Fabien Granjon Mouvement «anti-mondialisation» et dispositifs de
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Fabien Granjon Mouvement «anti-mondialisation» et dispositifs de
Fabien Granjon France Télécom Recherche et Développement FRANCE Mouvement «anti-mondialisation» et dispositifs de communication sur réseaux NOTA BENE _________________________________________________________ L'accès aux textes des colloques panaméricain et 2001 Bogues est exclusivement réservé aux participants. Vous pouvez les consulter et les citer, en respectant les règles usuelles, mais non les reproduire. Le contenu des textes n'engage que la responsabilité de leur auteur, auteure. Access to the Panamerican and 2001 Bugs' conferences' papers is strictly reserved to the participants. You can read and quote them, according to standard rules, but not reproduce them. The content of the texts engages the responsability of their authors only. El acceso a los textos de los encuentros panamericano y 2001 Efectos es exclusivamente reservado a los participantes. Pueden consultar y citarlos, respetando las pautas usuales, pero no reproducirlos. 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Nous avions déjà tenté de souligner, lors de travaux antérieurs portant sur l’appropriation des plus récents réseaux télématiques par les mouvements sociaux français2, que les usages militants de l’Internet étaient en quelque sorte la traduction techno-logique des principes d’action caractéristiques d’une certaine critique sociale. Nous avions notamment essayé de montrer comment les technologies de l’Internet actualisaient certaines des modalités d’engagement propres aux nouvelles formes d’action politique. En ce sens, le réseau des réseaux pouvait être envisagé comme un investissement de forme adapté à certains des besoins et des injonctions du « néomilitantisme ». Toujours dans cette perspective d’étudier l'entre-définition de la technique et du sociopolitique dont l’importance a été maintes fois soulignée par la sociologie des usages ou certaines théories de l’action, nous voudrions, ici, prendre appui sur les observations et les enquêtes3 menées durant le second Forum Social Mondial (FSM 2002) qui s’est tenu du 31 janvier au 5 février 2002 à Porto Alegre (Rio Grande do Sul - Brésil). L’unique vocation de ce texte est de porter à l’attention du lecteur quelques pistes de réflexion qui semblent vouloir se dégager des terrains pour le moment effectués. Ces premières intuitions devraient notamment nous permettre, par la suite, de démontrer en quoi les dispositifs télématiques, largement utilisés par les acteurs de la critique sociale transnationale, peuvent structurer (sans toutefois les déterminer) certains éléments d’importance comme la réflexivité du mouvement, l’emboîtement des cadres de l’action collective ou encore la construction des identités militantes. Au sein d’un réseau transnational de militants, le sentiment d’appartenance peutil, par exemple, être créé ou soutenu par des agencements socio-techniques ne dépendant plus essentiellement de procédures formellement établies, mais davantage sur des dispositifs techniques dédiés, partagés par une partie des acteurs engagés dans un même réseau de protestation. Autrement dit, nous voudrions, à terme, montrer en quoi le recours aux 1 Ces recherches ont été initiées dans le cadre du programme PACTE/e-Human de France Télécom Recherche et Développement (FTR&D - France) portant sur les médiations citoyennes. Consacrées pour une bonne part aux usages d’Internet dans le monde des ONG, associations, mouvements sociaux et syndicats, elles mobilisent différents laboratoires universitaires français et étrangers. Nous remercions vivement les personnes participant à ces recherches de nous avoir permis d’utiliser certains des éléments d’analyse mis en lumière par leurs travaux : Christophe Aguiton, Dominique Cardon, Fanny Carmagnat, Benjamin Chevallier, Laurent Jesover, Marin Ledun, Patrick Paniez, Audrey Messin, Sylvie Tarozzi et Geneviève Vidal. 2 GRANJON, F., L’internet militant. Mouvement social et usages des réseaux télématiques, Apogée, Rennes, 2001. 3 Les principaux appareils de preuves mis en place sont les suivants : observations ethnographiques et entretiens effectués à Porto Alegre ; suivi détaillé des sites web d’instances militantes (ATTAC, Indymedia, Ciranda, Les Pénélopes, etc.) et de certaines entreprises de presse françaises (Libération, Le Monde, Témoignage Chrétien, Politis, etc.) ; observations des visioconférences réunissant Porto Alegre et la France, d’une part, et le FSM et World Economic Forum (WEF), d’autre part ; enfin, une étude spécifique du traitement de l’information militante en ligne, sur les listes de diffusion et dans les réunions militantes d’ATTAC en Île-de-France (observations et enquête par questionnaires). Colloque 2001 Bogues : Globalisme et Pluralisme – Montréal / 24-27 avril 2002 technologies de l’Internet contribue à l’émergence et au maintien de la critique sociale transnationale. Plus modestement et dans l’immédiat, nous souhaiterions présenter quelquesunes des « hypothèses » structurant nos cogitations sur le sujet. Après avoir effectué une brève remise en contexte de l’événement militant que constitue le second Forum Social Mondial, nous aborderons, forcément de façon partielle et provisoire, deux lignes d’analyse. Dans un premier temps, nous tenterons d’avancer quelques arguments afin de montrer qu’il est sans doute heuristique de placer au centre de l’analyse le fait que la morphologie du MAM soit foncièrement réticulaire. Le Forum Social Mondial serait ainsi un événement dont la