`Etats fragiles` (PDF, 2.4 Mo)

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`Etats fragiles` (PDF, 2.4 Mo)
Dossier
Réfugiés fuyant la zone de conflit dans la région de Goma - Nord-Kivu 2009.
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mars-avril
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© rnw
Les événements récents en Haïti et au Niger rappellent à quel point
la thématique de la "fragilité" de certains Etats est d’actualité :
la situation peut rapidement y devenir explosive et se transformer
en catastrophe humanitaire de grande ampleur. La planification
d’un projet de développement exige la prise en compte de nombreux
facteurs qui s’interpénètrent souvent. Or, dans les situations de
fragilité, tout devient infiniment plus complexe et les risques sont
décuplés. C’est donc pour s’assurer de l’efficacité maximale de
ses actions de développement que la communauté internationale
prône une approche particulière pour les "Etats fragiles".
Loin de les stigmatiser, il est question de mieux les aider.
états fragiles
Etats fragiles,
populations en danger…
Qu’est-ce qu’un "Etat fragile" ?
Le Comité d’Aide au Développement (CAD)
de l’OCDE définit l’Etat fragile comme suit
: Un État est fragile lorsque le gouvernement et les instances étatiques n’ont
pas les moyens et/ou la volonté politique
d’assurer la sécurité et la protection des
citoyens, de gérer efficacement les affaires
publiques et de lutter contre la pauvreté au
sein de la population.1 Il propose en 2008 :
L’incapacité d’un état à rencontrer les attentes de sa population ou à gérer l’évolution
de ces attentes et des capacités disponibles,
par des processus politiques. 2
Ces nouvelles approches à propos de la
"fragilité" réinstallent l’Etat comme acteur
incontournable. C’est la puissance étatique
qui dispose de la légitimité à lever l’impôt,
de la capacité à faciliter le développement
économique, etc. C’est à l’Etat qu’il revient
de fournir les services fondamentaux (sécurité, justice, santé, éducation) à la population. Avec la difficulté supplémentaire que
l’on attend plus de l’Etat aujourd’hui que
dans le passé, lors de la formation des Etats
nations européens.
© Geo
La réponse à cette question ne fait pas
l’unanimité parmi les bailleurs et encore
moins parmi les Etats concernés, qui souhaiteraient éviter cette qualification considérée comme dénigrante (C’est d’ailleurs
la raison pour laquelle l’Union européenne
préfère utiliser le vocable de "pays en situation fragile" à celui d’"Etat fragile").
Sécheresse extrême et famine en Somalie.
Comme l’Etat redevient l’acteur principal, la
communauté internationale approfondit et
développe ses approches du renforcement
de l’Etat (ou State building). On met en évidence qu’il s’agit d’un processus endogène,
non linéaire, et multidimensionnel. L’appui
à ce dernier devra s’envisager sur le long
terme et nécessiter, pour les acteurs internationaux, une meilleure connaissance du
contexte local, des relations entre les structures formelles et informelles, des mécanismes de légitimité, et des relations entre
Etat et société. Le but de cet appui international est de permettre la mise en place
d’Etats suffisamment robustes (résilients)
pour surmonter les crises, de soutenir et de
formaliser les structures de gouvernance
locales, de pérenniser les acquis, afin de
pouvoir in fine lutter contre la pauvreté.
De nombreux acteurs ont établi leur propre
liste d’Etats fragiles (la Banque Mondiale,
des universités anglaises, canadiennes,…),
mais aucune ne fait l’unanimité car il est
impossible à ce jour de trouver un consensus parmi les bailleurs. Deux éléments au
moins expliquent ce foisonnement de listes.
Premièrement, les divergences entre les
différentes logiques soutenant la conception d’une liste (Quel est le but poursuivi >
Pour la Belgique
Avec six partenaires en situations de fragilité, et pas des moindres, la Belgique a
un rôle important à jouer. Cela nécessite
de repenser nos politiques et nos mécanismes de mise en œuvre de l’aide, afin
1
2
de prendre en compte les particularités
de ces Etats : solides analyses contextuelles, approche pangouvernementale, etc.
Comme ce numéro de Dimension 3 le présente, nous avons commencé à adapter
nos pratiques à la réalité des Etats fragiles, cependant du chemin reste à faire
pour relever les défis qui nous y attendent.
www.oecd.org/document/9/0,3343,fr_2649_33693550_39254537_1_1_1_1,00.html
OCDE/CAD, Concepts et dilemmes pour le renforcement de l’Etat dans les situations de fragilité, De la fragilité à la résilience, Paris, OCDE, 2008, p. 19.
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Dossier
© DGCD / Elise Pirsoul
cent les acteurs internationaux à s’interroger sur l’impact de leurs actions d’aide au
développement.
Le conflit israélo-palestinien persiste depuis plus de 60 ans,
laissant deux communautés dans un état de constante insécurité.
> en l’établissant ?). Deuxièmement, il y a
autant de formes de fragilité que de pays
en situations de fragilité. Nous évoluons
dans des contextes très spécifiques : le cas
de la RD Congo n’est pas celui d’Haïti.
Néanmoins, nous pouvons retrouver des
récurrences au niveau des causes de cette
fragilité, causes auxquelles il faut tenter
d’apporter remède : une situation de conflit,
un contexte environnemental particulier
(sécheresses ou inondations récurrentes,
comme en Ethiopie ou au Bangladesh), l’insécurité, la pauvreté, la présence ou l’absence de ressources naturelles, les faiblesses institutionnelles et/ou capacitaires de
l’Etat, la faiblesse de la gouvernance, le
manque de légitimité des élites, etc. Ces
différentes causes interagissent d’une
manière qui est propre à chaque pays et
cela se traduit par une grande hétérogénéité des situations, de la RD Congo à Haïti,
en passant par l’Afghanistan.
