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L’orthodoxie du Soroïsme ou
les idées politiques fondamentales
de Guillaume Soro
Par Franklin Nyamsi
Professeur Agrégé de philosophie
Docteur de l’Université de Lille III
SOMMAIRE
I
Ebook spécial
II
III
Le soroïsme
4
La haine viscérale
de l’injustice
6
La défense
des plus vulnérables
7
IV Le courage de ses idées:
la sérénité tragique
V
Le projet soroiste pour
la Côte d’Ivoire, l’Afrique
et le monde
DOCUMENT HISTORIQUE
10
14
Guillaume Soro,
23
“ Quand la guerre
sera finie, chacun aura sa voie.
Q
u’on ne s’y trompe
pas. Ce siècle africain périlleux a
besoin d’institutions fortes soutenues par des personnalités fortes.
Toute illusion sur cette nécessaire
corrélation entre l’individualité
exceptionnelle et l’institution
efficiente aboutirait à la désespérance. Il fallait un Mandela pour
que l’ANC 1 - par la lutte militaro-politique - vainque le régime
de l’Apartheid. Un De Gaulle,
pour que la résistance française
vainque le nazisme. Il fallait, de la
même manière, un Soro, pour que
la politique criminelle de l’ivoirité, ce nazisme à l’ivoirienne, soit
vaincue.
Avec le recul réflexif que procurent vingt ans d’histoire syndicale, militaire et politique, il
est possible de dégager à présent
des actes et des discours d’un
homme politique de premier rang,
les éléments constitutifs d’une
doctrine politique plus ou moins
constituée et cohérente. Tel est
le cas de l’actuel président de
l’Assemblée Nationale de Côte
d’Ivoire. Apparu dans la vie publique de son pays depuis son
élection en 1994 à la tête de la
Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI),
Guillaume Kigbafori Soro, chef
de la résistance militaro-politique
ivoirienne du Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire, tour à tour
ministre d’Etat, premier ministre,
et aujourd’hui Chef du législatif
de son pays sous le magistère du
Président de la république Alassane Ouattara, est au centre de
toutes les attentions. Celles qu’il
peut espérer, sans doute. Mais
aussi celles qu’il peut redouter.
Avec raison, dans les deux cas.
Car celui qui entre dans l’Histoire, épouse du même geste l’adversité des choses et des humains,
tout comme il devient pour bien
d’autres, une étoile polaire qui les
oriente dans la nuit du quotidien.
De 1994 à ce jour, Guillaume Kigbafori Soro a pensé, agi, discouru et servi dans
son pays. Nous avons pu voir
l’homme à l’oeuvre. Mieux,
l’homme par l’oeuvre. Son êtrelà, - son Dasein diraient les Allemands - dans l’Histoire a généré
des traces significatives. Il n’est
pas trop tôt pour les rassembler
dans un ordre qui en montrera
la cohérence et la pertinence
intrinsèques. L’ordre logique
de l’être-Soro révèle dès lors
Car dans le combat de L’ANC 1* de Nelson Mandela, on a souvent tôt fait d’oublier le rôle d’Umkhonto We Sizwe, « Le fer de lance de la Nation », la branche armée
de l’African National Congress contre le régime criminel de l’Apartheid. Aux bien-pensants qui flétrissent volontiers et arrogamment la rébellion ivoirienne, je recommande de lire utilement cet article aide-mémoire: http://www.humanite.fr/monde/umkhonto-wesizwe-l’indispensable-branche-militaire-487500
Nous affirmons qu’aucun français cultivé et objectif, ne peut ignorer la hauteur éthique et politique du combat de Guillaume Soro en Côte d’Ivoire. Car l’idée de la
révolution française, à savoir l’inclusion de tous les humains dans la communauté politique, fut la source de la résistance de De Gaulle contre le nazisme comme elle le
sera plus tard, de la résistance, au coeur de l’Afrique francophone, de Guillaume Soro contre l’idéologie criminelle de l’ivoirité. A ceux qui jugent scandaleux le rapprochement que nous faisons, nous proposons de méditer davantage sur De Gaulle, à travers l’article suivant: http://www.lecanardrépublicain.net/spip.php?article340. Les
mêmes jugeront difficilement scandaleux que la France gaulliste ait eu besoin des soldats africains pour combattre l’occupation criminelle nazie…Terribles complexes
d’infériorité et de supériorité, aux deux bords de la méditerranée.
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Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
une Orthodoxie. Du grec Orthos (droit) et Doxa (Opinion), l’idée d’Orthodoxie désigne la pensée correcte.
Dans l’ordre, voici, me semble-t-il, les concepts que tout citoyen s’engageant aux côtés de Guillaume Soro
doit pouvoir maîtriser, analyser, comprendre et diffuser à son tour: 1) Le soroïsme; 2) La haine viscérale
de l’injustice; 3) La défense des plus vulnérables; 4) Le courage de ses idées; 5) La vision pragmatique
d’une Côte d’Ivoire nouvelle, dans un espace panafricain redimensionné par l’humanisme cosmopolitique.
La formulation d’une Orthodoxie soroïste vient justement de la nécessité de fixer
les catégories intellectuelles
fondamentales du combat
de l’un des plus brillants dirigeants politiques de sa génération africaine actuelle:
Guillaume Kigbafori Soro,
né le 8 mai 1972
à Diawala, dans le Nord de
la Côte d’Ivoire africaine.
La présente étude va se baser sur deux textes centraux de référence et notre expérience pratique et
directe de l’homme politique Guillaume Soro :
a La principale référence est l’ouvrage publié en
2005 par Guillaume Soro, sous le titre Pourquoi
je suis devenu un rebelle, chez Hachette, à Paris.
b La référence secondaire est une interview magistrale, accordée par Guillaume Soro à la presse
burkinabé en 2006, dans laquelle les grandes lignes
de la vision politique de l’actuel chef du parlement
ivoirien. Nous mettrons la totalité de cette interview
célèbre en annexe de la présente étude, dans la version électronique du livre qui sera servi au public.
c Conseiller Spécial du Président de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire depuis 2012, nous
avons le rare privilège de passer des longues et
nombreuses journées en sa compagnie, que ce soit
en Côte d’Ivoire ou à l’étranger, dans le cadre professionnel ou dans celui d’une fraternité de lutte et
de vision politique qui date de nos années estudiantines communes à l’Université de Côte d’Ivoire.
Ecrivant ces lignes, nous tenons aussi à en préciser la finalité. A qui s’adresse la présente étude des
thèmes fondamentaux de la vision soroïste? A l’ensemble de la génération émergente ivoirienne et africaine qui reconnaît en Guillaume Soro, la promesse
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de sa propre espérance. A la classe politique de nos
aînés africains, qui se préparent à se retirer des affaires publiques africaines, après avoir apporté leur
contribution au devenir du plus ancien continent de
l’homme. Enfin, cet écrit de transition et de vulgarisation, dédié à la lecture du public le plus large
possible, veut éveiller les intelligences de l’Occident, de l’Orient et du Grand Sud, à l’originalité du
phénomène civilisationnel africain dont Guillaume
Kigbafori Soro est le porte-drapeau : une élite nouvelle, redevable des efforts du passé, mais prête à
prendre, hic et nunc, toutes ses responsabilités,
pour assumer les défis de l’avenir qui nous appelle.
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Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
Le soroïsme
Q
u’est-ce que c’est
que ce nouveau
venu dans la pensée politique ivoirienne et africaine?
Pour ne pas nous fourvoyer ou
égarer nos lecteurs, commençons
par nous débarrasser des fausses
ententes de cette notion. Rassurons d’abord les iconoclastes. Nous
n’entendons point par Soroïsme,
un quelconque culte de la personnalité de l’Homme Guillaume
Kigbafori Soro. Nous ne sommes
point idolâtres. Il n’y a, pour nous,
de Dieu que Dieu. Et cette foi fondamentale, faite d’humilité et de
simplicité, anime intrinsèquement le leader générationnel que
nous analysons. Soro exprime sa
foi en Dieu, Créateur, Tout Puissant, Grand Architecte de l’Univers, en toutes circonstances,
entretenant du reste l’un des dialogues les plus constants et quotidiens avec toutes les communautés religieuses de son pays. Le
natif de Diawala n’a jamais aspiré
au désir d’être pris pour un dieu,
ni à la prétention d’être un saint.
Bien au contraire, Guillaume
Soro, dans toutes les manifestations de sa personnalité, se pré-
I
fère et se montre comme un fils
de sa famille, de son pays, de son
époque, de l’Afrique et de l’humanité. Humain, trop humain. Ceci
n’est pas simplement un regard
intellectuel sur l’homme, mais le
dire d’un vécu attesté par de nombreux témoins de tous bords, pratiquant l’homme Guillaume Soro.
Pour lui, vaut aussi la devise de
Friedrich Nietzsche:
« rien de ce qui est humain
ne m’est étranger » 2
2* Mon ami Samir El Maarouf m’a fait remarquer à juste titre que le «Nihil humani a me alienum puto» est une parole d’un personnage de L’Heautontimoroumenos, comédie du dramaturge romain Térence avant d’être la devise de Nietzsche. Je cite cependant Nietzsche pour insister sur la philosophie du Surhomme,
héroïsme spirituel promu par Nietzsche.
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Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
Fils, frère, ami, compagnon, époux, camarade, père,
combattant de la liberté et de la dignité, négociateur
politique, homme d’Etat, homme de de mission, ami
de la Veuve et de l’Orphelin, soutien de l’Etranger et
du malade, homme d’engagement et de conviction,
tels sont les visages que Guillaume Soro a régulièrement assumés depuis sa prise de conscience dans
l’Histoire de ce monde. Qu’est-ce donc que le soroïsme? Tentons-en une définition inaugurale. C’est
l’ensemble des valeurs de caractère, des valeurs
communautaires, des valeurs cosmopolitiques, et
des esquisses de vision politique, propulsées dans
notre époque par l’action citoyenne et politique de
Guillaume Soro dans son pays, dans sa sous-région
et dans notre siècle.
Pourquoi écrivons-nous soroïsme et non sorologie,
ou soronité? Ce n’est point pour participer à une foire
quelconque au néologisme le plus saillant. Encore
moins pour invalider les autres néologismes, que nous
n’assumons pas. A chacun la responsabilité de ses audaces intellectuelles. Nous parlons de soroïsme pour
insister sur un fait fondamental: toute la personnalité
de Guillaume Soro et son action politique sont traversées par un héroïsme spirituel, moral et politique qui
fait de lui, le catalyseur-propulseur de la Côte d’Ivoire
émergente, l’emblème d’une espérance assurée pour ce
pays. Dans soroïsme, se dit donc l’intimité entre l’êtreSoro et l’être-héros. Car comme le préconise régulièrement Guillaume Soro, en guise de leitmotiv:
« C’est quand c’est dur que les durs avancent! »;
« On ne perd assurément que les batailles
qu’on ne livre pas. Pourquoi ne pas y croire? »
« Un dicton nous dit que : Celui qui ne sait pas est
un imbécile, celui qui sait et qui se tait est un criminel ».
Moi, j’ai décidé de réagir. »
Et bien sûr, Soro n’est pas soroïste. Il est ce qu’il est. C’est
nous qui dégageons de sa
dynamique existentielle, les
catégories fortes que nous
soumettons au débat et à l’appréciation de toutes les intelligences. Nous pourrions certes
en partie nous tromper, mais
ce ne serait, une fois de plus,
que la rançon des pionniers de
l’élaboration intellectuelle du
soroisme que nous sommes.
Il fallait que commence cette
récapitulation intellectuelle:
le siècle requiert cette synthèse, en vue d’un des plus
belles aventures politiques de
l’Afrique contemporaine. Formule régulièrement employée par Guillaume Soro sur son compte twitter, en 2013-2014
Guillaume Soro, Pourquoi je suis devenu un rebelle, Paris, Hachette, 2005, p.20
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Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
La haine viscérale
de l’injustice
L
II
a manière d’être de Guillaume Soro
dans le monde se signale très tôt, pendant ses études secondaires au Grand
Séminaire de Katiola dans le Nord de la
Côte d’Ivoire, par le refus de l’injustice:
« Je ne sais pas si c’est le virus de
la politique qui agissait déjà, mais
je voulais combattre les injustices.
