Document de Master - Les Hortillonnages Visiteurs, Propriétaires et

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Document de Master - Les Hortillonnages Visiteurs, Propriétaires et
Master de recherche
« Théories et démarches du projet de paysage »
Hortillons et patrimonialisation des hortillonnages
Glissement d'un paysage agri-culturel vers un paysage politique
George Dimitri Salameh
Présenté et soutenu le 11 Septembre 2012 à l'E.N.S.P. de Versailles
Sous la direction de M. Pierre Donadieu et M. Roland Vidal
Remerciements
Aux hortillons qui m'ont ouvert leurs aires et leur cœur :
tchot Daniel et tchot Mathieu, tchot Francis, tchot Paco, tchotte
Thérèse et tchot René, tchot Alain, tchot Bernard et tchot Jean-Pierre.
À tous les Amiénois et à la Maison de la Culture d'Amiens.
À Pierre Donadieu et Roland Vidal, mes directeurs de mémoire
qui ont su me guider, m'encourager et me soutenir.
À ma famille et à mes amis sans lesquels je ne percevrais pas le
monde de la même façon : Nicole, Dimi, Maurice, Dominique,
Reine, Julien, Kelly, Lama, Fouad, Charles, Aram, Mark, Raja,
Jean-Pierre, Chakif, Arnaud, Julie et Guy, Damien, Bedros ...
En un mot comme en cent, merci.
À mes grands-parents, Maurice, Reine, Hélène et George
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Hortillonnages Amiens 2012
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Page de garde (ci-contre) et note d'intention (ci-dessous) de ma candidature (retenue, avant d'être
reportée à l'année suivante, suite à une coupure du budget), pour le festival « Hortillonnages
Amiens 2012 » organisé par la Maison de la Culture d'Amiens. C'est donc d'abord à travers ce
mémoire de master que je vais approfondir ma connaissance de ce territoire...
Note d’intention
Un peu comme ils parcourent les lettres parsemées sur la page de garde de cette note, nos yeux, outil du regard, cherchent en permanence à organiser l'espace d'une façon cohérente. Une première lecture fera ressortir le mot « hortillonnages », pourtant, ensuite, l’œil dépasse le sens du lu pour se promener librement sur la page : il joue avec les alignements, se faufile entre les lettres, qui vues indépendamment prennent une dimension abstraite. Il s'y perd, puis, s’élève pour mieux balayer l'ensemble de cet archipel et rêver.
Les hortillonnages sont un peu comme cet archipel de lettres. Il fut un jour où, bien organisés et « tournant » à plein régime, ils occupaient densément une page, cet espace primordial pour la ville d'Amiens. Mais le « progrès » décide de corser leur devenir, en faisant même croire à certains qu'ils sont voués à disparaître !
Heureusement, ces quelques lettres sont les bastions d'une inertie d'un savoir vivant. Comme des cellules s'adaptant à une situation de stress, ils insuffleront un regain d’intérêt en rayonnant la raison d'être de ce territoire tout en miroitant une nature perçue comme sauvage. Une continuation solide pour une adaptation tout en souplesse.
C'est avec humilité que j'aimerai arpenter cette richesse dormante, pourtant bien vivante, pour y déceler ces fragments d’humanité et les projeter dans le temps...
george dimitri salameh
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Résumé
Ce mémoire s'intéresse à la nature de la patrimonialisation d'un haut-lieu du
maraîchage, les hortillonnages d'Amiens. C'est leur rôle nourricier qui les a fait sortir de
l'eau et évoluer durant des siècles. Ils offraient un paysage vécu de production
maraîchère. Puis, suite au déclin de l'activité maraîchère des hortillons, il est rapidement
devenu un paysage remémoré, puis naturalisé, pour aujourd'hui comporter la complexité
d'un paysage politique.
Est-il possible de concevoir cette patrimonialisation sans protéger les maraîchersmodeleurs de ce territoire, les hortillons, détenteurs d'un savoir-faire local, de façon à
préserver son potentiel agro-économique dans un futur proche ? En outre, quand le
besoin de produire localement (était, n'est plus) deviendra une nécessité, sera-t-il possible
d'évoluer vers la remise en culture de parcelles ?
Pour tenter de répondre à ces questions, une approche ethno-paysagiste d'immersion
dans le milieu à travers plusieurs séjours de recherche-travail, fut entreprise.
Quatre grandes parties structurent cette étude. La première concerne la présentation du
contexte dans lequel s'inscrit ce territoire. La seconde partie s'intéresse à ses artisans, les
hortillons . La troisième partie expose la méthode de travail utilisée. Enfin, la quatrième
partie explore la spécificité du système agricole amiénois et positionne les hortillons au
cœur d'une patrimonialisation pérenne de ce territoire.
Une conclusion générale synthétisera les résultats de cette recherche pour aboutir sur
une mise en perspective au travers d'orientations censées, permettant, je l'espère, un
engagement politique, donc économique, à la hauteur de l'enjeu.
Mots clés
Hortillonnages, maraîchage, patrimonialisation, agri-culturel, agro-économique, Amiens
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Abstract
This Master's thesis is about granting of heritage status/patrimonialisation of a key
historical market-gardening location, the hortillonnages of Amiens. Is it possible to
conceive it without protecting the alarmingly declining number of this territory's craftsmen,
the hortillons, holders of a local know-how, in order to preserve its agro-economic potential
in a near future ? Also, when producing locally will become a necessity, will it be possible
to reclaim and cultivate more parcels ?
To try to address this issue, an immersion approach, through several stays of researchwork in this environment was undertaken.
Four parts structure this study. The first one presents the territory's context. The second
part focuses on its craftsmen, the hortillons. The third part explains the methods
undertaken for this research. Finally, the fourth part explores the specificity of this
agricultural system and positions the hortillons at the heart of a sustainable granting of
heritage status/patrimonialisation.
A general conclusion will summarize the results of this research, yielding perspectives
through proposals intended to, hopefully, help guide political and economical commitments
worth the issue.
Keywords
Hortillonnages, market-gardening, granting of heritage status/patrimonialisation, Amiens
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Sommaire
Introduction
-----------------------------------------------------------------
p. 9
I. Les hortillonnages, glissement d'un paysage agri-culturel vers un
paysage politique
a. Introduction
b. Survol historique
c. Vus par les hortillons
d. Conclusion
------------------------------------------------------------------------
p. 15
------------------------------------------------------------------
p. 16
---------------------------------------------------------------
p. 20
------------------------------------------------------------------------
p. 25
II. Les hortillons, maraîchers-modeleurs des hortillonnages
III. Description de la méthode de recherche-travail
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-------
p. 27
--------------------
p. 31
IV. Spécificité de leur système agricole
a. Introduction
------------------------------------------------------------------------
b. Système de production adapté
------------------------------------------------
c. Qu'en sera-t-il demain ? Les hortillons vus par eux-mêmes
Conclusion générale
Bibliographie
Liste des figures
Annexes
p. 37
p. 42
--------------
p. 55
------------------------------------------------------------
p. 59
-----------------------------------------------------------------------
p. 62
--------------------------------------------------------------
p. 64
----------------------------------------------------------------------------
7
p. 66
[Mais tchot Daniel, pourquoi est-ce que toi tu continues alors ?]
« Parce que je suis un fou, tout ceux qui sont encore là, c’est des fous.
Parce que j’aime bien mon travail c’est tout, c’est mon métier moi »
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Introduction
Ce travail de recherche traite d'un paysage pragmatique, pas idyllique, ni plus utopique.
Un paysage gagné sur la nature par l'Homme, pour l'Homme. Ce mémoire s'intéresse
naturellement au paysage résultant de leur relation.
Tout comme la civilisation Aztèque qui conquit les lacs Xochimilco et Chalco avec ses
monumentaux chinampas, ou les Hollandais vainqueurs de la mer grâce à leurs ingénieux
polders, les hortillons, eux, s'harnachèrent de la Somme. Leur point commun : plus de
terre pour plus de nourriture en profitant des conditions favorables du contexte
géographique.
Les hortillonnages se situent sur le site d'anciens marais de la Somme et de ses
affluents, profitant des alluvions déposées par ces derniers, formant une épaisse couche
de tourbe, favorable aux cultures maraîchères. Depuis des temps immémoriaux, cette
activité agricole modela le paysage ouvert des marais en un paysage de production agriculturel . Aujourd'hui, le paysage se referme, il se densifie en s’accommodant des
nouveaux acteurs et usages du territoire, chapeauté par un milieu associatif fort. C'est
ainsi que l'on parle de glissement du paysage. Cette tendance semble se généraliser à
beaucoup de paysages en Europe et à travers le monde. Elle est théorisée dans le livre
dirigé par Yvan Droz, « Anthropologie politique du paysage » (2009), où le paysage est
défini comme un « construit social qui consiste en une représentation et n'a pas de réalité
objective ». « Il se distingue d'autres concept proches (espace ; nature, etc.), car il associe
un substrat physique (biogéocénose) au regard d'un individu socialement et culturellement
déterminé. Regard et subjectivité sont donc des éléments constitutifs du paysage ».
Les auteurs distinguent ainsi quatre acceptions du terme « paysage » :
–
Le « paysage pratiqué », qui est le paysage du vécu.
–
Le « paysage remémoré », paysage du souvenir, du récit, recréé par le langage ou
les images.
–
Le « paysage naturalisé »,qui est le paysage pris pour ce qu'il n'est pas, c'est-àdire un donné objectif.
–
Le « paysage politique », qui est intrinsèquement lié au paysage naturalisé : il en
est l'instrumentalisation politique.
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Les hortillonnages ont donc été longtemps un « paysage pratiqué », travaillé
quotidiennement par les hortillons afin de maintenir les terres rehaussées par leurs
ancêtres, jusqu'au déclin de la production maraîchère au début du XX e siècle. Ce paysage
de production intense, occupant l'intégralité du territoire fut ensuite « remémoré » avant
d'être « naturalisé » dans les années 1970. C'est à cette époque que l'on observe à
Amiens ce que décrivent les auteurs de « Anthropologie politique du paysage » : « dans le
cadre des négociations paysagères ou de conflits d'aménagement du territoire, nous
avons constaté une tendance récurrente à vouloir imposer une représentation paysagère
comme le paysage objectif, indiscuté et indiscutable : il s'agit du paysage politique. » Ce
paysage politique des hortillonnages va à l'encontre de leur origine et de leur genèse et
leur fait courir le risque d'une patrimonialisation instrumentale incohérente. Il est donc
essentiel de rapprocher paysage et politique pour comprendre l'image que « portent » les
hortillonnages aujourd'hui.
Cependant, c'est grâce à des travaux historiques que la distinction est possible. La
thèse de doctorat de Lala Rabemanahaka, « Hortillons et hortillonnages de la région
d'Amiens. Étude historique sur l'aménagement de l'espace et sur l'organisation de la
production (seconde moitié du XIXe siècle - début du XXe siècle) », relate une période
glorieuse des hortillons jusqu'à la fin de la première guerre mondiale, juste avant leur
déclin. Ce travail de recherche bien documenté permet de mieux comprendre le système
de production agricole de l'époque ainsi que des détails techniques ancestraux. Les
aspects les plus intéressants pour ma recherche sont les descriptions des hortillons, de
leur mode de vie et de leurs habitudes de travail. Comme une fenêtre sur le système
agricole des « anciens ». Cependant, les méthodes de production ont bien évolués en un
siècle, et les hortillons ont intégrés ces métamorphoses (comme ils l'ont toujours fait) au
fur et à mesure, dans leur système de production actuel. Le travail de Rabemanahaka
présente les hortillonnages d'une autre époque, confirmant que le paysage des
hortillonnages a toujours été intimement lié à un système agri-culturel.
Le travail qui entrecroise le plus de mots clés avec celui-ci est la thèse de doctorat en
Géographie de Céline Clauzel, « Les jardins flottants : un patrimoine en péril ?
Dynamiques de l'occupation du sol et conflits d'usage. Étude comparée des hortillonnages
d'Amiens (France) et des chinampas de Xochimilco (Mexique) ». Dans sa thèse, Clauzel
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propose une analyse extensive et détaillée des hortillonnages (je me référerai à cette
partie de son étude) et une riche palette de documents (cartes, photos, tableaux, …) sur
lesquels je me suis appuyé. Dans sa thèse, Clauzel répond affirmativement à la question
soulevée, « Les jardins flottants : un patrimoine en péril ? » et aboutit sur des
« orientations de gestion en adéquation avec les attentes des acteurs ». Son étude
globale du territoire permet de bien comprendre l'état des lieux actuel ainsi que d'identifier
l'ensemble des acteurs locaux se le partageant. Sont travail se veut neutre et « jongle »
avec les diverses problématiques afin de proposer des orientations pour un meilleur
partage des lieux. Mis en relation, ces deux travaux de doctorat me permettent de saisir
les différences et continuités dans la gestion de ce territoire, témoignant d'un basculement
des valeurs et postures paysagères des hortillonnages.
Mon travail, plus restreint ne prétend pas couvrir l'intégralité des problèmes des
hortillonnages (étalement urbain, pollution, etc). Il se place du point de vue de ce paysage
agri-culturel. Son glissement, d'un paysage pratiqué vers un paysage politique (Y. Droz,
2009) complexe impliquant une multitude d'acteurs et donc d'enjeux, peut apparaître
contraire à sa raison d'être, comme l'illustrent bien les deux clichés ci-dessous (Fig. 1). En
adoptant cet angle de vue, ce travail veut souligner l'importance des hortillons, nonseulement comme artisans-modeleurs des hortillonnages, mais aussi comme trait d'union
vital pour que ces derniers puissent redevenir un système de production alimentaire
durable. Aujourd'hui, il n'est presque plus rentable de « faire du légume » dans les
hortillonnages, mais qu'en sera-t-il dans un futur proche ? Quand les prix de l'énergie
fossile ce seront envolés ? C'est dans ce sens que ce travail se positionne, en raisonnant
en terme de potentialités agro-économiques. S'il est important de ne pas « bétonner » les
hortillonnages, de façon à pouvoir remettre en culture certaines parcelles, il importe aussi
de considérer les hortillons comme détenteurs d'un savoir faire local. Ce que je propose
de démontrer ici. Ce savoir faire, contrairement à une certaine forme « figée » d'un
paysage d'hortillonnages, n'est pas patrimonialisable de la même manière. Il se doit d'être
maintenu en activité pour continuer d'être transmis aux générations d'hortillons à venir, si
l'on souhaite que le système de production qu'il représente soit en mesure d'être relancé
lorsqu'il retrouvera sa pertinence agro-économique (Fig. 2). Mais saura-t-on encore le faire
si l'on a perdu le lien qui relie encore les hortillons d'aujourd'hui à une expérience
accumulée depuis des temps immémoriaux ?