forme même serait structurée comme un réseau. Ce premier point nous amènera à aborder, au travers de l’exemple de la production de l’information liée au FSM, la façon dont le réseau des réseaux peut être considéré comme un nouveau répertoire d’action de la critique sociale transnationale. Le Forum Social Mondial Le Forum Social Mondial, né de l’initiative des responsables associatifs brésiliens et soutenu par l’Association pour une Taxation des Transactions financières pour l’Aide aux Citoyens (ATTAC-France) se présente comme le contre-sommet « officiel » du mouvement « anti-mondialisation », en réponse au World Economic Forum (WEF). La seconde édition du FSM s’est donc logiquement tenue en contrepoint du WEF qui avait, cette année, établi ses quartiers à New York au Waldorf Astoria, du 29 janvier au 4 février 2002. Sa première édition, en 2001, s’était déroulée pendant le sommet de Davos (du 25 au 30 janvier 2001). Elle avait alors réuni, déjà à Porto Alegre, 4 702 délégués enregistrés officiellement (13 000 avec leurs proches) venus de plusieurs dizaines de pays4. Pour sa part, le FSM 2002 a mobilisé 51 350 participants venant de 131 pays différents5, 15 230 délégués issus de 4 909 organisations auxquels sont venus s’ajouter 3 054 journalistes et 11 600 jeunes de 52 pays. Pendant 5 jours, 700 ateliers et 100 conférences ont été organisés. La seconde édition du Forum Social Mondial apparaît ainsi comme un indicateur supplémentaire de l’émergence d’un mouvement contestataire de type transnational qui, depuis les manifestations de Seattle contre la réunion de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) fin 1999, ne manque aucune occasion de faire la démonstration en actes de sa présence et de sa vivacité6. A Porto Alegre, le MAM a donc pris la forme d’un rassemblement en présence de groupements militants considérablement hétérogènes de par leur taille, leur raison sociale, leur structure, leur origine géographique, leurs préoccupations, etc. Derrière le slogan unitaire « un autre monde est possible » se retrouvent en effet des mouvements extrêmement divers, agissant dans des domaines forts variés comme par exemple ceux de la lutte contre le libéralisme économique, de l’écologie, de la justice sociale, des luttes de libération nationales, du féminisme, du droit des peuples, des droits des jeunes, des luttes syndicales, etc. Toutefois, tous semblent avoir la volonté commune de construire ce que d’aucuns présentent comme une véritable « Internationale (sans nom) des résistances à la mondialisation capitaliste7 ». De 4 LUNEAU, G., « A Porto Alegre, pour une mondialisation différente », Le Monde Diplomatique, janvier 2002, n° 574, p. 2021. 5 Les quatre délégations les plus importantes étaient brésilienne, argentine, italienne et française. 6 Les mobilisations lors de la réunion du Fond Monétaire International et de la Banque Mondiale à Prague et celle du G8 à Gênes ont également été des temps particulièrement forts du mouvement « anti-mondialisation ». 7 AGUITON, C., BENSAÏD, D., « Seattle, Porto Alegre, Gênes. Mondialisation capitaliste et dominations impériales », Contre Temps, n° 2, Textuel, Paris, septembre 2001, p. 7-8. Colloque 2001 Bogues : Globalisme et Pluralisme – Montréal / 24-27 avril 2002 cette multitude8 bigarrée résulte, comme le précise Christophe Aguiton, « un mouvement dans lequel chacun s’inscrit avec son combat spécifique. Mais la nécessité de se lier aux autres s’impose très vite… (…) Même si les débats tactiques importants traversent ces différents mouvements, jamais les liens entre eux n’ont été aussi forts9 ». Une « affinité structurelle » Les formes de mobilisation qui se dégagent du MAM se donnent à voir comme des communautés d'action qui ne préexistent pas à l'engagement de ses membres et évoluent parallèlement aux projets de mobilisation. C'est dans une capacité collective à agir que les militants transnationaux attendent de voir se réaliser une identité qu'ils refusent pour partie de se voir assigner par avance. Le mouvement « anti-mondialisation » se manifeste ainsi dans la multiplicité des dispositifs militants transitoires et apparaît comme une succession d’initiatives contestataires qui s'imbriquent et se nourrissent mutuellement. Christophe Aguiton précise en ce sens : « Si l’on voulait résumer en un mot le défi majeur du mouvement à l’étape actuelle, ce serait celui des alliances, au niveau national comme au niveau international. (…) C’est un peu comme si se construisait une Internationale aux ramifications multiples, mais une Internationale sans nom, sans structures, dont le programme se réduirait à la somme des campagnes et des thèmes avancées lors des mobilisations. Cette alliance flexible, non hiérarchique, s’impose comme une nécessité fonctionnelle, tant pour coordonner les actions que pour mieux comprendre une réalité diversifiée, et surtout pour mettre consciemment l’accent sur les luttes des plus exploités su Sud10 ». Ce qui importe pour les acteurs de la critique sociale transnationale, c'est de maintenir un fort niveau d'activité11, c'est-à-dire de n'être jamais à cours de desseins à actualiser. Le mouvement « antimondialisation » se présente donc d'abord en actions. Pour les acteurs collectifs et individuels du MAM, il est important de s'insérer dans des réseaux transnationaux de militants12 afin d'augmenter leurs chances de rencontres avec d'autres acteurs dont la fréquentation est susceptible de renforcer des projets protestataires existants, ou bien d'engendrer d'autres projets. L'existence même des actions collectives protestataires transnationales dépend donc de processus de couplage mis en œuvre entre ceux que Sydney Tarrow définit comme des mouvements sociaux transnationaux 13. Pour être reconnus comme une composante essentielle du mouvement « anti-mondialisation », les collectifs modestes en taille ou en finances ont compris qu’il était particulièrement opportun de mutualiser leurs actions et leurs compétences. Les bases du rassemblement tendent ainsi à se renouveler selon des conceptions plus souples, plus ponctuelles et beaucoup moins centralisatrices. Le standard n'est plus le modèle syndical fusionnel, mais correspond plutôt au désir d'un appariement de nature plus opérationnelle ou 8 Sur le concept de multitude, voir HARDT, M., NEGRI, A., Empire, Exils, Paris, 2000. AGUITON, C., « L’International sans nom des résistances », ibid., p. 24-25. 