J’aimais la liberté. »
J’avais des copains
Musulmans. Musulmans
et catholiques se congratulaient
Qu’est-ce que l’injustice? C’est la spoliation d’autrui,
par la ruse ou par la force, de ses droits ou de ses
devoirs. Le contraire de l’injustice, c’est la reconnaissance du principe rassembleur de l’égalité humaine.
La justice, ou la pratique de l’égalité, est à la fois
arithmétique et géométrique, comme a su le rappeler
très tôt Aristote dans son Ethique à Nicomaque. Elle
se traduit par des lois justes, c’est-à-dire, maximalement inclusives. Il y a une justice arithmétique, celle
qui veille strictement à assurer les mêmes droits et
les mêmes devoirs à tous les citoyens. Si le citoyen
A=1, et le citoyen B=1, alors, A=B. Géométrique par
ailleurs, la justice requiert la pratique de la proportionnalité, qui veut qu’à chacun, revienne son mérite.
Ici, si le citoyen A vaut 10 et si le citoyen B vaut 20,
il serait injuste de donner la même chose à A et à B.
On établira donc une égalité proportionnelle entre
A et B, de telle sorte que A soit égal à B/2. On ne
peut pas verser le même salaire au manoeuvre et à
l’ingénieur, sans être injuste envers le mieux formé
des deux. L’amour du peuple, chez Soro, n’est donc
pas incompatible avec le respect des compétences, la
passion du mérite.
Séminariste catholique, Soro se fait justement remarquer dans son adolescence naissante
par l’organisation d’une célèbre grève des nouilles
au terme de laquelle, la qualité des repas servis à ses
camarades par l’Eglise catholique est dénoncée et
améliorée. Comment s’étonner dès lors que l’étudiant
Guillaume Soro s’engage dans la FESCI, au coeur de
ces années 90, consacrées à la lutte contre le monopartisme, et pur l’avènement de la démocratie pluraliste? Comment être surpris, par la suite, de voir
Guillaume Soro prendre fait et cause pour tous les
exclus de Côte d’Ivoire, ces nordistes et ses ivoiriens
métissés que stigmatisera à partir de 1989, l’idéologie
politique criminelle de l’ivoirité? Comment être surpris que Soro, premier ministre de Côte d’Ivoire, ait
été l’un des premiers à soumettre des postes dans les
ministères au critère d’objectivité de l’appel d’offres
public, contre la pratique archaïque et clientéliste,
voire carrément ethniciste du gré à gré dans les hauts
recrutements? Comment s’étonner que le gréviste
des nouilles de Katiola se soit dressé dès 2002 contre
la même usurpation par laquelle, en 2010-2011,
Laurent Gbagbo et le FPI ont voulu confisquer l’expression souveraine du peuple de Côte d’Ivoire, qui
avait démocratiquement élu Alassane Ouattara?
Idem, p.35 - Idem, op.cit, p. 31
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Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
La défense
des plus vulnérables
L
Il ne suffit point de
détester l’injustice.
Il faut agir contre
elle, concrètement.
On rencontre alors
la faiblesse humaine dans sa démesure. La vulnérabilité. C’est la plus
profonde limitation de l’humaine
condition, soumise au besoin, au
désir, à la maladie, à la dépendance
affective et à la mort. Livrés à la
finitude de l’Espace et sous l’épée
de Damoclès du Temps, dont le sablier coule impitoyablement, nous
sommes tous des êtres fragiles,
dont Blaise Pascal, penseur français du 17ème siècle, fit à juste titre
remarquer: « Toute la grandeur de
l’Homme consiste en ce qu’il se sait
misérable. »
Or Il y a cinq lieux, où
Guillaume Soro a pris conscience
des valeurs fondamentales de l’existence humaine: la famille, les lieux
sacrés, l’école, l’hôpital, la prison.
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Né dans une famille enracinée
dans la tradition africaine sénoufo, il a pris conscience de l’intime
union de l’Homme avec la Nature. Le père est un technicien
d’agriculture. Le rapport de la famille Soro à la terre est non seulement traditionnel, mais aussi
moderne. Il y a l’incontournable
présence de Kolotiolo, le DieuDémiurge Sénoufo, véritable
Grand Architecte de l’Univers.
L’animisme, présent dans toutes
les langues du nord que pratiquera Guillaume Soro, est la religion de l’écologie fondamentale.
L’homme, en transformant la
Nature, doit prendre garde de ne
pas pas la détruire, il doit veiller
sur elle afin qu’en retour, elle lui
soit clémente. Toute la religion
traditionnelle des Sénoufo est
une célébration de la reconnaissance de l’Homme envers Dieu,
par la médiation des entités
III
fécondes de la Nature, qui conditionnent la poursuite de la Vie. La
famille est donc le lieu de refuge
ultime de la fragilité humaine,
car c’est le lieu du berceau et celui
du tombeau de tout homme. On
vient au monde parmi les siens,
c’est aussi parmi les siens qu’on
en repart. Mais Soro s’est aussi
imbibé du Christianisme de ses
pères éducateurs catholiques,
dont la pédagogie de l’amour du
prochain l’aura sans aucun doute
également pétri. Les liens étroits
et affectueux conservés avec le
Père Marcel Dussud, devenu l’homonyme de son propre premier
fils Marcel Soro, mais aussi avec
toutes les Soeurs soignantes et
enseignantes de son enfance, en
atteste encore à ce jour. Le lien de
Soro au Christianisme est naturel,
car le christianisme est sa culture
d’ouverture au monde, en même
temps que l’école moderne. C’est
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Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
par le Christianisme qu’il a acquis sa conscience de
l’universalité du genre humain, puisqu’il y a notamment fait sa connaissance élémentaire de l’Occident
gréco-romain et judéo-chrétien.
Il y a aussi, dans la Côte d’Ivoire africaine
de Guillaume Soro, la présence de l’Islam, religion
de soumission absolue à Dieu et de paix fraternelle.
Dans son nord ivoirien natal, Soro est né et a grandi
sous l’appel des muezzins, les prêches des Imams et
les fêtes religieuse si africanisées de l’Islam, le Ramadan et la Tabaski. Par certains aspects de sa personnalité spirituelle, Guillaume Soro est donc aussi un
musulman de culture, au sens strict du terme, si l’on
se souvient notamment que le muslimin, c’est simplement l’individu entièrement soumis à la Volonté
de Dieu Tout-Puissant.
Guillaume Soro explique fort simplement la complexité et l’enchevêtrement de ses appartenances de
métis culturel, véritable laminaire :
« …Je me considère comme une laminaire. Si le nord de la Côte d’Ivoire est
à dominante musulmane, le département de Ferkéssédougou dont je suis
originaire est quant à lui majoritairement chrétien. C’est dans cet îlot
de catholicisme que se trouvent les
racines de mes parents. C’est là qu’ils
ont mis pied à l’école pour la première fois, ce qui leur a fait rejoindre
le catholicisme. Le développement
des églises et des écoles missionnaires
catholiques a permis d’amener beaucoup d’lèves vers la foi chrétienne.
Mais mon milieu n’était pas exclusivement catholique. J’avais des copains
musulmans et catholiques se congratulaient lors des faites religieuses des
uns et des autres. »
La vulnérabilité humaine est aussi découverte par Guillaume Soro dans l’espace ouvert de
l’école. L’ascenseur social de toute société moderne,
c’est son système éducatif. Or, ce que Soro découvre
dans le système éducatif ivoirien le choque. Il y voit
les disparités entre ceux qui naissent avec une cuiller
dans la bouche et les enfants des plus démunis. Des
traitements différenciés entre ceux qui peuvent corrompre et ceux qui ne peuvent pas corrompre. Il y
découvre que la pauvreté, comme la richesse, peuvent
être des héritages. Au point que certains naissent
d’ores et déjà marqués positivement ou négativement,
par un certain fatalisme. Soro est surtout choqué par
cette reproduction de l’élite sociale par l’injustice institutionnalisée:
« Lorsque les premières
contestations des années 1990
sont survenues, je me suis
naturellement retrouvé dans
la contestation scolaire.
Je trouvais qu’il y avait beaucoup
d’injustice et qu’il fallait se battre
pour réparer certains torts.»
Guillaume Soro, op. cit. p. 26 - Idem, op.cit. p.37 - Idem, p.42
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Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
Et plus loin, il précise:
« Constater, vivre et subir
cette iniquité était tout aussi
bouleversant que désespérant.
Se remettre de ce traumatisme
initial ne s’est pas fait sans
une certaine dose de révolte.
Cette réalité de l’université
d’Abidjan galvanisera
mon activisme. »
C’est ce désir de justice active pour les plus vulnérables qui expliquera autant l’engagement de Soro dans
la FESCI que sa rupture de fraternité militante avec
le FPI de Laurent Gbagbo, vers la fin des années 90,
lorsque le FPI précipite la descente de la FESCI dans
l’obscurantisme ethno-chauviniste de l’ivoirité.
Soro découvre cependant pendant ces années
syndicales estudiantines, l’espace de vulnérabilité nouveau qu’est la prison: 1992, après une marche de protestation contre l’impunité; 1994, pour « reconstitution
d’association dissoute »; 1995, pour participation à une
manifestation d’élèves au Plateau d’Abidjan et supposée
« conspiration avec les militaires ». Et trois autres fois
encore. En prison, Guillaume Soro découvre d’autres
solidarités: celles qui lient les détenus de toutes ori-
gines, mais aussi celles qui permettent d’entretenir
un rarissime cordon ombilical avec le monde extérieur. Ecole de patience, de prudence, d’humilité et
de persévérance, la prison n’est pas qu’un mouroir.
Elle est aussi pour Guillaume Soro, l’un des lieux où
a mûri sa conscience spirituelle et morale.
La vulnérabilité humaine est aussi découverte par Guillaume Soro dans l’espace de l’hôpital. L’inégalité devant la maladie est flagrante dans
bien des cas et cela expliquera qu’une constante de
l’action politique de Guillaume Soro porte sur le domaine humanitaire. Le Malade, c’est l’homme dans
sa nudité absolue. L’homme confronté à sa finitude.
Une société qui abandonne ses malades cesse dès
lors d’être humaine. On sait le rôle majeur que joue
l’ ONG La Vie, dirigée par Simon Soro, dans le paysage actuel de l’aide médicale aux plus pauvres de
Côte d’Ivoire.
Enfin, on n’oubliera pas l’attachement de
Guillaume Soro à l’hospitalité envers la vulnérabilité de l’Etranger. L’une des constances de son comportement politique est et demeure d’être le rempart
absolu des étrangers africains et non-africains de
son pays. Dans son parcours syndical, comme dans
ses équipées militaro-politiques, Soro est un humaniste cosmopolite scrupuleux, qui ne juge les autres
que sur leurs discours et actes, jamais sur la base
de leurs origines. Cinq années d’étroite collaboration politique, ajoutées à vingt années d’observation
appliquée, me permettent d’en attester personnellement: Guillaume Soro est un panafricain et un
humaniste absolument et naturellement vaincu.
Soro, parlant de la FESCI, faisait déjà remarquer en 2005: « Cette fédération a, il faut le reconnaître, incarné l’espoir des étudiants et élèves de Côte d’Ivoire avant
de sombrer aujourd’hui dans l’obscurantisme. », Idem, op. cit., p. 45
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Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
Le courage de ses idées:
IV
la sérénité tragique
B
eaucoup s’engagent
en politique pour
se servir et non
pour servir. Ils
veulent devenir des grandstypes, des femmes de prestige,
jouir ainsi du faste des ors et
lambris de la république, être
adulés, voire divinisés par la populace. Adorateurs du veau d’or
de la vanité humaine, ils finissent
dans la poussière des poussières
des faquins de tous les siècles.
Ceux-là se reconnaissent par leur
mentalité prédominante, qui est
faite de roublardise et de loubardise. Pourtant, l’entente la plus
profonde de la politique nous
renverrait au service de la communauté humaine. On devrait
entrer en politique parce qu’on
croit pouvoir améliorer le sort
de la cité. La vanité humaine,
malheureusement, fabrique dans
chaque nation, un cortège d’imposteurs fieffés. Opportunistes,
profito-situationnistes, ennemis
Août 2016
de la vérité, de la justice, de la
démocratie moderne et de la compétence. Tels sont les personnages
du roublard et du loubard en Côte
d’Ivoire.