Sur la liste du CAD (OCDE) qui compte 43
"Etats fragiles", se retrouvent six de nos
pays partenaires (la RD Congo, le Burundi,
les Territoires Palestiniens, l’Ouganda, le
Rwanda et le Niger). Par ailleurs, d’autres
listes similaires reprennent également la
Bolivie et le Mali.
Pourquoi développer
une approche particulière
pour ces Etats ?
De par leur situation particulière, ces Etats
qui font face à des défis considérables, avec
des capacités souvent très réduites, for-
En effet, selon les chiffres utilisés par le CAD
pour ses rapportages, les Etats fragiles ne
parviendront pas à atteindre les Objectifs
du Millénaire pour le Développement (OMD)
en 2015. Ces pays qui représentent 1/6 de
la population mondiale, regroupent 1/3 des
personnes vivant avec moins d’un dollar par
jour, et la moitié de la mortalité infantile
mondiale. 35 pays considérés comme fragiles en 1979 le sont toujours aujourd’hui.
Alors que leurs besoins sont criants, ces
pays ont connu dans les années nonante
une forte diminution de l’aide au développement, en raison de la complexité inhérente
à toute intervention de l’extérieur, tant au
niveau politique que pratique. Certains sont
même devenus des "orphelins de l’aide",
comme la République centrafricaine.
Pourquoi tenir de tels débats sur des
concepts qui peuvent paraître abstraits ? Le
but est que les acteurs internationaux partagent les mêmes conceptions afin de travailler avec plus de cohérence sur le terrain.
Dans le cadre des réflexions sur l’efficacité
de l’aide (cf. la Déclaration de Paris), les
bailleurs ont pris conscience de la nécessité
d’adapter leurs politiques et les modalités
de l’aide au développement afin d’atteindre
plus efficacement les populations de ces
pays en état de fragilité. Pour répondre à ces
défis, et afin d’adopter une approche proactive des problèmes (agir sur les Etats "fragiles" pour qu’ils ne deviennent pas des Etats
State building en RD Congo
La nouvelle Constitution de la RD Congo
consacre le principe de la décentralisation dans la gestion du pays, jusque-là
un État unitaire, en déterminant même la
clef de répartition des recettes à caractère national. Des 11 provinces actuelles, la RD Congo devra passer à 26, au
mois de mai 2010. Mais la connaissance
des réalités au Congo est devenue fort
déficiente, surtout celles vécues sur le
terrain dans les provinces.
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Soutenu par la Coopération belge,
le Musée Royal de l’Afrique Centrale
(MRAC) à Tervuren mène des études
monographiques sur l’état réel de chacune des 26 provinces ainsi instituées.
Elles contiendront des données d’ordre
administratif, politique, social, économique (y inclus les ressources naturelles et
les infrastructures),… souvent objet des
controverses. Les travaux identifieront
le profil spécifique de chaque province
pour les comparer quant à leurs atouts
et faiblesses du point de vue du développement. Cette recherche conduira
à s’interroger sur la cohérence interne
des unités décentralisées ainsi que sur
la construction d’un État congolais plus
performant. Bref, le résultat deviendra
un outil important dans les mains des
acteurs qui contribuent au développement de la RD Congo.
Jean Omasombo
états fragiles
"faillis", comme la Somalie), les bailleurs ont,
depuis le début des années 2000, réévalué
leurs politiques. La Banque Mondiale, les
Etats-Unis et la Grande-Bretagne sont en
pointe dans la réflexion sur cette question
(chacun ayant par ailleurs sa logique propre). Ces trois courants principaux se sont
cristallisés au CAD. En 2007, les Ministres
de la Coopération au développement du
CAD ont ainsi adoptés les Principes pour
l’engagement international dans les Etats
fragiles et les situations précaires. Au nombre de 10, ils sont sensés encadrer les politiques d’action des acteurs du développement agissant dans les Etats fragiles.
Egalement en 2007, l’Union Européenne a
lancé un processus visant à coordonner les
politiques des Etats membres. Ce processus
doit aboutir à la mise sur pied d’un plan d’action de l’UE pour les situations de fragilité.
Xavier Rouha
Sécurité et développement
"Pas de Développement sans Sécurité et pas de Sécurité sans Développement"
© quickblogcast
La sécurité fait non seulement
partie des besoins de base de
chaque individu, mais surtout
elle constitue un pré requis à toute
forme développement durable;
alors même que le développement
constitue une condition au
maintien de la sécurité.
Troubles au Kivu - 2009.
La création d’un climat sécuritaire, dans
son acception la plus large, est indispensable pour assurer le recul de la pauvreté,
la protection des droits humains élémentaires et la réalisation des Objectifs
du Millénaire pour le Développement. La
notion de sécurité ne renvoie plus seulement à la stabilité de l’Etat et au fonctionnement des institutions politiques, elle
comprend avant tout le bien-être de chaque individu, créant ainsi un environnement favorable à la reprise/création d’activités économiques. A terme, la création
d’une classe moyenne, avec le concours
d’investisseurs étrangers, doit contribuer à une répartition plus équitable des
richesses.
Dans une situation post-conflit, le relèvement et la stabilisation d’un Etat passent
nécessairement par la Réforme de son
Secteur de la Sécurité (RSS) et par la réduction du nombre de personnes armées
(ayant souvent crû exagérément pendant
le conflit et ayant profité de l’économie
parallèle générée par celui-ci). L’objectif
de la RSS vise donc à rétablir la confiance
de la population en l’Etat comme fournisseur de sécurité et de justice, conformément aux aspirations de celle-ci. Cette
réforme vise non seulement les "acteurs
classiques" de la sécurité (tels que armée,
police, justice,…), mais également les "thèmes transversaux" (tels que contrôle parlementaire, rôle de la société civile et des
média, etc.). Il s’agit donc d’une réforme
délicate, holistique et globale, qui s’inscrit
dans la durée et dans le respect de la souveraineté nationale du partenaire.