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Figure 1 _ Aire de loisir et « thuyatisation » de parcelles dans les hortillonnages
L'hypothèse, conductrice de ma recherche, répond donc à ce questionnement : la
patrimonialisation des hortillonnages ne peut être envisagée sans préserver le savoir-faire
détenu par les huit hortillons restants, seuls héritiers de cette culture amiénoise, de façon
à pérenniser un paysage né du travail de l'homme (Fig. 4).
Pour tenter de la démontrer, j'ai entrepris une approche ethno-paysagiste d'immersion
dans ce milieu contrasté (Fig. 3) à travers plusieurs séjours de recherche-travail au sein
de la société hortillonne et de sa terre.
Quatre grandes parties structurent cette étude. La première décrit la transformation du
paysage agri-culturel des hortillonnages en un paysage politique. La seconde partie
s'intéresse au hortillons, maraîchers-modeleurs et artisans de ce territoire, en comprenant
leur situation et points de vue. La troisième partie expose ma méthode de recherchetravail. Enfin, la quatrième partie explore la spécificité du système agricole des hortillons
et positionne les hortillons au cœur d'une patrimonialisation durable de ce territoire. Une
conclusion générale synthétisera les résultats de cette recherche pour aboutir à une mise
en perspective au travers d'orientations censées, permettant, je l'espère, un ralliement
politique, mettant en œuvre les outils économiques à la hauteur de l'enjeu : des
hortillonnages solides, capable d'essuyer encore bien des coups.
Ce mémoire est clôturé par une bibliographie listant les sources consultés, et une liste
des figures utilisées. Certains documents importants se retrouvent en annexe.
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Figure 2 _ Paysage de production fabriqué et entretenu par l'homme
Figure 3 _ Un fossé entre jardin et maraîchage
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(CRDP d'Amiens, 1988)
Figure 4 _ Plan d'une exploitation typique dans les hortillonnages
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(Th. Rattel, 1890)
I. Les hortillonnages, glissement d'un paysage agri-culturel vers un
paysage politique
a. Introduction
Accessible en une heure et quart depuis Paris en train, ou en deux heures et demi en
voiture, Amiens est facile d'accès. C'est lors d'une visite chez un ami amiénois au
printemps 2010 que j'ai découvert pour la première fois les hortillonnages d'Amiens.
Durant notre marche depuis la gare vers ce lieu « magique » qu'il tenait à me faire
découvrir, je fus surpris par le contraste soudain de paysage entre le centre urbanisé
d'Amiens et cet « espace ouvert » qui ne ressemblait à aucun autre rencontré auparavant.
Nous étions passé, en 5 minutes de marche, de la ville à une « jungle ». En effet, sur le
plan d'Amiens (Fig. 5), on remarque bien la situation des 250 ha d'hortillonnages enclavés
par l'agglomération amiénoise (formée par Amiens, Rivery, Camon et Longueau) (Fig. 10).
Je n'avais que l'appareil photo rudimentaire de mon GSM et pourtant je n'ai pas arrêté de
photographier ce lieu décidément fascinant. C'est en ce jour que débuta mon engouement
pour ces « jardins flottants » entre les canaux des marais, me révélant progressivement
les caractéristiques d'un maraîchage en milieu humide et de son régime hydraulique très
particulier.
Figure 5_ Situation et périmètre actuel des hortillonnages
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(Fond carto. Géoportail)
b. Survol historique
Le mot « hortillonnage » ne fut prononcé qu'à partir du XIX e siècle (Rey, 2006). Il vient
de « hortillon », mot picard attesté à la fin du XV e siècle, dérivé de la langue d'oïl, qui veut
dire « jardin » dans l'ancien français du Moyen-Âge. « Ortel » descend du latin
« hortellus », petit jardin, lui-même descendant de « hortus », jardin. Aujourd'hui si
l'hortillon désigne le maraîcher des lieux, les hortillonnages, mot bien picard, définit les
terres cultivées gagnées sur les marais de la Somme. Pour beaucoup, du moins dans la
majorité des textes contemporains (guides et prospectus touristiques) où même dans la
mémoire collective, ce territoire fut créé sous l'empire romain. Cependant, la racine latine
du mot hortillonnages ne le prouve pas. Rien n'atteste qu'à cette époque, les marais qui
régnaient entre les falaises de craie bordant la vallée de la Somme, aient été conquis et
drainés pour nourrir en légumes la population des environs, mais on peut imaginer que la
tribu gauloise des Ambianis qui vivaient le long de la Somme, ait profité de cet espace
fertile bien avant l'invasion romaine. Il faut néanmoins attendre le Moyen-Âge pour
s’assurer de l'existence des hortillonnages dans les textes (Leleux, 2012).
Figure 6_ Reproduction du plan « Amiens et les hortillonnages en 1542 »
dessin aquarellé, 122x223,5 cm, (nord inversé)
16
(Arch. Louis Aragon)
Antoine Goze rapporte, dans son « Histoire des rues d'Amiens » de 1854, que
l'appellation « Venise du nord » fut inventée par Louis XI, inspiré par la beauté de la ville
basse et ses entrelacs de canaux, les rieux. Amiens durant les XI e et XIIe siècles, est
marquée par un développement économique et démographique. Cette période florissante
verra l'éclosion de la plus flamboyante fleur du gothique : la cathédrale. Une légende
raconte qu'elle fut construite sur un champs d'artichauts offert par un couple de pieux
hortillons. Outre cette mythologie amiénoise, les premiers actes de ventes où apparaissent
les hortillonnages datent du XIII e siècle. À cette période on défriche, on déboise toutes les
terres possibles pour la culture des céréales et le limon des marais devient une richesse
indispensable pour l'approvisionnement de la région en « herbes », mot désignant à cette
époque les légumes en général. Les bords des rivières sont exploités aussi bien en amont
qu'en aval d'Amiens pour nourrir une population grandissante.
Figure 7_ Illustration du recueille de poèmes et de chants
E. David, Chés Hortillonnages
(Bibl. Aragon)
Les hortillonnages n'ont pas toujours eu ce parfum d'éden (Fig. 7), pour les jardiniers et
les promeneurs d'aujourd'hui, et la longue histoire de ces « jardins flottants » a surtout
l'odeur de la sueur d'un labeur incessant. Ce fut une longue évolution, un long chemin
pavé d'un travail constant pour exploiter ces terres, car la nature, par le fleuve, reprend
vite son cours naturel. Ce paysage maîtrisé, drainé, cultivé, redevient en peu de temps, si
l'homme lâche un instant ses outils, d'inhospitaliers marécages. Quelques décennies de
relâche et la nature efface le travail séculaire des maraîchers, leurs parcelles surélevées,
les aires, fondent dans le paysage tourbeux, comme des châteaux de sable engloutis par
la marée. Aujourd'hui, les professionnels comme les jardiniers amateurs sont astreints à
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des travaux sans lesquels l'envasement d'abord, la végétation, ensuite, auraient tôt fait de
précipiter la dégradation des aires.
Si les hortillonnages peuvent à ce jour encore nous offrir leur spectacle, c'est qu'ils ont
su traverser les siècles d'histoire avec des années fastes et des périodes de régression, et
que ce paysage offre un charme indéniable. Paradoxalement, la ville en expansion
constante a toujours tenté de réduire à une peau de chagrin les terres qui la nourrissent.
Aujourd'hui elle a réussi mieux que jamais auparavant : la capitale régionale suit la logique
agroalimentaire des pays développés qui s'approvisionnent sur un marché global,
reléguant la production hortillonne au second plan, comme une curiosité touristique. Une
logique qui s’affranchit du mode de production et de la qualité de ses produits. La faible
affluence des Amiénois au marché sur l'eau et sa fréquence aujourd'hui hebdomadaire
(autrefois tri-hebdomadaire), témoigne de cette récessivité.
Paysage de production agricole séculaire, les hortillonnages voient l'effectif d'hortillons
chuter et en parallèle, leur surface cultivée : 950 hortillons cultivent la quasi-totalité du site
(250 ha) en 1905, 110 en 1960, 65 en 1965 et moins d'une vingtaine en 1980, qui ne se
répartissent plus que 30 ha. Aujourd'hui ils sont sept (bientôt 8 avec l'établissement
prochain de M. Mathieu Devisse), et ne travaillent plus que sur 25 ha du site. Le tableau
suivant (Fig. 8) dressé par Céline Clauzel pour sa thèse de doctorat, permet une lecture
comparée avec d'autres éléments constitutifs du paysage des hortillonnages.
Figure 8_ Occupation des sols 1947, 1975, 2006. (C. Clauzel)
Ces fluctuations brutales ( par rapport à « l'âge » de ce territoire) entraînèrent
inéluctablement des perturbations fortes dans le paysage. Sans hortillons, donc noncultivés, les aires délaissées avec leurs fertilité légendaire et l'eau omniprésente, se
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transforment rapidement en friches ou furent réemployées pour le loisir et l'agrément (Fig.
1). Cet ancien paysage de travail (Fig. 9) s'enfriche pour ensuite être perçu comme un
paysage « naturel », ce qu'il n'est pas.
Figure 9_ Paysage de travail, paysage vécu
(carte postale, 1928)
Cette transformation dans la perception du territoire débute suite à l'endiguement d'un
projet bouleversant pour les Amiénois, une rocade, supposée traverser les hortillonnages.
La médiatisation de l'affaire (voir Annexe D) contribua à une cristallisation de la perception
pour l'opinion générale , mémorisant une image des hortillonnages victimes d'un déclin
avancé, souffrant d'une authenticité identitaire fragile. C'est dans ce contexte
d'affaiblissement que les hortillonnages empruntèrent au début des années 70 une
nouvelle orientation qui domine aujourd'hui encore (dans les guides et brochures
touristiques, l'opinion générale, etc.) sa perception: la naturalisation du site. Ce
basculement dans la perception du site est renforcé par l'étude scientifique de Pierre Le
Morvan à l'université d'Amiens qui s'est engagé dans une description systématique de
l'écologie des hortillonnages en 1973. Cette étude a conduit à une réglementation de la
chasse des oiseaux sauvages, et à un mouvement d'opinion favorable à la transformation
des hortillonnages en « Réserve Naturelle ». Cette prise de conscience écologique
renforcée suite au déclin du maraîchage marque le début d'une patrimonialisation qui
s'affranchit un peu vite du façonnage ancestral de ce territoire par les hortillons.
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Figure 10_ Hortillonnages, « organe de production » hydro-agricole
c. Vus par les hortillons
Figure 11_ Portrait d'hortillons
(M-P Nègre, 1983)
Par le passé déjà, la ville d'Amiens, enfermée dans ses murailles jusqu'à la fin du XVIII e
siècle, n'était pas facile d'accès pour ceux qui l'approvisionnaient en légumes, et il fallut
attendre l'ouverture d'une porte, la porte de la voirie, pour que les hortillons puissent
accéder aux marchés de la ville autrement qu'en barque. Avant cette ouverture, une seule
faille traversait l'épaisse muraille, le canal du Hocquet. Ce bras de l'Avre était fermé par
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une grosse chaîne que l'on tirait quelques heures par jour seulement, il fallait aussi
s’acquitter d'un droit de passage, l'octroi, pour mener sa barque jusqu'au marché de la
place de Don. La ville prisonnière de ses murailles, rendait bien laborieuse l'entrée de ces
hommes et femmes venus la nourrir. Aujourd'hui la ville n'est plus contenue par ses
remparts, au contraire, elle empiète sur les hortillonnages. L'étalement urbain est mal vécu
par les hortillons qui se sentent impuissants et oubliés par les politiques. Pour eux le pire
découle de ce nouveau statut d’écomusée qu'a pris le paysage des hortillonnages et qui
impose une cristallisation du lieu sous un prétexte non-productif : le beau. Alain Cazier,
hortillon, en me parlant des problèmes d'accès aux parcelles, m'explique :
« Alors eux [Amiens métropole] si ils n'ont pas d’argent [prétexte pour ne pas installer de
ponts] et qu’ils nous laissent faire, nous on met trois ou quatre planches et puis on passe.
Mais bon ils ne veulent pas pour la beauté du site. Et faire quelque chose et le retirer
quand on est passé, ils ne veulent pas non plus. Il faudrait absolument que tout le monde
ait un accès direct pour faire passer un matériel adéquate de travail pour 2013. Déjà, si le
travail était plus plaisant, par des accès et tout, ça serait plus rentable et ça irait peut-être
mieux quand même... Parce que là, prendre les cageots du camion, les mettre dans une
barque, les remettre sur la terre, mettre les légumes dedans, les remettre dans la barque
et puis les remettre dans le camion, décharger tout, c’est fini ça, c’est plus possible. Les
jeunes veulent plus faire ça ».
[Et pourquoi tchot(1) Daniel lui a un pont ?] (2)
« Parce que c’était Nisso(3) qu’il l’a fait. Et c’était déjà existant depuis les serres de Boidin.
Mais Nisso il avait des sous et puis il s’est démerdé pour avoir des subventions. Il a eu
des fonds par l’Union européenne ».
[Est-ce que vous avez déjà été voir certaines personnes pour ça ?]
« Non... »
(1) « Tcho », « Tchot », « Tchiot », mot du patois picard signifiant « petit » et au sens figuré « ami ».
(2) Le texte entre [ ] distingue mes interventions de celles de « l'interlocuteur ».