10 Ibid., pp. 28 et 30. 11 Voir GRANJON, F., op. cit. 12 Pour Margaret Keck et Kathryn Sikkink un réseau transnational de militants est une forme organisationnelle qui « inclut des acteurs travaillant sur une question à l’échelle internationale, liés par des valeurs partagées, un discours commun et des échanges denses d’information et de services ». Voir KECK, M., SIKKINK, K., Activists Beyond Borders. Advocacy Networks in International Politics, Cornwell University Press, Ithaca, 1998. 13 C’est-à-dire des groupements « socialement mobilisé(s) ayant des membres dans au moins deux pays, engagé(s) dans une interaction soutenue de contestation avec les détenteurs du pouvoir d’au moins un pays autre que le sien, ou contre une institution internationale ou un acteur économique multinational »., TARROW, S., « La contestation transnationale », Cultures & Conflits, Sociologie de l’Europe. Mobilisations, élites et configurations institutionnelles, n° 38-39, été-automne 2000, http://www.revues.org /conflits/article.php 3?id_article=124, février 2002. 9 Colloque 2001 Bogues : Globalisme et Pluralisme – Montréal / 24-27 avril 2002 conjoncturelle. Au surplus, ces rapprochements ponctuels rendent compte également, au-delà de la porosité et du flou des frontières militantes, de la proximité et de la complémentarité des engagements qui se développent au sein du MAM. Le mouvement « anti-mondialisation » (une sorte de mouvement des mouvements) semble ainsi répondre à des caractéristiques structurelles identiques à celles qui fondent les caractéristiques sociotechniques du réseau des réseaux. Le MAM partage d’abord avec les plus récents réseaux télématiques, un imaginaire social dont les principes fondateurs sont réglés sur le mythe de l'auto-organisation de la société civile (que l’on imagine planétaire) et de la participation active des acteurs qui la constituent. Cette concomitance métaphorique qui opère d'abord sur des qualités supposées partagées s'avère toutefois importante dans la mesure où l'on sait que « l'insertion sociale d'une NTIC, son intégration à la quotidienneté des usagers, dépend moins (au moins dans un premier temps) de ses qualités techniques ‘intrinsèques’, de ses performances et de sa sophistication que des significations d'usage projetées et construites par les usagers sur le dispositif technique qui leur est présenté14 ». Si l'Internet, appréhendé comme outil parfaitement adapté au militantisme transnational, apparaît en première instance, comme un support de fantasmes, cela n'empêche en aucune façon qu'il soit aussi à l'origine de la stabilisation d'une certaine conscience du collectif15 « antimondialisation ». La forme réticulaire du réseau des réseaux entretiendrait ainsi une sorte d’« affinité structurelle » avec le MAM, peu structuré, engagé dans des logiques de projets, fortement mobile dans le choix de ses cibles et de ses modes d’actions ; cette (nouvelle) forme d’action critique entretenant elle-même une relation d’isomorphie avec l’objet qu’elle entend combattre, i.e. un capitalisme mondialisé et mobile16. Cette « affinité structurelle » peut se remarquer dans le déroulement même du second Forum Social Mondial. Le FSM se présente en effet comme une espèce d’événement-réseau foncièrement proliférant, susceptible de révéler l’émergence de formes de démocratie « autrement représentatives ». Au même instant, il se passe quelque chose dans les salles de réunion de tous les grands hôtels de Porto Alegre, dans les centaines de pièces de l’université catholique (la PUC ), mais aussi au camp de jeunes du Parque da Harmonia, dans le gymnase de la brigade militaire, dans le grand théâtre du parc de la ville, dans le centre culturel du Gazomètre, dans les fermes modèles des paysans sans terre, dans les rues accueillant manifestations officielles et défilés spontanés, dans les taxis et les bus qui déplacent les personnes d’un point à un autre de la ville. Le Forum Social Mondial occupe Porto Alegre et c’est la ville elle-même qui constitue le véritable territoire du forum, support d’une gigantesque conversation internationale et éclectique. Il est ainsi ouvert à toutes (ou presque toutes) les connexions possibles et le tissage des liens est de moins en moins indexé au préalable des appartenances militantes. Il est ainsi très remarquable de lire en haut de toutes les pages du programme officiel : « Toutes ces activités (le matin, l’après-midi, le soir) sont ouvertes à tous les représentants et les observateurs » et de remarquer, de facto, à quel point, dans les couloirs de la PUC, l’accessibilité des personnes les unes envers les autres peut être fort. La co-occurrence des micro-événements est par ailleurs redoublée par l’extrême diversité 14 MALLEIN, P., TOUSSAINT, Y., « L'intégration sociale des technologies d'information et de communication : une sociologie des usages », Technologies de l'Information et Société, vol. 6, n° 4, 1994, p. 318. 