Un double débat est actuellement engagé
au niveau international : d’une part, le
lien entre sécurité et développement,
d’autre part, l’intégration de la RSS dans
les actions diplomatiques. Ceci implique
la création de mécanismes de concertation spécifiques entre acteurs parfois peu
habitués ou enclins à partager une vision
commune.
Même si certaines dispositions ont déjà
été prises, il n’en demeure pas moins
que beaucoup reste à faire pour parvenir
à une approche véritablement en "3 D’s"
(Diplomatie, Défense et Développement),
pour inclure la prévention des conflits
dans les actions de coopération, et pour
définir la sécurité comme un objectif
diplomatique.
Lt-Col Junior de Fabribeckers,
Détaché au SPF Affaires Etrangères Coopération au Développement
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Reportage
© DGCD / Elise Pirsoul
Réfugiés de père en fils
Du camp de réfugiés de Nahr el-Bared au Liban, théatre d'affrontements violents en 2007, il ne reste que des ruines.
Au Liban, en Jordanie, en Syrie, à Gaza et en Cisjordanie sont réfugiés 4,7 millions de Palestiniens, dont 1, 4 millions
vivent dans des camps1. Avec un espace de vie établi trois générations auparavant qui n’a pas suivi la courbe
démographique, un taux de chômage affolant, une insécurité quasi-permanente, la vie dans les camps offre peu de
perspectives d’avenir. Pour ces sans terres, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) est la
principale assistance. Reportage sur les vestiges d’un camp au Liban, en cours de reconstruction.
Liban, camp de Nahr el-Bared
Nous sommes à quelques kilomètres de
Tripoli. Le paysage serait magnifique s’il
n’était entaché des ruines d’une scène de
violence inouïe. D’un côté la mer, de l’autre
les pics blancs des montagnes, à nos pieds,
les gravats des immeubles et quelques
pans de murs criblés de balles. Le camp
de Nahr el-Bared qui abritait auparavant
environ 30.000 réfugiés palestiniens fut le
théâtre d’affrontements violents lorsqu’en
mai 2007 les forces libanaises l’attaquèrent
à la suite de la provocation d'un groupe
armé qui s'était abrité dans le camp . Un
combat qui dura 3 mois et demi, laissant
27.000 personnes, déjà dans une situation
difficile, sans abris. "Ces familles sont dans
une détresse absolue, ils sont entièrement à
la charge de l’UNRWA.", explique Salvatore
Lombardo, directeur de l’UNRWA au Liban.
1 Chiffres UNRWA, juin 2009
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La plupart des réfugiés ont été déplacés
dans d’autres camps, les autres ont trouvé
refuge chez des parents ou ont du louer de
petits garages pour abriter leur famille. Un
nouveau coup dur pour ces réfugiés dans
un pays qui ne les reconnaît pas comme les
siens et dont la population leur est souvent
hostile. Ibrahim est professeur à l’école du
camp. Ses parents sont arrivés à Nahr elBared comme tant d’autres en 1948, il est
né ici et n’a jamais connu que les camps
de réfugiés. "Après la destruction de mon
immeuble, j’ai été déplacé dans le camp voisin de Beddawi, je viens tous les jours en
bus pour enseigner." Comme la plupart de
ceux qui ont un travail, il est employé par
l’UNRWA qui gère notamment l’éducation
des réfugiés dans les camps. L’organisation
emploie en effet des travailleurs locaux,
pour le reste, le taux de chômage est de
40 à 50 %, "ce qui est peu par rapport aux
autres camps. Nahr el-Bared était avant
sa destruction celui qui avait la deuxième
meilleure situation économique." Situé à
côté de l'autoroute, près de la frontière
syrienne , Nahr el-Bared était un important
centre commercial profitant des échanges
économiques entre les deux pays.
Réfugiés deux fois,
cherchent appartement
C’est pour mettre un terme au déplacement de ces milliers de réfugiés que l’UNRWA reconstruit le camp d’origine. "Pour les
familles du camp dispersées, la détresse est
totale. L’UNRWA doit pourvoir à tous leurs
services, les frais sont multipliés." Nahr elBared n’est que l’un des quatre camps qui
ont été détruits au Liban durant les années
de conflit, "mais c’est le seul que nous sommes en train de reconstruire", explique
Salvatore en désignant un terrain vague
Moyen-Orient
qui contraste avec les murs effondrés d’à
côté. "Vous voyez, ici, avant c’étaient des
immeubles en ruines. Il a fallu tout déminer, détruire, déblayer. Le sol était truffé
de mines. Le processus est long car chaque
étape doit être validée par le Conseil des
Ministres libanais. Et comme si cela ne suffisait pas on a retrouvé des vestiges archéologiques qui ont stoppé temporairement les
travaux." Heureusement, un compromis fut
trouvé en soulevant le sol de 5 cm pour ne
pas abîmer les vestiges.
santé (134 cliniques), l’aide alimentaire et
les services sociaux de base, l’infrastructure, la formation professionnelle de base…
L’agence offre un près de 29.000 emplois
locaux et elle veille et plaide pour le respect
des droits humains des réfugiés.
Cet état d’assistance obligatoire qui perdure
depuis 60 ans génère frustrations, hostilité et violence chez les réfugiés, les autres
Palestiniens et les populations environnantes. La question des réfugiés palestiniens
est un problème pour la stabilité de toute
la région. En attendant une autre solution,
le travail de l’UNRWA aux côtés des réfugiés
est essentiel.
Construire, mais pas n’importe comment :
"Le but est de permettre aux familles déplacées de retrouver un logement et une
communauté de voisinage similaire à ceux
qu’elles ont quitté." Pour ce faire, un recensement minutieux des logements a été
effectué par un groupe de volontaires de la
communauté-même qui se sont mobilisés
dès le débuts des combats. La construction
a commencé fin mai 2009 et sera effectuée au fur et à mesure du support financier reçu.
