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TRANSPLANTATION RÉNALE / KIDNEY TRANSPLANTATION
LA TRANSPLANTATION RÉNALE CHEZ L’ENFANT
Dix-huit ans d’expérience à l’Hôtel-Dieu de France
http://www.lebanesemedicaljournal.org/articles/63-3/original1.pdf
1
2
Chebl MOURANI , Maroun MOUKARZEL , Bernard GERBAKA
3
3
Dania NEHME CHELALA , Hiba AZAR
1
Mourani C, Moukarzel M, Gerbaka B, Nehme Chelala D, Azar H.
La transplantation rénale chez l’enfant : Dix-huit ans d’expérience
à l’Hôtel-Dieu de France. J Med Liban 2015 ; 63 (3) : 116-121.
Mourani C, Moukarzel M, Gerbaka B, Nehme Chelala D, Azar H.
Kidney transplantation in pediatric patients : 18-year experience
at Hôtel-Dieu de France. J Med Liban 2015 ; 63 (3) : 116-121.
RÉSUMÉ • Introduction: Entre septembre 1993 et mars 2011,
79 transplantations rénales pédiatriques ont été réalisées chez
des enfants et adolescents d’âge inférieur à 18 ans. Nous rapportons dans cette étude : les protocoles d’immunosuppression,
les complications médicales et chirurgicales (incluant les épisodes de rejet), la survie actuarielle du greffon et des malades.
Cinquante-six greffes appartiennent au groupe familial et 13 au
groupe cadavérique. Matériels et méthodes: Le protocole d’immunosuppression a été modifié au cours des 18 ans de suivi.
Depuis 2000, l’azathioprine a été remplacée par le mycophénolate mofetil et depuis 2005, le tacrolymus ou la cyclosporine ont
été donnés selon le statut EBV. Le Basiliximab-Simulect® a été
inclus dans le protocole depuis 2010. Résultats: Les complications chirurgicales ont été seulement deux lymphocèles corrigés
par un drainage chirurgical dans le péritoine. Les complications
médicales sont exclusivement infectieuses et/ou rejets. Trentesix épisodes de rejet sont survenus dont 7 dans le groupe commercial, 16 dans le groupe familial et 13 dans le groupe
cadavérique. Tous les rejets ont répondu à 3 bolus de
Solumedrol à part un seul corticorésistant répondant par la suite
à l’OKT3 et aux échanges plasmatiques. En fin d’étude, 9 patients se trouvent en dialyse, 5 dans le groupe cadavérique,
2 dans le groupe familial et 2 dans le groupe commercial.
Conclusion: Après 18 ans d’expérience en greffe rénale pédiatrique, la transplantation rénale reste le traitement optimal de
l’insuffisance rénale terminale chez l’enfant libanais même pour
l’enfant d’un poids inférieur à 10 kg. Le suivi à long terme révèle
une amélioration de la croissance et du développement psychomoteur et une diminution de l’absentéisme scolaire. En fin
d’étude, 24 sont à l’école, 12 en milieu universitaire, 5 en école
spécialisée et 9 dans la vie productive active.
ABSTRACT • Introduction: During the period from September 1993 to March 2011, 79 kidney transplants in children
and adolescents less than 18 years old were performed in our
department; fifty-six in the familial group and 13 in the cadaveric group. We report in this study: immunosuppression protocols, medical and surgical complications (including rejection
episodes), graft and patient survival. Material and methods:
Immunosuppression protocol has been modified throughout
those eighteen years. Induction therapy includes serum antilymphocyte + cyclosporine + azathioprine and prednisone.
Since 2000, azathioprine was replaced by mycophenolate
mofetil and since January 2005 cyclosporine was given as
well as tacrolymus according to EBV status. BasiliximabSimulect® was included in the protocol since 2010. Results:
Surgical complications were only two lymphoceles, reversible
after surgical drainage in the peritoneum. Medical complications were mainly infections or rejections. Thirty-six episodes
of rejection occurred: 7 in the commercial group, 16 in the
familial group and 13 in the cadaveric group. At the end of the
study, 9 patients returned to dialysis, 5 from the cadaveric
group, 2 from the familial group and 2 from the commercial
group. Conclusion: After eighteen years experience in kidney transplant, we believe that kidney transplant remains the
optimal treatment for terminal renal failure even for children
weighing less than 10 kg. The follow-up of pediatric patients
with kidney transplant revealed different positive effects on
growth, regular school attendance and psychomotor development. At the end of the study: 24 are at school, 12 at universities, 5 are attending specialized schools and 9 are
active workers.