15 DODIER, N., « Les appuis conventionnels de l'action. Eléments de pragmatique sociologique », Réseaux, n° 62, CNET, Issy-les-Moulineaux, 1993, p. 78. 16 Voir BOLTANSKI, L., CHIAPELLO, E., Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, Paris, 1999. Colloque 2001 Bogues : Globalisme et Pluralisme – Montréal / 24-27 avril 2002 de leurs formes. Il est frappant de constater la diversité des régimes d’action qui sont proposés aux participants : conférence d’une personnalité devant des milliers d’auditeurs, assemblée délibérante de personnes accroupies en cercle dans le campement des jeunes, atelier-débats ou commission d’experts dans les salles de la PUC, conférence de presse dans les salles de réunion de l’hôtel Plaza Sao Rael, Tribunal de la dette dans le grand théâtre du Parc Municipal, participation à la rédaction coopérative de « l’appel des mouvements sociaux17 » dans les amphithéâtres de la faculté, etc. De façon temporellement très rapprochée, il est donc possible de passer d’une conférence à une manifestation, d’un débat d’experts à une discussion militante, d’une position d’auditeur à une position d’orateur, d’un discours objectivant et distancié à une parole affective et émouvante, etc. Le FSM répond donc foncièrement à un principe d’hétérogénéité car il offre aux acteurs du MAM toute une diversité d’agencements collectifs d’énonciation, c’est-à-dire un choix varié de formats d’engagement, de participation et de délibération18. Hétérogène, multiple, il fonctionne plutôt à l’intégration et accueille facilement ceux qui s’y rendent sans les enfermer au sein de formats de mobilisation contraignants. En dépit de l’extrême hétérogénéité des acteurs, tout est également fait pour éviter une confrontation conflictuelle des points de vue. Les ateliers et les séminaires du FSM ne sont pas constitués autour de problématiques mettant en tension des prises de position franchement contradictoires entre groupes ou réseaux militants. De façon générale, ces possibilités de conflit, sans être ignorées, sont assez systématiquement contournées ou relativisées. La contradiction est dans un extérieur lointain, celui du WEF et des acteurs de la mondialisation libérale. Le Forum Social Mondial préserve ainsi une relative indétermination des statuts, ce qui permet de passer facilement d’un état de participant à un statut de spectateur. Cette propriété décisive de la forme événement-réseau qu’est la diversité répond à l’exigence de ne pas marquer trop frontalement des différences entre les participants (spectateurs/militants/orateurs/ animateurs/personnalités/visiteurs, etc.). La seule différence de statut dans les accréditations distingue en fait les délégués (membre d’une association représentée au Forum), les observateurs et la presse. Or dans les faits, ces distinctions n’ont pas une réalité très marquée (sauf pour l’accès à la salle de presse réservé aux journalistes, mais là aussi aucune carte de presse n’est réclamée). De façon très symptomatique, la petite salle des VIP, seule concession au vedettariat puisque réservée à quelques intervenants de passage (hommes politiques brésiliens, prix Nobel, etc.) sera in fine prise d’assaut par de jeunes libertaires le dernier jour du FSM. La forme du FSM l’oppose donc assez sensiblement à d’autres types de grands événements publics, tel que le WEF qui présente toute une série de frontières et d’espaces clos qui en font un événement hiérarchique avec ses règles rigoureuses d’attribution des accréditations, ses zones ouvertes différentiellement à des cercles de participants soigneusement identifiés, ses séparations rituelles, etc. Au regard d’autres 17 Appel des mouvements sociaux. Résistance au néolibéralisme, à la guerre et au militarisme : pour la paix et la justice sociale, http://www.attac.org/fsm2002/0502/doc/declarationfr.htm, février 2002. 18 « L’éventail des réseaux et des organisations convergeant dans les mobilisations et les campagnes est particulièrement large tant sur le terrain idéologique, que dans le domaine des objectifs et des méthodes. Naomi Klein décrit avec pertinence ces coalitions sociales sous le terme de ‘nuée de moustiques’. Il n’en est que plus nécessaire d’établir les orientations aptes à faire converger les différentes composantes, en particulier les secteurs jeunes les plus combatifs et le reste des mouvements sociaux. Cela passe par des alliances flexibles, des formes de coordination unitaires, et des campagnes où chacun trouve sa place, qui ne brident pas les mouvement de la jeunesse. Il s’agit, autrement dit, de combiner et de diversifier les formes de militantisme (action directe, manifestations de masse, débats programmatiques, etc.) non pour qu’elles se concurrencent, mais pour qu’elles se renforcent mutuellement. », ATENTAS, J.