Une question de stabilité pour
tout le Moyen-Orient
A travers la bande de Gaza, la Cisjordanie,
le Liban, la Syrie et la Jordanie, sont ainsi
dispersés 58 camps de réfugiés. L’UNRWA
gère les besoins de base comme l’éducation (684 écoles pour toute la région), la
online
www.unrwa.org
L’UNRWA lance un appel à l’aide
de son mandat n’ont toujours pas quitté
les camps et se sont multipliés. La démographie et l’arrivée de nouveaux "exilés"
porte le nombre de réfugiés actuels à
4,7 millions dans le Moyen-Orient.
© DGCD / Elise Pirsoul
En attendant, et afin de favoriser un environnement viable, l’UNRWA coordonne une
assistance à ceux qui retournent peu a peu
aux alentours du vieux camp détruit. En sus
du projet de reconstruction, l’Agence coordonne des aides humanitaires (logements
provisoires et gratuits, assistance sociale,
médicale, alimentaire, et scolaire). Elle offre
également des aides économiques (une
subvention de l'Union Européenne) pour
rétablir les petits commerces ou entreprises dans le camp. Réactiver l'économie
des quartiers palestiniens autour du vieux
camp est primordial, car ces zones souffrent d'un manque de circulation économique en partie parce que le Liban considère
toujours cet endroit comme une zone militaire. Comme dans un ghetto, l'accès y est
fortement contrôlé par l'armée qui a institué un système de permis pour tout résident et visiteur.
Elise Pirsoul
Le conflit israélo-arabe de 1948 a entraîné
le départ des premiers réfugiés palestiniens. Consécutive à cet exil, la Résolution
303 des Nations Unies créait, en 1949,
l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens dans le Moyen-Orient.
L’agence n’aurait du avoir qu’une mission
temporaire. Mais, six décennies plus tard,
les quelques 750.000 réfugiés du début
La situation générale des Palestiniens,
et en particulier celle des réfugiés, s’est
largement détériorée depuis la seconde
intifada, le blocus de Gaza et l’offensive
israélienne de 2008 dans la bande de
Gaza. Aujourd’hui, 80 % de la population
de la bande de Gaza est dépendante de
l’aide humanitaire. La montée générale
des prix alimentaires, du carburant, des
"loyers" dans les pays hôtes ; la diminution de certaines donations suite à la
crise financière; la difficulté d’acheminer
de l’aide matérielle vers la bande de Gaza,
ont multiplié les besoins de l’agence.
L’UNRWA accuse cette année un déficit
prévisionnel de 140 millions de dollars sur
son budget régulier. La Belgique a contribué à raison de 6.250.000 euros en 2009
et prévoit 6.750.000 euro pour 2010.
E.P.
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Moyen-Orient
Un hôpital militaire
devenu humanitaire
© DGCD / Elise Pirsoul
>
Des casques bleus belges
au Sud-Liban
"La présence des casques bleus a permis
de séparer les belligérants. C’est la première fois en 40 ans que la population du
Sud Liban connaît 3 ans et demi de stabilité", explique le lieutenant-colonel De
Brabander, commandant du BELUBATT,
le contingent dont font partie les casques bleus belges au Liban. "La population
recommence à investir dans la construction, ce qui est bon signe."
Les principaux objets de la guerre entre
Israël et le Liban sont les 250 à 400.000
Palestiniens réfugiés1 au Liban depuis
1948 et la milice Hezbollah. Au cours de
l’été 2006, une guerre de 6 semaines
entre le Hezbollah et Israël a fait rage.
Le Conseil de sécurité des Nations Unies
a alors décidé de renforcer la force intérimaire de l’ONU au Liban (FINUL), qui existe
depuis la première invasion par Israël en
1978, voyait passer ses effectifs de 3.000
à 12.500 hommes. Les Belges participent à
cette mission depuis 2006.
"Pas de développement
sans sécurité…
Les tâches de ce groupe de 360 militaires
belges ont été réparties sur plusieurs activités : un hôpital près du village de Tibnine, le
génie, le déminage et la protection de la force.
A mesure de la stabilité retrouvée, les forces
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En Afghanistan comme au Liban, le
développement est lourdement conditionné
par l’insécurité. Dans ces deux pays, on voit
apparaître des synergies entre Défense et
Coopération belge. Ainsi, dans le Sud du Liban,
les casques bleus belges déminent les terrains
des champs de batailles israélo-libanais et
s’apprêtent à transférer une partie de la tâche
aux ONG. Pendant ce temps, la CTB réhabilite
un hôpital qui pourra combler le vide de l’ancien
hôpital militaire belge qui rendait de nombreux
services à la population...
Le camp Scorpion des casques bleus belges à Tibnine.
militaires sont appelées à étre réduites.
"On a d’abord effectué le déminage humanitaire à Tibnine pour sécuriser les champs
et les maisons." Le déminage, un domaine
dans lequel la Belgique a une expertise
avérée et dont l’impact est visible. "Quand
la région est déminée, les gens retrouvent
l’esprit de reconstruction. Ils retournent
aux champs." Lorsqu’une zone est complètement sécurisée, le déminage humanitaire est laissé aux ONG et les militaires
se replient dans les zones plus dangereuses. Ils délimitent actuellement un passage
dans les champs de mine sur la "Blue line",
la ligne en deça de laquelle Israël s’est
retiré en 2.000. Le déminage est contrôlé
par l’ONU qui transférera, à terme, sa
connaissance vers les Libanais.
Quant à l’hôpital militaire, il a du être démantelé. Mais il offrait de nombreux services à la
population. C’est ainsi que la Coopération a
pris le relais de la Défense en proposant de
remettre en état de marche un ancien hôpital civil. "120.000 civils vont pouvoir profiter
de l’hôpital", explique le gestionnaire du projet à la CTB. "Les patients paieront 5% des
soins, le reste sera pris en charge par l’Etat
libanais." Les travaux de réhabilitation ont
commencé en novembre 2008 et devraient
se terminer en août 2010. Ils sont supervisés au jour le jour par le génie BELUBATT, en
attendant un agent CTB au Liban. Une fois
le bâtiment réhabilité, la Belgique fournira
les équipements médicaux, pour un total
général de 3 millions d’euros.