Le roublard ment en permanence, en se donnant toute l’innocence du véridique. Il n’a qu’une
ambition: rouler le monde entier
dans la farine, au point même de
finir par se mentir à lui-même, en
se convainquant que son propre
mensonge est la vérité. Le monument ivoirien de la roublardise,
Laurent Gbagbo, n’hésita point du
reste, dans un entretien accordé
au journaliste Michel Denisot de
Canal +, pendant la crise postélectorale 2010-2011, à revendiquer
cette roublardise comme la preuve
de son intelligence supérieure.
Quand on connaît les événements
ivoiriens du 11 avril 2011, on ne
s’aventure plus à magnifier le Boulanger d’Abidjan. ..Comme l’avait
prévu le regretté général Robert
Guéi en 2002, la farine du Boulanger a fini par lui remonter au
nez…
Le loubard quant à lui,
joue faussement au brave. Il ne
se contente pas seulement de
mentir comme le roublard. Il ne
revendique pas ouvertement une
intelligence supérieure, comme le
roublard. Croyant être plus malin
que Satan lui-même, il se présente
volontiers comme le plus doux
agneau du monde, quand il est en
difficulté, et se montre pire qu’un
loup, dès lors qu’il se croit en terrain conquis. Quand les temps
sont rudes, le loubard se range
volontiers aux arrières-colonnes.
Il veut survivre dans tous les cas
de figure et est prêt au besoin, à
passer chez l’ennemi avec armes
et bagages si c’est la condition de
préservation de son mode de vie
de dilettante. Le loubard est un
lâche, qui ne croit qu’en ses talents
d’illusionniste de circonstances
pour parler à chacun son propre
10
Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
langage, en attendant, croit-il, de vaincre tout le
monde. Le loubard politique est un spécialiste de
la contorsion, un opportuniste sans foi ni loi. Il
prétend mériter la nuit les honneurs et les rôles
qui reconnaît volontiers le jour comme l’apanage
de ceux qui sont plus compétents que lui C’est un
faux-fuyant, un louvoyeur. Dans la Côte d’Ivoire
contemporaine, le moindre malheur n’est pas
l’apparition de cette espèce qu’on croyait disparue
avec la faconde des gros bras des bidonvilles mal
famés. Il faut espérer que la force de conviction des
hommes d’Etat ramène cette engeance nuisible à la
portion congrue qu’elle mérite.
Qu’en est-il alors de l’attitude de Guillaume
Soro face aux idées qui lui sont chères? On peut
noter avec satisfaction qu’il est constant dans leur
défense courgeuse: s’il s’éloigne de Gbagbo et de Blé
Goudé à la fin des années 90, c’est pour les mêmes
raisons qu’il s’est opposé au monopartisme d’Houphouët et au régime autocratique de Bédié dans les
années précédentes. Si Soro s’éloigne de Guéi en
2000, puis se rebelle contre le régime de Gbagbo,
si Soro soutient le RDR de Ouattara depuis 1995
et se retrouve au coeur du régime RHDP en 2016,
c’est au nom de la même dénonciation du poison
ivoiritaire. Voilà pourquoi il martèle en 2005:
« J’ai pris les armes pour que
mon pays retrouve son vrai visage:
paix, liberté, prospérité. Je suis
convaincu que le développement
de l’Afrique passe par l’union
des Africains.
Notre pays, qui rassemble
une incroyable diversité d’ethnies
et qui tire justement sa richesse
de sa diversité, peut symboliser
cette union mieux que tout autre. » 11
Prendre les armes, non pas pour s’emparer
du pouvoir politique à des fins personnelles et égocentriques, c’est avoir le courage de ses idées. Toute
la différence entre la rébellion ivoirienne et la plupart
des rébellions africaines ou humaines vient de cette
nuance de taille. L’enjeu pour Soro a toujours relevé de
l’intérêt général, et non du sinistre « ôte-toi de là que
je l’y mette » que dénonce la célèbre reggae-star Alpha
Blondy dénonçant la démocratie bananière dans l’une
de ses vibrantes chansons. Soro, dans cet esprit de sacrifice et d’abnégation pour la communauté humaine
de son pays, souligne par plusieurs fois que
« Les seuls sacrifices qui vaillent
sont ceux qui ont pour but
de protéger la Vie et l’Amour ».
11 * Idem, op.cit., p.157
Adresse aux Musulmans le 12 août 2016, sur la page Facebook officielle de Guillaume Soro.
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Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
Dans le courage des idées chez Soro, il y a deux aspects essentiels: la théorie la vérité et la praxis de la liberté.
Examinons de près cette notion majeure.
Le courage de ses idées, c’est d’abord le courage de dire la vérité, de dire sa vérité, avec force, sincérité et fermeté. La Côte d’Ivoire et l’Afrique, le monde politique contemporain, connaissent Guillaume Soro pour cette
assomption intellectuelle du courage de dire ce qu’il pense, d’assumer ce qu’il pense et d’expliciter ce qu’il pense,
en réduisant autant que possible les marges inévitables d’ambiguité.
L’anecdote la plus célèbre date de ses
temps syndicaux des années 90, où à
un journaliste qui lui fait savoir que le
ministre de la sécurité d’Henri Konan
Bédié , Dibonan Koné le cherche, Guillaume Soro répondit impassiblement:
« Dites-lui lui aussi
que je le cherche. »
Les travaux de Michel Foucault sur la figure philosophique antique du grec Socrate devraient ici
nous aider à comprendre cette qualité rare chez les
politiques, si souvent corrompus par cette langue de
bois, que nous avons auparavant campée dans les
personnages ivoiriens du roublard et du loubard.
Foucault définissait ainsi le courage de la vérité, la
Parrhêsia grecque:
« Parrhêsia, étymologiquement, c’est le fait de tout
dire (franchise, ouverture de parole, ouverture d’esprit, ouverture de langage, liberté de parole). Les
Latins traduisent en général parrhêsia par libertas.
C’est l’ouverture qui fait qu’on dit, qu’on dit ce qu’on a
à dire, qu’on dit ce qu’on a envie de dire, qu’on dit ce
qu’on pense pouvoir dire, parce que c’est nécessaire,
parce que c’est utile, parce que c’est vrai »
Le courage des idées n’est pas seulement de
l’ordre du discours. Il relève de l’action et suppose
le risque suprême de mourir pour ses idées. Il y a la
théorie du courage. Il y a aussi la praxis du courage.
Dire, c’est faire. Mais faire, c’est encore dire mieux.
Sur ce plan, l’expérience syndicale et militaro politique
de Guillaume Soro plaide infiniment pour lui: six fois
prisonnier politique dans les années 90, il ne renie
jamais ses convictions politiques essentielles pendant
son incarcération. En octobre 2000, il se retrouve avec
une poignée de derniers fidèles à défendre militairement la résidence d’Alassane Ouattara, alors attaquée
par les soldats de Laurent Gbagbo. La même année,
Soro rompt tout dialogue avec la junte du Général
Robert Guéi, quand ce dernier, caporalisé par le FPI
de Gbagbo, rejoint la pratique politique criminelle de
l’ivoirité. En Janvier 2001, Soro est en exil au Burkina
Faso où il s’emploie désormais à organiser courageusement les soldats ivoiriens en exil, pour faire face,
décisivement, dès la nuit du 18-19 septembre 2002,
au péril suprême, dans la bataille tragique d’Abidjan.
Avant de contrôler les 60% du territoire national de
Côte d’Ivoire, Soro et ses hommes sont pris dans
l’enfer de feu d’Abidjan, où plusieurs rebelles trouvent
la mort. Loin d’être un choix hasardeux, l’acte de
rébellion revêt pour Guillaume Soro une dimension
Voir un article de synthèse sur cette notion à la source suivante: Henri-Paul Fruchaud et Jean-François Bert, « Un inédit de Michel Foucault : « La Parrhêsia ».
Note de présentation », Anabases [En ligne], 16 | 2012, mis en ligne le 01 octobre 2015, consulté le 13 août 2016. URL : http://anabases.revues.org/3956 ; DOI :
10.4000/ anabases. 3956
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Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
fondamentale, liée autant à son
caractère bien trempé qu’à son
sacerdoce pour son pays. Voici
en quels termes Soro en parle en
2006:
« Il y a deux choses. D’abord
le mot «rebelle». Ce mot ne
m’échappe pas. Qu’on m’appelle
«leader des Forces nouvelles» ou
de la rébellion, tous ces termes
me conviennent. C’est aujourd’hui qu’on essaie de galvauder le mot «rebelle». Le mot «rebelle» a son côté noble. Georges
Washington, aux Etats-Unis,
était appelé «rebelle», parce qu’il
s’était rebellé contre l’empire
mère qui était alors la GrandeBretagne. La rébellion n’a donc
pas forcement une connotation
péjorative. Ce n’est donc pas un
mot qui me choque. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai tenu à ce que
le public retienne le titre de ce
livre où j’ai expliqué, en partie,
pourquoi je suis devenu rebelle.
Pour venir à votre question,
l’explication est toute simple. Un
Etat est organisé de telle sorte
que lorsque vous êtes victime
d’une injustice, l’Etat répare
cette injustice. Cela, à travers les
juges et les juridictions. Quand
une population est vexée ou
frustrée, il y a des moyens légaux
qui permettent, à la population, d’exprimer sa colère. Mais,
quand dans un Etat, tous ces mécanismes et les rouages de l’Etat
ne permettent plus l’expression
démocratiques et la libre expression, cela pose un problème. Il
se trouve malheureusement que,
dans mon pays en Côte d’Ivoire,
depuis la mort du président
Houphouët, de nouveaux dirigeants qui voulaient confisquer
le pouvoir d’Etat ont commencé
à tirer en nous les vilains sentiments tels que la xénophobie, la
discrimination, etc... De sorte
que, du jour au lendemain, nous
tous qui étions allés à l’école avec
des jeunes bété, baoulé et autres,
on a commencé à nous indexer par
nos noms. Quand vous vous appelez par exemple «Ouattara Wossoro» en Côte d’Ivoire, vous devenez systématiquement un étranger.
Et quand vous avez le malheur de
porter un boubou, vous êtes taxé
de musulman ou d’étranger. A
partir de là, la situation de la Côte
d’Ivoire, à l’évidence, ne pouvait
que conduire à l’impasse actuelle.
» ( Voir document de référence, en
annexe du présent ouvrage )
C’est donc dans les profondeurs
du sens ultime de la vie humaine
que Soro et ses compagnons ont
puisé les énergies de leur combat.
On comprend donc, avec du recul,
pourquoi non seulement Guillaume Soro assumera publiquement la paternité du Mouvement
patriotique de Côte d’Ivoire dans
les médias internationaux, mais
de plus, veillera personnellement
à ne s’extraire d’Abidjan qu’après
avoir mis tous ses hommes à
l’abri de l’ennemi. Soro risque sa
vie pour le moindre soldat de sa
troupe et s’impose définitivement
comme le leader charismatique de
la résistance et de l’opposition militaro-politique ivoirienne devant le
terrible régime du FPI. De 2002 à
2011, Guillaume Soro risquera sa
vie un grand nombre de fois, avec
l’épisode paroxystique du 29 juin
2007, lorsque son avion officiel est
attaqué à l’arme lourde sur le tarmac de l’aéroport de Bouaké. Décrivant cette vie de périls, Soro écrivait
pourtant déjà en 2005:
« Quant à moi, je sais bien
que cette période m’a donné du
relief. Je m’y suis fait beaucoup
d’amis ou d’alliés…et aussi des ennemis acharnés. Je suis conscient
que le couple Gbagbo me voue une
haine terrible.
Mais j’ai appris à encaisser
les coups. J’ai échappé à plusieurs
attentats, à Abidjan et ailleurs. J’ai
vu le ravages que pouvaient causer
la manipulation, la jalousie, la trahison. Tout cela mûrit et fortifie
un homme.
Il n’est pas aisé d’être leader
d’un parti politique. Il est encore
plus difficile de diriger un mouvement armé! Certains ont tablé sur
mon jeune âge pour prédire mon
échec. Je tiens toujours la barre et
je demeure toujours vigilant. » 13
Mais, les idées ne valent la
peine d’être défendues que si elles ont
été approfondies comme idées. Elles
ne méritent le sacrifice suprême que
si elles ont fait l’objet d’un examen
radical, sans complaisance, ayant
pour but d’en mesurer la forme et
le fond. Il ne suffit pas, pour avoir
des idées, d’être contre ceci ou cela.
