La vraie religion de l`Europe - Racines et Traditions en Pays d`Europe
Transcription
La vraie religion de l`Europe - Racines et Traditions en Pays d`Europe
1 La vraie religion de l’Europe par Christopher Gérard «« I l y a une religion* de l’Occident. Cette religion, c’est l’antique paganisme* grec ou latin, celte* ou germanique*… Ce paganisme valait les autres. Il n’est pas si loin de nous. Nous ne sommes jamais que des païens convertis… Le païen est celui qui reconnaît le divin à travers sa manifestation dans le monde visible». Voilà comment, vers 1965, le cardinal Jean Daniélou répondait à votre question. L’Europe est un continent païen. Seulement, elle l’a oublié pendant des siècles pour de multiples raisons. Définition du paganisme Mais que signifie donc «païen» ? Cultes démoniaques et magie noire ? Nostalgie stérile d’esthète ? Idéologie totalitaire sur fond d’exaltation de la force brutale ? Rien de tout cela ne correspond à la réalité des divers paganismes de l’Europe traditionnelle. Si une infime minorité de nouveaux païens peut se perdre dans ce genre d’impasse, c’est regrettable, mais ne permet nullement de caricaturer la plus ancienne religion du continent que l’on peut définir comme la religion des cycles de la nature et du cosmos. Le paganisme est par définition cosmique et donc éternel. Au contraire, les religions abrahamiques, et surtout le Christianisme et l’Islam, malgré leurs multiples emprunts aux cultes antérieurs, se fondent sur la révélation donnée par leur Dieu jaloux à un moment précis, en un endroit précis: ce sont des religions historiques, connaissant un début et une fin. Le paganisme, qu’il soit celtique, hindou ou shintoïste, ignore cette vision segmentée du temps et lui préfère une vision cyclique. De même, il accepte la pluralité des approches religieuses, reflet de la multiplicité des figures divines : Apollon* et Dionysos symbolisent des polarités en apparence contradictoires mais bien complémentaires. Le premier n’est jamais pensable sans le second, de même que l’Un n’est pas imaginable sans le Multiple. Mais, me direz-vous, ce paganisme a disparu il y a 2000 ans, vaincu en Europe par la foi chrétienne, ailleurs par d’autres révélations (l’Islam en Afrique du Nord et en Turquie, autrefois chrétiennes). Les études historiques de plus en plus fouillées - et libérées des préjugés chrétiens - montrent que ce que l’on peut appeler, pour simplifier, le paganisme européen n’a jamais disparu et que la conversion de notre continent s’est faite très lentement… et sans douceur (sauf dans le cas de l’Irlande et de l’Islande). Conversion par la force de l’Europe païenne au christianisme La conversion a été forcée, par le fer par le feu. Elle s’est étalée sur des siècles: les Lituaniens, par exemple, n’ont été convertis - de force - qu’aux XVIème et XVIIème siècles. Dans nos régions, les anciens cultes polythéistes ont été recouverts d’un vernis chrétien, souvent très mince. Voyez le culte des saints, des sources, les processions, les feux* de la Saint-Jean (et 2 tout le calendrier des fêtes*), et même la Trinité, très peu monothéiste. Ce n’est qu’à la Contre-Réforme, en réaction contre le Protestantisme, qu’un quadrillage efficace a été mis en place par l’Eglise catholique. Les mentalités, ce que Jung appelait l’inconscient collectif ont pourtant conservé les structures mentales du paganisme; seuls les noms ont changé. De même, l’étude de notre culture montre que toutes les renaissances en Europe se sont toujours faites par un recours à la mémoire païenne: la Renaissance italienne ou française, le Romantisme* allemand, etc. Mais aujourd’hui, en ce début de XXIème siècle, face au triomphe apparent du matérialisme le plus avilissant, face aussi à l’offensive de religions sauvages souvent exotiques (les «sectes»), face surtout à l’Islam de plus en plus massivement présent sur notre sol (avec les conséquences que cette sorte de colonisation implique, voir l’Inde ou la Macédoine), comment se dire païen sans passer pour un farfelu ? Commençons par critiquer divers préjugés. Les dieux contre le matérialisme Tout d’abord, paganisme ne rime absolument pas avec matérialisme. Honorer les Dieux, qui sont des Puissances et non des personnes, ne signifie pas adorer le Veau d’Or. En ce sens, un païen conséquent est plus proche d’un chrétien révulsé par la marchandisation du monde que d’un consommateur satisfait. Ensuite, le païen ne peut être