…Ni de sécurité sans
développement"
"Il faut d’abord assurer la paix pour permettre à tout le monde de s’asseoir à une
table pour discuter", ajoute le commandant. L’objectif des Nations Unies est en
effet, après la stabilisation, de permettre
un processus diplomatique entre Israël, le
Liban et la Syrie. L’aide belge au Liban a
véritablement démarré en 2006 (hormis
UNRWA, voir article p. 8) et s’inscrit dans
cette optique comme le souligne le Ministre
de la coopération : "La dimension régionale
des projets qui sont soutenus ici est importante. Il existe une réticence, compréhensible, qui consiste à ne pas mélanger militaire et humanitaire mais je suis convaincu
que le développement est un enjeu politique majeur, une clé pour favoriser la paix
et la sécurité."
C’est aussi l’avis de la casque bleu : "On vit
avec la population, il est important d'avoir
de bons contacts. Grâce à la remise en état
de l’hôpital, la population est favorable à
l’action des Belges. Les projets de développement facilitent la sécurité des militaires."
Elise Pirsoul
1 Différentes estimations existent.
dossier
Consolidation de la paix
Donner un avenir
aux pays en conflit
© DGCD / Chris Simoens
Comment garantir la paix dans un pays déchiré par les conflits ?
Dimension 3 a rencontré le professeur Luc Reychler (K.U.
Leuven), spécialiste en matière de consolidation de la paix.
Par où faut-il commencer ?
D’abord, il faut tout inventorier. Qui est
prêt à faire quelque chose ? Quel type
de paix souhaite-t-on : une paix durable,
armée, ou fragile ? Quels sont les besoins
au niveau de la politique, de la sécurité, de
l’économie, de la justice…? La reconstruction est en effet indispensable. L’éducation
joue dans ce contexte un rôle important,
notamment pour la formation de nouveaux
dirigeants. Les coûts de tous les besoins
doivent être calculés. Un point que l’on
oublie souvent. De plus, il est particulièrement important d’associer toutes les parties prenantes. Pas seulement la société
civile et les groupements politiques, mais
également les pays voisins.
Quelle importance
revêt la démocratisation ?
Je suis opposé au modèle néoconservateur qui veut imposer une démocratie libérale de l’extérieur. C’est en partie de l’escroquerie. Le passage vers une démocratie
réussie exige plus que de simples élections.
Un pays sortant d’un conflit a, en premier
lieu, besoin de stabilité. C’est possible si le
pouvoir est "légitime", donc reconnu par le
peuple. Et la légitimité d’un pouvoir dépend
tout autant de la bonne gouvernance que
du degré de démocratisation. Dans une
situation de post-conflit, cela n’a d’ailleurs
pas beaucoup d’importance que l’état se
montre quelque peu autoritaire. Pourvu
qu’il réponde aux besoins essentiels de la
population : sécurité, alimentation, soins
de santé, écoles, etc. Prenons par exemple
la Corée du Sud. Dans les années 70, le pays
avait un régime autoritaire, mais également
une politique économique progressiste.
L’accent était mis sur l’éducation, la recherche et la gestion. La demande de démocratisation ne vint que plus tard. Quand la
Belgique est-elle vraiment devenue démocratique ? A peine dans les années 60,
après la décolonisation !
Une démocratie libérale promeut également le marché libre et le dégraissage de
l’état. Mais on ne peut pas imposer cela
sans nuances aux états fragiles. Dans un
premier temps, il y a un besoin de protectionnisme. Dans ce contexte, l’état joue un
grand rôle. Il doit décider où il faut investir
et veiller progressivement à une ouverture
au marché libre. Aurions-nous oublié que
les pays prospères de l’Ouest et de l’Est
sont eux aussi passés par là ?
Quid des blessures
provoquées par un conflit ?
Il faut guérir les blessures. C’est possible en combinant la justice, les compensations, la reconnaissance de la dette, le
pardon, l’assurance que cela ne se produira plus, etc. Mais parfois, on regarde
trop vers le passé. Ainsi, le soutien massif
aux gacaca – les tribunaux populaires – au
Rwanda a été exagéré. Chaque village avait
sa gacaca. Un pays sortant d’un conflit a
surtout besoin d’espoir et d’avenir. Pensez
à l’Europe après la Seconde Guerre mondiale. On parlait d’un Plan Marshall, il y a eu
l'Initiative Fulbright (ndlr : un programme
d’échanges d’étudiants entre les Etats
Unis et l’Europe afin d’améliorer la compréhension entre les peuples). Ces mesures étaient porteuses d’espoir.
Un monde sans conflits
est-il possible ?
Comment aborder la sécurité ?
La sécurité est d'un intérêt vital. Un pays
dangereux attire les mafiosi et constitue
un terreau favorable à la corruption. Dans
ce contexte, les Nations unies ou les organisations régionales ont un rôle important à jouer en tant qu’instances neutres.
Ainsi, le Congo a besoin d’une solide force
militaire des Nations unies, qui impose
la paix, modernise l’armée et renforce la
police. Au fur et à mesure que les institutions nationales se montrent capables
d’assurer l’ordre et la paix, les troupes
étrangères peuvent se retirer.
Les conflits sont inévitables dans les relations humaines. Mais nous pouvons contribuer à ce que les conflits soient réglés sans
recours à la violence. Dans ce contexte,
l’UE joue un rôle d’exemple. Nous vivons
actuellement dans une région sûre, prospère et libre. Non pas parce que nous sommes devenus meilleurs, mais parce que
nous avons créé les circonstances nous
permettant d’aborder les conflits avec plus
d’efficacité.