Mots-clés : Greffe rénale, transplantation rénale, enfants,
nourrissons
les techniques chirurgicales, la meilleure prise en charge
médico-chirurgicale de la transplantation et l’utilisation
de nouveaux médicaments immunosuppresseurs [2]. Ces
résultats s’appliquent aussi à l’enfant de petit poids dont
la survie actuarielle du greffon à un an est respectivement de 90 à 80% ainsi que pour les enfants de moins de
5 ans, voire même moins de 2 ans [3]. En dépit d’une
hémodialyse codifiée et adaptée aux patients pédiatriques, la transplantation rénale cadavérique ou intrafamiliale est effectuée lorsque les critères de sa réalisa-
INTRODUCTION
La transplantation rénale est le traitement optimal de
l’enfant en insuffisance rénale terminale. Dans la littérature, la survie actuarielle du patient et du greffon à un an
postgreffe cadavérique est respectivement de 100 et de
90% [1]. Ces résultats attestent les progrès réalisés dans
Départements de 1Pédiatrie, CHU Hôtel-Dieu de France (HDF), Université Saint-Joseph (USJ) ; 2Urologie (HDF, USJ) ; 3Néphrologie
(HDF, USJ), Beyrouth, Liban.
Tirés à part : Dr. Chebl Mourani. Service de Pédiatrie. Hôtel-Dieu de France. B.P. 16-6830. Beyrouth. Liban.
Correspondance : [email protected]
116 Journal Médical Libanais 2015 • Volume 63 (3)
tion sont réunis. La pénurie du don d’organes au Liban,
pédiatriques en particulier, conduit souvent à une greffe
intrafamiliale à des poids régulièrement plus bas. Une
analyse rétropective est effectuée à partir des transplantations rénales pédiatriques réalisées à l’Hôtel-Dieu de
France-Beyrouth dans un service de pédiatrie multidisciplinaire.
MATÉRIELS ET MÉTHODES
Receveurs
Au cours de la période d’étude de septembre 1993
jusqu’en mars 2011, 102 enfants suivis par le département de pédiatrie sont arrivés en insuffisance rénale terminale. Soixante-dix-neuf enfants (65%) ont été transplantés. Une prédominance masculine est notée avec 59
garçons pour 20 filles. L’âge des enfants au moment de
la transplantation était entre 21⁄2 et 16 ans : huit avaient
moins de 4 ans, trente entre 4 et 8 ans et quarante et un
entre 8 et 16 ans. Huit enfants transplantés pesaient au
moment de la greffe entre 9,7 et 14 kg.
Les causes de l’insuffisance rénale terminale se répartissent ainsi :
• Uropathies malformatives et hypoplasies rénales
(36 cas) ;
• Neuf cas de néphronophtise dont sept classiques et
deux autres, membres d’une fratrie, présentant un
syndrome de Jeune, associant une dystrophie thoracique asphyxiante à la néphronophtise ;
• Six cas d’hyalinose segmentaire et focale dans le
cadre d’une néphrose cortico-résistante ;
• Une polykystose infantile de type récessif (3 cas) ;
• Une oxalose (2 cas).
Donneurs
Treize transplantations ont été réalisées avec des
reins de cadavres et cinquante-six avec un rein familial :
32 mères, 20 pères, une sœur majeure et trois grandsparents d’âge moyen de 66 ans.
Cinq reins cadavériques provenaient d’adultes âgés
entre 18 et 55 ans. Les huit autres reins cadavériques
provenaient d’enfants en état de mort cérébrale.
Protocole d’immunosuppression
Au début du programme de greffe le protocole d’immunosuppression était identique en cas de transplantation
cadavérique ou intrafamiliale. Une triple thérapie immunosuppressive initiale est débutée associant le sérum antilyhmphocytaire de lapin (SAL), azathioprine et prednisone. Le SAL ou Thymoglobuline® type Mérieux a été
prescrit à la dose de 0,15 ml/kg/J pendant 9,6 jours en
moyenne (entre 3 et 16 J).