Encore faut-il énoncer un projet du
monde. On ne peut donc parler du
courage de la vérité et du courage de
l’action de Guillaume Soro sans se
demander sérieusement: pour quelle
Côte d’Ivoire, pour quelle Afrique,
pour quelle sorte d’humanité Guillaume Soro a-t-il si régulièrement, à
la manière de Socrate, de De Gaulle,
de Mandela, ou de Kagamé, accepté
de risquer par plusieurs fois sa durée
sous le soleil du monde? Cette question décisive ouvre la dernière partie de la présente étude. 15* Guillaume Soro, op. cit., p. 156
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Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
V
Le projet soroiste pour
la Côte d’Ivoire, l’Afrique et le monde
I
l existe, en plus de l’ouvrage de référence
de 2005 que nous commentons abondamment ici, une interview magistrale,
donnée par Guillaume Soro à la presse
burkinabé en 2006. Donnée par temps de belligérance avec le régime Gbagbo, elle doit, à plusieurs
titres, nous intéresser parce que Guillaume Soro,
on le verra, y résume sa vision de la Côte d’Ivoire,
de l’Afrique et du Monde. Nous ferons fréquemment
référence dans l’esquisse des grandes lignes du projet soroiste. Le caractère spontané de cet entretien de
2006 comporte en plus l’avantage de nous montrer
un Guillaume Soro serein, décontracté et exprimant
ses idées avec le moins d’inhibition possible, pour le
bonheur de la postérité des lecteurs. Nous y découvrons la vision sociale, la vision culturelle, la vision
économique et la vision politique de la Côte d’Ivoire
de Guillaume Soro.
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La société selon Guillaume Soro:
diversité versus ivoirité
L’homme, par nature, est un être social. C’est dans
les mains des autres qu’il vient au monde, et c’est de
leurs mains qu’il en repart, selon la belle formule de
l’écrivain sénégalais Birago Diop. Pourtant, bien qu’il
soit naturel à l’homme de vivre en société, cette expérience est loin d’être comme un long fleuve tranquille.
Pourquoi donc? En raison de sa faculté de calculer,
de choisir, de surprendre, en raison de sa liberté,
l’homme est à la fois sociable et insociable. Toute
société humaine, et surtout tout dirigeant politique
doivent inévitablement se confronter à la question
suivante: comment les hommes doivent-ils vivre ensemble? La conviction la plus ancienne de Guillaume
Soro à propos de la société humaine est qu’elle doit
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Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
être un espace respectueux de
sa propre diversité. Ayant luimême grandi dans un espace
social diversifié, fait d’animisme,
de christianisme, d’Islam et de
savoirs technoscientifiques, fait
d’Ivoiriens et d’Etrangers de
toutes origines, Guillaume Soro
n’a jamais éprouvé la moindre
difficulté à considérer que la
société, c’est la diversité humaine
matérialisée. Toute société est
une communauté plurielle, où
les manières de penser, de croire,
de vivre, de faire ou même de
se projeter dans l’avenir ne sauraient être les mêmes. Pourtant,
Soro sait aussi que la plus grande
menace qui pèse sur toute société humaine, c’est sa clôture sur
elle-même, le rejet et l’ignorance
de sa propre diversité et la négation de la richesse que représente
l’apport mutuel des différences
positives. L’individu conscient
de la diversité sociale doit se sentir concerné par la préservation
du droit à la différence, comme la
condition de sa propre intégrité
humaine. Car nos identités sont
nécessairement mélangées, tissées
avec celles des autres. Aussi, Soro
observe-t-il:
« Nous formons en Côte d’Ivoire
une mosaïque ethnique qui s’articule autour de quatre grands
groupes: le groupe Mandé, avec
les Mandé au nord et au sud. Au
centre-ouest et au sud-ouest on
trouve essentiellement les Krous
(Bétés, Kroumen). A l’est, au
centre et au sud-ouest, on rencontre mes concitoyens Akans,
Baoulés, Adioukrous, Apolloniens, Agnis, Abrons. Les Sénoufos, les Lobis, et les Koulangos sont des groupes ethniques
appartenant au groupe voltaïque
qu’on encontre au nord et au
nord-est du pays. Moi-même, je
suis sénoufo. Et je me considère
comme une laminaire. » 15
Et l’éditeur de nous expliquer le
concept de « laminaire »:
« La laminaire est une algue qui
s’étend très loin. Soro utilise
cette expression pour expliquer
que ses racines sont certes au
nord de la Côte d’Ivoire, mais
qu’il se sent aussi originaire du
centre, de l’ouest, du sud et de
l’est de son pays. D’où sa volonté de combattre les idéologues
ivoiriens qui prétendent que les
vrais Ivoiriens sont au sud du
pays et que le Nord est peuplé d’
« étrangers non ivoiriens ». 15
Du coup, on peut donc importer ici, dans la conception sociale
de Guillaume Soro, la différence
conceptuelle introduite au 20ème
siècle par Henri Bergson, penseur
français, puis Karl Popper, philosophe britannique d’origine autrichienne, entre la société ouverte
et la société close . La seconde
correspondrait exactement à la
15* Guillaume Soro, op. cit., p. 26
Idem, op. cit, p. 26
Un résumé correct de ces conceptions, développées dans Les Deux Sources de la Morale et de la Religion, ouvrage de Bergson, et dans La société ouverte et ses
ennemis, ouvrage de Karl Popper, est consultable dans la source suivante: https://fr.wikipedia.org/wiki/Société_ouverte
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Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
société de l’ivoirité alors que la première
renverrait à la société de la diversité. La société close s’enferme dans les rapports issus
de l’état de nature. Son objectif constant est
de se conserver, aux détriments des autres
sociétés. La société close vit la différence de
l’Autre comme une menace, un obstacle, une
hypothèque sur son propre avenir. La société
close ne s’affirme dès lors que par l’exclusion,
la marginalisation, la stigmatisation des différences. A contrario, la société ouverte, dynamisée par la raison critique et la prise de
conscience de l’universalité humaine, admet
l’altérité comme une nécessité du rapport à
soi. L’Autre n’est pas perçu a priori comme
une menace, mais comme une relation potentiellement féconde. La société ouverte est
préoccupée d’inclure, d’où son souci profond
de la vulnérabilité humaine sous toutes ses
formes. Justement, Soro est un ardent et
convaincu partisan de la société ouverte.
C’est donc ce différend fondamental
dans la conception de la société ivoirienne
qui permet de comprendre pourquoi Guillaume Soro s’est dressé contre l’idéologie
ivoiritaire. Cette idéologie, née dans les
années 70 sous forme de concept de mixité
culturelle ivoirienne avec un Niangoran Porquet qui voulait synthétiser les sociétés de la
savane du nord avec celles des forêts du sud,
fut récupérée et politisée dans les années 90
par les penseurs de la cellule CURDIPHE
du régime Bédié dans les années 90, comme
instrument d’exclusion sociale et politique
contre les Ivoiriens du Nord, incarnés alors
sous la figure emblématique d’Alassane
Dramane Ouattara. C’est cette même doctrine de la société ivoirienne close qui sera
radicalisée par le régime militaire de Robert
Guéi, puis par le régime criminel du FPI de
Laurent Gbagbo qui accède au pouvoir par
un charnier inaugural à Yopougon, au mois
d’Octobre 2000. En 2006, Soro rappelle déjà,
quatre ans après la déflagration de 2002, les
termes profondément identitaires du conflit
ivoirien, qui datait de la critique de la société
monolithique instaurée par le règne de 40
ans du PDCI-RDA en Côte d’Ivoire. Il explique pédagogiquement à la presse burkinabé pourquoi la Côte d’Ivoire a failli voler
en éclats:
« Q : A l’époque, il semble que vous étiez très proche de la
famille Laurent Gbagbo. La FESCI, à un moment donné,
était un mouvement affilié à l’opposition. Si cela est vrai,
pourquoi avez-nous donc tourné le dos à cette famille ?
GS : Disons qu’à l’époque, en 1991, il ne faut pas se cacher
les choses, Laurent Gbagbo, en faisant intrusion sur la scène
politique, s’était positionné comme l’homme du changement. Il venait comme un homme de gauche, défenseur des
valeurs démocratiques. A l’époque, le mouvement étudiant
épousait ce même idéal. Et c’est comme cela que nous nous
sommes retrouvés ensemble dans la rue, pour revendiquer
la démocratie. En son temps, c’était le président Félix Houphouët-Boigny qui était à la tête de l’Etat. Père fondateur de
la Nation ivoirienne, il était déjà à sa quarantième année de
gouvernance en Côte d’Ivoire. Et vous savez qu’à l’époque,
il y avait le système des partis uniques. Déjà, à notre avis
en 1999, il était inacceptable pour un pays comme le nôtre
d’être dans le système du parti unique. Nous nous sommes
battus ensemble. Je dois reconnaître qu’effectivement il y
a eu une proximité entre Monsieur Gbagbo et moi-même.
Nous avons été amenés, dans le cadre d’une plate-forme
large de la gauche ivoirienne, à analyser la situation ivoi-
16* Soro, op.cit., p. 156
Soro, op. cit, p. 158
Amadou Hampâté Ba, Aspects de la civilisation africaine, Présence Africaine, Paris, 1972, p. 17
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Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
rienne. Et nous avons été très
proches. Malheureusement, je
suis de ceux qui ont été totalement désillusionnés et choqués
de voir que les valeurs de la
gauche que nous avons défendues et réclamées ensemble
sont foulées aux pieds par M.
Laurent Gbagbo. Il s’est progressivement écarté de toutes
ces valeurs que nous souhaitions voir réaliser sur le plan
politique. Jusqu’au point où
il embouche le discours de
l’ivoirité. Pour nous, cela est
totalement intolérable et inacceptable dans notre pays. C’est
l’ivoirité qui nous a divisés. » 16
(Voir le document de référence
en fin de ce livre).
La société ivoirienne close
aura donc connu deux phases
de constitution. D’abord, il y
a eu la société close du Parti
Unique PDCI-RDA, légitimement contestée par l’opposition
du FPI de Laurent Gbagbo et la
FESCI originelle, au nom de la
quête de démocratie. Ensuite, la
société close inventée par l’idéologie de l’ivoirité, de Bédié I à
Gbagbo via Guéi Robert. Allié
à Gbagbo pour la revendication
d’une société ouverte opposée
au système politique monolithique
d’Houphouët-Boigny,
Soro s’est retrouvé logiquement
opposé à Laurent Gbagbo quand
ce dernier a pris fait et cause
pour la société close de l’ivoirité. C’est cette société ouverte
qui est l’oeuvre magistrale actuelle de la majorité gouvernée
par le président Alassane Ouattara, depuis son élection démocratique de 2010 à la tête de la
Côte d’Ivoire, sous la doctrine
féconde du Vivre-Ensemble.