Chris Simoens
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dossier
© Boston.com Ces maux auxquels doit
Récemment à la une de l’actualité
suite au coup d’Etat militaire
qu’il vient de connaître, le Niger,
ce pays sahélien d’Afrique de
l’ouest, territoire immense et
enclavé, adossé au Nigéria, est
l’un des pays les plus pauvres
au monde. Affecté par des
sécheresses récurrentes, il
doit en outre faire face, depuis
son indépendance en 1960, à
l’instabilité politique et aux
conflits internes. Considéré
comme un "Etat fragile", le Niger
dispose cependant d’atouts
intéressants, telles les richesses
minières, un potentiel pastoral
non négligeable, et une surface
de terres irrigable encore peu
exploitée.
Pauvreté d'une population essentiellement rurale, et particulièrement des femmes.
Pauvreté et démographie
élevée1
Dégradation climatique et
insécurité alimentaire2
62 % des Nigériens sont pauvres et 34%
sont extrêmement pauvres. Plus de la moitié des ménages ont un revenu moyen inférieur à 53 euros par personne et par an.
L’intensité de cette pauvreté est déterminée par une série de facteurs tels que le
lieu de résidence (9 sur 10 pauvres vivent en
milieu rural), le niveau d’instruction (74,9%
d’analphabètes), la taille des ménages
(plus de 6 personnes), le secteur d’activité
(essentiellement agricole), et le genre (3 sur
4 des pauvres sont des femmes).
A l'instar des autres pays sahéliens, le Niger
connaît une anomalie climatique prononcée
depuis plusieurs décennies. Les problèmes
environnementaux s’imposent aux habitants avec sévérité du fait des sécheresses récurrentes, de la désertification, de la
démographie élevée, et de la crise économique persistante.
La pauvreté extrême d’une population
essentiellement rurale, tributaire d’un environnement sahélien difficile, aggravée par
un taux de croissance démographique élevé,
constitue la principale faiblesse et le plus
grand défi pour le développement économique et social du Niger. Cette croissance
démographique, de plus de 3% par an, et
un taux de croissance économique moyen
inférieur à ce taux, débouche sur l’appauvrissement général de la population.
Dès lors, tandis que les équilibres des écosystèmes sont sérieusement perturbés, les
ressources naturelles disponibles s'amenuisent au fil du temps. Les principales conséquences en sont la baisse de fertilité des
sols, la réduction du capital productif, la
diminution des revenus en milieu rural, l'accroissement de l'insécurité alimentaire, et
l'exacerbation des conflits entre les exploitants des ressources.
Les 2/3 de la surface totale du Niger sont
désertiques et seulement 11% des terres
sont aptes à l’agriculture. Avec 270.000 ha
de terres irrigables, dont seulement 85.700
sont exploitées, la production agricole
nigérienne reste faible, et elle est même
décroissante sur le long terme. En effet,
l’extension des superficies cultivées n’a pas
entraîné un renversement de la tendance
du déséquilibre vivrier, en raison de la forte
croissance démographique et de la faiblesse des investissements de modernisation dans le secteur agricole. La production
agricole restant structurellement inférieure
à la demande nationale, le Niger est donc
amené à importer des denrées alimentaires, son principal partenaire en matière
d’approvisionnement étant le Nigéria voisin.
En 2004-2005, un déficit de production au
Nord Nigéria, la sécheresse, et les invasions de criquets, ont entraîné une grave
crise alimentaire3. En 2010, le même fléau
menace une fois de plus. Un ralentissement des pluies au moment des semis a
engendré des poches de sécheresse dans
plusieurs régions. Cette faible pluviométrie
à un moment crucial, assortie des dégâts
provoqués par des insectes nuisibles, a eu
1 Stratégie de Développement accéléré et de Réduction de la Pauvreté (SDRP) 2008-2012 ; Profil de sécurité alimentaire du Niger par le CILSS et CSAO, avril 2008.
2 Idem 1 + Centre Régional AGRHYMET, Bulletin spécial sur la situation agro-pastorale, août 2009.
3 Cette question de la sécurité alimentaire reste un sujet difficile, voire tabou au Niger, où elle a été à l’origine du premier coup d’Etat militaire, en 1974, renversant le régime du Président Diori.
12
dimension
mars-avril
2010
Niger
© Lucas DiClaudio faire face le Niger…
A l'instar des autres pays sahéliens, le Niger connaît une anomalie climatique prononcée.
comme conséquence un ralentissement de
la croissance du mil. Dans le secteur pastoral d’autre part (qui représente 13% du PIB
national, et implique 87% de la population
rurale), le Niger a enregistré un déficit fourrager sans précédent, qui risque de compromettre l’existence même du secteur.
En effet, le caractère sous-régional du
problème complique encore davantage
l’approvisionnement fourrager, et compromet les possibilités de transhumance. Une
enquête gouvernementale, qui a rendu ses
conclusions fin janvier, a finalement reconnu
l’urgence de la situation. Pas moins de
2,7 millions de personnes, soit 20 % de la
population, seraient en effet menacées
cette année.
L’ère Tandja sera marquée par des efforts
de redressement économique et financier soutenus par les bailleurs de fonds,
et par une approche stratégique plus formalisée débouchant sur l’adoption en
2002 de la Stratégie de Réduction de la
Pauvreté (SRP) et, en 2007, de la Stratégie
de Développement accéléré et de Réduction
de la Pauvreté (SDRP).
Avec la réussite des élections locales,
législatives et présidentielles de 2004, le
Niger a écrit une page décisive de son histoire démocratique. Pour la première fois
depuis le début du processus démocratique
enclenché en 1990, une législature a été
remplacée par une autre, confirmant la stabilité politique du pays. En témoigne ainsi
la création en 2004 du Conseil National de
Dialogue Politique, cadre permanent de
prévention et de règlement des conflits
politiques, qui regroupe tous les partis politiques et le gouvernement ainsi que les
autorités morales. Des tensions socio-politiques ont cependant été observées (grèves et manifestations contre la vie chère,
contre la faiblesse des salaires, à caractère
politique,…) et, depuis 2007, la démocratie
a été fragilisée par des affaires de corruptions et la reprise de la rébellion touarègue
dans le Nord, sous-tendue par des trafics
de drogue, d’armes et de personnes.