L’azathioprine est débutée avant la greffe sous forme
intraveineuse à la dose de 2 mg/kg, puis par voie orale à
la dose de 0,75 mg à 1,5 mg/kg/J adaptée à la numération
sanguine.
La prednisone est débutée en per opératoire sous
forme de méthylprednisolone à la dose de 60 mg/m2,
C.MOURANI et al. – La transplantation rénale chez l’enfant
puis relais par voie orale, à la dose de 60 mg/m2, puis décroissance progressive visant 30 mg/m2 à J30, 15 mg/m2
à J60 et 7,5 mg/m2 à la fin du sixième mois postgreffe.
La cyclosporine a été débutée par voie orale entre J0
et J5 (J3 en moyenne) à la dose de 500 mg/m2 en 2 ou 3
prises quotidiennes selon les données de la pharmacocinétique de la cyclosporine étudiées chez chaque patient. Dès décembre 1994, la cyclosporine en microémulsion, Sandimun-Néoral® a été incluse dans notre
protocole d’immunosuppression à la dose de 300 mg/m2.
Protocole d’anticoagulation
Un traitement par la Fraxiparine® (héparine de bas
poids moléculaire : HBPM) a été débuté à J1 postopératoire chez les enfants dont les poids étaient inférieurs à
15 kg au moment de la greffe. La dose quotidienne est de
100 à 300 u/kg administrée par voie sous-cutanée en
deux prises. La dose est ensuite ajustée sur l’activité
anti-Xa du plasma en visant un pic à 4 heures autour de
0,4 U ; le traitement est poursuivi 3 semaines. Les indications d’un traitement anticoagulant préventif sont rapportées dans le tableau ci-dessous.
Indications de l’HBPM chez l’enfant transplanté du rein
Dès le début de la greffe
1.
2.
3.
4.
Si le receveur à un poids inférieur à 15 kg.
Si le donneur est âgé de moins de 5 ans.
En cas de plus d'une artère rénale sur le greffon.
Présence de lésions artérielles ou veineuses lors
du prélèvement de rein.
5. Perte d'un premier greffon par thrombose ou
par rejet précoce.
6. Présence d’antécédents de thromboses récidivantes
de la fistule artérioveineuse et/ou un état
d’hypercoagulabilité.
Dès 2000 l’aziathioprine a été remplacée par le mycophénolate mofetil à la dose de 600 mg/m2 donnée en 2 ou
3 prises selon la pharmacocinétique. En janvier 2005, le
tacrolymus - Prograf® a été ajouté au protocole comme
équivalent à la cyclosporine. L’utilisation du tacrolymus
ou de la cyclosporine était en rapport avec le statut EBV,
le problème d’hirsutisme causé par la cyclosporine et
mal accepté par la jeune fille et plus particulièrement
l’adolescente.
Dès 2010, le SAL a été remplacé par le Simulect®
administré en 2 prises à J1 et J4 à la dose respective de
10 ou 20 mg selon que le poids de l’enfant est supérieur
ou inférieur à 25 kg.
Les éléments qui ont été étudiés sont : le délai d’attente
en hémodialyse, la compatibilité dans le système HLA
entre le donneur et le receveur et la voie d’abord chirurgicale. De même, les éléments du suivi post-transplantation
ont été analysés : les complications post-transplantation à
court terme : urologiques, vasculaires, infectieuses, neurologiques ainsi que les épisodes de rejet. Le suivi posttransplantation à long terme comprenait l’étude de la
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survie actuarielle du greffon et du malade, la réhabilitation
sociale, scolaire et universitaire et la croissance staturopondérale.
RÉSULTATS
Délai d’attente en dialyse
C’est la période entre la mise en hémodialyse et la
réalisation de la transplantation rénale. Elle était entre 0
et 7 mois soit une moyenne de 3,5 mois pour une greffe
familiale. Pour une greffe cadavérique, le délai était
entre 6 et 30 mois soit une moyenne de 24 mois d’attente
par malade.