(3) Nisso Pelosof, fondateur de l'Association pour la Protection et la Sauvegarde du site et de
l’environnement des Hortillonnages en 1975 alors qu'un projet de rocade prévoyait de passer en plein
cœur des hortillonnages. Cette structure s'est établie initialement pour lutter contre ce projet.
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Figure 12_ Portrait d'hortillons
(M-P Nègre, 1983)
En outre, comme soulevé dans cette partie d'un entretient avec l'hortillon René Novak
au sujet de la propriété des terrains, les choses ont changées, les aires n'appartiennent
plus nécessairement à ceux qui les travaillent :
« La différence avec Francis [Parmentier], c’est que lui il a 60% de ses terres à Amiens
métropole. Erreur totale parce que lorsqu’il a besoin de faire un pas, il est obligé de faire
appel à Amiens métropole. Et il n’est plus libre. Moi je suis libre parce que c’est mes terres
et c’est important ça ». D'ailleurs, avec Alain Cazier, René Novak possède aussi des terres
dites « de plein champ », qui permettent d'assurer plus facilement la production de
certaines cultures, indépendamment des aléas climatiques et des crues dévastatrices.
Il est donc évident à travers ces retranscriptions d'échanges avec les hortillons que leur
marge de manœuvre aujourd'hui est réduite par rapport à l'époque « glorieuse » où ils
étaient seuls maîtres à bord, quand le marché sur l'eau avait lieu trois fois par semaine.
Pour M. Daniel Parmentier, hortillon depuis quatre générations (tout comme ses frères
d'ailleurs), c'est dommage que l’occurrence de ce dernier soit hebdomadaire :
« Le marché sur l’eau ça permettait aux gars de liquider leur production. Et puis avant ils
vendaient un peu au détail, ils ravitaillaient des épiceries de quartier qui venaient chercher
des légumes. Bon, ça faisait déjà du débouché ».
22
Figure 13_ Affluence au marché sur l'eau (ND. Phot, début XXè s)
On ressent dans les échanges avec les hortillons, une connaissance profonde de leur
territoire depuis ses origines et ses traditions, jusqu'à sa métamorphose récente et sa
gouvernance par d'autres. Ils s'adaptent à ce nouveau paysage impliquant de nouvelles
stratégies. Cependant, ces artisans ressentent la main mise sur le site par les politiques et
leur impuissance devant eux. Le paysage politisé est récent, il est l'instrumentalisation du
paysage naturalisé (Y. Droz, 2009), par le contexte associatif et politique. Il impose des
pressions administratives supplémentaires aux contraintes agricoles déjà énormes pour
les hortillons, rendant fastidieuse toute initiative ou démarche de leur part. Les
hortillonnages, autrefois berceau de leur développement, ne les incitent plus à être tout
simplement heureux et fiers d'un dur labeur qui les fait bien vivre. Ils sont inquiets, et ça se
ressent. Lors de mon entretient, le 14 juillet, avec M. Bernard Parmentier, hortillon, obligé
de reconvertir une partie de ses aires en ferme pédagogique après avoir essuyé de très
lourdes pertes suite aux inondations de 2001, j'ai ressenti, à travers son parlé et son
expression corporelle, la rudesse des épreuves qu'il a vécus. Cependant, il les a
surmontées, et continue d'avancer. Pour lui, le métier d'hortillon est une constante
adaptation à des problèmes, mais il aimerait que ça se sache :
« Il faudrait reconnaître ce métier là, en parler, dire que les hortillons ils ont un réel
problème : c'est que c'est des petites parcelles, qui ne sont pas mécanisables... »
Ce qui me frappa le plus lors de mes diverses discussions avec eux, c'est la sensation
qu'ils sont seuls et fragiles face à une « machine politique » ne les consultant que par
obligation. Dans cet extrait d'une conversation tenue avec M. Alain Cazier, il décrit ce
formalisme politique :
[Jacques Leullier, aujourd’hui président de l’Association pour la Protection et la
23
Sauvegarde du site et de l’environnement des Hortillonnages, est-ce qu’on peut dire qu’il a
remplacé Nisso Pelosof? Est-ce que c’est qu'il éprouve le même amour pour ce territoire,
la même envie de faire du bien aux hortillons, de les aider, ou bien ça a changé ?]
« Certes, ça fait plus fonctionnaire , mais quand on lui demande quelque chose, il le fait.
Mais faut reconnaître que c’est la sauvegarde qui rend le plus de services aux hortillons,
c’est pas un élu d’Amiens métropole qui rendra service à un hortillon. Parce qu’Amiens
métropole ils font une réunion une fois par an parce que c’est obligatoire dans le statut
mais après, on ne voit plus personne ».
Bernard Parmentier l'évoque aussi : « Eh ben, moi là-bas au bout, ça fait 15 ans que je
demande de la terre à Amiens métropole et tout ça, mais c’est toujours une bagarre.
Quand ils curent les fossés, il faut aller chercher le gars qui enlève de la terre le moins
cher possible. Alors vous savez si on fait les trucs comme ça, on ne va pas loin. Travailler
à l’économie au bout d’un moment, ça se casse la figure. Après quand il y a des
inondations, les produits du ravage, au lieu de les installer sur une terre... il y a de la terre
qui dort qu’Amiens métropole ont... On pourrais y stationner des vases et après les
distribuer... dans le temps ils le faisaient. Pourquoi ils ont arrêté ? Économie ! On ne
gagne rien puisque quand il y a des inondations il faut indemniser tous les gens. C’est pas
une question de faire des économies, on en fait sur le coup, mais le jour où il arrive une
catastrophe, faut donner, faut le sortir le pognon. Et aujourd’hui dans les crises... Moi je
dis « Stop ».
Les sort des hortillons d'aujourd'hui ne dépend plus que de leur travail qui se fait dans
une relative solitude, ce qui n'était pas le cas dans un passé relativement proche, comme
nous le démontre cet extrait de L'Hortillonne, mœurs picardes : « Comme chaque aire
n'appartenait qu'à une seule famille, pratiquement toute la vie passait dans le cercle
familial, les courses en bateau entre maison et jardin offrant la principale occasion chaque
jour d'une vie sociale élargie. Bien entendu, les hortillons entretenaient d'autres relations,
d'entraide, ou d'échange de conseils, ou lors de déplacements à l'église. Pourtant dans
l'ensemble chaque famille constituait un noyau isolé dont le sort ne dépendait que de son
courage. Ces familles s'étaient acquis une réputation qui ne semble pas avoir varié au
cours des siècles, de courage au travail, d'honnêteté, et de frugalité », ( L. Duvauchel,
1897).
24
Figure 14_Portrait d'hortillonne
(M-P Nègre, 1983)
d. Conclusion
Plusieurs raisons économiques et culturelles ont entraîné la diminution dramatique du
nombre d'hortillons qui cultivent leurs aires, ce qui a eu pour conséquence l'abandon d'un
grand nombre de ces dernières, qui retournent à l'état sauvage, et l'envasement de la
plupart des rieux. Le paysage des hortillonnages donne lieu à toutes sortes d'associations
romantiques pour les habitants d'Amiens : il est remémoré. Son caractère sauvage l'avait
rendu encore plus romantique jusqu'à ce que l'on comprenne que son abandon menaçait
son existence même. Cela se ressenti d'ailleurs rapidement du fait de l'envasement des
rieux de Saint Leu qui empuantissaient l'atmosphère du quartier, et aussi du fait que les
inondations n'étaient plus ralenties par la capacité d'absorption de la tourbe des aires dans
la mesure où l'eau ne pouvait plus circuler librement dans les rieux (Clauzel, 2008).
Nous pouvons voir que les hortillonnages résultent de la création, à partir d'un milieu
naturel, d'un archipel d'îles artificielles entretenues pendant des siècles par les hortillons
(Fig. 15). Cette forme elle même pourrait sans doute être sauvegardée. Par contre, il sera
plus dur de conserver la longue tradition de maraîchage qui a fait la renommée de ce lieu.
25
De nouveaux groupes sociaux (propriétaires de la classe ouvrière ou de la classe
moyenne, écologistes, investisseurs et acteurs du tourisme) sont en train de remplacer la
population hortillonne et entrent en compétition pour le contrôle de ce milieu (Conan,
2004). Cela précède l’apparition du paysage politique, allant à l'encontre d'une
patrimonialisation qui reconnaîtrait la signification de ce territoire pour les hortillons euxmêmes tout autant que les caractères formels du milieu physique.
Il est une confusion (volontaire?) du parlé ancien qui ne l'est presque plus aujourd'hui :
la dualité du mot « Hortillon(s) » pouvant à la fois décrire le territoire des hortillonnages, ou
le maraîcher, l'hortillon. Probablement que cette interchangeabilité est intimement liée à la
fusion des deux ? À leur interdépendance ? Il est fort probable, qu'avant, les anciens
trouvèrent légitime d’appeler par le nom des hommes qui l'ont façonné, le territoire les
faisant vivre. Cette confusion dans le langage de l'homme et de son territoire met en
évidence la force qui les unis.
Figure 15_ Hortillonnages, vus depuis la tour Perret (Atlas Aérien de la France, Deffontaines, 1955)
26
II. Les hortillons, maraîchers-modeleurs des hortillonnages
Le paysage des hortillons apparaît comme immobile alors qu'il résulte d'un double
mouvement : celui de la "nature", c'est-à-dire de la Somme et de ses affluents, qui tendent
à redonner au paysage la forme qu'il avait avant l'intervention humaine et celui des
hommes, c'est-à-dire des hortillons qui, depuis des siècles, façonnent le territoire pour le
forcer à répondre aux besoin des sociétés humaines (Fig. 16).
Cette situation est comparable à celle d'un paysage agricole en terrasse, ou à une autre
échelle, à celle d'une haie taillée. Leur immobilité est une apparence. Elle résulte d'un
équilibre dynamique entre deux forces, l'une naturelle, l'autre humaine. Dans tous les cas,
si on enlève l'une des deux forces, l'immobilité cesse et le mouvement reprend...
Figure 16 _ Détail d'un plan des aires, montrant la hiérarchie des canaux d'irrigation au XX e siècle
27
Figure 17_ Hortillonnages, un équilibre à maintenir plutôt qu'une forme à figer
Cette cécité transparaît dans la manière dont on cherche aujourd'hui à stabiliser "une
fois pour toutes" les berges, afin de se passer des agriculteurs ou des jardiniers. Dans
tous les cas on sous-estime la force de la nature qui, lentement mais sûrement, reprend
toujours ses droits et ce, même avec la méthode de stabilisation moderne des berges
28
prodiguée depuis les années 80, le tunage (1). Ce qu'il faut se rappeler, c'est que les
hortillonnages fonctionnèrent pendant des siècles comme un système de production et
non comme cette forme cristallisée qui est vendue aux touristes. Et, en tant que tel, il ne
peut fonctionner que si il est productif.
Figure 18_ Hortillon, épandant les vases curées (J. Bocquet)
Dans la logique productive de ce système, le rôle de la fertilisation est déterminant. La
question centrale de l'agriculture a toujours été le renouvellement de la fertilité des sols
(c'est-à-dire le remplacement des éléments minéraux exportés avec les récoltes). Après
l'agriculture forestière, la seconde étape a été l'hydro-agriculture. Les rivières et les
fleuves agissent comme des "cueilleurs" de minéraux qu'ils "grattent" sur l'ensemble de
leur bassin versant. C'est comme ça que le blé égyptien était fertilisé par les crues du Nil.
Les hortillonnages, comme les chinampas, fonctionnent sur le même principe. D'où leur
exceptionnelle fertilité, sans avoir à engraisser les terres. C'est cette fertilisation qui était
perçue comme quasi-miraculeuse (dans le contexte de l'époque), qui a justifié durant des
siècles que l'on ait fait autant d'effort pour les entretenir.
(1) Le Tunage est une technique moderne qui consolide et protège les berges de l'érosion. Elle
consiste à planter des pieux en acacia le long du périmètre des aires, épaulés, afin de contenir les
terres, par des planches (ou des tôles), doublées d'un grillage et de géotextile, le tout ancré par des
câbles reliés à des pieux plantés dans la parcelle et recouverts de terre.
29
Dans son journal de 1846, Michelet donne cette définition du mot « hortillons » : « Les
hortillons, cette grande et forte race, ne gagnent rien à l'enrichissement des légumes qu'a
produit le chemin de fer ». Cette définition, écrite à l'époque où le réseau ferré se
développait, (permettant d'acheminer loin et facilement des fumures ou des engrais),
illustre bien cette fertilité légendaire. Cependant, avec les engrais minéraux, et surtout
avec le train qui a permis de les transporter, cette fertilisation a perdu de son intérêt.
Il est fort probable, même si c'est difficile à prouver, que l'hydro-agriculture amiénoise a
hérité de savoir-faire beaucoup plus anciens. L'hydro-agriculture remonte à la plus haute
Antiquité (Mésopotamie). Elle a transité par l’Égypte avant de se répandre dans toute
l'Europe, (Mazoyer M., Roudart L., 1997).
À Amiens, les seuls héritiers de cette culture sont les 8 hortillons que j'ai rencontrés
durant ce travail de recherche. Aujourd’hui ils sont la preuve vivante qu'il est possible de
« s'en sortir » malgré une situation économique défavorable, et ils témoignent encore de
cette débrouillardise légendaire transmise de génération en génération via un savoir-faire
bien local. Il m'a donc paru essentiel d'interroger ces hommes. Mais ce sont des
maraîchers qui, comme beaucoup d'entre eux, travaillent de l'ordre de 70 heures par
semaine et ne sont donc pas très disponibles pour répondre à des enquêtes. C'est sans
doute ce qui explique, d'ailleurs, la faible place qu'occupe leur savoir faire dans les
processus de patrimonialisation en cours.
Pour contourner cette difficulté, j'ai tenté de m'engager dans une démarche d'immersion,
pensant que la meilleure manière d'obtenir de leur part les informations que je cherchais
serait de travailler avec eux de sorte à ne pas leur faire perdre de temps. Cette idée m'a
semblé d'autant mieux adaptée que j'avais remarqué, en ayant pris le temps de les
observer préalablement, que le travail dans les champs ne se faisait habituellement pas
en silence mais qu'il s'accompagnait au contraire de conversations nourries.