La société humaine,
pour Soro doit résolument être
une entité inclusive et fédéra17*
Août 2016
trice des énergies de la diversité,
d’autant plus que la société ivoirienne est l’un des laboratoires par
excellence de l’Union Africaine, en
raison de son exceptionnelle mixité panafricaine. D’où cette intuition
de Soro dans son livre de 2005:
« Je suis convaincu que le développement de l’Afrique passe par
l’union des Africains. Notre pays,
qui rassemble une incroyable
diversité d’ethnies et qui tire justement sa richesse de cette diversité, peut symboliser cette union
mieux que tout autre. » 17
Et mieux encore:
de la réalisation divine. Ecoutons
donc le sage malien:
« …La tradition s’occupe de la
personne humaine en tant que
multiplicité intérieure, inachevée au départ, appelée à s’ordonner et à s’unifier, comme
à trouver sa juste place au sein
des unités plus vastes que sont
la communauté humaine et l’ensemble du cosmos. Synthèse
de l’univers et carrefour des
forces de vie, l’homme est appelé à devenir le point d’équilibre
où pourront se conjoindre, à
travers lui, les diverses dimensions dont il est porteur. » 17
« La Côte d’Ivoire de
demain, la Côte d’Ivoire
dont je rêve, sera libre
et ouverte à tous. »
La culture selon Guillaume Soro:
la véritable richesse de l’intelligence 17
Hamadou Hampâté Ba, le grand
penseur africain, explique que
toute culture véritable a pour
but la reconversion positive des
forces chaotiques qui habitent
tout homme. Etre cultivé, c’est littéralement comme pour une terre
vierge, s’est harmonieusement
transformé soi-même par la méditation, le travail, par la réflexion,
par l’apprentissage, par l’expérience
et par le désir d’Absolu qui fait de
l’être humain, un potentiel temple
Né et imprégné des traditions
animiste sénoufo, chrétienne et
musulmane, Guillaume Soro a la
profonde conviction que l’homme
n’est rien sans une certaine forme
de foi et de reconnaissance envers la Transcendance de Dieu, la
Transcendance de la Nature et la
Transcendance de la Société dans
laquelle il émerge. Plusieurs fois,
Guillaume Soro fait appel à cette
humilité profonde de l’homme
devant Dieu, devant l’Univers
complexe et devant la Communauté humaine, comme le fondement de sa propre culture. Celui
17
Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
L’économie politique de Guillaume
Soro: un pragmatisme économique
écologique et solidaire
qui sait qu’il ne s’est pas créé lui-même, se doit d’être
reconnaissant, humble dans ses prétentions et serviable, dans toute la mesure de ses possibilités. La
culture, pour Guillaume Soro, est donc l’élévation
de l’homme par l’éducation, à la reconnaissance divine, à la connaissance scientifique et technique de
la nature, mais aussi à la pratique de la justice dans
la société humaine. La culture, pour Soro, est donc
pratique de la Foi, du Savoir et de la Justice. La
dimension spirituelle de Soro se manifeste par son
attention oecuménique à toutes les confessions religieuses de son pays et du monde, sans exclusive. La
dimension intellectuelle s’atteste dans son attachement au mécénat des sciences et des arts, mais aussi
à sa capacité d’apprendre sans cesse, et de s’entourer
de tous ce que son temps peut compter d’experts en
tous domaines du savoir. Enfin, nous n’avons guère
besoin d’insister à nouveau sur l’importance de la
Justice comme fondement de la paix sociale selon
Soro. Pour la justice, il s’engagea dans le syndicalisme. Pour elle, il risqua sa vie contre le régime criminel de l’ivoirité. Pour elle, il est toujours au service de son pays, prêt à répondre à tout appel du
devoir national ivoirien. Ce que Soro veut
pour lui-même, il le veut dès lors nécessairement
pour l’Ivoirien Nouveau de ce siècle. Une éducation
de piété, d’expertise et de citoyenneté exemplaires.
La réforme des institutions scolaires et universitaires, mais aussi de la recherche scientifique ivoirienne, devrait pouvoir s’inspirer de ces valeursguides de toute civilisation humaine authentique,
afin qu’émerge un citoyen ivoirien renouvelé par la
Parole Créatrice de l’Ordre du monde. Et Soro de
résumer la finalité politique de la culture:
« IL faut montrer au peuple ivoirien qu’il y a des
citoyens qui peuvent dire une chose et respecter
leur parole » 18
( Document de référence en annexe).
18*
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On a pris l’habitude paresseuse, dans une certaine vulgate ivoirienne, de confiner les idées politiques
de Guillaume Soro dans une sorte de contradiction
qu’on s’empresse de justifier par son éloignement du
Front Populaire Ivoirien. Cette contradiction consisterait en ce que Guillaume Soro aurait d’abord été de
gauche aux côtés de Laurent Gbagbo, puis serait devenu de droite libérale, en rejoignant Alassane Ouattara.
Et certains s’empressent de citer, en l’interprétant mal,
Guillaume Soro lui-même s’exprimant dans son livre
de 2005. Evoquant en effet son positionnement politique dans les années 90, Soro précise:
« Ma famille naturelle restait la gauche ivoirienne. »
18
Et plus loin, il affirme, toujours en 2005 :
« Le RDR est un parti libéral, alors que mon attachement à la gauche est bien connu. » 18
Qui donc, parmi les contempteurs actuels de Guillaume Soro, a pris la peine de contextualiser ces déclarations? La première reconnaît simplement un état de
fait. Et Soro explique d’ailleurs pourquoi il a rompu
avec cette gauche, notamment lorsqu’elle a été pervertie par le national-chauvinisme. La seconde déclaration renvoie à un moment donné de la doctrine du
RDR, encore marquée par la dominante libérale de sa
vision économique. Qui n’a pas compris que l’entrée
officielle de la plupart des membres des Forces Nouvelles et plus largement de la génération des compagnons de Guillaume Soro au RDR s’est accompagnée
de l’inflexion idéologique du RDR lui-même vers une
plus grande sensibilité pour les grands thèmes du socialisme républicain? Le programme du « Vivre-ensemble » qui a porté le président Alassane Ouattara
au pouvoir en 2010 n’insiste-t-il pas à dessein sur la
dimension collective de l’action politique vertueuse?
Pourquoi le programme n’a-t-il pas plutôt insisté sur
« Réussir dans la compétition de tous avec tous »,
comme l’aurait voulu la vulgate classique de l’ultra-libéralisme cynique? Le RDR contemporain n’est plus
le parti libéral de 2005, mais une formation politique
en marche vers la réalisation du progrès social et solidaire des énergies publiques et privées de la nation
ivoirienne. Il faut voir dans cette inflexion à gauche du
RDR, l’une des conséquences justement, de son intégration de forces vives de la relève ivoirienne mobilisées par le charisme de Guillaume Soro.
18
Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
Mieux, la vérité dans cette affaire est bien toute autre.
Soro s’est uni au FPI quand celui-ci combattait pour
la démocratie et s’est séparé du FPI quand celui-ci
combattait pour l’idéologie de l’ivoirité. Le RDR,
apparu dès les années 94, a mieux incarné désormais le combat pour la démocratie que le FPI avait
abandonné. Soro l’a rejoint comme compagnon de
lutte, dès le Front Républicain, à partir des années
95 et en est aujourd’hui un membre attitré pour
cette bonne raison. Le FPI est devenu un parti de
national-socialisme. Le RDR pratique le libéralisme
social. Rien de bien choquant pour un Guillaume
Soro, qui, de toutes façons est demeuré fidèle au socialisme libéral de ses jeunes années. L’économie n’est
pas au service du profit, mais de l’homme. Elle doit
cependant tenir compte des contraintes réelles sociales, économiques, culturelles et politiques de son
environnement. L’économie, au fond, doit dépasser
la prison commune du productivisme, qui rassemble
le capitalisme et le socialisme dans la même logique
de l’excès d’exploitation des ressources limitées de la
terre. Après la Chute du Mur de Berlin, la vieux clivage idéologique entre la Gauche et la Droite a cessé
de fonctionner dans les discours. Mieux encore, on
a découvert que pendant les longues décennies de
la Guerre Froide, les politiques et les Etats des deux
bords du rideau de fer mondial avaient continué de
coopérer de plusieurs façons, directes ou indirectes.
Le productivisme de gauche, comme celui de droite,
ont contribué à dégrader considérablement l’écologie planétaire. Le pragmatisme fut de longe date de
mise. Les investigations ont largement établi que
pendant la Guerre Froide, la Realpolitik n’a jamais
cessé. Grand lecteur de Lénine, Soro raconte souvent
avec emphase, la perspicacité du grand dirigeant soviétique qui sut, en pleine famine dans les années 20,
accepter d’acheter le blé du rival capitaliste américain
pour nourrir sa population, au lieu de se résoudre au
suicide de masse par raideur d’esprit idéologique.
Soro n’a pas lu que Marx, Engels, Lénine,
Trostky, Mao, Che Guevara ou Fidel Castro. La pensée libérale d’un Adam Smith, d’un Ricardo, d’un
Adam Smith, ou d’un Monchrestien l’a aussi intéressé. De même, le libéralisme social d’un John Maynard Keynes ou la trajectoire des social-démocratie
française et allemande n’ont pas manqué d’attirer son
attention intellectuelle, tout comme les expériences
du socialisme africain de Nkrumah, Cabral, Nyerere, Senghor ou même Félix Houphouët-Boigny, ou
le libéralisme social du président Alassane Ouattara
sur lequel nous nous appesantirons dans une étude
Août 2016
imminente. Guillaume Soro, j’en atteste personnellement, est un grand consommateur de littérature politique. Les thèses des économistes contemporains de
l’éco-démocratie, tel un Amartya Sen un Cohen. De
ce parcours ouvert à l’écoute des grandes doctrines
politiques, économiques et sociales, Guillaume Soro
a dégagé les normes d’efficacité, de pertinence et d’expérience pour dégager sa propre conception du politique.
Soro pense qu’il faut réinvestir ce pragmatisme économique dans un sens bénéfique à la société et respectueux de notre environnement. L’économie, loin
d’être une science prisonnière de la pensée de gauche
ou de la pensée de droite, doit donc avant tout être au
service de l’homme et de la Vie. Retrouver son sens
grec originel d’Oikos-Nomos, art de gérer en bon chef
de famille, les ressources de la communauté, en bonne
entente avec la nature. Pour la génération Soro, arrivée en politique après la Chute du Mur de Berlin, la
science économique d’Etat relève désormais du pragmatisme écologique. L’économie doit produire, distribuer, consommer les biens et services dont la population a besoin, en veillant cependant, à ne pas saboter
écologiquement notre bateau planétaire. Contrairement aux attardés de l’anticolonialisme dogmatique
africain, Soro a vite compris que le véritable clivage
politique du 21ème siècle ne serait plus le clivage entre
le socialisme et le capitalisme, mais bien au contraire,
le clivage entre l’Etat de droit écologico-démocratique
d’une part, et les dictatures productivistes d’autre part.
Nous avons donc à participer intellectuellement de la
nécessaire politique africaine de l’après Guerre Froide.
Soro est convaincu depuis ses années militantes que
la Côte d’Ivoire doit être une éco-démocratie républicaine intégrée dans une fédération étatique africaine
puissante, de nature à faire efficacement face aux blocs
étatiques européen, arabo-persique, nord-américain,
russe, chinois, indien, brésilien, japonais, indonésien,
et autres. Citons de nouveau Guillaume Soro, dans
19
Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
La vision politique de Guillaume Soro:
pour une éco-démocratieivoirienne
dans une perspective d’intégration
panafricaine
son livre de 2005:
« Je suis convaincu que le développement de l’Afrique passe par
l’union des Africains. Notre pays,
qui rassemble une incroyable
diversité d’ethnies et qui tire justement sa richesse de cette diversité, peut symboliser cette union
mieux que tout autre. » 20
Eco-démocratie
Fils de la terre africaine sénoufo,
élevé au coeur de l’agriculture ivoirienne, Guillaume Soro sait que
toute la richesse de l’homme vient
de la terre et retourne à la terre.
Aujourd’hui paysan moderne,
averti des ravages du productivisme capitaliste et du productivisme socialiste des siècles précédents, Guillaume Soro teste dans sa
ferme de Ferkéssédougou, un modèle d’agro-économie qui pourrait
demain, révolutionner l’agro-économie de son pays, et contribuer à
doper celle de l’Afrique continentale. L’idée est de produire dans
l’intérêt de la Société, en quantité
suffisante, sans nuire à la stabilité
et à la fécondité de la Nature. La
recherche de cet équilibre constant
entre la société humaine et la nature ne peut cependant se faire
sans le passage par une éducation
citoyenne, mais aussi des institutions sociales, économiques et
politiques à la hauteur de cette
ambition.
La notion d’écodémocratie, que
nous élaborons nous-même,
pour synthétiser cette vision
de la société, désigne un système politique représentatif,
respectueux de la souveraineté
populaire, de la séparation et
de l’équilibre des trois pouvoirs
d’Etat, des droits et devoirs
fondamentaux de la personne
humaine, des désirs et besoins
légitimes des populations, et
assurant une production, une
distribution et une consommation des biens et services en
compatibilité avec l’équilibre de
la nature.
Vision constitutionnelle
Pour Soro, la constitution de
son pays ne doit être faite ni par
quelqu’un, ni pour quelqu’un, ni
contre quelqu’un. Elle doit être
une loi transcendante, impartiale, impersonnelle, exemplaire
et faite pour la longue durée.
Elle doit être l’expression d’un
équilibre positif et fécond entre
les toutes les forces politiques
du pays. Mieux encore, cette
loi doit offrir à la Côte d’Ivoire,
des institutions qui prennent en
compte sa diversité socioculturelle et son pluralisme politique,
ses besoins de prospérité, de stabilité, de justice et de solidarité
fraternelle irréductibles. Voilà
pourquoi Soro a toujours penché
pour un régime plutôt semi-présidentialiste, comprenant une ou
plusieurs vice-présidences de la
république, élargissant le socle de
la représentation nationale à l’ensemble des grands corps constitués de la nation, avec en prime
les chefferies traditionnelles, les
jeunes et les femmes.