La compatibilité dans le système HLA était optimale
dans le groupe de greffe familiale. Dans ce groupe, un
minimum de 3 compatibilités HLA-A, -B et -DR existait
entre receveur et donneur. Par contre, dans le groupe de
greffes cadavériques, 6 des 13 enfants transplantés avec
un rein cadavérique n’avaient qu’une seule compatibilité
DR en commun entre donneur et receveur avec 3 à 4
incompatibilités pour les groupes HLA-A, -B et -DR.
Une seule fois, une compatibilité minimum (1 DR et 1 A)
a été exigée lors d’une transplantation rénale cadavérique
isolée chez une fille âgée de 11 ans dont la maladie initiale était une oxalose.
Voie d’abord chirurgicale
Au début du programme de transplantation rénale,
quatre enfants dont le poids était compris entre 10 et 14 kg
ont été opérés par voie intra-abdominale. Par la suite,
quatre autres enfants de poids similaires ont été opérés par
voie latérale extrapéritonéale dont un nourrisson de 2 ans
4 mois qui pesait 9,7 kg au moment de la greffe [4].
Complications en post-transplantation
• Complications chirurgicales et vasculaires : Une
invagination intestinale est survenue à J5 postopératoire
chez un enfant de petit poids. Deux occlusions sur brides
sont survenues chez un autre enfant à J29 et J70 postopératoires. Les deux occlusions ont coïncidé avec des
épisodes de rejet. Dans les deux cas, la voie d’abord
chirurgicale initiale était intra-abdominale. L’évolution a
été favorable après une reprise chirurgicale par la même
voie d’abord ; par la suite, trois enfants de poids inférieur à 14 kg ont été transplantés par voie latérale extrapéritonéale sans incident particulier.
Deux lymphocèles sont apparus à J15 et J17 postopératoires. Un enfant de 14 ans présentait un œdème de
la cuisse gauche et l’autre présentait une ascite. Le diagnostic a été confirmé à l’échographie. Le drainage péritonéal chirurgical a permis de régler cette complication
avec retour à une fonction rénale normale dans les deux
cas.
Notre protocole d’anticoagulation systémique par
HBPM concerne les donneurs de moins de 5 ans et les
receveurs de moins de 15 kg. Une hémorragie extériorisée par les redons survenue à J3 postopératoire chez
un seul enfant, a entraîné l’arrêt de l’anticoagulation. Ce
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même enfant a présenté lors du premier mois postgreffe
une lésion ischémique rénale polaire inférieure en rapport avec une thrombose vasculaire du territoire concerné.
Une autre fille âgée de 12 ans a reçu un rein cadavérique pédiatrique (6 ans) : elle a présenté à quatre mois
postgreffe une sténose de l’artère polaire inférieure du
greffon ; une angioplastie endoluminale était jugée risquée et non nécessaire, l’évolution a été favorable.
• Complications infectieuses : Vingt-sept infections
urinaires ont été traitées en milieu hospitalier. Elles sont
toutes survenues chez des enfants présentant une uropathie malformative responsable de l’atteinte initiale. Douze
infections herpétiques dont 6 herpès labiaux et 2 zonas
pelviens ont été traitées pendant 2 semaines par l’acyclovir par voie orale. Une varicelle primaire a été traitée
par l’acyclovir par voie intraveineuse.
Trente-neuf des 79 enfants étaient séropositifs pour le
cytomégalovirus (CMV) au moment de la transplantation rénale. Tous les enfants transplantés avant 2009 ont
reçu l’acyclovir à titre systématique en raison du protocole d’immunosuppression qui inclut le sérum antilymphocytaire ; par la suite le gancyclovir a remplacé l’acyclovir. Dix infections asymptomatiques à CMV ont été
reconnues par la surveillance sérologique. Une suspicion
de pancréatite à CMV associée à une infection pulmonaire à Pneumocystis carinii est survenue chez un même
patient un mois après la transplantation. Un seul décès a
été noté chez une fille de 10 ans dans le cadre d’une
atteinte multisystémique à CMV.
• Complications neurologiques : Douze des 79 enfants étaient sous traitement anti-épileptique au moment
de la transplantation. Le valproate de sodium (Dépakine®)
était prescrit chez onze d’entre eux et un seul était sous
clonazépam (Rivotril®). Un seul enfant a présenté un état
de mal convulsif après la tansplantation ; il était porteur
d’un shunt lombo-péritonéal posé en raison d’une hypertension intracrânienne en rapport avec un pseudotumor
cerebri [5]. Dix épisodes convulsifs ont été signalés chez
les autres enfants sous traitement.