Il ne restait qu'à les convaincre que, même si je ne disposais même pas des rudiments de
leur savoir faire, le ォ coup de pouce サ que je leur apporterais tout en discutant avec eux
compenserait le temps que je leur ferais perdre avec mes questions.
La règle devait être simple : ma présence ne devait pas affecter la productivité de la
journée de travail.
30
III. Description de la méthode de recherche-travail
Au travers de ma recherche bibliographique, il est une référence à part, appartenant au
champs de lecture méthodologique, qui m'a marqué par sa ressemblance dans l'approche
« par immersion » d'une population locale par un « étranger » : le livre « Le pouvoir de
dire » de l’ethnographe Anne-Marie Topalov, où il est possible de comprendre, au travers
sa retranscription d'un dialogue avec des villageois, p.21 à p.23, les nuances d'une telle
démarche:
« (…) Mais je dois bientôt partir, et j'annonce donc mon prochain départ :
Moi (A-M T)
« C'est dommage de vous quitter au moment où je commence à
me rendre utile, tout de même. »
La Mémé
« Nous quitter ? Eh bien fan ! »
Le Pépé
« Cette estrangère-là, elle était pourtant devenue presque des
nôtres. Elle n'était plus guère une estrangère au pays ! »
Moi
« Une estrangère au pays ? »
Le Pépé
« Hé oui ! Une estrangère au village d'ici, quoi ! Nous autres les
Gavots, nous avons toujours fait la différence : les estrangers
du dehors, c'est pas les mêmes que les estrangers du dedans ... »
Moi
« Alors, tous ceux-là, les Belges, les Marseillais, les Parisiens, tous
ceux qui arrivent de pays étrangers ou de la ville, ce sont les
« estrangers du dehors » ? Mais alors, qui sont les « estrangers du
dedans » ?
Le Pépé
« Eh oui, les « estrangers du dehors », ils viennent de plus loin.
Ceux « du dedans », ils sont venus et on est devenus bien
collègues, bien amis quoi. Ce n'est pas pareil. »
Moi
« Mais pourquoi vous m'avez dit que je n'étais pas vraiment une
« estrangère au pays » ?
Le Pépé
« Tous ceux qui sont nés au village, on dit qu'ils sont « natifs » ou
« natifs du pays ». Celui qui est venu y vivre, ou qui vient y vivre
chaque année pendant les vacances, comme l'artiste là-haut, il est
estranger au pays, mais c'est un estranger du dedans. Mais vous,
ce n'est pas bien pareil : les enfants, ils vont chez vous et petitoune,
elle vient garder le troupeau avec moi. Vous travaillez avec nous ,
c'est un peu comme la famille, quoi ! C'est pas bien pareil, non. »
31
On comprend mieux pourquoi entrer dans le monde des hortillons est une affaire
quelque peu délicate. Ces derniers, au cœur de l’actualité depuis la proposition du projet
de rocade en 1970 et avec l'explosion touristique (plus de 100 000 visiteurs par an), sont
discrets et difficilement abordables. La démarche « conventionnelle » du chercheur
menant une enquête, qu'elle soit semi-directive , ou encore moins, directive, ne m'avait
pas permis de gagner leur confiance. Pourtant cette méfiance s'estompa dès lors que
j’emboîtais leur pas pour les accompagner dans leurs travaux. C'est en semant des
graines et en récoltant des légumes avec les hortillons qu'ils s'ouvraient à ma curiosité.
Une fois les contacts avec les hortillons établis, ces derniers me connaissent et
acceptent d'autant plus facilement de me parler de leur métier que je participe à leur
travail. Cette immersion avec la population d'hortillons, méthode connue des
ethnographes, me permet d'en comprendre le fonctionnement d'une façon, je pense,
franche et objective. Cet ensemble de savoirs professionnels ne peu être recueilli par les
« jardiniers » des milieux privés ou associatifs. L'objectif d'une telle approche n'est guère
de passer beaucoup de temps dans le champs, mais plutôt d'entretenir le contact et
susciter des discussions.
J'ai appris ainsi à connaître les hortillons, à comprendre comment ils pensent, ce qui
leurs fait plaisir ou qui les rend tristes. Être « étranger » au début peut paraître difficile,
mais les choses évoluent vite dès lorsque les hortillons découvrent que je suis prêt à
emboîter leur pas, et, avec humilité, à apprendre ces « ch'trucs » qui font que « tu sais
tenir » la cadence de ces professionnels. Mon aide fut appréciée.
Les hortillons ont donc besoin d'aide. Cependant, un des soucis récurent dont ils m'ont
fait part est que cette main d’œuvre doit souvent être formée afin d'être compétitive, sinon,
comme ils disent : « c'est mort », « c'est pas la peine ». Par exemple, ils m'expliquent que
« les jeunes d'aujourd'hui sont mous, qu'ils ne sont pas persévérants », ils commencent la
première heure de travail « correctement et encore » pour s'essouffler après, ne
produisant presque plus rien. Souvent « ils ne tiennent pas deux jours », « c'est trop
intense pour eux, ils n'ont pas l'habitude ». Il est vrai que le travail de maraîcher est
épuisant : de par sa nature répétitive et du fait des postures peu ergonomiques qu'il
impose. Il faut très vite apprendre les gestes qui « sauvent ».
32
J’apprends, comme on verra ultérieurement, que « la salade doit danser au vent », que
les godets à repiquer, doivent séjourner dans l'eau (de quelques heures à quelques jours)
le temps que les têtes des racines apparaissent, leurs permettant ainsi de s’établir bien
plus facilement une fois transplantés dans le sol (et donc de gagner du temps). De plus, le
système de culture des hortillonnages est rythmé par une pousse rapide (1) et fait appel à
un calendrier de plantation adapté, visant à apporter sur le marché, aux moments
judicieux, des légumes primeurs de haute qualité, garantissant d'importants bénéfices. À
ce titre, lors d'une « raflée » de travail « dans les oignons » et alors que nous les
ramassions, l'hortillon me jeta un coup d’œil rapide, décelant immédiatement mon
ignorance technique pour cette récolte et m'apprit sur-le-champ les 3 points à respecter :
1. Choisir et arracher les beaux (gros) oignons d'une main et les tenir de l'autre
2. Quand la poignée est pleine, bien nettoyer (enlever la terre et les parties abîmées)
3. Bien aligner puis ligoter serré. En mettre 12, tête-bêche, par cagettes pour le lavage
Ce cours improvisé, me permit de ressentir instantanément une hausse de mon
rendement et de la qualité de mes bottes. C'est cette qualité qui fait la fierté de l'hortillon
(Fig. 19). C'est donc au travers de ces petits cours improvisés que j'ai réalisé l'importance
de chacune de ces « astuces » qui optimisent le système de production.
Figure 19_ Beauté et qualité des bottes d'oignons : « c'est ça qui vend »
On aborde aussi, dans les champs, la question des variétés plantées, choisies en
fonction de leur adaptation au milieu spécifique des hortillonnages, de leur qualité et
finalement de leur prix de vente sur le marché.
(1) Grâce à la fertilité du système agricole des hortillonnages, trois récoltes annuelles sont possibles.
33
Ce sont ces petits détails qui font la différence en termes de gains de temps, et donc de
gains d'argent, paramètre essentiel, au centre du raisonnement de l'hortillon, questionnant
le moindre geste, la moindre décision. C'est uniquement de cette manière qu'ils arrivent à
vivre de leur travail. Le calendrier de culture, ils le connaissent par cœur. C'est la même
chose pour les choix variétaux.
Avec les hortillons, il faut travailler vite. Quand le temps file à parler sans rien faire, leur
regard se dirige vers leur terre, et on perçoit que leur esprit y retourne. La liste de tâches à
effectuer est rappelée à l'ordre, comme pour être certain de ne rien oublier pour la
préparation des terres ou du prochain marché. Les discussions « sur le bord du champs »
ne sont pas très bien vécues par ces travailleurs infatigables. Elles engendrent vite un
certain malaise qui les incite à reprendre leur besogne. C'est en ressentant ces signes
extérieurs que je compris qu'il ne fallait pas continuer à « parler dans le vide ». Pour
autant, le travail ne se fait pas dans un silence religieux, bien au contraire ! Les
discussions vont bon train, mais le travail avance avec encore plus d'entrain (Fig. 20).
Figure 20_ Tenir le rythme, tout en tenant une discussion sur les variétés de laitues...
Comme si parler était une façon de mieux vivre un travail rythmé, fait de gestes répétitifs,
qui seraient ennuyeux sans cela.
34
Figure 21_ Dormir « dans l'serre », sur une bâche. Couverture : du P17(1) !
Ces discussions avec les hortillons me permirent de mesurer le haut niveau de leurs
qualifications, l'étendue de leurs connaissances et la richesse de leurs points de vues. Les
résultats de ces échanges seront développés dans le chapitre suivant et permettront, je
l'espère, de mieux regarder le paysage des hortillonnages comme un système agri-culturel
complet qui ne pourra évoluer dans les années à venir que grâce au travail de ses
maraîchers-modeleurs qui ont toujours su s'adapter à l'évolution de leur contexte.
(1) Le P17 est un voile non-tissé. Il est utilisé comme voile de croissance, d'hivernage ou de protection
des cultures. Il est vendu en rouleaux de plusieurs largeurs...
35
Figure 22_ Tchotte Thérèse Novak au marché sur l'eau
Figure 23_ Tchot René Novak dans son atelier-abris à bateau et matériel
36
IV. Spécificité du système agricole des hortillonnages
Figure 24_ Gravure sous un plat
(Bibl. Louis Aragon)
a. Introduction
Dans son ouvrage de 1890, Thomas Rattel, Les Hortillonnages d'Amiens ou l'art de
transformer les marais insalubres et improductifs en saines et riches cultures
maraîchères, l'auteur apporte une véritable compréhension et description d’époque du
système agraire, nous permettant d’une part d'évaluer objectivement les similitudes et
différences entre les deux époques et d'autre part de mieux comprendre les mécanismes
d'adaptation de cette communauté.
La manière dont s'est construit ce système agraire singulier peut être liée à une
évolution parallèle de la société hortillonne avec celle d'Amiens, « Ceci donne une idée
des interactions sociales établies selon des habitudes culturelles qui permettaient au
groupe d'exercer un certain contrôle sur son rapport à l'environnement. Cela appelle des
recherches supplémentaires pour comprendre les fonctions remplies par le patrimoine
culturel du groupe, et aussi ses échecs éventuels dans des temps de changement majeur
de la société environnante... la compétition constante qui alimentait un lent processus de
changement et une méfiance vis-à-vis des étrangers, semblent autant d'indices de la forte
emprise de la culture collective sur les membres du groupe. » (Conan, M., 2004). Cet
extrait montre bien comment les hortillons ont su faire évoluer ce système agraire durant
des siècles en l'adaptant aux évolutions du marché.
37
C'est cette spécificité du système amiénois qui est négligée dans la majorité des
ouvrages rencontrés qui m’intéresse. Les récits ethnographiques, qui existent, portent le
plus souvent sur les savoir-faire passés, ne suivant plus leurs évolution jusqu'à
aujourd'hui. Seuls les derniers hortillons en portent encore la mémoire vivante. Leur survie
est menacée par la diminution des effectifs et ils trouvent de plus en plus difficilement des
travailleurs qui pourraient être leurs « apprentis ». Aussi, ils n'ont pas forcément de
repreneur capable d'assurer l'adaptation à un système agraire ne respectant pas les
échelles de production, principalement du fait de l'ouverture des marchés.
La singularité de ce territoire, sa capacité à alimenter une ville en produits maraîchers de
qualité, se voit menacée et risque de se perdre. Pourtant, cette potentialité agroalimentaire
pourrait bien redevenir utile dans les décennies à venir, et qui verront le coût du transport
augmenter, permettant de revaloriser cette relation de proximité avec Amiens.
Cet intérêt bipolaire pour le même territoire a engendré un décalage entre l'attractivité
extrême des hortillonnages lorsqu'il s'agit d'y pratiquer du tourisme, des activités
artistiques ou du jardinage, et les difficultés d'adaptation rencontrées par les hortillons,
occultées par cette effervescence. La rigueur de leur quotidien et leur savoir-faire
passeraient presque inaperçus.
Figure 25_ 5 secondes par laitue dans la cagette, soit 700 laitues/heure...
38
Figure 26_ Stabilisation et fertilisation
Ainsi Tchot Daniel et son frère Tchot Bernard Parmentier m'expliquèrent la difficulté de
trouver de la main d’œuvre rentable. Un ouvrier qui ramasse 90 bottes de radis par heure
lui fait perdre de l'argent, il lui faut en faire un minimum de 120/h pour générer un profit.
Cet exemple paraît anodin, mais exprime bien la dureté du labeur et pourquoi l'hortillon se
retrouve souvent seul à assurer tout le système de production. De plus, cet exemple
démontre une démarche de positionnement agro-économique visant à s’inscrire au mieux
dans le système agraire. Ce qui me surprend, c'est que d'un côté les hortillons ne trouvent
pas de main d’œuvre qualifiée, mais de l'autre des gens se bousculent pour accéder au
« Jardin des Vertueux », qui est jardin éducatif, comme une vitrine des hortillonnages. Il
est tenu par le paysagiste Pascal Goujon qui s'est installé dans les hortillonnages à
travers l'association « Terre de liens », il y a 4 ans et qui fait mûrir depuis son projet de
jardin. Cependant, il est bien conscient du savoir-faire pointu des hortillons comme il me
l'explique lors d'un entretient :
« Je commence à être intelligent sur le terrain on va dire. Mais je commence... par rapport
à eux, je suis un rigolo. Parce que eux ils sont nés dedans. Si tu discute avec lui il va te
dire je vais semer tel truc à tel date, puis je vais faire si, faire ça, en fait il va te raconter
tout une saison de culture. Il maîtrise tout. (...) donc un jeune maraîcher qui va s’installer
ici, en gros la première année il va perdre de l’argent, la deuxième année, il va équilibrer,
la troisième année il va commencer à en gagner et encore, pas beaucoup. Et puis s’il
vend pas en circuits courts, c’est mort ».