-M., « La jeunesse face à la globalisation capitaliste », Contre Temps, op. cit., p. 43-44. Colloque 2001 Bogues : Globalisme et Pluralisme – Montréal / 24-27 avril 2002 manières d’organiser des événements (militants), l’événement-réseau peut se définir comme une tentative de dépassement du modèle officiel/officieux, in/off qui caractérise les événements-hiérarchiques et centralisés. S’il existe effectivement un Comité organisateur, il n’exerce aucune autorité forte sur le déroulement concret du Forum Social Mondial. Il ne cherche pas à monopoliser l’information sur l’événement (largement distribuée) et se laisse délibérément « déborder » par les initiatives des acteurs. Il est à cet égard particulièrement significatif de constater qu’un nombre important de participants a effectué des enregistrements personnels (films, photos, enregistrements sonores). Outre les « enregistrements-souvenirs » personnels, trace d’une participation individuelle, beaucoup des militants présents étaient également investis d’une mission de restitution du vécu de l’événement dans leurs cercles militants respectifs. Cette particularité nous amène à évoquer notre second point : les modes de production de l’information liée au FSM. La production de l’information liée au FSM Depuis le rapport Nora-Minc sur l'informatisation de la société19, on s'accorde à voir dans les réseaux télématiques un support technique permettant aux forces de la société civile de pouvoir pleinement participer à leur représentation et à l'expression de leurs mécontentements. Dans un contexte où la mobilisation du consensus20 et la dimension symbolique des luttes revêtent une importance fondamentale, le travail volontaire de mise en scène et de production directe d'une représentation de ses propres intérêts est effectivement primordial. Le Forum Social Mondial participe bien évidemment pleinement de cette revendication d’une appropriation citoyenne des moyens de communication passant par un engagement direct dans la production autonome d’informations (ouvrir à tous et à chacun les possibilités de s’exprimer et de rendre compte de l’événement). Ce thème a ainsi été très présent dans de nombreux ateliers, notamment lors du séminaire traitant de l’appropriation et du contrôle des TIC par la société civile21. Certaines organisations du mouvement « anti-mondialisation » ont même vu le jour essentiellement au seul motif de ne pas abandonner le contrôle des structures d'interprétation aux médias de masse. En créant des sites web et en prenant appui sur des listes de diffusion, ces structures « média-activistes », généralement d’obédience libertaire, visent à redéfinir au profit de la critique sociale transnationale l’identité sociale du MAM et à ne pas laisser le monopole des représentations officielles et des cadres de perception de l'injustice aux seuls médias de masse. On peut ainsi lire sur le site français d’Indymedia (Independent Media Center22) : « Le réseau Independent Media Center est une agence de presse collectivement gérée, pour créer des supports de communication radicaux et passionnés. Nous travaillons d'une façon militante pour parler de ceux qui veulent changer le monde en l'améliorant et qui doivent faire face à des médias qui déforment leurs actions ou craignent de couvrir les efforts de ceux qui ont fait le choix d'agir pour une humanité plus libre. Le réseau Independent Media Center est né pour couvrir les contre-manifestations de Seattle en 1999. Aujourd'hui, nous pouvons être présents partout dans le Monde. Aux USA, en France, à Prague, au Mexique, au 19 NORA, S., MINC, A., L’informatisation de la société, La Documentation française/Seuil, Paris, 1978. La mobilisation du consensus est « le processus à travers lequel un mouvement social essaie d’obtenir un soutien à son point de vue. », KLANDERMANS, B., « Mobilization and Participation : Social-Psychological Expansions of Resource Mobilization Theory » », American Sociological Review, 49, 5, 1984, p. 586. 21 . Ce séminaire a été organisé par ATTAC-France, VECAM et l’AMARC. 22 http://www.indymedia.org/, février 2002. 20 Colloque 2001 Bogues : Globalisme et Pluralisme – Montréal / 24-27 avril 2002 Congo...23 ». Tant pour Indymedia que pour CMAQ24 (nous ne citons là que les groupements les plus connus 25) la production de l’information réclame a minima un principe de publication ouverte (open publishing) permettant à l’ensemble des individus qui le désirent de publier en ligne, quasi-instantanément et en différentes langues, tout type de documents (textes, sons, images fixes ou animées). Rédacteurs indépendants refusant toute légitimité aux informations qui répondraient à des impératifs éditoriaux édictés par des organisations politiques ou des entreprises de presse commerciales, les « média-activistes » considèrent qu’il est impératif de dire le sens en lieu et place des intermédiaires convenus. Dans cette optique, fournir ses propres cadres d'interprétation et devenir prescripteur d'opinion nécessite nécessairement d'entrer en concurrence avec les structures médiatiques traditionnelles. Comme l’indique le slogan de la Ciranda (la Farandole Internationale de l'Information Indépendante) : « Pour qu'un autre monde soit possible, il faut réinventer le journalisme indépendant26 ». Néanmoins, devenir à la fois producteur et diffuseur d'informations n'est pas forcément synonyme d'une défiance totale vis-à-vis des médias. Si les technologies de l'Internet sont utilisées dans l'objectif de créer des tribunes d'expression dégagées des contraintes inhérentes aux circuits classiques de production et de diffusion de l'information, elles sont également appréhendées comme support d'espaces symboliques en construction auxquels peuvent éventuellement prendre part certains des acteurs du champ journalistique. C’est précisément ce que propose la Farandole Internationale de l'Information Indépendante à laquelle se sont inscrits plus de cinq cents individus appartenant à plus de trois cents organisations dont certaines sont des entreprises de presse écrite ou audiovisuelle27. Les militants du mouvement « anti-mondialisation » savent pertinemment que le principal forum où sont couvertes et mises en scène leurs actions protestataires reste les médias traditionnels. L'accès aux faveurs de l'opinion publique et l'assurance d'une visibilité maximum nécessitent un ticket d'entrée qui passe nécessairement par des stratégies d'intéressement si ce n'est une « collaboration » avec 23 http://france.indymedia.org/about.php3, février 2002. http://www.cmaq.net/, février 2002. 