L’approche des élections présidentielles et
la volonté du président Tandja de se maintenir au pouvoir (alors que la Constitution
limite à deux le nombre de mandats présidentiels), vont déboucher en mai 2009
sur une crise institutionnelle marquée par
la dissolution de l’Assemblée Nationale, >
Indépendant depuis 1960, le Niger a connu
sur le plan politique une succession de
périodes calmes et agitées. Tout d’abord
gouverné durant 14 ans par un régime
civil à parti unique (l’ère Hamani Diori), les
régimes militaires se succèdent jusqu’à fin
1999. Sous la pression internationale, le
major Daouda Mallam Wanké rend alors
le pouvoir aux civils, permettant ainsi les
deux mandats présidentiels successifs de
Mamadou Tandja.
© Globalgiving
Instabilité politique
et déni de démocratie
Les problèmes environnementaux s'imposent aux habitants avec sévérité du fait des sécheresses récurrentes.
mars-avril
2010
dimension
13
dossier
Niger
L’uranium, une ressource
précieuse
© MNS
Si le Niger reste l’un des pays les plus pauvres d’Afrique, son sous-sol recèle par
contre un minerai très recherché : l’uranium, dont les prix se sont envolés ces dernières années. Troisième producteur mondial de ce combustible (après le Canada
et l’Australie), le Niger en a extrait 3.242
tonnes en 2009. En termes de réserves, il
arrive en huitième position, avec 5 % des
gisements mondiaux. Jusqu’en 2007, l’important groupe nucléaire français Areva a
pu y bénéficier du monopole de l’extraction,
mais les autorités de Niamey ont cherché à
sortir de cette relation de dépendance et,
depuis lors, celles-ci ont octroyé des licences d’exploration à une centaine d’autres
compagnies étrangères.
Le haut commandement du MNJ (2008).
Avec ce dernier putsch et la destitution du
président Tandja, l’armée voudrait passer
pour le garant du changement démocratique. Mais, si elle tire une certaine légitimité
de la confrontation avec la rébellion touarègue, elle est mal perçue par la communauté
internationale qui appelle tous les acteurs
concernés à s’engager dans un processus
démocratique en vue de rétablir un "ordre
constitutionnel" dans le pays.
conduite par le Mouvement des Nigériens
pour la justice (MNJ). Celui-ci reproche au
gouvernement le non-respect des accords
de 1995, qui concernaient notamment la
réinsertion des ex-rebelles, ainsi que l’embauche des Touaregs dans les compagnies
minières. Depuis lors, les enlèvements de
cadres, de diplomates et de touristes se
sont multipliés, revendiqués par les rebelles
touaregs, ou encore attribués à Al Qaeda
au Maghreb, présent dans la région.
Le MNJ, devenu l’un des principaux groupes rebelles, réclame la redistribution de
ces richesses, qui échappent aux populations locales. Mais la reprise de la lutte
armée a eu pour principal résultat jusqu’à
présent une nouvelle militarisation du pays,
qui s’accompagne d’une ferme répression à
l’encontre des sympathisants réels, ou supposés, de la rébellion.
Florence Deschuytener
Jean-Michel Corhay
© Oneman
> puis de la Cour Constitutionnelle, et par
l’adoption d’une nouvelle Constitution prévoyant la prolongation du mandat du président pour 3 ans. Ce "coup d’Etat institutionnel" va susciter la réprobation de l’ensemble
des partis politiques, de la société civile et
des bailleurs de fonds du Niger, et va finalement déboucher sur le coup d’Etat militaire
perpétré le 18 février 2010.
La rébellion des Touaregs
Depuis 1990, une minorité est entrée en
rébellion, les Touaregs, en butte à la discrimination et à la répression de la part des
autorités. Ils réclament leur reconnaissance
et une représentation dans la structure
fédérale, qui lui permettrait de toucher une
partie de la manne de l’extraction minière
du Niger. Les régions les plus riches en uranium et en charbon se trouvent en effet
dans les zones de peuplement touareg.
Sous l’égide de la France et de l’Algérie, un
traité de paix a pu être signé en 1995, qui
aura été suivi par une longue trêve. Mais
celle-ci a été rompue en 2007 et, depuis lors,
la rébellion a repris dans le nord du pays,
14
dimension
mars-avril
2010
Pont sur le fleuve Niger, à l'approche de Niamey.
Population :
13,5 millions
Superficie :
1.267.000 km2
Capitale :
Niamey
Structure étatique :
République
PNB / habitant :
155 dollars
Classement IDH PNUD :
182ème sur 182
Religion :
Islam 95 %, Animisme 4 %, Christianisme 1 %.
Taux de prévalence du SIDA :
0,67 %
Source: Indicateurs africains du développement
Fiche thématique
dimension
Le journal de la coopération belge
L'éternelle quête d'Utopia
© Jean-Michel Corhay
Le désir de créer une société idéale est apparu avec la naissance de l'humanité.
Passons en revue les évolutions qui ont mené aux formes actuelles de nos
états. Analysons les difficultés rencontrées. La structure étatique idéale n'a
pas encore été trouvée. Ce n'est que répétition des mêmes processus d'essaiserreurs, de recherches, de changements, d'améliorations.
Le conseil des anciens – présidé par le chef- est un organe d’administration important dans la société traditionnelle en Afrique.
Chasseurs-cueilleurs
Les premiers hommes pratiquaient la chasse et la cueillette.
Nomades, ils vivaient en petits groupes dont le nombre était
volontairement limité entre 25 et 50 membres. Il s'agissait de
peser le moins possible sur leur environnement naturel qui leur
apportait leur nourriture (plantes et animaux sauvages).