39
Figure 27_ Curage des rieux avec le louchet, un geste ancestral essentiel à ce paysage agri-culturel
40
Figure 28_ Curage à la pelle mécanique et dépôt en tas sur la berge.
Figure 29_ Préparation du champs et repiquage de 2500 poireaux...
41
b. Système de production adapté
Figure 30_ Semis, roulage et couverture
42
Dans l'article « hortillonnages et hardines » paru dans le journal « Le Pays Picard » de
1930 (Annexe E), on trouve cette description élogieuse : « Les hortillons ont toujours
formé à La Voirie et La Neuville, quartiers d'Amiens, à Camon, sis au centre des
hortillonnages, à Rivery un groupe d'un millier de membres, original, particulariste, fermé.
Hommes et femmes ignorent la fatigue pour eux-mêmes comme pour leur terre qui n'est
pas un moment libre, inoccupée, grâce au jeu des semis combinés, des cultures
alternées. On a souvent et justement loué l'énergie laborieuse de nos maraîchers et
l'abondance, la qualité de leurs récoltes. Dès 1651, l'auteur d'un « Jardinier français »,
Nicolas de Bonnefonds écrivait : « Ils méritent d'être appelés les meilleurs et les plus
curieux Jardiniers pour les herbes potagères que tous les autres de toutes les provinces
de France. »
Les hortillons font peu référence à leurs ancêtres dans le champ. Je ne pense pas que
Figure 31_ Tchot Francis Parmentier et son ami, en pleine réparation du ch'tracteur
ce soit par manque de respect, bien au contraire, ils les respectent et leur silence serait,
d'après moi, plutôt une marque de respect. Ainsi, si on s’intéresse à ce volet de leur être, il
faut les interroger. Ils répondront, mais tous, toujours, évasivement et succinctement.
Mais il y a des leçons qui ne sont jamais oubliées, celles qui ont fait des dégâts ou du mal
à un « ancien », comme ne l'oubli pas Francis Parmentier :
« 14 ans que je suis ici, je suis la 4 ème génération d’hortillons. Il y a une vingtaine d’années,
43
sur ces terres, l’hortillon a eu un tracteur de brûlé quand il a eu son abris de brûlé, trop
près, c’est pour ça que je mets éloigné, et jamais côte à côte. Un ici, un là-bas. Comme ça
si y en a un qui brûle, l’autre il est là-bas... [rires] ».
Aussi, en remarquant que les laitues sont juste déposées sur le sol, plutôt que bien
enfoncées dedans, j'affirme à Tchot Francis que c'est mauvais. Très fier de ses aïeux, il
me sort une de ces phrases qu'on oubliera jamais : « Ils disent que la salade doit danser
au vent... ». Cette précision me fit sourire tellement elle est
« sensible », presque
sensuelle ! Comparer la technique de plantation à une danse...
C'est vrai, même sans préavis (car je ne les connaissais pas), je ne m'attendais pas à ce
que les hortillons soient aussi sensibles.
Daniel Parmentier m'expliqua aussi que beaucoup d'anciennes techniques ne sont plus
pratiquées aujourd'hui, surtout par manque de main d’œuvre parce qu'elles sont
« dépassées ». En pointant du doigt un monticule de « planches » dans un de ses
hangars-cabanes, je lui demande ce que c'est : « Ça ce sont des cadres. Ça fait une
vingtaine d’années qu’on s’en sert plus... Trop lourds ». Mais malgré le fait que certaines
techniques soient « dépassées », il m'explique :
« Moi, j’avais 16 ans, j’ai connu mon père aller biner des betteraves à sucre. Les gens
salariés allaient chez les cultivateurs, ils avaient une binette. Ils allaient biner des hectares
de betteraves rouges, il n’y avait pas de désherbant et tout ça. Les gens vivaient bien, il y
avait des rentrées ». Mettant en avant le double emploi de beaucoup de gens. Après leur
travail, les membres de la famille, même des amis, allaient travailler sur les aires.
Puis il m'explique comment les hortillons qui vendaient surtout sur les marchés se sont
adaptés à l'environnement économique : « Après il y eu la Coop « la ruche » qui achetait
un petit peu.
[Et maintenant il y a plus de Coop ?]
« Non, ça a été racheté par Auchan. »
[C’est pour ça que Auchan continue de vous acheter pas mal de légumes ?]
« C’était le début des grandes surfaces, et au lieu d’aller chercher des légumes dans le
Nord, dans le Pas de Calais...Il prenait des légumes locaux. Puis ils ont commencé à
44
pressuriser les gus pour les faire pisser pour une salade à 5 centimes de Franc... et puis
certains étaient contents parce qu’ils vendaient, ils avaient commencé à évoluer un peu,
autrement ils ne vendaient pas. Et puis la main d’œuvre elle coûtait à cette époque-là pas
grand chose. Ça allait. Et puis les grandes surfaces, elles ont pris le dessus, alors les gars
ils ont tous arrêté, c’était fini, il fallait arrêter les frais ».
[Mais tchot Daniel, pourquoi est-ce que toi tu continues alors ?]
« Parce que je suis un fou, tout ceux qui sont encore là, c’est des fous. Heureusement
que je ne fais pas qu’Auchan, que je fais le marché de détail, tout ça. Parce que j’aime
bien mon travail c’est tout, c’est mon métier moi ».
[Moi ce qui m’intéresse de savoir un peu, c’est quels sont ces savoir-faire qu’on vous a
transmis et qui permettent de vous adapter à un marché, par exemple il y a le label de
qualité « Les ‘tcho légumes »(1) ça, ça vous aide à écouler la marchandise, en vendant la
qualité, n’est-ce-pas ?]
« Oui, heureusement qu’il y a ça. »
[Et derrière ces ‘tcho légumes » peux-tu me décrire comment ça s’est passé ?]
« Avant il n’y avait rien c’était comme on le dit vulgairement : chacun pour sa gueule.
Chacun se démerdait et on rentrait sans se voir en grande surface. Si tu pouvais baiser un
copain... Et malheureusement des copains il n’y en avait pas de trop. Ah ouai, jte le dis, si
il y avait pas eu la marque, on ne serait plus là... »
(1) La marque « les 'tcho légumes des hortillons » est gérée par l'Association des hortillons. Elle
permet de valoriser la production hortillonne. Elle est représentée par son logo et des cagettes vertes et
bleues spécifiques. Cependant les hortillons ne travaillent pas tous pour elle. (Fig. 33).
45
Figure 32_ Tchot Mathieu Devisse effectuant la livraison chez Auchan
[Et comment ça s’est passé ? Qui a eu l’idée de faire ces « tcho légumes » ? C’était en
quelle année ?]
« C’était l’ancien maire de Camon parce que ses parents et grands-parents étaient
maraîchers. Il a vu comment c’était, alors il a créé la marque, il a voulu faire un côté
folklore, lui c’était un commercial... C’était en 1998 ».
Figure 33_ Logo « les' tcho légumes » et pancarte de la ferme pédagogique de B. Parmentier
46
[ En 1998 quand ça a commencé, il y avait combien d’hortillons ?]
« Il en restait déjà plus que 7. Le gars qui est arrivé chez Leclerc, c’est un patron, hein ! Il
est franchisé pour travailler avec les produits locaux. On lui donne 3%. Alors 3% sur un
smic, tous les jours, ça fait un ouvrier de payé alors tu ne les intéresses plus. Et tous les
gars qui travaillent avec les centrales d’achat , il sont en train de se faire étriller la gorge.
Tout est calibré. 1 melon par exemple ça doit faire 1 kilo ! et tout le reste part à la benne ».
[Et donc mis à part les « tcho légumes », comment vous adaptez-vous à ce marché de
grande surface ?]
« Auchan c’est un détaillant. Il prend volontiers le primeur, ça sauve... » [Et comment estce que le primeur te sauve ?] « Le primeur, c’est du petit donc c’est de la qualité. Tout ce
qui est bottelé, persil, carotte, navets, radis, c’est du primeur, ça se vend bien quoi. »
[Et toi Tchot Daniel comment tu as appris tout ça ?]
« Moi je l’ai appris sur le terrain quand j’étais petit avec mon père, et puis j’aimais ça... »
Par la suite, en remarquant qu'il utilisait souvent un « cahier des charges », je voulus
comprendre si c'était toujours comme ça...
Figure 34_ Tchot Daniel Parmentier et son neveu tchot Mathieu Devisse
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[Et tes ancêtres il n’avait pas ce système de cahier des charges ?]
« Dans les années 70 tout était vendu local. On travaillait avec Continent, tu pouvais
semer 1 hectare de radis, sans les commander, tu les vendais, parce que on achetait
local ». Alors qu'aujourd'hui, les hortillons ne sèment plus « à l'hectare ». Ils savent
exactement combien de plantules en godets commander, et échelonnent leur mise en
terre de façon à répondre graduellement à la demande. C'est d'ailleurs pour cela que
beaucoup de barquettes sont disposées au sol, attendant d'être transportées vers le
champs.
René Novak est hortillon et vice-président de l'Association pour la protection et la
sauvegarde du site et de l’environnement des hortillonnages. La première fois que je l'ai
rencontré c'était lors d'un entretien avec son président [de l'association], M. Jacques
Leullier. René Novak était présent, mais absent, assis un peu en retrait de nous [attablés]
dans un coin et n'a contribué à l'entretien que lorsqu'il était sollicité... Il me laissa une
impression bizarre, et j'étais impatient de rencontrer l'hortillon plutôt que le vice-président.
Ce fut chose faite, et lors de mon entretien avec lui, il parut plus à l'aise, quoique je
sentis transparaître dans son discours, la « rigidité du discours de l'association ».
Cependant, il s'ouvrit par fenêtres dans le dialogue. Il est certain que c'est un hortillon à
part entière, doué de cette intuition typique. Il est aussi, avec Alain Cazier, propriétaire de
l'équivalent de ses terres dans les hortillons en plein champ. Voici la retranscription du
dialogue concernant les « anciens » :
[Moi aujourd’hui ce qui m’intrigue, c’est d’essayer de comprendre qu’est ce que vos
ancêtres vous ont transmis. S'ils venaient aujourd’hui pour voir comment ça se passe...]
« C’est certain qu’ils auraient mal au cœur. Par contre ils réfléchissaient moins aux
techniques pour ne pas épuiser la terre. Ils voulaient gagner de la surface ».
« Lorsqu’on regarde les photos anciennes du port des maraîchères, il n’y avait pas cent
barques, donc il y en avait qui descendaient deux bateaux. Quelques fois trois bateaux.
Moi j’ai connu M. Poulet qui avait qu’un bras et qui remontait la somme. Le ‘chtireur
(1)
, il
arrivait, il fallait lui donner une pièce, là il y a le pont entre la Somme et l’étang de
Clermont. Il partait à 1 heure du marché sur l’eau, à 2 heures ou deux heures et quart, il
était au pont de Clermont là-bas. Il prenait ses trois barques, il les lançait dans le courant
48
puis lui il partait. Les hortillons ils savaient que le ‘chtireur (1) il arrivait à cette heure là et à
trois heures, avec le courant, ils récupéraient leur barque maraîchère chez eux ».
[Qu’est ce qui rythme votre mémoire des anciens ?]
« Les anciens ils disaient « A la foire, adieu les beaux jours »
[Mais dans vos cultures, dans vos choix de variétés, tout ça ?]
C’est appris sur le tas. On avait un voisin qu’on connaissait bien, depuis qu’on était petit, il
venait toujours à la maison et je savais que le jour où il partirait, ses terrains c’était pour
nous. Parce qu’il était ami ».
Figure 35_ Mariette l'hortillonne
(Jules Bocquet)
(1) en effet, les hortillons descendaient la rivière seuls pour acheminer leur cargaison au marché sur
l'eau, mais se faisaient remonter, tirés par des tireurs avec des cordes depuis le chemin de halage
pour rentrer
49
Je profite qu'il me parle de terrains pour lui demander :
[Le fait que vos terres ne soient pas réunies ensemble, sur la même parcelle, est ce que
vous trouvez ça dérangeant le fait de devoir aller d’une terre à l’autre ?] Il me répond en
m'expliquant par la même occasion l'organisation de ses cultures :
« Non pas du tout, on est habitué parce qu’imaginons qu’on a dix parcelles, quand je vais
chercher du poireau je le fais sur toute une parcelle, quand je fais du radis, je prends
celle-là, Quand j’ai des topinambours, du thym...je prends celle-là... Et tous les ans on fait
une rotation ».
[Et comment vous choisissez quel légume on peut remplacer par un autre ?]
« Une année on prend un produit en racine une autre année en fleur puis après en feuille.
On choisit la première année en « feuille » comme par exemple, l’épinard ou la salade. En
« fleur » c’est par exemple le chou-fleur » [et la courgette ?] « la courgette ça c’est « fruit »
et les carottes c’est « racine ».
Puis il me parle du curage par l'association. Je suis curieux de savoir ce qu'ils font avec
cette tourbe curée, élément central du système de production et raison d'être des
hortillonnages :
[Aujourd’hui je sais que vous curez tous les rieux des particuliers, contre un prix, mais
qu’est ce que vous faites aujourd’hui avec les tourbes qui sont extraites ?]
« Si c’est des particuliers, ils font de la pelouse avec et si c’est des professionnels, on
laisse reposer un an puis on l’étale sur les terres et on laboure jamais trop profond, sinon
ça fatigue le sol ».
« Toutes les années il y a plus de 100 000 plants qui sont distribués aux amis et aux
maraîchers, amis. Par moi-même. On offre ça. Tous les ans par exemple, on offre aux
maisons de retraite pour que les papis, les mamies, ils les épluchent. On fait des
manifestations comme à la maison des personnes âgées. Quand ils ont besoin de
légumes, c’est ici qu’ils prennent quand il manque. Ça les aide et puis nous ça permet de
nous faire connaître ».