Voici ce que Guillaume
Soro disait déjà, de façon prémonitoire, de la constitution de juillet-août 2000dans sa célèbre interview de 2006 devant la presse
burkinabé:
« Je n’ai pas voté cette Constitution. Le peuple ivoirien n’a
pas voté cette Constitution. Il
y a eu 73% d’abstention lors du
Référendum constitutionnel organisé en 2000 sous un régime
militaire. Elle ne peut pas être
consensuelle. A supposer même
qu’elle fut consensuelle, mais le
20*
Août 2016
20
Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
fait qu’elle regorge des articles confligènes, nous demandons qu’il faut la suspendre. Elle consacre l’ivoirité
et la ségrégation entre les Ivoiriens. Ensuite, une Constitution qui a «fait» la guerre ne peut pas envoyer
la paix. Entre temps, nous avons estimé qu’il fallait adopter un Acte constitutionnel de transition qui permette d’organiser les pouvoirs en Côte d’Ivoire. » 20 ( Voir document annexe).
L’intérêt général, au-delà de toute
ambition personnelle
L’intérêt général, c’est l’exigence politique suprême
de Guillaume Soro. Elle désigne le Bien Commun, ce
qui est juste, utile et bon pour tous, dans la mesure
où objectivement, toute personne saine d’esprit qui
juge d’elle-même peut en attester. Après un mandat à la tête de la FESCI à partir de 1994, Guillaume
Soro s’en retire en 1998, pour laisser à d’autres le soin
de diriger le mouvement estudiantin ivoirien. Après
avoir conduit la résistance militaro-politique des
MPCI/ Forces Nouvelles, contre le régime criminel
de l’ivoirité, de 2001 à 2007, c’est Guillaume Soro qui
invite officiellement ses camarades à clore les portes
et le chapitre de son mouvement, et de rejoindre
chacun l’obédience politique de son choix, ou leurs
carrières professionnelles. Après avoir servi à la tête
du premier ministère pendant cinq ans, dont quatre
avec Laurent Gbagbo et une avec Alassane Ouattara,
Guillaume Soro accepte volontiers de céder son fauteuil de premier ministre, afin que le Chef de l’Etat
accomplisse sa promesse envers son grand allié, le
PDCI-RDA du président Henri Konan Bédié.
Mieux encore, Soro percevait aussi en 2006, la création d’une fonction de vice-président comme l’une
des innovations positives de la future organisation
politique ivoirienne, en termes d’équilibre de la majorité au pouvoir et de stabilité des programmes de gouvernement sur le long terme:
` « Q : La RDC a opté pour le principe de 4+1, un
Président et quatre Vice-présidents. Est-ce une option?
G.S : Le processus au Congo a connu un gros progrès. Ils iront au second tour des élections présidentielles dans quelques jours. C’est une proposition assez bonne. Cette proposition n’est pas assez
loin de celle que nous faisons. Nous avons demandé
un Président de la Transition avec deux vice-présidents. »
Août 2016
Il organise l’élection présidentielle de 2010 et n’y
participe pas, par souci d’impartialité face au dernier grand duel entre les cadets politiques immédiats du président Félix Houphouët-Boigny. Du
syndicalisme à la politique, la constance politique de
Guillaume Soro aura donc été de toujours servir son
pays avec désintéressement, au lieu de se servir de
son pays pour assouvir ses ambitions personnelles.
En 2005, il écrit justement:
21
Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
« Mon problème et mon ambition ne sont pas de
transformer les Forces Nouvelles en parti politique. Je suis jeune. Le but de mon combat n’est
pas de m’installer dans le fauteuil présidentiel.
J’ai pris les armes pour que mon pays retrouve
son vrai visage: paix, liberté, prospérité. » 22
Telles sont, rapidement ramassées, les idées-fortes
qui dans un proche avenir, seront sans aucun
doute au coeur du projet de Guillaume Soro pour
la Côte d’Ivoire. Telle est l’esquisse que nous pouvons nous permettre de donner, en ce mois d’août
2016, au soroïsme, que nous soumettons dès lors
à la vigilance du débat public et démocratique.
Pour l’heure, il nous fallait simplement en établir
l’existence et les grands piliers discursifs. Nous
nous engageons par le présent écrit en pionnier
du soroïsme. Puissent d’autres contributions enrichir la présente réflexion sur la Côte d’Ivoire en
Afrique. L’oeuvre de Guillaume Soro dans le siècle
ivoirien s’avère dès lors enracinée dans une profonde
réflexion spirituelle, morale, économique, sociale et
bien sûr, par-dessus tout, politique, si l’on s’accorde à
reconnaître avec Aristote que la politique est, de tous
les arts, celui qui a prépondérance car c’est la condition politique de l’homme qui définit le cadre dans
lequel toutes ses autres facultés peuvent s’épanouir.
Rouen, France, le 16 août 2016.
22* idem, P 157
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22
Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
DOCUMENT HISTORIQUE
Rétrospective /Interview à la Télévision Burkinabé (2006)
Guillaume Soro, SG des Forces Nouvelles :
“ Quand la guerre sera finie, chacun aura sa voie.
(...) Nous avons intérêt à aller vite à la paix. 23
I
Invité de la télévision burkinabé, Guillaume Soro leader des forces nouvelles
(ex-rébellion ivoirienne) a fait un large
tour d’horizon de l’actualité politique
nationale et internationale.
L’intégralité d’une interview-vérité qui est encore d’actualité de nos jours après la grave crise post-électorale
dont nous aurions pu faire l’économie.
Cet interview qui date de 2006 de Guillaume Soro
montre sa lucidité et le courage politique dont il a fait
montre jusqu’à ce jour où il a été plébiscité par ses
homologues députés, Président de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire. Chacun, à son humble niveau,
pourra en faire une analyse personnelle et profonde et
en tirer toutes les conséquences !Devoir de mémoire !
Q : A l’époque, il semble que vous étiez très proche de
la famille Laurent Gbagbo. La FESCI, à un moment
donné, était un mouvement affilié à l’opposition. Si
cela est vrai, pourquoi avez-nous donc tourné le dos
à cette famille ?
GS : Disons qu’à l’époque, en 1991, il ne faut pas
se cacher les choses, Laurent Gbagbo, en faisant
intrusion sur la scène politique, s’était positionné
comme l’homme du changement. Il venait comme
un homme de gauche, défenseur des valeurs démocratiques. A l’époque, le mouvement étudiant épousait ce même idéal. Et c’est comme cela que nous
nous sommes retrouvés ensemble dans la rue, pour
revendiquer la démocratie. En son temps, c’était le
président Félix Houphouët-Boigny qui était à la tête
de l’Etat. Père fondateur de la Nation ivoirienne, il
était déjà à sa quarantième année de gouvernance en
Côte d’Ivoire. Et vous savez qu’à l’époque, il y avait
le système des partis uniques. Déjà, à notre avis en
1999, il était inacceptable pour un pays comme le
nôtre d’être dans le système du parti unique. Nous
nous sommes battus ensemble. Je dois reconnaître
qu’effectivement il y a eu une proximité entre Monsieur Gbagbo et moi-même. Nous avons été amenés,
dans le cadre d’une plate-forme large de la gauche
ivoirienne, à analyser la situation ivoirienne. Et nous
avons été très proches. Malheureusement, je suis de
23*
Août 2016
23
Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
ceux qui ont été totalement désillusionnés et choqués de voir que
les valeurs de la gauche que nous
avons défendues et réclamées
ensemble sont foulées aux pieds
par M. Laurent Gbagbo. Il s’est
progressivement écarté de toutes
ces valeurs que nous souhaitions
voir réaliser sur le plan politique.
Jusqu’au point où il embouche le
discours de l’ivoirité. Pour nous,
cela est totalement intolérable et
inacceptable dans notre pays. C’est
l’ivoirité qui nous a divisés.
légaux qui permettent, à la population, d’exprimer sa colère. Mais,
quand dans un Etat, tous ces mécanismes et les rouages de l’Etat ne
permettent plus l’expression démocratiques et la libre expression, cela
pose un problème. Il se trouve malheureusement que, dans mon pays
en Côte d’Ivoire, depuis la mort du
président Houphouët, de nouveaux
dirigeants qui voulaient confisquer
le pouvoir d’Etat ont commencé à
tirer en nous les vilains sentiments
tels que la xénophobie, la discrimi-
nation, etc... De sorte que, du
jour au lendemain, nous tous
qui étions allés à l’école avec des
jeunes bété, baoulé et autres, on
a commencé à nous indexer par
nos noms. Quand vous vous
appelez par exemple «Ouattara Wossoro» en Côte d’Ivoire,
vous devenez systématiquement un étranger. Et quand
vous avez le malheur de porter
un boubou, vous êtes taxé de
musulman ou d’étranger. A partir de là, la situation de la Côte
Q : Nous reviendrons sur l’ivoirité. Mais, vous avez écrit un
livre qui est intitulé : « Pourquoi
je suis devenu rebelle : la Côte
d’Ivoire au bord du gouffre».
Dites-nous pourquoi un jeune
étudiant comme vous se voit
obligé de prendre les armes. Que
s’est-il passé ?
GS : Il y a deux choses. D’abord
le mot «rebelle». Ce mot ne
m’échappe pas. Qu’on m’appelle
«leader des Forces nouvelles» ou
de la rébellion, tous ces termes
me conviennent. C’est aujourd’hui
qu’on essaie de galvauder le mot
«rebelle». Le mot «rebelle» a son
côté noble. Georges Washington, aux Etats-Unis, était appelé
«rebelle», parce qu’il s’était rebellé
contre l’empire mère qui était alors
la Grande-Bretagne. La rébellion n’a donc pas forcement une
connotation péjorative. Ce n’est
donc pas un mot qui me choque.
C’est d’ailleurs pourquoi j’ai tenu à
ce que le public retienne le titre de
ce livre où j’ai expliqué, en partie,
pourquoi je suis devenu rebelle.
Pour venir à votre question, l’explication est toute simple. Un Etat est
organisé de telle sorte que lorsque
vous êtes victime d’une injustice,
l’Etat répare cette injustice. Cela, à
travers les juges et les juridictions.
Quand une population est vexée
ou frustrée, il y a des moyens
Août 2016
d’Ivoire, à l’évidence, ne pouvait
que conduire à l’impasse actuelle.
J’ai moi-même vécu une expérience que j’ai citée dans le livre.
Je revenais, un soir, d’une visite
amicale, lorsque j’ai été intercepté
sur l’autoroute du pont De Gaulle
à Abidjan. Le policier qui a arrêté
le véhicule, dans lequel j’avais pris
place avec un jeune ami d’ethnie
bété, dès qu’il a vu ma carte, s’est
tout de suite énervé. Et il a reproché au jeune bété de faire chemin
avec un jeune étranger mossi. Des
gens qui veulent venir arracher
leur pays. A partir de là, j’ai compris que, dès l’instant où l’ivoirité
n’était qu’un concept, et que du
jour au lendemain, l’ivoirité avait
sa réalité concrète, dans le fait que
des hommes armés, des policiers,
pouvaient taxer un citoyen du fait
seulement de son nom, d’étranger
ou de mossi ; j’ai compris alors que
la situation était devenue grave et
dangereuse. Quand les élections
de 2000 ont été biaisées par feu le
général Robert Guéi, qui a consacré l’exclusion de bon nombre de
candidats surtout ceux du Nord,
j’ai compris que malheureusement
la Côte d’Ivoire s’était engagée
dans une voie sans issue. Je peux
même vous dire qu’à l’occasion de
24
Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
ces élections, quand Monsieur Laurent Gbagbo s’est
proclamé président et que le peuple a voulu insister
pour appliquer son droit le plus souverain qui était
de choisir ses dirigeants, on a envoyé des gendarmes
pour aller les massacrer. Dès lors, ma décision était
prise. Il n’était plus question de sortir les gens dans
les rues et de rencontrer des balles de Kalachnikovs.
Il fallait aller à l’équilibre des rapports de forces sur
le terrain. Je me suis dit que si d’aventure, on devrait
demander, aux gens, d’aller marcher et que les gendarmes devraient tirer sur ces populations, il faut
qu’elles soient en mesure de se défendre. Je pense
que c’est dans ces environs qu’il faut tirer l’origine
de ma décision d’entrer en rébellion contre un régime cynique qui veut s’accaparer du pouvoir.
avons décidé de ne pas aller à la sécession. Nous n’avons
pas décidé de nous retirer du «national» qui est la Côte
d’Ivoire.