25 Outre le réseau d’Indymedia, les organisations « média-activistes » sont de plus en plus nombreuses : Free Speech TV (FSTV), Protest.Net, Paper Tiger TV, World Trade Watch Radio, Adbusters, A-Infos News Service, Asian Pacific Environmental Exchange (APEX), Counter Media (Chicago), Homeless News Network, Institute for Agriculture and Trade Policy (IATP), Seattle Independent Media Coalition, Tao Communications, etc. 26 « Il est probable que le besoin de bâtir des alternatives au journalisme de marché n'ait jamais été aussi dramatique que maintenant que nous sommes à la veille de l'ouverture du IIe Forum Social Mondial. Conçue comme la possibilité réelle d'être un mécanisme pour l'approfondissement de la démocratie, la possibilité d'information pour la société et pour contribuer à l'émancipation des citoyens, la presse est devenue une institution soumise au pouvoir et manipulée par lui selon ses besoins. », http://www.ciranda.net/, février 2002. 27 « La proposition que nous faisons est ouverte aux publications et aux journalistes (rédacteurs, employés de l'audiovisuel, photographes) qui résistent à la pensée unique et qui ont l'envie de construire une presse capable de participer, dans le domaine capital de la communication, à la bataille pour la transformation de la société. (…) Chaque publication qui y participera (à la Ciranda) aura une totale autonomie pour décider des thèmes et de la production des textes et photos souhaités, selon ses propres objectifs éditoriaux, mais pourra, en plus, reproduire, sans aucun frais, les textes de toutes les autres. Nous demandons, en contrepartie, que chaque publication adhérente à la Ciranda offre le travail de ses propres journalistes aux autres publications participantes. Le matériel produit servira comme un fond pour le travail de tous les autres journalistes présents à Porto Alegre. Pour atteindre cet objectif, la IIe Ciranda part de l'expérience acquise de la Ciranda 2001, qui a rassemblé des dizaines de journalistes lors du Ier Forum Social Mondial. Elle transposera dans le domaine du journalisme le concept qui a permis le grand développement, ces dernières années, de ce qu'on appelle le "logiciel libre": le copyleft (mot qui permet un jeu de mots: Left, en anglais, veut dire la gauche et est aussi le participe passé des verbes lâcher, libérer, livrer). Pendant l'année 2002, nous allons construire un nouveau site, qui sera approvisionné par le programme Publique ! Développé par l'entreprise 'Fábrica Digital', une entreprise brésilienne née au Laboratoire d'Informatique de l'Universidade Católica de Rio de Janeiro. Pour l'employer il ne faut pas avoir de connaissances spécifiques d'informatique : il suffit de savoir naviguer sur la toile mondiale des ordinateurs et de suivre un stage qui ne prend pas plus que deux heures. », http://www.ciranda.net/publique/cgi/public/cgilua.exe/ web/templates/htm/0frances/view.htm?infoid=13&user=reader&editionsectionid=2, février 2002. 24 Colloque 2001 Bogues : Globalisme et Pluralisme – Montréal / 24-27 avril 2002 certains des médias de masse (plus de 3 000 journalistes ont été ainsi accrédités lors du FSM 2002). Sur ce même principe collaboratif, ATTAC-France a également mis en place un dispositif d’information particulièrement efficace, en coordination avec des médias « amis » (dont certains sont membres fondateurs de l’association) à la fois francophones (Mediasol, Politis, Témoignage Chrétien, Apress, Recto Verso, Les Pénélopes, Le Courrier de Genève, etc.) et italiens (Radio Gap, Amisnet), comprenant une trentaine d’individus. Une dizaine de ces personnes ont permis la production d’articles, de reportages photo, de compte-rendus et d’entretiens audio. Si certains de ces rédacteurs étaient journalistes au sein des organes de presse cités plus haut ou membre du bureau d’ATTAC-France, d’autres, militants « de base », bénéficiaient d’une bourse offerte par l’association dont on peut dire qu’elle constituait une forme de rétribution symbolique particulièrement valorisante. Fonctionnant peu ou prou sur le modèle de la production journalistique, les impératifs de la ligne éditoriale sont, ici, bien évidemment nettement plus politiques. Se situant sur une frontière intermédiaire, entre presse professionnelle et libertaire, le « modèle militant » refuse notamment de définir des critères de compétence ou de professionnalisation dans le traitement de l’information. Cependant, dans la pratique, des hiérarchies implicites apparaissent pour discriminer bons et mauvais papiers, bonnes et mauvaises manières de traiter l’information. Outre les reportages écrits et les documents d’expertise produits par certains des intervenants des conférences plénières, des entretiens audio ont été également réalisés, notamment avec l’aide des radios italiennes participant au dispositif. La diffusion de cette production militante d’information a été réalisée par le biais de pages web entièrement dédiées à cet effet et hébergées sur le site d’ATTACFrance28. Ce mode de production de l’information n’a été rendu possible que par la mobilisation (en France, en Italie et dans quelques autres pays) de militants (webmasters et traducteurs) qui, à distance, travaillaient sur la mise en ligne des données et assuraient la construction nécessaires des pages web. Les informations mises en ligne ont été également annoncées quotidiennement sur différentes listes de diffusion de l’organisation (Grain de Sable, Sand in the Wheels, Granello di sabbia29) au moyen d’un bulletin spécifique intitulé FSM-direct. L’on notera par ailleurs que si dans les premiers temps de l’Internet militant le courrier électronique et les listes de diffusion se présentaient comme les interfaces privilégiées de l’action militante en ligne, il semblerait qu’aujourd’hui le World Wide Web ait pris beaucoup plus d’importance. Outre la circulation de l’information, la nécessité d’une capitalisation rapide des données produites par le « militantisme cognitif » (notamment l’expertise et la contre-expertise) semble avoir révélé le web comme une interface particulièrement utile. Aux logiques de mise en circulation viennent donc s’ajouter des dynamiques d’accrétion de l’information. 