Lors de mon entretient avec Francis Parmentier, je fut surpris de voir les plantules de
laitues comme « déchaussés » (Fig. 36), en pensant que c'était une erreur, je lui
50
demande :
[Tchot Francis, pourquoi tes plantules de salade sont mal repiquées?]
« Non, c'est pas mal repiqué, c'est comme ça. Ils disent [probablement les ancêtres] que
la salade doit danser au vent... ça la rend plus résistante et moins de chances qu'elle
pourrisse au pied. »
Figure 36_ Laitues dansant au vent (godets posés sur la terre)
Puis il m'explique dans sa démarche vitale de faire des gains, comment il évite le travail inutile :
« Pour revenir aux salades, donc l’année dernière on a biné les salades 7 fois, quand on
les vends à 28 centimes vous pouvez regarder ce qui reste, faut rentabiliser. Alors moi
maintenant j’utilise ces bâches noires comme ça, ça évite toutes les mauvaises herbes. Et
oui, dessus, ça c’est le P17, ça donne 3-4 degrés de différence de température de
chaleur, voilà. [Et ça tient longtemps ?] Le P17, ça dépend. Si on y fait attention a ce que
l’on prend, moi avant je prenais des 15m de large, mais voilà ce que ça va faire : Clac ! [il
me montre comment le voile cède facilement] donc maintenant on revient beaucoup avec
du 4m de large. Comme ça il n’y a pas de prise au vent, c’est plus facile à installer ».
51
Son frère, Bernard Parmentier, m'explique comment les techniques de plantation ont
évoluées :
« Aujourd’hui comme il a fallu s’adapter, on ne sème plus. Les plants, on les fait venir. [Ça
fait une différence ça ?] Raff ! Énormément ! C’est-à-dire qu’aujourd’hui forcément on n’a
pas la vente, alors on est obligé de s’adapter mais par contre si demain on me dit « tu
replantes ça tes salades en racines nues, il y a pas de problèmes, on sait très bien ce que
ça fait en racines nues. » [C’est quoi « en racines nues » ?] « Il y a pas de godet au bout.
Aujourd’hui on plante la petite salade avec le godet. La vraie méthode c’est de planter une
salade en racines nues. Et elles viennent de graines qu’on avait gardées de la saison
précédente, des graines adaptées, et semées dans un châssis. Alors là il y a la façon de
repiquer. Et puis après c’est quand c’est le binage que vous voyez que vous avez travaillé.
Parce que la salade petite comme ça, vous lui donnez un coup de binage, on le disait
dans le temps : « Un coup de binage vaut trois coups d’arrosage et là la salade ! Rien que
le coup de binette bien donné au pied, le lendemain on a vu le résultat.
[Qu’est ce qu’il fait ce coup de binette en fait ?]
« Il aère les racines, c’est ce qui fait que la salade elle se sent revivre ».
En découvrant les aires de Daniel Parmentier, je fut surpris d'y trouver des rangs
d'arbres fruitiers (Fig. 37), gros consommateurs de surface. Voila l'explication démontrant
leur utilité et intégration dans le système de production :
[En m'indiquant le gros prunier] « Je cultive avec des arbres fruitiers entre deux [cultures],
j’ai ça, ça retient, dans des bocaux [pièges], tous les papillons qui nous mettent l'aleurode.
Avec ça j’attrape tout. J’en ai une vingtaine ».
Puis, il enchaîne sur cette nuance : « J’ai quatre variétés de poires, elles sont toutes
bonnes. Ici c’est des terres à poires. Par contre les pommes c’est plus fragile ».
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Figure 37_ Arbres fruitiers entre cultures pour « attraper » les insectes
Après, on arrive devant plusieurs lignes de persil, en se penchant et en touchant les
feuilles il m'explique :
« Le persil, je fais deux coupes seulement. Après il n’est plus frisé...Il n’a plus une belle
gueule...Il ne se vend pas ». Un paramètre toujours en tête : la mise en valeur du produit
pour le vendre à bon prix. Mais tout ces gestes et remarques demandent énormément de
temps et de travail. Content de son tour avec moi dans ses cultures, tchot Daniel regrette
une chose et me confie :
« Maintenant les maraîchers ne sont plus courageux. »
Il m'explique que les « nouveaux » veulent de la facilité, des machines : « Alors en parlant
de culture, attention, c’est un légume qu’ils font. Le poireau parce que c’est mécanisé, la
carotte parce que c’est mécanisé. Par contre des choux, de moins en moins parce que
c’est mécanisé pour les planter mais après faut les rentrer à la main. Il y a de moins en
moins qui en font ».
Les machines existent pour beaucoup de légumes, il m'explique que c'est en nombre de
rangs qu'elles progressent. « Avant c'était des 3 rangs, aujourd'hui ils sont rendus à 6,
même 8 ! ». Mais certains légumes, surtout en primeurs, ne doivent être récoltés qu'à la
main, toujours avec un soucis de qualité et de cadence : « Pour les radis, il faut faire 120
bottes à l’heure. Toi si tu vas t’y mettre tu vas m’en faire trente et je vais te dire non
arrêtes, la porte elle est ouverte là bas, tu peux la prendre tout de suite. Parce que moi j’ai
53
perdu de l’argent comme ça. On n’a plus personne dans ces métiers là.
[Et toi t’arrive à faire combien de bottes ?] « J’ai 120 bottes à l’heure. [pas plus ?] Si j’en
fais plus quand même parce que j’ai l’habitude. [Attachées ?] Ah ouai ouai ouai, élastique.
[deux bottes par minute quoi...] Voilà. Hier j’ai fait 140 bottes [en une heure ?... Il incline la
tête en cachant sa fierté] »
Alain Cazier n'est pas hortillon de lignée, il était comptable et s'est reconverti dans le
métier. Lors de notre entretient près du rieux et de sa barque lui permettant d'atteindre ses
aires (Fig. 38), c'est bien ce problème d'accès qu'il commence par m'expliquer :
Figure 38_ Tchot Alain Cazier
[Comment vous imagineriez regrouper toutes ces terres pour en faire des terres plus
grandes, bien que se soit toujours les hortillonnages ? Est-ce qu’à l’association des
hortillons vous avez déjà évoqué cette idée de regrouper des aires ensemble avec des
pontons... avec intelligence pour optimiser ces surfaces de façon à ce que vous puissiez
avoir moins de problème ?]
« En fait sur nos terres on peut, mais pas sur le domaine public. Ça doit être isolé par
rapport à la voirie. Tout ce que je fais sur les 5 hectares des hortillonnages, je suis obligé
54
de le faire passer sur la barque. Et après je charge tout dans le camion depuis la voirie ».
[Et est-ce que vous avez déjà évoqué ce problème avec le maire ?].
« En fait on n’a pas le droit de faire un pont entre le domaine privée et public. C’est
interdit ».
c. Qu'en sera-t-il demain ? Les hortillons vus par eux-mêmes
Cette partie n'a pas l'intention de proposer un point de vue de projeteur. J’espère qu'elle
contribuera à sensibiliser les pouvoirs publics qui eux, sauront faire appel aux
compétences requises.
Les mesures prisent actuellement pour protéger les hortillonnages sont de nature
urbanistique ou paysagère. Il me semble intéressant d'explorer des mesures à caractère
agro-économique. Certaines (création de la marque « Les 'Tcho Légumes des hortillons »
par exemple) ont déjà permis aux hortillons de valoriser leurs produits et de mieux tenir le
« juste prix ».
Souvent, pour se projeter, il est utile de comprendre le passé. Dans son livre Les
Hortillonnages d'Amiens ou l'art de transformer les marais insalubres et improductifs en
saines et riches cultures maraîchères, paru en 1890,
Thomas Rattel, pharmacien,
commence l'avant-propos ainsi : « La culture maraîchère fait aujourd'hui de grands
progrès. Les bonnes espèces et les meilleures variétés de fruits et de plantes potagères
se répandent partout. C'est cette culture qui rapporte le plus , qui contribue le plus au
bien-être des familles et à l'entretien de la santé. Aussi les grandes villes ont-elles
généralement à leurs portes toute une population horticole qui remue et féconde la terre
pour alimenter leurs marchés de légumes et de fruits d'élite. Bien des grands centres
cependant sont encore privés, totalement ou en partie, de cet avantage. Ils ne se
pourvoient, à grands frais, que par les trop plein de localités plus favorisées. Sont-ce donc
les maraîchers qui manquent à la terre, ou le sol aux jardiniers ? »
C'est lors d'une journée passée à travailler avec tchot Daniel et tchot Mathieu (son
neveu) que j’eus le plaisir d'apprendre que Mathieu allait bientôt quitter l'entreprise
horticole dans laquelle il travaillait, pour s'installer comme hortillon. Juste avant
55
d 'apprendre cette nouvelle, je lui demandais :
[Tchot Mathieu, c’est quoi qui te manque pour reprendre le flambeau à ton avis ?]
« La connaissance en fait. Quand est-ce qu’il faut planter, tout ça. Toute l’organisation qu’il
y a... »
[Matthieu, je sais que tu travailles pour quelqu’un mais est ce que tu as la fibre pour
reprendre une exploitation comme celle de ton oncle ? Est-ce que tu sens que t’as ça en
toi ?]
« Oui, je pourrais reprendre mais pour l’instant j’ai encore besoin d’apprendre ».
C'est donc un apprentissage de plusieurs années qu'il acquiert dans le champs, aux côtés
de son oncle, en plus de son métier, comme les anciens. En ce jour ; il franchit le pas
d'avoir ses propres terres. Dans son attitude, c'est son humilité qui me marqua le plus.
Faire reconnaître les hortillons et leur travail est essentiel pour que plus de jeunes
comme Mathieu Devisse se lance dans l'aventure hortillonne. Pour Bernard Parmentier il
faut aussi compter sur des subventions pour dynamiser ce renouveau :
[Quand vous dites que c’est là haut que ça se décide, qu’est ce que vous pensez qu’il faut
faire, à votre avis pour les jeunes, pour que des hortillons reviennent ?]
« Faire reconnaître qu’un produit des hortillonnages c’est quelque chose qui prend du
temps. Qui est fait tout à la main. Ça n’sera jamais mécanisable. Il y a du temps à passer
autour donc faudrait être rémunéré en conséquence. On n’est pas subventionné, il y a rien
du tout. En zone difficile, les agriculteurs en montagne par exemple, bon maintenant ils
font du tourisme pour les aider mais avant ils avaient des subventions. Nous on a jamais
rien eu. Alors il y a une paire d’année, ça allait ‘core... Mais même en grande surface, on a
eu les ‘tcho légumes, ont les vendaient au même prix et la vie continuait d’augmenter. Et
les prix ne s’adaptent pas.(...) Moi déjà j’ai eu de la casse avec les inondations, j’avais
planté pour les ‘tcho légumes, j’ai tout perdu, et puis on m’a volé et puis je suis reparti
dans un autre champs, il y eu les lapins... donc j’ai été une année à rien faire du tout, elle
a été massacrée ».
[Et donc pour vos enfants, vous leur dites de faire ce qu’ils veulent...]
« Oui, quand on voit déjà les prix qui ne sont pas derrière et quand on voit l’évolution des
machines vous ne pouvez pas, ils sont arrivés à 6 ou 7 rangs (le nombre de rangs que
peu travailler une machine en un passage) pour arracher des carottes ! Au lieu de trois.
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Quand on a fait « ‘tcho légumes » ils étaient encore à 2 ou 3 rangs. Donc fallait deux
chauffeurs tracteur, deux chauffeurs machines et après des gens pour préparer les
produits, les navets tout ça. Alors qu’aujourd’hui ils partent à deux le matin et puis l’après
midi, ils lavent. C’est-à-dire qu’ils ont supprimé 6 ou 7 mains d’œuvre. Donc ils peuvent
toujours vendre au prix bas pour eux puisqu’ils éliminent tout autour tout ce qui ne va pas.
Tandis que nous on ne pourrait pas tout ça. Eux pendant qu’ils vont sortir 500 tonnes de
carottes, nous on n’en aura fait 5 kgs. Le truc il est là. Et nous on n'est pas reconnu... »
Pour Bernard Parmentier, l'autre paramètre qui menace régulièrement le système de
production des hortillonnages est l'aléa climatique. En effet, lors des inondations de 2001
(Fig. ), il a perdu toute sa production :
[Donc vous avez subi un coup dur et « Les ‘tcho légumes » n’a pas du tout aidé ?]
« Non..., mais nous en fin d’année on a eu quelqu'un qui a vu qu’il y avait encore une
cagnotte pour les inondés quoi et nous comme on était vraiment... Toute façon, on devait
arrêter. C’était simple, si il y avait pas eu de petites aides pour payer les fournisseurs, on
arrêtait. C’était clair et net , c’était terminé pour nous, on avait plus les moyens de repartir.
C’était parce qu’à Amiens métropole il en restait un petit peu et qu’ils nous ont un peu
aidé. Et puis remonté un peu le moral parce qu’on est passé à toutes les portes, malgré
qu’on était à sec, il n’y avait pas d’aide ».
Figure 39_ Inondations de 2001 entraînant la destruction de la production hortillonne (C. Larcher, 2001)
57
58
Conclusion générale
Le prix du foncier est le principal obstacle au maintien d'une agriculture de proximité
pour la plupart des agglomérations du monde. En effet, comme à Amiens, la valeur
potentielle des terrains constructibles rend peu rentable le maintien de cette agriculture.
Dans ce cadre économique spéculatif, seuls les pouvoirs publics peuvent, s'ils en ont la
volonté, préserver les espaces des hortillonnages en garantissant aux hortillons les
moyens de poursuivre leurs activités et offrir ainsi aux Amiénois une meilleure qualité de
vie en maintenant des espaces ouverts au sein de la métropole.