Cela est important car d’autres l’auraient fait. Bien que
contrôlant 60% du territoire, nous avons continué à
préserver l’intégrité du territoire et à demeurer dans
la nation ivoirienne. L’hymne chanté à Abidjan est le
même à Bouaké.
Q : On a le cas du Congo (ex-Zaïre) où M. Etienne
Tshisékédi a préféré, malgré les difficultés du moment, rester dans une opposition politique non
armée. N’est-ce donc pas un raccourci que vous
avez pris ?
GS : Je pense que cela dépend des options des uns
et des autres. Que M. Tshisékédi soit resté dans
l’opposition dite non armée, cela n’a pas empêché
le Zaïre de connaître une rébellion. Ce qui est en
cause, c’est de savoir si le principe démocratique est
respecté dans notre pays. Malheureusement, quand
vous avez en face un régime qui a pour programme
de gouvernement la catégorisation des Ivoiriens, il
faut dire qu’il y a un problème.
Q : La Côte d’Ivoire est divisée depuis 4 ans. Que
ressentez-vous en voyant votre pays dans un tel
état ?
GS : Personne ne peut se féliciter d’aller à la guerre.
C’est l’ultime étape du désespoir d’un peuple. Et
c’est ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire. Vous avez
des jeunes Ivoiriens qui ont décidé de prendre des
armes pour réclamer le droit de vivre sur la terre
de leurs ancêtres. On peut ne pas avoir de l’argent,
mais ce qu’on ne peut pas négocier, c’est sont identité. Et nous ne pouvons pas accepter d’entrer dans
la compromission de notre identité. Ce que nous
demandons, c’est de vivre sur le sol ivoirien qui
nous appartient aussi. Il est vrai que la Côte d’Ivoire
connaît une situation de partition depuis 2002 qui
ne réjouit personne. C’est pourquoi nous, nous
sommes inscrits dans la dynamique politique pour
dire qu’il faut une solution pacifique à la crise que
nous vivons. C’est ce qui fait que, par exemple, nous
Août 2016
Q : Par votre position au Nord, on dit que vous avez
des soutiens dans des pays voisins comme le Burkina
et le Mali. On dit même que le président Compaoré
est un de vos parrains.
GS : Ce sont des accusations fallacieuses qui ne sont pas
fondées. Je me rappelle une tactique classique de tous
les régimes. Quand ils sont face à des difficultés, le plus
facile est de trouver des voisins coupables. Aujourd’hui,
je suis surpris que Gbagbo, qui en ses temps d’opposition, était accusé d’être financé par Kadhafi, lui accuse
aujourd’hui Blaise Compaoré d’être le parrain de la rébellion. Si la situation n’était pas aussi grave, on pouvait
continuer d’en rire. Blaise Compaoré n’a pas besoin de
dire, aux citoyens ivoiriens, que si on est en train de déchirer vos cartes d’identité, il faut vous battre. Il ne faut
pas que les Ivoiriens attendent Blaise Compaoré pour
leur donner ce conseil. Tantôt c’est Blaise Comparé ou
c’est Wade ou encore Obasanjo. En fin de compte, ça
frise le ridicule.
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Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
Q : Mais, comment financez-vous vos troupes ?
GS : Souvent, lorsque la volonté est là, vous n’avez pas besoin de milliards. La différence entre la rébellion ivoirienne et d’autres rébellions,
c’est qu’elle n’est pas en quête du pouvoir pour le pouvoir. C’est en cela
que la rébellion ivoirienne est, par exemple, différente de celle du Libéria
et de bien d’autres. Nous, nous sommes venus pour revendiquer le droit
d’être des citoyens libres dans notre pays. Et quand vous venez promouvoir de telles valeurs, vous avez le soutien des populations. Ces populations sachant la noblesse de notre combat nous ont beaucoup apporté
leur soutien.
Q : On dit que les 60% que vous contrôlez sont une zone sinistrée.
GS : Je vais vous dire que la situation n’est pas facile. Je ne vais pas vous
faire de la démagogie pour dire que, parce que la rébellion est dans le
nord, alors c’est le luxe. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Mais, il faut aussi
dire que nous, nous sommes organisés de telle sorte que le minimum
soit assuré. Vous pouvez convenir, avec moi, que dans le Nord de la Côte
d’Ivoire, il n’y a pas encore de famine déclarée. Cela veut dire au moins
que les gens ont la pitance quotidienne. Il n’y a pas de longs fils pour
aller prendre la nourriture que distribuerait les organisations ou organismes d’aide. Je veux dire qu’il y a un minimum qui est fait. C’est vrai
qu’il y a beaucoup de difficultés. Surtout la fermeture des banques qui
nous préoccupe énormément. Nous sommes en train de travailler dans
ce sens. Et je peux vous assurer qu’un minimum est fait pour instaurer
un équilibre économique et une certaine stabilité viable qui permette,
aux populations, de continuer d’y vivre et de vaquer à leurs occupations
de façon normale.
Q : La semaine dernière, il y a un opposant burkinabé qui disait, au
cours de cette même émission, que les rebelles ivoiriens narguaient
un peu les populations du Burkina, avec leurs belles voitures et leurs
belles villas. Et qu’il y a même eu des moments où certains cortèges
ont écrasé des civils. Quelles réactions ?
Août 2016
G.S. : Je pense qu’il n’ y a pas de
commentaires particuliers. Il est
évident qu’une situation de rébellion n’est pas aisée à gérer. Diriger
un parti politique, c’est difficile.
Mais diriger une rébellion, c’est
mille fois difficile. Il est vrai qu’après
le 19 septembre 2002, certaines
brebis galeuses et des éléments incontrôlés, par des manœuvres peu
tolérables, ont pu nuire à l’image
de marque des Forces Nouvelles.
C’est vrai qu’à un moment donné,
on m’a signalé que certains de nos
éléments étaient trop vus dans les
capitales burkinabés et maliennes.
Ce sont des choses à déplorer et
à condamner. Et d’ailleurs, nous
avons pris un certain nombre de
mesures pour que ce genre de dérives n’arrive pas. Si nous sommes
venus nous battre, pour la démocratie et pour des causes aussi
nobles, il faudrait qu’on soit un
exemple. Il est vrai aussi que, dans
ce genre de situation, il y a des gens
qui profitent par opportunisme.
Cela est regrettable et je me bats
contre ça. Les peuples burkinabé
et maliens doivent comprendre le
leadership des Forces nouvelles. Il
ne faut pas que ce genre de dérives
occulte l’idéal qui doit demeurer la
volonté de combattre pour la démocratie en Côte d’Ivoire.
Q. : Mais avez-vous intérêt à ce
que cette crise s’estompe ?
G.S. : Je suis très pressé à ce que
la crise finisse. Parce que, dans
ce combat, on m’a volé ma jeunesse. J’aurais bien voulu aussi être
comme tous les jeunes, aller ça et
là dans les cinéma et autres boîtes
de nuit. Mais, je ne peux plus le
faire. Et je vais vous dire qu’on ne se
complait pas dans une telle situation. Je peux aussi vous dire qu’en
tant que Guillaume Soro, je n’ai pas
à donner la rébellion pour être une
icône politique en Côte d’Ivoire.
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Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
Quand j’étais à la tête du mouvement étudiant, j’avais déjà été élu
«l’homme de l’année.Bien au contraire, j’ai perdu les sympathies parce
que je suis à la tête de la rébellion. Quand la guerre sera fini, chacun aura
sa voie. C’est Gbagbo qui ne veut pas de la fin de la guerre. Il sait qu’il ne
serait plus rien. Nous, par contre, nous avons notre avenir devant nous.
Nous avons intérêt à aller vite à la paix.
Q : Parlant du fameux charnier de Yopougon et des violations des
droits de l’Homme, dites-nous si tout cela relève du passé ?
G.S : Quand nous sommes venus, nous avons mis un point d’honneur
au respect des droits de l’Homme. L’une des causes de la guerre en Côte
d’Ivoire, est l’impunité. C’est parce que le charnier de Yopougon n’a pas
été traité correctement et les responsables n’ont pas été punis que nous
en sommes arrivés là. L’impunité a favorisé la recrudescence des violations des droits de l’Homme. Nous sommes venus en réaction à cela.
Quand il y a la guerre, malheureusement, il y a des morts. Cela, nous
le déplorons. Mais, entre la politique de planification des tueries des
escadrons de la mort de Gbagbo et quelques dérapages qui ont pu avoir
lieu au Nord, il n’y a pas de comparaison. Je suis celui qui collabore avec
les Nations Unies chaque fois qu’il y a des cas de violation des droits de
l’Homme dans nos zones. J’ai déjà dit que nous sommes responsables.
Les récents rapports des Nations Unies montrent qu’il y a un effort au
Nord plus qu’au Sud. Chacun répondra des actes posés en dehors du
cadre de la guerre.
Q : Après le 30 octobre, que se passera-t-il en Côte d’Ivoire ?
G. S : Nous avons été clairs sur la question. Nous avons demandé et
nous continuions de demander, à la communauté internationale, de
prendre des mesures courageuses. Nos propositions sont de dire qu’il
faut suspendre la Constitution ivoirienne. Elle est mauvaise. C’est elle
qui est à l’origine de la guerre.
Q : Elle a pourtant été votée par l’ensemble des Ivoiriens ?
consensuelle. A supposer même
qu’elle fut consensuelle, mais le fait
qu’elle regorge des articles confligènes, nous demandons qu’il faut
la suspendre. Elle consacre l’ivoirité et la ségrégation entre les Ivoiriens. Ensuite, une Constitution
qui a «fait» la guerre ne peut pas
envoyer la paix. Entre temps, nous
avons estimé qu’il fallait adopter
un Acte constitutionnel de transition qui permette d’organiser les
pouvoirs en Côte d’Ivoire. Ceci
dit, nous considérons que Gbagbo
ne peut pas continuer d’être le chef
de l’Etat. Même la Constitution
dont il se prévaut, ne le lui permet
pas. Le peuple de Côte d’Ivoire est
souverain et il élit le président de
la République pour cinq ans. Pas
plus. Le mandat électif de Gbagbo
est arrivé à échéance le 31 octobre
2005. Dès lors qu’il n’est plus oint
par les urnes, nous considérons
qu’il doit être mis de côté. En plus,
Gbagbo est candidat aux élections. Il doit être mis de côté pour
que nous ayons une transition à la
libérienne.
Q : Est-ce réaliste de mettre
Laurent Gbagbo de côté ?
G.S : Bien sûr. Pensez-vous que si
on avait demandé, à Charles Taylor, de quitter le pouvoir et qu’on
attendait son humble avis, il l’aurait fait ? Non. Ou la communauté
internationale choisit de protéger un individu ou elle choisit
de mettre fin aux souffrances du
peuple. Il s’agit de sauver le peuple
ivoirien et non un individu. C’est
pourquoi, nous avons fait cette
proposition. La CEDEAO s’est
réunie et selon ce que nous apprenons, elle aurait reconduit le mandat de Gbagbo (l’interview a été
réalisée avant Abuja, ndlr).
G. S : Je n’ai pas voté cette Constitution. Le peuple ivoirien n’a pas voté
cette Constitution. Il y a eu 73% d’abstention lors du Référendum constitutionnel organisé en 2000 sous un régime militaire. Elle ne peut pas être
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Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
Q : Vous êtes déçu de la CEDEAO ?
G.S : C’est un mot trop fort. Mais en
même temps, je considère qu’il ne
revient pas à la CEDEAO de venir
enlever Gbagbo. C’est au peuple
ivoirien de prendre ses responsabilités.
Q : Vous appelez à un soulèvement
populaire ?
G.S : Cela ne doit pas vous surprendre de ma part. Quand
quelqu’un a déjà pris les armes, ce
n’est pas un soulèvement populaire
qui serait une grosse affaire pour lui.
Ce qu’il faut que les Ivoiriens comprennent, c’est que ni la CEDEAO,
ni l’UA, ni l’ONU ne viendront résoudre les problèmes des Ivoiriens
à leur place. Il est aussi vrai que,
quand nous avons décidé de prendre
nos responsabilités, le 19 septembre
2002, par la prise des armes, l’opinion internationale s’est invitée dans
le débat. Ils étaient supposés apporter des solutions de paix. De toutes
façons, Gbagbo s’arc-boute sur son
prétendu mandat pour ne pas faire
droit à la paix.