28 http://www.attac.org/fsm2002/, février 2002. Le site « FSM 2002 » a enregistré en moyenne, par jour, 176 331 connexions et 38 637 pages ont été téléchargées. Le maximum enregistré pour certaines journées a été : 235 853 connexions et 52 724 pages téléchargées. La répartition géographique des connexions effectuées à partir de 104 pays différents durant 5 jours se distribue de la manière suivante : France : 34 % ; Italie : 8 % ; Belgique : 3 % ; Espagne : 3 % ; Canada : 2 % ; Suisse : 2 % ; Allemagne : 2 %. 22 % des serveurs restent inconnus et 17 % des connexions se font à partir de domaines internationaux (.com, .net, etc.). Le nombre de connexions au site d’ATTAC a doublé durant la tenue du Forum Social Mondial. 29 La lettre d’information Le Grain de Sable a gagné 1 000 abonnés entre le 1er février et le 8 février pour un total de 50 700 abonnés. La version anglophone (Sand in the Wheels) et la version italienne (Granello di sabbia) ont respectivement vu leurs effectifs croître de 300 et de 1 100 abonnés. Colloque 2001 Bogues : Globalisme et Pluralisme – Montréal / 24-27 avril 2002 Dans le cas du Forum Social Mondial, les technologies de l’Internet ont donc été le support de « nouveaux » modes de production de l’information. Elles ont ouvert la possibilité de publier à un nombre d’acteurs plus important, elles ont parfois favorisé une coopération plus souple entre les diverses instance médiatiques, elles ont autorisé des modes de publication multimédia et elles ont participé au développement d’une logique de traduction et de circulation entre aires culturelles et nationales différentes. Couplées à des dispositifs de communication telles que les visioconférences30, elles ont également permis d’étendre le territoire des événements publics aux absents et aux éloignés. Comme l’a souligné Daniel Gaxie : « Une organisation de masse reposant sur le militantisme ne peut (…) subsister que si elle fonctionne de façon continue à un rythme assez voisin de celui qu’il est nécessaire d’atteindre dans les hautes conjonctures. Accepter que le militantisme se ralentisse, c’est interrompre les satisfactions qui en sont retirées et risquer à terme de perdre des adhérents31 ». Pour le mouvement « anti-mondialisation », cette exigence de fonctionner à un rythme soutenu (constituer un agenda et organiser de grandes mobilisations) se double d’un autre impératif qui est celui de trouver un moyen d’impliquer les militants qui ne peuvent bénéficier des rétributions propres à une participation en présence. Les militants des groupements participant au Forum Social Mondial ne peuvent bien évidemment pas tous se déplacer à Porto Alegre. Il est néanmoins important que ceux-ci puissent participer de ce sentiment identitaire de proximité qui semble être commun à l’ensemble des militants présents au FSM, qui, parce qu’ils sont présents au même moment dans un même lieu, partagent un « êtreensemble » se constituant à partir d’une expérience commune (par l’expérience et le dépassement des particularismes dans l’action). Les actions militantes locales en lien avec le Forum Social Mondial sont à cet égard particulièrement importantes car, en tant que le lieu d’actualisation d’un « faire-ensemble », elles rendent « empiriquement crédibles » des mobilisations organisées à des niveaux d’échelle différents. Elles tendent ainsi à prouver aux acteurs extérieurs aux mobilisations internationales l’adéquation des expériences32 locales avec les grands moments du mouvement « anti-mondialisation ». A travers des interfaces variées tels que les visioconférences, les listes de diffusion, le courrier électronique et le web, il est également possible d’entretenir une relation synchrone et asynchrone avec un public distribué et étendu tout en maintenant – au moins potentiellement – des possibilités d’interactions bilatérales interdites par les outils traditionnels de couverture journalistique de l’événement. Tout acteur collectif de type protestataire opère sur une continuum composé d’au moins deux sphères : d’une part, un espace commun lieu de constitution d’un « êtreensemble » qui « s’élabore depuis des expériences de mondes privées, singulières, toujours particulières, et qui s’énoncent selon des modes plus ou moins idiosyncrasiques33 » ; et 30 L'usage des vidéoconférences a été une des nouveautés du second Forum social mondial. Lors de la première édition, un débat télévisé avec Davos avait déjà été réalisé via une liaison par satellite. Cette année, de nombreuses visioconférences ont été organisées, grâce à des liaisons ISDN à coûts abordables. La souplesse de l'outil et la diversité des usages possibles permettent de penser que cette technologie a des perspectives importantes. Dès la séance inaugurale du Forum, une première vidéoconférence a été montée avec New York. L'objectif symbolique étant de montrer la communauté de préoccupations et de revendications entre les participants du FSM et les syndicats et ONG américaines manifestant à New York face au WEF. Une deuxième visioconférence a été organisée le deuxième jour au matin avec Paris. Le soir même a eu lieu un « débat » entre des militants présents à Porto Alegre et d'autres restés en France, à Lyon et Aubagne (également retransmis en streaming sur le site web de Voilà). Enfin, une troisième visioconférence a mis de nouveau en lien les militants présents à Porto Alegre et ceux de New York. 31 GAXIE, D., « Economie des partis et rétributions du militantisme », Revue française de science politique, 1977, p. 149. 