• Épisodes de rejet : Trente-six épisodes de rejet sont
survenus chez 79 de nos malades greffés. Trente-quatre
rejets corticosensibles ont répondu aux bolus de méthylprednisolone. À chaque rejet, trois bolus d’un gramme
de méthylprednisolone par 1,73 m2 de surface corporelle
sont administrés à 48 heures d’intervalle. Deux rejets
chez le même malade étaient cortico-résistants : le premier n’a été réversible qu’après six échanges plasmatiques, le second rejet a été réversible après un traitement
de douze jours par l’OKT3 [6-7].
Soixante-douze ponctions-biopsies rénales ont été
pratiquées sur les greffons après repérage échographique. La ponction-biopsie rénale a été réalisée dans la
plupart des cas afin de distinguer entre un rejet cellulaire
et une toxicité à la cyclosporine. Vingt-six fois, une toxicité à la cyclosporine ou au tacrolymus était reconnue.
Le rejet aigu cellulaire a été vérifié histologiquement
chez 35 enfants. Une seule fois l’examen histologique a
C. MOURANI et al. – La transplantation rénale chez l’enfant
mis en évidence un rejet sévère de nature vasculaire.
Trois autres fois, des lésions de nécrose tubulaire aiguë
ont été notées.
après l’âge de 2 ans ont amélioré en moyenne de + 1,5
DS leur courbe staturale. L’amélioration de la courbe
pondérale était en moyenne de + 3 DS.
Survie actuarielle des malades et des greffons
• Survie actuarielle des malades : Six malades sont
décédés dans les deux groupes, familial et cadavérique,
concluant à une survie actuarielle de 5% dans le groupe
familial et de 23% dans le groupe cadavérique après 18
ans de suivi. Dans le groupe familial deux décès sont
liés à des lymphomes, dont un est EBV-induit traité par
Mabthera et arrêt de l’immunosuppression sans succès,
et un suite à une non compliance du traitement. Dans le
groupe cadavérique, un décès est lié à un lymphome, un
suite à une hémorragie interne non expliquée et un décès
associé à une infection à CMV multisystémique. Aucun
décès n’a été noté dans le groupe commercial.
• Survie actuarielle du greffon : En fin d’étude, neuf
transplantés sont retournés en dialyse : 5 dans le groupe
cadavérique, 3 dans le groupe commercial et seulement
2 dans le groupe familial. Dans le groupe cadavérique, la
cause de perte du greffon est une récurrence précoce du
syndrome hémolytique urémique et d’une oxalose et un
syndrome néphrotique sur prolifération mésangiale. Les
deux autres pertes résultent d’un adénoblastome et d’un
rejet chronique.
Dans le groupe familial, une perte du greffon après
quinze ans de survie suite à un rejet chronique et une récidive par une oxalose non identifiée en prégreffe et qui
a récidivé sur le greffon.
Dans le groupe commercial, une perte par rejet chronique et une autre perte précoce de greffon par thrombose artérielle du greffon et compliquée aussi d’un anévrysme mycotique : cette complication est uniquement
rencontrée dans les greffes commerciales [8].
DISCUSSION
Réhabilitation sociale, scolaire et universitaire
Après une durée moyenne de quatre mois d’absence
scolaire, 24 des 79 enfants greffés réintègrent une scolarité régulière. Le seul enfant aveugle de notre série a été
dialysé pendant deux ans et demi durant lesquels sa scolarisation était irrégulière ; six mois après sa transplantation rénale l’enfant commence à fréquenter régulièrement
une école spécialisée pour handicapés visuels. Trois
autres enfants sont dans des écoles spécialisées pour enfants handicapés. Douze adolescents poursuivent actuellement des études en milieu universitaire et neuf sont
actuellement en milieu productif et actif avec un emploi
à mi-temps ou plein temps.