Q : Certains observateurs disent
que Gbagbo est un homme rusé,
malgré tout...
G.S : Si la ruse consiste à tromper
ses partenaires et adversaires, alors
je ne pense pas que ce soit une qualité à promouvoir. Laurent Gbagbo
n’a pas su conduire les affaires en
Côte d’Ivoire. En 1990, il y a eu une
mutinerie de l’armée ivoirienne. Le
Août 2016
Président Houphouët a appelé les
jeunes mutins pour négocier avec
eux. Plusieurs ministres avaient
quitté le pays. Houphouët, malgré l’opposition de ses Généraux
a rencontré les militaires, mu par
l’esprit de la patience et de la sagesse. Houphouët a résolu leurs
problèmes et ils sont sortis du
Palais en scandant « Houphouët,
Président ». En 2002,
une mutinerie éclate à Abidjan.
Gbagbo est en Italie. Les soldats
sortent dans la rue, il y a des
tirs. Les « Zinzin » et « Bahefoué » réclament d’être réintégrés
dans l’armée. Depuis l’Italie, où
il se trouvait, Gbagbo déclare la
guerre aux militaires. Ils n’avaient
pas d’autres choix que de se
battre. C’est ce qui va conduire à
la rébellion et à la partition de fait
du pays. Deux situations similaires, deux chefs d’Etat qui n’ont
pas la même approche et voilà
que la Côte d’Ivoire est divisée en
deux.
Q : Ne peut-on pas dire que la
mainmise sur les FANCI est
l’un des points forts du régime
Gbagbo ?
G.S : Vous avez une armée qui
n’en a jamais été véritablement.
Depuis son arrivée au pouvoir,
Gbagbo l’a tribalisée à outrance.
L’armée, à mesure que le temps
passe, s’est disloquée. Le Général Doué Mathias est aujourd’hui
dans la clandestinité avec beaucoup d’autres officiers. Mangou
Philippe est là, mais il est évident
que Gbagbo ne compte que sur
les miliciens et sur sa garde prétorienne. Je pense qu’il n’y a pas
de cohérence dans cette armée.
Quand les militaires sont dépossédés de leurs armes au profit
de la frange tribale de l’armée, il
est évident qu’il maîtrise l’armée
alors qu’en réalité, elle est majoritairement contre la guerre.
Q : On a entendu Doué menacer de descendre sur Abidjan.
Vous également, vous le dites
au cas où la Licorne partirait ?
Avez-vous les moyens de le faire
? N’est-ce pas de la surenchère ?
G.S : Nous sommes loin de faire
de la surenchère. Surtout dans
une situation aussi délétère. Le
4 novembre 2004, Gbagbo, avec
la complicité active ou passive
de la France, a eu l’accord d’attaquer le Nord de la Côte d’Ivoire.
Le 4 novembre, alors qu’il avait
une armée plus ou moins cohérente et qu’il avait une aviation, il
lance les avions Sukhoï à l’assaut
de Bouaké. Les troupes terrestres
sont lancées. Nous réussissons à
les contenir et à les repousser. Le 5
novembre, c’est le même scénario.
Nous les repoussons au-delà de la
ligne de confiance. Le 6, vous avez
appris ce qui s’est passé. C’est ce
que j’appelle une bataille à tuer les
autres batailles. En réalité, quand
les deux premiers jours, Gbagbo
a échoué, il y a eu du découragement et la démobilisation au sein
de ses troupes. Certaines mauvaises langues ont prétendu avoir
vu des Français combattre aux
côtés de la rébellion. Ce qui est
totalement faux. C’est peut-être
ce qui a incité les bombardements
du camp militaire français. C’est
pour vous dire qu’en 2004, Gbagbo nous a attaqués, il n’a pas pu
prendre la suprématie. Même pas
un centimètre carré. Ce n’est pas
aujourd’hui où son armée est au
plus mal et au plus bas qu’il pourrait nous battre.
Q : Il a eu le temps de s’armer,
qui sait ?
G.S : Ah non ! En 2004, il avait
une aviation. Maintenant, il n’en
a plus. En 2004, il avait des officiers qui avaient du mérite. Il n’en
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Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
a plus. Il avait des armes lourdes. Il n’en
a plus. Et je sais de quoi je parle.
Q : Mbeki a réussi, malgré tout, à faire accepter la candidature
de Ouattara. C’est un point positif à mettre à son actif.
Q : Vous avez récusé la médiation sud
africaine. Mbeki n’est plus crédible, à
vous entendre.
G.S : Un médiateur ne peut conduire
à bien sa mission que s’il bénéficie de
la confiance de l’ensemble des acteurs.
Thabo Mbeki ne nous inspire plus
confiance. Il a un parti pris pour M.
Laurent Gbagbo.
Q : Avez-vous des exemples précis ?
G.S : Il y en a plusieurs. Quand le 6
novembre 2004, l’armée française a
détruit l’aviation de Laurent Gbagbo,
Thabo Mbeki s’est rendu à Yamoussoukro et a versé des larmes en découvrant «les cadavres» des Sukhoï. Cela a
choqué les Ivoiriens. Ces avions symbolisent, au Nord, la mort et la désolation. Etait-il indiqué d’aller verser
des larmes et oublier la mémoire des
Ivoiriens qui ont perdu leur vie par la
faute de cette aviation ? Nous n’avons
pas pu pardonner et admettre cela à
Thabo Mbeki.
Deuxièmement, quand nous sommes
allés en Afrique du Sud pour entamer
les négociations avec Mbeki, il nous
a dit ceci : « Il y a un problème Ivoiro-ivoirien et il y a un problème entre
la Côte d’Ivoire et la France ». Ce qui
voulait dire qu’il s’était déjà laissé séduire par le discours opportuniste et
démagogique de Gbagbo qui prétendait être un résistant panafricain qui
combat l’impérialisme. Tout le monde
sait par contre que Gbagbo a pris le
pouvoir avec le soutien actif du gouvernement de Jospin. Gouvernement
de gauche qui, à l’époque était avec lui
dans l’Internationale socialiste. Gbagbo, jusqu’à ce jour, continue de concéder toute l’économie de Côte d’Ivoire
à la France alors qu’il crie sur tous les
toits qu’il est contre ce pays et qu’il demande son départ de la Côte d’Ivoire.
Ceci est totalement ridicule.
Août 2016
G.S : Je n’étais pas d’accord avec la façon dont la question de la
candidature de M. Ouattara a été traitée par les accords de Pretoria. L’accord de Marcoussis était très clair. Il a dit que la Constitution ivoirienne était mauvaise et qu’il fallait la réviser. Entre notre
proposition de suspendre la Constitution et celle de Gbagbo de la
maintenir, Marcoussis a trouvé le compromis en préconisant qu’il
fallait la réviser. En d’autres termes, qu’il fallait en réviser certains
articles inacceptables. Et notamment, l’article 35 qui excluait de fait
des citoyens Ivoiriens à la course à la présidentielle. Au lieu d’aller
courageusement à la révision, M. Mbeki a proposé que Gbagbo use
de l’article 48 de cette même constitution pour permettre à tous
les signataires qui le désirent, d’être candidats. A première vue,
c’est une avancée. Mais à mon avis, la question de la révision de
la Constitution reste intacte. Notre problème à nous, Forces Nouvelles, n’était pas un problème de candidature. Mais plutôt d’Identité et de citoyenneté.
Q : N’êtes vous pas vous-même candidat ?
G.S : Nous sommes venus pour rectifier une situation. Je ne suis
pas candidat pour des convictions personnelles. Si je suis candidat,
je fausserais le jeu. Je ne peux pas profiter d’une situation alors que
j’ai donné ma parole. Je ne reviendrai pas sur ma parole. Il faut
montrer au peuple ivoirien qu’il y a des citoyens qui peuvent dire
une chose et respecter leur parole. Il ne faut pas faire comme le
Général Guéi qui est venu et qui était supposé balayer la maison
et puis après, il a su tellement balayer qu’il a voulu rester. Vous
avez vu les conséquences. Les Forces Nouvelles n’enverraient pas
un candidat aux élections présidentielles.
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Ebook spécial L’orthodoxie du Soroïsme ou les idées politiques fondamentales de Guillaume Soro
Q : Une appréciation du travail que fait l’Union
Africaine avec Sassou N’Guesso ?
Q : La RDC a opté pour le principe de 4+1, un
Président et quatre Vice-présidents. Est-ce une
option?
G.S : Le processus au Congo a connu un gros progrès. Ils iront au second tour des élections présidentielles dans quelques jours. C’est une proposition
assez bonne. Cette proposition n’est pas assez loin
de celle que nous faisons. Nous avons demandé un
Président de la Transition avec deux vice-présidents.
Q : A l’avenir, serez-vous candidat à la magistrature suprême de votre pays ?
G.S : J’ai rencontré le président de l’UA à plusieurs
reprises. Il a vraiment la volonté de résoudre la crise
ivoirienne. Il n’a pas d’agenda caché. Mais, il est victime
des atermoiements et de la roublardise de Gbagbo qui,
la nuit peut lui dire que « je suis d’accord avec ce que
vous proposez » et le lendemain et dire que « je suis
totalement contre ». A partir de là, on comprend bien
que ça soit difficile pour le Président Sassou d’avancer.
Je pense qu’il est aussi victime de la jalousie qui entoure en pareille circonstance la médiation africaine.
Q : Le président Bongo du Gabon a également sa
proposition. Il parle de nommer Ouattara Vice-président et vous Premier ministre. Sont-ce des mesures qui vous conviennent ?
G.S : Notre problème n’est pas un problème de poste.
La preuve, nous renonçons à faire acte de candidature.
Q : M. Bongo fait fausse route alors ?
G.S : Le mérite de sa proposition était de proposer en
de termes clairs la question du cadre institutionnel en
Côte d’Ivoire. Ensuite, il a parlé d’Assemblée constituante. Cela veut dire qu’il reconnaît que la Constitution ivoirienne actuelle ne peut être un facteur de
progrès pour la sortie de crise. Sur les quatre grandes
formations politiques en Côte d’Ivoire, trois avaient
félicité Bongo d’avoir fait cette proposition. A notre
avis, elle est bonne. On peut en discuter et l’améliorer.
Août 2016
G.S : Je ne l’envisage pas pour l’instant. On a encore
des années de combat politique devant nous. Ma
candidature ne doit pas être vue comme une promotion personnelle. Le combat d’obtenir la démocratie
pour la Côte d’Ivoire et de régler définitivement le
problème des sans papier est une tâche lourde.
Q : Un mot sur votre existence actuelle... L’imaginiez-vous ainsi et comment la vivez vous ?
G.S : Ce n’est pas facile, la responsabilité que nous
assumons. C’est extrêmement pénible. Diriger un
mouvement armé, n’est pas chose aisée. Il y a des
moments de doute. Quand vous êtes face à vousmême dans votre chambre, vous vous demandez
si le combat que vous menez, valait la peine. Mais,
quand vous sortez et que vous voyez les valeurs pour
lesquelles vous vous battez et que les gens vous exhortent à ne pas baisser les bras, vous vous armez
de courage pour assumer la responsabilité qui est la
vôtre.
Q : Avez-vous peur de la mort ?
G.S : Tout citoyen a peur de la mort. A ce jour, nous
avons échappé à tellement de situations périlleuses
que nous nous disons que la mort est une constance
avec laquelle il faut vivre. Je considère que les peuples
Ivoiriens, Burkinabé et Maliens sont les mêmes. Fondamentalement, je suis panafricaniste convaincu. Je
considère que l’Afrique n’aura son salut que dans
l’intégration régionale. Cela me parait important. Je
ne crois pas que le développement soit viable dans le
cadre de nos micro-Etats.
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Un ouvrage du Professeur Franklin Nyamsi
Agrégé de philosophie
Docteur de l’Université Charles de Gaulle- Lille 3
Conseiller Spécial de Son Excellence Guillaume Kigbafori Soro,
Président de l’Assemblée Nationale de la République de Côte d’Ivoire.
Réalisé avec la contribution technique de M. Miatoma Sérifou, Webmaster.
Du Service de Communication du Cabinet du Président de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire

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