Aujourd'hui, les forces politiques et économiques poussent vers une transformation des
hortillonnages en « réserve naturelle ». On ne peut manquer d’être sensible à l'ironie d'une
situation qui fait qu'un paysage spectaculaire construit de main d'homme puisse offrir aux
yeux de citadins contemporains un spectacle de « nature » alors même que les derniers
hortillons n'ont pas encore disparu.
Cette approche de « sauvegarde et protection » cristallise le paysage pour en livrer une
image figée au marché du tourisme et du loisir, marginalisant ainsi l'activité des hortillons
qui a pourtant permis à ce paysage d'exister et de se maintenir jusqu'à maintenant. Dans
sa thèse de doctorat, Céline Clauzel présente un graphique qui me semble très révélateur
de la perception qu'a l'opinion publique du paysage des hortillonnages.
Figure 40_ Graphique de Céline Clauzel
Dans son classement du plus « beau » paysage, les parcelles maraîchères ne sont
presque pas considérées : seulement 4% de la population locale pense que le paysage
ouvert, le paysage agri-culturel, est « beau ». Il semble que la campagne des associations
59
et des politiques ait porté ses fruits, puisque le paysage qu'ils « vendent », représenté par
les « canaux et végétation », autrement dit, le paysage naturalisé vient loin devant pour la
population locale. Ce « paysage politique » n'est pas de même nature que celui qu'ont
façonné les hortillons pendant des générations. Les jardins d'agréments ont la cote auprès
des visiteurs internationaux, même s'ils sont bien peu caractéristiques du paysage des
hortillonnages. Je pense surtout au succès de ces haies de thuya, appréciées pour leur
vitesse de croissance et leur opacité, et si peu représentatives de l'histoire des lieux.
Le savoir-faire des hortillons : un patrimoine immatériel en péril
Si l'on souhaite patrimonialiser durablement la relation entre ce territoire et ses
maraîchers-modeleurs, il
est important de se rappeler que la forme paysagère des
hortillonnages est indissociable d'un système de production qui n'existe que grâce à la
transmission ininterrompue d'un savoir-faire local.
En travaillant avec eux tout en discutant dans les champs, je pense avoir mis en
évidence quelques-unes de ces techniques spécifiques qui ne relèvent pas uniquement du
savoir-faire d’un maraîcher ordinaire, mais bien de celui des hortillons amiénois. Et celui-ci
n’est pas seulement constitué d’une connaissance transmise par les générations
précédentes et plus ou moins figée, telle que les ethnologues ont déjà pu la relater dans
leurs publications, mais aussi d’un « savoir évoluer », un savoir s’adapter à l’évolution des
techniques comme à l’évolution des marchés.
Certains hortillons d’aujourd'hui, par exemple, diversifient leur système d'exploitation en
travaillant
avec
la
grande
distribution
qui
leur
assure
plusieurs
commandes
hebdomadaires venant utilement compléter les filières habituelles, notamment lorsque
l’abondance des récoltes s’adapte mal aux filières courtes locales. Ils ont su aussi obtenir
de cette grande distribution qu’elle présente leurs produits avec une identification claire de
leur provenance, ce qui leur permet une meilleure valorisation économique.
D’un point de vue technique, on observe qu’en plus d’une évolution déjà ancienne vers
une mécanisation appropriée, ils ont su également adapter à leur milieu des techniques de
plantation que ne connaissaient pas leurs grands-parents. Ils transplantent ainsi des
plantules élevées en godet là où leurs ancêtres récoltaient des graines pour les ressemer
d’une saison à l’autre. Les gestes sont nourris du même savoir-faire, les laitues « dansent
toujours dans le vent », mais la modernité a aussi trouvée sa place dans les champs des
60
hortillons.
Vers une gouvernance alimentaire durable de l’agglomération amiénoise
Ce qui a entraîné le déclin du système agraire des hortillonnages, c’est la concurrence
d’un marché globalisé rendu possible par le développement de l’agronomie moderne,
appuyé sur l’usage d’engrais minéraux, et celui des transports. L’un comme l’autre
dépendent des énergies fossiles et de ressources minières qui sont l’une et l’autre en voie
de raréfaction. Toutes les prospectives économiques s’accordent pour prévoir une
augmentation importante des prix de ces ressources fossiles dans les décennies qui
viennent. Il est donc hautement probable que, dans trente ou quarante ans, des systèmes
agraires comme celui des hortillonnages, peu gourmands en énergie et en engrais,
retrouveront leur pertinence.
Les
Amiénois
seront
alors
certainement
heureux
de
pouvoir
assurer
leur
approvisionnement alimentaire grâce à leur agriculture de proximité. Mais sauront-ils
encore redonner aux hortillonnages l’efficacité qu’ils ont eu durant des siècles, ou
découvriront-ils un peu trop tard qu’il leur manque un maillon dans la chaîne de
transmission et d’adaptation d’un savoir-faire pluri-séculaire ?
Les huit hortillons que j’ai rencontrés sont le trait d'union vers ce futur proche. Protéger
leurs terres contre l’urbanisation, maintenir le curage des rieux, aider des milieux
associatifs à maintenir sur place un usage « jardinier », ou préserver les variétés
anciennes endémiques, sont autant de mesures grandement utiles et même nécessaires,
et il est heureux qu’elles aient été prises.
Mais elles ne sont pas suffisantes.
Il faudrait aussi inventer les mesures qui permettront de sauvegarder ce patrimoine
immatériel que représente la culture des hortillons en agissant sur les leviers
économiques qui les remettraient en situation de transmettre leur savoir-faire. Il serait
alors possible d’accueillir dans de bonnes conditions de jeunes hortillons qui, comme
Mathieu Devisse, sauront le transmettre à leur tour tout en l’adaptant aux évolutions à
venir.
Un travail de terrain, comme celui que ma contribution n’aura fait qu’esquisser, serait un
préalable nécessaire. Il pourrait prendre la forme de celui qu’Anne-Marie Topalov a mené
chez les Bas-Alpins…
61
Bibliographie
CLAUZEL Céline, Dynamiques de l’occupation du sol et mutations des usages dans les
zones humides urbaines , Étude comparée des hortillonnages d’Amiens (France) et des
chinampas de Xochimilco (Mexique) , thèse de doctorat soutenue le 06/12/2008,
Université Paris IV-Sorbonne, 2008
CLOQUIER Christophe, Les hortillonnages d'Amiens : un site unique aménagé par une
communauté de maraîchers au fil des siècles, Travail et paysages. Actes du 127 e congres
national des sociétés historique et scientifiques, Collectif, p. 39-59, éditions du comité des
travaux historiques et scientifiques, Nancy, 2002
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Lexique picard: http://www.lexilogos.com/picard_langue_dictionnaires.htm
63
Liste des figures
1 _ Aire de loisir et « thuyatisation » de parcelles dans les hortillonnages (gds)
p.12
2 _Paysage de production fabriqué et entretenu par l'homme (CRDP d'Amiens, 1988)
p.13
3 _ Un fossé entre jardin et maraîchage (gds)
p.13
4 _ Plan d'une exploitation typique dans les hortillonnages (Th. Rattel, 1890)
p.14
5_ Situation et périmètre actuel des hortillonnages (Fond carto. Géoportail)
p.15
6_ Reproduction du plan « Amiens et les hortillonnages en 1542 »,
dessin aquarellé, 122x223,5 cm, (nord inversé) (Arch. Louis Aragon)
p.16
7_ Illustration du recueille de poèmes et de chants, E. David, Chés Hortillonnages
p.17
8_ Occupation des sols 1947, 1975, 2006 (C. Clauzel)
p.18
9_ Paysage de travail, paysage vécu (carte postale, 1928)
p.19
10_ Hortillonnages, « organe de production » hydro-agricole (gds)
p.20
11_ Portrait d'hortillons
(M-P Nègre, 1983)
p.20
12_ Portrait d'hortillons
(M-P Nègre, 1983)
p.22
13_ Affluence au marché sur l'eau ( ND. Phot, début XXè s)
p.23
14_Portrait d'hortillonne
p.25
(M-P Nègre, 1983)
15_ Hortillonnages, vus depuis la tour Perret (Atlas Aérien de la France, Deffontaines, 1955) p.26
16 _ Détail d'un plan des aires, la hiérarchie des canaux d'irrigation au XX e siècle
p.27
17_ Hortillonnages, un équilibre à maintenir plutôt qu'une forme à figer (gds)
p.28
18_ Hortillon, épandant les vases curées (J. Bocquet)
p.29
19_ Beauté et qualité des bottes d'oignons : « c'est ça qui vend » (gds)
p.33
20_ Tenir le rythme tout en tenant une discussion sur les variétés de laitues... (gds)
p.34
21_ Dormir « dans l'serre », sur une bâche. Couverture : du P17 ! (gds)
p.35
22_ Tchotte Thérèse Novak au marché sur l'eau (gds)
p.36
64
23_ Tchot René Novak dans son atelier-abris à bateau et matériel
(gds)
24_ Gravure sous un plat offert par les hortillons (Bibl. Louis Aragon)
25_ 5 secondes par laitue dans la cagette, soit 700 laitues/heure...
26_ Stabilisation et fertilisation
p.36
(gds)
p.37
(gds)
p.38
(gds)
p.39
27_ Curage des rieux avec le louchet, un geste ancestral essentiel à ce paysage
agri-culturel (gds)
p.40
28_ Curage à la pelle mécanique et dépôt en tas sur la berge
(gds).
p.41
29_ Préparation du champs et repiquage de 2500 poireaux...
(gds)
p.41
30_ Semis, roulage et couverture
(gds)
p.42
31_ Tchot Francis Parmentier et son ami, en pleine réparation du ch'tracteur
32_ Tchot Mathieu Devisse effectuant la livraison chez Auchan
(gds)
(gds)
p.43
p.46
33_ Logo « les' tcho légumes » et pancarte de la ferme de B. Parmentier (gds)
p.46
34_ Tchot Daniel Parmentier et son neveu tchot Mathieu Devisse
p.47
35_ Mariette l'hortillonne
(Jules Bocquet)
p.49
36_ Laitues dansant au vent (godets posés sur la terre)
(gds)
37_ Arbres fruitiers entre cultures pour « attraper » les insectes
38_ Tchot Alain Cazier
(gds)
p.51
(gds)
(gds)
p.53
p.54
39_ Inondations de 2001 ,destruction de la production hortillonne (C. Larcher, 2001)
p.57
40_ Graphique de Céline Clauzel
p.58
(gds)
65
Annexes
A. Entretiens avec les hortillons
Bernard Parmentier
Suite à son explication des inondations qui ont saccagées ses cultures, et sans avoir reçu
d'aides, il continue par l'explication des choix qu'il a fait :
[C’était en quelle année ? et comment vous avez réagi à cette difficulté ?]
« Oh c’était en 2001 parce qu’on a eu TF1 qui est passé toute une matinée parce qu’on
avait l’eau de remontée, elle était déjà bien remontée on a eu peur que ça recommence.
Alors si ça avait recommencé, on aurait arrêté le bilan, c’était plus la peine.
[Et comment vous êtes-vous adaptés alors ?] Nous ce qu’on a fait c’est qu’on est reparti à
vendre au détail, sur les marchés tout ça. Bon ben on a la ferme, alors on a refait une
formation, ma femme entre temps elle a perdu son boulot aussi, donc tout ça, ça s’est
greffé. Alors on s’est dit on va faire une formation, on va faire de la pédagogie... et on est
reparti tout doucement, mais ça prend des années ».
[Et donc c’est quoi cette idée que vous avez eue ?]
« On a eu l’idée de recevoir des enfants, ça refera connaître le site, ça refera connaître de
manger des légumes et où ça pousse... »
[Et vous vendez au marché, en direct ?]
« Oui voilà, on vend tout en détail. »
[Et le label vous vous en passez ?]
« Le label on s’en sert pas parce que moi j’avais arrêté de m’en servir parce que il y a un
chantage qui se fait derrière, c’est que si vous n’adhérez pas au « ‘tcho légumes »...Vous
avez une cotisation à payer donc vous savez quand vous êtes dans des années difficiles,
bon ben tout ce que vous pouvez gratter vous le grattez. Donc moi les caisses [les
caisses distinctives vert fluo et bleues] j’ai dit bon ben en va s’en passer.
[C’est combien la cotisation pour être « ‘tcho légumes » ?]
« C’est annuel, c’est 80€, bon ben nous on les avait plus, on essayait de gratter tout,
partout, on a préféré acheter 80€ de graines que de payer une cotisation. Moi à Auchan
j’ai arrêté de livrer tout ça, alors je vais payer une cotisation pour quoi faire ? Autant que je
vende mes produits. C’est ma fille qui vend ».
66
[son fils passe à vélo]
[En ce qui concerne la relève, moi je vois Matthieu avec Daniel, je vois ton fils à vélo, il me
parait être un solide gaillard ! Et c’est quoi qui fait que les jeunes aujourd’hui pourraient
avoir envie ou non de reprendre le métier de leurs ancêtres et de leur parents ?]
« Il y a un problème économique, mon fils il ne gagnerait pas sa croûte, et puis c’est la
saison...[il parle des aléas climatiques] bon nous on essaye de faire un peu de bonheur
parce qu’on monte des tunnels. Mais c’est juste pour avoir assez de produits pour réussir
à survivre. C’est partir de bonne heure en début de saison et d’aller le plus tard possible
parce que s’il arrive trois mois de gel, tout est cuit. »
[Et est-ce que vous vous diversifiez en faisant du poulet par exemple ?]
« Non moi je ne fais pas tout ça. [Et c’est possible de faire ce genre de choses ?] Non
non, pas dans les hortillonnages, c’est pas du sol à faire du poulet ici, regardez, si demain
il pleut comme là, inondé, où est-ce qu’on va mettre tout ça ? Ici c’est pas possible. Un ou
deux, comme nous on a trois lapins pour faire de la pédagogie... mais sinon c’est même
pas la peine d’y penser. »
[Et en termes de négociation avec les supermarchés locaux... Moi, je pense que perdre
les hortillons, c’est perdre les hortillonnages. Même dans les livres d’agriculture, il y a pas
la réponse de tout ça, comment s’adapter, comment faire ? J’ai rencontré le propriétaire du
« Spar », la supérette en face de la place Parmentier. On a commencé à parler comme ça
ensemble, et il m’a dit qu’il serait très très heureux de travailler avec les hortillons, qu’il
aimerait bien se faire approvisionner mais il m’a expliqué que les hortillons n’avaient pas
voulu le fournir probablement parce qu’il était juste en face du marché sur l’eau. Ça ne
vous intéresserait pas vous ?]