32 Sur ce sujet, voir SNOW, D., BENFORD, R., « Ideology, Frame Resonance and Participation Mobilization », International Social Movement Research, 1, 1998, p. 197-217. 33 TASSIN, E., « Espace commun ou espace public ? L’antagonisme de la communauté et de la publicité », Hermès, n° 10, 1991, p. 34. Colloque 2001 Bogues : Globalisme et Pluralisme – Montréal / 24-27 avril 2002 d’autre part, un espace public où circule de l’information et se déploient des échanges permettant le « maintient de la communauté à distance d’elle-même34 ». Le couplage structurel de ces deux sphères est la condition de possibilité de la constitution d’une communauté politique efficiente permettant « à chacun des membres du groupe de mobilisation une maîtrise symbolique de la situation en proposant une réponse à la triple question suivante : qui sommes-nous ? contre qui nous battons-nous ? au nom de quoi ?35 ». Sur ces deux axes, et pour que le Forum Social Mondial soit effectivement un « processus permanent de recherche et d'élaboration d'alternatives, qui ne se réduise pas aux manifestations sur lesquelles il s'appuie36 », le recours aux TIC devient une ressource essentielle. Conclusion L'édification de réseaux militants dépassant les frontières nationales pose ainsi aux nouveaux entrepreneurs mondiaux de mobilisation une série de questions autour des formes de l'action collective, des coûts de la mobilisation, de la structuration et de l'entretien d'une organisation multipolaire. A cet égard, il n’est pas étonnant de constater que les réseaux de luttes contre la gestion néo-libérale de la mondialisation ont développé un usage précoce et décisif de l’Internet. Tout semble montrer que le mouvement « anti-mondialisation » a su s’approprier plus tôt et de façon plus intensive que le associations et syndicats nationaux, les dispositifs de communication sur réseaux. L'Internet est très rapidement apparu comme le dispositif technique permettant une amélioration non négligeable des performances organisationnelles des sujets collectifs. Les principales grandes actions « antimondialisation » n'auraient pu ainsi prendre corps sans l'appui logistique apportés par les réseaux télématiques, tant d'ailleurs dans la phase d'initialisation des contacts que dans celle de l'organisation des événements. Géographiquement séparés et n'ayant que rarement l'occasion de se rencontrer en dehors des grands rassemblements sporadiques qu'ils coordonnent ou auxquels ils participent, les échanges de courrier électronique permettent aux militants et entrepreneurs de mobilisation du MAM de transmettre régulièrement des informations et de créer des « ateliers virtuels » sur la base desquels sont discutées et préparées les mobilisations et les réunions de terrain. Les technologies de l’Internet semblent donc fournir de nouveaux appuis logistiques utiles à l’action militante transnationale. Elles entraînent vraisemblablement l'instauration de nouvelles modalités du procès de travail, d’autres modes coopératifs de production, de circulation et de consommation des savoirs militants, ainsi que d’autres modes de gestion des compétences. Une des spécificités de la communication sur réseau est ainsi de mettre en lien des personnes qui appartiennent à des espaces sociaux (et géographiques) dissemblables mais connectés à des ensembles techniques identiques. L’Internet créerait alors, selon les termes de Nicolas Dodier, une espèce de solidarité technique, c'est-à-dire une « forme de liens entre les êtres créée par le fonctionnement des ensembles techniques37 » qui pourrait conduire au réagencement des modalités du concernement et des cadres de l’engagement. Ce lien entre nouveaux dispositifs 34 Ibid., p. 24. MANN, P., L’action collective. Mobilisation et organisation des minorités actives, Armand Colin, Paris, 1991, p. 116. 36 Second point de la « Charte des principes du Forum Social Mondial », http://www.forumsocialmundial.org.br/fra/qcartas .asp, février 2002. 37 DODIER, N., Les hommes et les machines. La conscience collective dans les sociétés technicisées., Métailié, Paris, 1995, p.14. 35 Colloque 2001 Bogues : Globalisme et Pluralisme – Montréal / 24-27 avril 2002 d'écriture et de communication et certaines formes d'activation de notre espace public nous invite à prendre au sérieux les conjonctions entre formes politiques et moyens de communication. Colloque 2001 Bogues : Globalisme et Pluralisme – Montréal / 24-27 avril 2002 Bibliographie BOLTANSKI, L., CHIAPELLO, E., Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, Paris, 1999. CONTRE TEMPS, n° 2, Textuel, Paris, septembre 2001. DODIER, N., « Les appuis conventionnels de l'action. Eléments de pragmatique sociologique », Réseaux, n° 62, CNET, Issy-les-Moulineaux, 1993, p. 63-85. DODIER, N., Les hommes et les machines. La conscience collective dans les sociétés technicisées., Métailié, Paris, 1995. GAXIE, D., « Economie des partis et rétributions du militantisme », Revue française de science politique, 1977, p. 123-154. 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