membre d’une quelconque secte, qui enferme toujours ses membres dans une vision paranoïaque du monde avec son attente de l’Apocalypse, son culte du Livre unique censé contenir toutes les vérités et des Elus qui, seuls, seront sauvés. Le païen vit dans un rapport de co-appartenance avec le cosmos, dont il n’est jamais le centre. Son livre est la nature, même s’il admet qu’Homère, par exemple, est un auteur inspiré. Le païen ne se réfugie pas dans des paradis artificiels ni dans de misérables consolations d’outre-monde, puisque son éthique est par définition tragique, faite d’acceptation du destin*, vu comme un défi à relever pour rester fidèle à sa vision de l’honneur, pour offrir un nom sans tache à ses descendants. Car le païen s’inscrit dans une continuité, celle de la terre et des morts, comme disait Barrès. Il se définit comme l’héritier d’un legs ancestral, qu’il enrichit et transmet. Le païen, s’il a la tête dans les étoiles, garde les pieds enfoncés dans la terre qui est la sienne, sans jamais perdre le contact avec ces deux dimensions. Il est fils de la terre noire et du ciel étoilé. Face à la prétention monothéiste de détenir l’unique vérité - et d’empêcher les autres de cheminer à leur guise vers le divin -, le païen fait preuve de tolérance, en ce sens qu’il sait au plus profond de lui qu’approcher le divin peut se faire par une infinité de voies. Un tel mystère ne peut jamais se résumer à un catéchisme borné ni à un ensemble de gestes répétés de façon mécanique. Mais tolérance ne signifie pas laxisme: comment tolérer tout ce qui restreint la souveraineté de l’homme (les drogues, les conditionnements, par exemple idéologiques ou médiatiques, les genres de vie malsains, etc.)? Or, l’actuelle société occidentale, entrée dans une phase d’involution de plus en plus marquée, semble se complaire dans l’exaltation des modes les plus dissolvantes, dans le brouillage systématique des repères, dans la destruction de tous les liens, par exemple 3 familiaux et communautaires. La religion de l’Europe Concluons ce bref billet bien sûr incomplet. La religion de l’Europe est d’essence cosmique. Elle voit l’univers comme éternel, soumis à des cycles. Cet univers n’est pas regardé comme vide de forces ni comme «absurde» comme le prétendent les nihilistes. Tout fait sens, tout est forces et puissances impersonnelles régies par un ordre inviolable que les Indiens appellent Dharma (concept récupéré plus tard par les Bouddhistes), terme qui peut sembler à tort un peu exotique, mais que les Grecs traduisent par Kosmos: Ordre. Depuis des millénaires, notre religion traditionnelle, reflet de la tradition primordiale, pousse l’homme à s’insérer dans cet ordre, à en connaître les lois implacables, à comprendre le monde dans sa double dimension visible et invisible. Le païen d’aujourd’hui, comme il y a trois mille ans, fait siennes les devises du Temple d’Apollon à Delphes : connais-toi toi-même et rien de trop. »» Christopher Gérard dirige la revue d’études polythéistes Antaïos. Elle a été fondée initialement par Ernst Jünger et Mircea Eliade. Cette revue-livre s’est donnée pour tâche d’étudier les paganismes européens, et de s’intéresser à leurs manifestations actuelles. On appréciera le sérieux de la revue, son approche spirituelle et non folklorique des premières religions européennes: Antaïos - 168, rue Washington - Bruxelles. L’itinéraire de Christopher Gérard, jeune philologue bruxellois auteur de ce Parcours Païen, est orienté vers la mémoire des « anciens » dieux et ce qui peut nous en être parvenu malgré un exil de 2000 ans. A cet effet, il a parcouru les plus hauts lieux de la spiritualité polythéiste : Grèce, Inde, Bretagne, Irlande. Du brahmanisme au chamanisme en passant par la mythologie gréco-latine et nordique, Christopher Gérard semble s’être donné pour mission de rendre au divin sa transcendance dans un monde par trop rattaché à une rationalité dogmatique - c’est à dire à une vision acceptable de l’inconcevable. On lui doit également d’avoir redonné vie à la revue Antaios précédemment animée par Mircea Eliade et Ernst Jünger. Une sympathique initiative qui manquait à notre paysage universitaire et culturel. A cet effet, Parcours Païen est un recueil des articles qu’il y a publiés, ainsi que d’interviews et textes tirés à part. Vivifiant. »» F. d’U. Parcours Païen, éd. De l’Age d’Homme, Lausanne. [Revue Renaissance - Réflexion et Culture, Avril 2002, N°5]