.
2
Pour certains artistes du cru, habitués à voir leurs œuvres s’envoler à des prix insensés, la
douche est glacée. « A Lagos, les artistes nigérians ont eu l’habitude de vendre sans problème
leurs œuvres à 20 000 dollars. Mais une fois qu’ils se retrouvent en Occident, les gens qui ne
les connaissent pas ne voient pas pourquoi ils dépenseraient ne serait-ce que 5 000 dollars
pour leurs œuvres. Il faut que les Nigérians apprennent à réviser leurs prix quand ils sont
ailleurs que chez eux », estime l’artiste nigérian Victor Ehikhamenor qui, avec ses totems et
ses tentures mêlant passé et présent, jouit d’un solo show sur 1:54.
Pour les créateurs du Maghreb, la donne est différente : leur marché intérieur est faible, voire
inexistant. Signe des temps, plusieurs galeries tunisiennes et marocaines sont présentes pour
la première fois sur le salon. « Je sens que le vent tourne vers l’Afrique plutôt que vers le
monde arabe », admet Nadia Amor, directrice de l’Atelier 21 à Casablanca et habituée de la
foire d’art de Dubaï. « L’étiquette Afrique est plus solide, abonde sa consœur tunisienne Aïcha
Gorgi. A tort ou à raison, je n’ai jamais cru au mirage du marché arabe. En Afrique, ce n’est
pas l’argent qui a créé l’Histoire. L’Afrique est un berceau de l’Histoire. » Une histoire dont
le public occidental commence tout juste à prendre la mesure.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/10/05/amateurs-d-artcontemporain-africain-c-est-le-moment-dacheter_5008643_3212.html#k9TsdAVK4PuMIjAg.99
3