Croissance staturo-pondérale
Étudiée chez 29 enfants transplantés depuis plus de
10 ans. Six enfants suivent le couloir de - 3 déviations
standards (DS) pour le poids et la taille ; ces enfants présentaient une insuffisance rénale dès la première année
de vie ayant évolué vers l’insuffisance rénale terminale
entre l’âge de 2 et 7 ans respectivement. Les 23 autres
enfants qui avaient présenté une insuffisance rénale
C. MOURANI et al. – La transplantation rénale chez l’enfant
La transplantation rénale est le traitement de choix de
l’enfant en insuffisance rénale terminale ou préterminale
[9-11]. Face à la forte pénurie de dons d’organes cadavériques au Liban et afin de diminuer le délai d’attente
de l’enfant en dialyse, le don intrafamilial est encouragé.
Le délai d’attente en dialyse dans notre série est sept fois
plus long pour une greffe cadavérique comparé à une
greffe intrafamiliale. Trois enfants adressés pour insuffisance rénale terminale ont été greffés avec un rein familial au cours du même séjour hospitalier, après une
courte étape de préparation à la transplantation [12]. Une
fille n’a jamais été dialysée avant la greffe ; elle était
suivie depuis l’âge de 2 ans pour une insuffisance rénale
en rapport avec un polykystose infantile. À 3 ans 9 mois
elle atteint le stade d’insuffisance rénale terminale. Une
greffe intrafamiliale est réalisée à ce stade sans dialyse
préalable. La transplantation rénale préventive est une
solution proposée par plusieurs équipes de néphrologie
pédiatrique ; elle évite à certains enfants l’étape de la
dialyse [13].
En raison de la lourdeur de la prise en charge de la
dialyse, en particulier l’enfant de petit poids, et la rareté
des dons, nos exigences de compatibilité HLA sont moins
restrictives. Si le cross match est négatif, un rein cadavérique est accepté même avec une seule compatibilité dans
le groupe HLA-A, -B et -DR. De plus, les reins cadavériques malformés, compatibles avec une transplantation
ne sont pas refusés ; ainsi, un des reins cadavériques était
un rein en fer à cheval à gros isthme : malgré les difficultés techniques chirurgicales et le risque accru de
thrombose, ce rein malformatif a été greffé en monobloc
chez un enfant aveugle dialysé depuis 2 ans [14]. L’évolution est favorable après 17 ans en dépit de la survenue
d’une thrombose vasculaire polaire inférieure.
Au début du programme de transplantation, la voie
d’abord chirurgicale des enfants de petits poids était
transpéritonéale. Après la survenue des complications
abdominales (deux occlusions et une invagination), il a
été décidé de réserver la voie intra-abdominale aux seuls
receveurs dont le poids est inférieur à 8 kg. La voie
d’abord extrapéritonéale avec l’emplacement du rein en
dehors de la cavité péritonéale permet un accès facile du
greffon lors de la ponction biopsie rénale. Cette voie
d’abord permet d’éviter les phénomènes inflammatoires
de proximité en cas de rejet qui favoriserait la formation
d’accolements intestinaux et de brides, sources de complications digestives supplémentaires [15]. Depuis 1998,
tous les enfants de poids inférieur à 15 kg, et même
récemment de poids inférieur à 10 kg, sont greffés à travers un abord extrapéritonéal. Les suites opératoires sont
favorables [4, 16]. Aucune différence significative dans
les complications chirurgicales ou médicales entre le
Journal Médical Libanais 2015 • Volume 63 (3) 119
groupe de petit poids et les grands enfants [17-18].
Les complications infectieuses virales, bactériennes
et opportunistes sont fréquentes chez l’enfant transplanté du rein [19]. L’infection à CMV est l’infection virale
la plus grave chez l’enfant immunodéprimé [20]. Plusieurs approches ont été suggérées pour diminuer le
risque d’une atteinte organique par le CMV après transplantation rénale : tel le choix du donneur et du receveur
selon qu’il soit porteur ou non du CMV, le vaccin antiCMV atténué, l’acyclovir per os, le ganciclovir et le valganciclovir sont actuellement bien codifiés et l’approche
optimale préventive a été déterminée [20]. En transplantation rénale pédiatrique, la prophylaxie du CMV serait
la plus efficace quand un agent antiviral est utilisé ce qui
diminuerait le risque d’hospitalistion lié au CMV [21].