[Bah moi je ne fais plus du tout ça]
[Et pourquoi vous ne le faites plus ? Parce que ça vous engage, ça met des cahiers des
charges... c’est ça ? vous perdez votre liberté ?]
« Non non on ne perd pas notre liberté mais c’est qu’aujourd’hui avec les normes, il va
falloir marquer les noms, il va falloir marquer les numéros de parcelle... c’est tout un...
[d’accord, donc en amont il va y avoir un travail administratif à faire]
« Bah oui et comme nous c’est beaucoup à la main, vous ne voyez pas le temps qu’on va
67
passer ».
[A part les berges en vase battues, quels sont vos savoir-faire ?]
« C’est les cultures, c’est tout ce qui va avec... (...) Alors aujourd’hui on va un peu plus
tard dans la saison. Mais bon le temps faut s’en méfier. [Et comment ils faisaient vos
ancêtres pour toujours être compétitifs ?] A cette époque les gens consommaient du
légume. Aujourd’hui le légume il est diversifié, vous avez des carottes en boites, des
choux de Bruxelles en boîte, on vous les fait surgeler, on vous les fait à toutes les sauces
quoi, en plats préparés... Donc les gens ils en ont à longueur d’année en rayon et ils ont
perdu le goût du légume. Et en plus on a traité, on a mis des azotes... les produits sont
devenus plus beaux... Je dis bien c’est la beauté, pas la qualité ! »
Bernard Parmentier
[Est-ce-que vous allez le voir des fois sur sa parcelle Francis ?]
« On ne se voit pas tellement, on a tellement de boulot. Il y a que quand on a une réunion,
c’est tout. On se voit qu’une fois par an. Même Daniel qui est de l’autre côté (à 500
mètres), on ne se voit pas... Chacun est dans son truc ».
Alain Cazier
A la bêche, à la faux, repiquer à la main, c’est fini tout ça... C’est plus rentable. Et puis va
trouver du personnel avec les contraintes tout ça qu’il y a maintenant dans le personnel...
C’est impossible. C’est pour ça, les exploitations elles devraient être regroupées... »
« Un autre problème aussi, maintenant tu es obligé d’analyser l‘eau par la DRAAF une
fois par an. L’eau des hortillonnages c’est plein de gazoil dedans.
René Novak
« Pour aller à l’association avec ma petite barque, je pars d’ici. Si faut que j’arrive à 2
heures, je pars à 1 heure parce qu’on rencontre les gens, on parle et tout ça et lorsque je
reviens, c’est la même chose ».
68
[Comment vous allez faire le jour où vous déciderez d’arrêter de faire ça ? Est-ce que
vous avez envisagé des repreneurs ?]
« Un je ne vais pas arrêté, deux j’ai de la surface pour accueillir plusieurs professionnels.
Trois, il faut savoir qu’on fait beaucoup de bénévolat et puis on a mis trois personnes en
route à l’IME(1). On leur a appris à lire et à écrire, c’est pas rien ! Comme un professeur...
et en plus de ça ils ont trouvé un CDI. Et nous on fait beaucoup de choses comme ça.
Alors l’avenir plusieurs choses : Un, je reste sur l’association, même si je ne suis plus
vice-président. Moi ce n’est pas comme ma femme, c'est pas le contact clientèle qui
m’intéresse, j’aime le contact propriétaires...Le monde que je connais, c’est quand je pars
par exemple le dimanche à 9 heures du matin, je reviens le soir et j’ai vu 10 ou 15
personnes, j’ai déjeuné chez les gens, j’ai bu l’apéritif chez d’autres... »
[Donc en fait vous associez votre travail quotidien d’une façon agréable en faisant des
visites, en comprenant la région, en gardant l’œil sur les hortillonnages. C’est comme ça
que ça se fait, c’est régulier ? Vous avez une présence sur le site qui vous permet de bien
connaître les gens, d’avoir un contact avec eux qui vous aide à bien gérer ça...]
« Il n'y a aucun propriétaire dans le site sur les 1500 qui pourraient me reprocher quelque
chose. Je ne vois pas. Même si il y en a qui sont pas d’accord avec moi, il n’y a aucune
haine la dedans ».
(1) Les Instituts Médico-Educatifs (IME) sont des établissements médico-social tel que défini par la loi
du 2 janvier 2002. Ils sont agréés pour dispenser une éducation et un enseignement spécialisés pour
des enfants et adolescents atteints de déficience à prédominance intellectuelle.
69
[Ça c’est très important parce que vous êtes en train de protéger un territoire et non pas
des intérêts]
« Oui je suis un peu comme un contrôleur, c’est pour ça que je ne peux pas être
président, car le rôle d’un président est différent ».
[Et est-ce qu’il y a eu des changements avec la passation de M. Nisso à M. Leullier ?]
« 80 % »,
[et comment ça a évolué ?]
« M. Nisso par exemple il voulait avoir beaucoup de barques, le plus de barques possible.
Même en mauvais état. Le président Leullier à préféré qu’il y ait 10 barques mais en bon
état. Le règles ne sont plus les mêmes. Au niveau assurances pour les ouvriers et tout ça,
c’est devenu solide ».
[Mais sinon avec Nisso, le cœur y était et l’envie de préserver le territoire vient pour les
deux avec une énorme puissance mais la façon de conduire la charrette était différente...]
« Oui, voilà, c’est tout. Mise à part la différence que Leullier n’a pas de terrain dans les
hortillonnages alors que Nisso en avait. Il vivait par les hortillonnages aussi. Même les
photos qu’il faisait, il les vendait. Alors que Leullier n’a pas d’intérêt du tout . Je pense que
les deux ont été complémentaires. »
[Est-ce que vous pensez que cette association de protection et de sauvegarde pour le site
des hortillonnages va pouvoir aider les hortillons ?]
« Alors par exemple le président Nisso, pour le marché sur l’eau il disait : « Allez, venez,
faites la fête ». Avec monsieur Leullier, nous association, on organise une fête avec le
concours des maraîchers, et c’est la « sauvegarde des hortillonnages» qui organise dans
le cas du marché dans la ville, la reconstitution du marché sur l’eau. Et Leullier dit
« puisqu’au fond, nous association, on est solides, on a des revenus, on va aider les
hortillons. Donc, tous les ans, lors de l’assemblée générale des syndicats, des maraîchers
et hortillons, on récupère les subventions de la ville. Et cette aide là qui représente 800
Euros, l’association de sauvegarde des hortillonnages l’encaisse. Elle reverse exactement
la même chose au syndicat des maraîchers hortillons ».
[Donc c’est zéro de gain, c’est tout transmis aux hortillons]
« C’est normal ».
[C’est pas la seule aide j’imagine... vous les aidez autrement ?]
« Par exemple quand Daniel Parmentier fait la fête de Camon, qu’il a besoin des barques
70
traditionnelles, elles sont offertes pendant une journée, deux journées ou quatre jours, et
entretenues par l’association ».
[Pourquoi il n’y a pas un rapprochement avec les hortillons, financièrement ? Par exemple
j’ai entendu dire qu’il y avait des rieux qui avaient besoin d’être curés et que ça posait des
problèmes pour la vase... Est-ce qu’il n’y aurait pas une façon de s’unir pour être plus fort
en fait ?]
« Alors faut savoir que la Sauvegarde des hortillonnages entretient des fossés privés. Et
les publics, se sont les taxes que nous payons sur les moteurs, sur les bateaux, sur le
terrain, sur les cabanons. Ça c’est Amiens métropole ».
[Mais qui le fait « physiquement » l’entretien ?]
« une équipe d’Amiens métropole ».
[Et qui est-ce qui est à la mini-pelle sur berges ?]
« Amiens métropole. La mini-pelle a été offerte avec des dons à Amiens métropole ».
[Alors vous quand vous curez vos rieux privés, vous prenez la mini-pelle à tout le monde,
vous vous entendez sur un planning, vous la prenez ou vous faites le travail et vous êtes
rémunérez pour faire ça ? Comment ça se passe aujourd’hui en termes de logistique ?]
« L’association des hortillons, ce n’est pas le syndicat des maraîchers hortillons. C’est les
hortillons. Et Amiens métropole a voulu créer une section hortillonne pour défendre soit
disant les hortillons. On ne va pas dire qu’ils ne défendent pas mais bon ils ne sont pas
très présents. L’association de sauvegarde des hortillonnages, elle offre aux propriétaires
comme aux professionnels, des travaux dans le site à prix réduits. Par exemple
l’association pour faire une berge ne compte que les matériaux, elle ne compte pas la
main d’œuvre, elle ne compte pas le curage pour mettre derrière. C’est un gros avantage,
c’est ça la sauvegarde du site ! »
[C’est de retourner à une parcelle cadastrale... comment vous faites, vous avez aussi des
géomètres pour faire ça].
« Non, on tire un cordeau et on y va. Les berges au temps de Nisso avec un géomètre à
ce moment là... il a établi un truc comme ça et c’était homologué par la préfecture. Il y a
une dizaine d’années. Maintenant on a changé la pratique et au lieu de mettre des taules,
on met des planches mais on y met un géotextile derrière d’une façon à protéger et que la
terre elle ne s’en aille pas et ça permet à l’eau de s’écouler plus facilement lorsqu’il y a un
orage...ça maintient le pied de berge. Mais les matériaux comme les piquets, les grilles,
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les planches, les fils de fer, le géotextile..., ça il y a un coup de revient de 36€ du mètre
linéaire ».
[Et ça fait combien avec la mise en œuvre ?]
« Il faut penser plus de 100€ hein. Une société de construction, pour refaire votre berge,
elle va vous prendre 165€ du mètre linéaire. Le CPIE [Centre Permanents d’Initiative pour
l’Environnement], eux ils font exactement la même chose, c’est aussi le prix qu’ils font.
Nous la même chose : 136€ du mètre linéaire. L’argent du tourisme nous permet de faire
des prix incitatifs qui encouragent à refaire les berges. Donc la sauvegarde du site ça sert
à ça. On circule sur 1/10ème du site pour faire plaisir à l’ensemble du site sur les quatre
communes. Moi je pense qu’il y a de la place pour tout le monde dans les hortillonnages,
le festival [organisé par la Maison de la culture d'Amiens] c’est bien mais par contre dans
des lieux qui s’y prêtent ».
[C’est quoi les lieux qui s’y prêtent M. Novak ?]
« C’est comme le « marais heureux » par exemple, l’étang Sapir, il n’y a rien sur l’étang
Sapir... Les touristes qui viennent ça peut les chasser à ce moment là, donc il n’y aurait
plus l’entretien du site... Quand ce qu’on regarde ce qu’il y a à l’île aux fagots, le bordel !
L’espèce de toboggan là, moi j’appelle ça un bordel ! Un amas de ferrailles, avec un
semblant de toboggan, avec trois trucs de béton... Quand les gens passent, 99% des
gens qui font le circuit touristique disent : « Qu’est ce que c’est que ce bordel ?». ça va
pas avec... »
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B. La Soupe des hortillonnages [El soup' ed chés hotillonnages]
Ingrédients : Utilisez de préférence des légumes cultivés par les hortillons !
• 1 cœur de chou (bien retirer le trognon)
• ½ laitue
• 6 poireaux
• 300 g de petits pois en cosse
• 250 g de pommes de terre
• 120 g de beurre
• du cerfeuil (quelques branches) et de l’oseille haché (100 g)
• du sel gris et poivre du moulin
Préparation :
Faire revenir à feu doux le chou coupé et les blancs de poireaux en rondelles dans la
moitié du beurre. Une fois fondus, les mouiller à l’eau ou au bouillon gras (1,5 à 2 litres).
Ajouter les pommes de terre coupées en dés et les petits pois, laisser cuire à feu doux. En
fin de cuisson, ajouter la laitue cuite au beurre avec une poignée de cerfeuil et d’oseille.
Servir avec des tranches de pain...
« minger con.me un bateu »
73
C. Les Hortillons au printemps, Alfred Manessier, 1979
(exposée au Musée de Picardie)
Lors de ma visite au Musée de Picardie, je fut d'abord surpris par cette toile de
Manessier titrée « Les Hortillons au printemps ». C'est vrai que le graphisme des zones
bleues foncées contrastés avec le centre clair et ces coups de pinceau acérés aux
couleurs pastel, ressemble aux hortillonnages. Ce n'est qu'en prenant du recul que
« surgit » du coin en haut à droite, ce que je pense être le portrait d'un hortillon...
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D. Cartes postales anciennes
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E. Projet de Rocade traversant les hortillonnages, ou le projet déclencheur de
sa « sauvegarde », vu par un artiste.
Ce projet d'ingénieur est représenté ici par une installation de François Bellenger,
« Bidonville-Parc de loisirs » une mise en situation : Il installa des panneaux avec un photo
montage de la rocade à l'emplacement exacte où elle serais passée dans le site.
À un jet de pierre du chemin de halage, les promeneurs furent touchés au cœur...
Crédits : François Bellenger
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F. Articles de Journaux éloquents
Le Courrier Picard du 25 Novembre 1969, volet IV de l'article « VIE ET MORT DES
HORTILLONS » où la description de la stupéfaction d'un touriste parisien s'émerveillant devant ce
paysage fait de la main de l'homme, est comparée aux mêmes remarques de touristes devant les
ruines de Baalbeck au Liban ou d'Olympie en Grèce. Hortillonnages, une ruine ? Eh ben !
Le Pays Picard datant de 1936-1937 (date exact pas sur ce feuillet préservé aux archives de la
Région Picarde), et la description des hortillons présentés comme d'exceptionnels jardiniers.
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Crédits : Le Pays Picard
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G. Quelques-unes de mes photos
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