En parallèle, l’utilisation préventive d’un agent antiviral
diminuerait le risque d’une atteinte virale organique ultérieure [22]. Dans notre série, l’incidence des infections
à CMV n’est pas plus élevée comparée aux autres séries
de la littérature malgré l’utilisation systématique du
sérum antilymphocytaire. Ceci est dû probablement à un
taux de séropositivité anormalement élevé chez nos enfants au moment de la greffe (80%) associé à un effet
probablement bénéfique du traitement préventif antiviral
prescrit systématiquement les six premiers mois postgreffe [23]. Les infections à Pneumocystis carinii sont
devenues exceptionnelles avec le traitement préventif
par le triméthoprime sulfamétoxazole (TMP-SMX) [24].
Le seul enfant qui n’a pas reçu correctement le TMPSMX durant le premier mois postgreffe en raison d’une
pancréatite à CMV a développé une pneumonie interstitielle à Pneumocystis carinii. L’atteinte pulmonaire était
sévère et a nécessité une ventilation assistée agressive
pendant deux semaines ; un traitement associant le pentacarinat, le TMP-SMX a été administré par voie intraveineuse et trois bolus de méthylprednisolone ont permis
une amélioration progressive.
L’incidence des convulsions est plus élevée chez l’enfant en dialyse par rapport à la population générale pédiatrique [25]. Cinq des 15 enfants recevant un traitement anti-épileptique étaient tous de petit poids. Le
choix du valproate de sodium et du clonazépam était lié à
l’absence d’interaction de ces médicaments avec la cyclosporine [26].
Le rejet est un phénomène immunologique naturel qui
survient dans 20 à 35% des suites d’une transplantation
rénale [27]. Nous disposons actuellement d’un arsenal
thérapeutique antirejet varié permettant de traiter la plupart des rejets [15]. En cas de forte suspicion clinique et
biologique de rejet, un traitement par bolus de méthylprednisolone est débuté. Une ponction-biopsie rénale est
pratiquée dans tous les cas et le traitement antirejet n’est
poursuivi qu’après confirmation histologique. Aucun incident n’a été noté après la ponction-biopsie du greffon.
En cas de toxicité à la cyclosporine confirmée histologiquement, la dose de cyclosporine ou tacrolymus a été
réduite et le traitement antirejet a été écourté empêchant
ainsi un surcroît inutile de l’immunosuppression.
120 Journal Médical Libanais 2015 • Volume 63 (3)
La transplantation rénale permet une meilleure réhabilitation sociale et scolaire [28]. Dans notre série, onze
des 49 enfants transplantés depuis plus de six mois ont
repris une vie sociale et scolaire normale. La croissance
staturo-pondérale était globalement satisfaisante, sauf
pour six enfants souffrant d’une insuffisance rénale précoce. Un traitement substitutif par l’hormone de croissance (GH) serait bénéfique et devrait améliorer leur
croissance [29] mais le coût élevé de ce traitement reste
un obstacle majeur à son application associé à un risque
important de rejet [30].
CONCLUSION
Notre expérience de dix-huit ans déjà en transplantation rénale chez l’enfant est encourageante. Parallèlement à la prise en charge de l’enfant en insuffisance rénale
terminale nous avons procédé à la préparation et la réalisation d’une greffe cadavérique ou intrafamiliale dans
les plus brefs délais. La greffe rénale pédiatrique nécessite
une équipe médicale et paramédicale expérimentée et
hautement qualifiée avec un plateau technique très performant. De même, la prise en charge d’un enfant transplanté est lourde ; elle engage non seulement l’équipe traitante
mais aussi les parents qui doivent bien s’appliquer à la
rigueur du suivi postgreffe et du traitement immunosuppresseur.
Face aux enfants qui bénéficient rapidement d’une
transplantation familiale, un nombre croissant d’enfants en
insuffisance rénale terminale attendent d’être greffés [d’un
rein]. Malheureusement, les dons d’organes cadavériques
sont rares au Liban et n’assurent que 15% de l’activité de
transplantation rénale dans notre série. Nos efforts doivent
se poursuivre vers l’accroissement de l’activité de greffe
mais aussi vers la prévention et le traitement précoce de
certaines maladies rénales, notamment les uropathies malformatives, avant qu’elles n’atteignent le stade d’insuffisance rénale chronique.
RÉFÉRENCES
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