On suppose que ces petits groupes sont relativement égalitaires: la différence de rang est quasi inexistante. Les plus âgés
exercent une autorité discrète, les décisions sont prises de préférence au sein du groupe. Ce type de communauté se retrouve
encore aujourd'hui chez les Amérindiens et les aborigènes australiens.
Sociétés tribales
L'agriculture est venue modifier cette situation. Il y a quelque
12.000 ans, l'homme apprend à cultiver des plantes sauvages et
à élever des animaux. Cette abondance de nourriture permet une
croissance démographique. D'autre part, les travaux agricoles ne
requièrent pas la participation de tous. La diversité des tâches
s'est ainsi imposée (aux agriculteurs viennent s’ajouter des artisans, une classe dirigeante, …), tout comme une différence de statut. La communauté perd donc son caractère égalitaire. L'homme
ne doit plus se déplacer pour rechercher sa nourriture, il s'installe
alors dans des villages.
Ces sociétés originelles s'articulent principalement autour des liens
de parenté. Elles sont organisées et vivent en tribus. Différentes
familles (élargies) appartiennent à un groupe plus important (village ou clan), différents villages forment une tribu ou un groupe
ethnique. Chaque groupe possède son propre chef. Il y a des chefs
de famille, des chefs de village et des chefs de tribu. Certaines
sociétés – comme les Igbos au Nigéria – sont fortement décentralisées : chaque village y est indépendant.
>
mars-avril
2010
dimension
I
> Les sociétés organisées sur le mode tribal sont souvent considérées en Occident comme des sociétés primitives. Rien n'est moins
vrai. Leur organisation est parfaitement adaptée à leur environnement. Elles ne sont pas prisonnières d'un territoire et les différences sociales y sont minimes. Leur système juridique est astucieux : chaque conflit est réglé à un niveau approprié de la famille,
du village, de la tribu. Le conseil des anciens est un organe clef
dont le chef peut être destitué de sa fonction s'il ne satisfait pas.
C'est la communauté qui entretient les routes et les autres infrastructures communes. On peut donc dire que de manière générale
les communautés tribales assurent très bien leur ordre intérieur, la
solidarité familiale garantit à leurs membres une existence digne.
Ces communautés étaient les plus répandues en Afrique à l'ère
précoloniale.
Les révolutions des 17e et 18e siècles
Le 17e siècle voit se répandre un courant de pensée qui s'oppose à cet absolutisme. Les penseurs de l'époque s'inspirent
du modèle grec de gestion du pouvoir par le Demos (peuple),
développé à Athènes aux 4e et 5e siècles avant JC. Chaque habitant de la cité était membre de l'Ecclesia (sorte de conseil
municipal) qui se réunissait au moins 40 fois par an. C'est là
que se prenaient les grandes décisions. Il y avait également
un autre Conseil, composé de 500 membres, et un Comité de
50 membres. L'aspect négatif était que seuls les habitants de
sexe masculin âgés de plus de 20 ans pouvaient faire partie de
l'Ecclesia. Esclaves - la majorité de la population -, femmes, et
étrangers, en étaient exclus.
Le penseur Locke (1637-1704) a
mis en avant l'existence de droits
"naturels" que l'homme reçoit de
Dieu : le droit à la paix, à la liberté
et à la propriété. Il prônait l'idée
d'un gouvernement élu par le peuple et qui protège ses droits.
© adelaide.edu
Parmi ces civilisations, on retrouve
l'Ancienne Egypte, le Ghana, le Mali,
l'Ethiopie, les Sumériens, les Incas et
l'Empire romain. Confucius (500 av.
JC) aura quant à lui inspiré l'empire
chinois, dans sa conception d’une
société "idéale". Ce n'est pas tant
la loi, sinon le sens moral qui est le
garant de l'ordre dans la société. Les
rituels et des valeurs comme le respect des anciens et des supérieurs
en constituent les fondements.
Féodalisme et absolutisme
Le féodalisme européen du haut moyen-âge est issu des sociétés tribales germaniques. La hiérarchie des niveaux sociaux y est
également présente : les seigneurs sont supérieurs aux vassaux.
Le roi ou l'empereur est le plus puissant des seigneurs, tandis
que le serf se trouve au bas de l’échelle. Ce système repose
essentiellement sur l'exploitation.
Le système féodal laisse aux vassaux une certaine indépendance
par rapport au roi. A partir des 15e et 16e siècles cependant, les
rois s’approprient progressivement tout le pouvoir. Les autres
classes (bourgeoisie, noblesse, clergé) n'ont quasiment plus voix
au chapitre. Le parfait exemple de cet absolutisme est Louis XIV,
le Roi Soleil (1638-1715).
III
dimension
mars-avril
2010
Les idées de Locke ont influencé
la Révolution anglaise de 1688.
Celle-ci a réduit considérablement le pouvoir du roi, qui s'est
vu adjoindre un Parlement en tant que nouvel organe politique. Les membres du parlement étaient de véritables "représentants du peuple", choisis par le peuple. Le Bill of Rights est
le premier texte qui définit des droits octroyés aux citoyens,
parmi lesquels la liberté d'expression.
© histoire.fr
Les excédents économiques – dus par exemple à la production
agricole élevée et à l'expansion du commerce – ont mené à la
naissance des civilisations. Elles se caractérisent par une structure politique complexe composée de diverses institutions – un
Etat à part entière – et par un pouvoir centralisé fort, dont un
roi est souvent le dépositaire. Ce dernier s'emploie la plupart du
temps à accroître sa sphère d'influence, son royaume s'élargit
par l'absorption de plusieurs groupes ethniques. Ses sujets peuvent acquérir davantage de richesses, l'écart entre les classes
se creuse. Les civilisations possèdent également leurs propres
cultures sur le plan des valeurs, des usages, des expressions
artistiques.
© adelaide.edu
Civilisations
Montesquieu (1689-1775) soutenait que toute personne détentrice d'un quelconque pouvoir aura
tendance à en abuser. Selon lui, il
convient donc de répartir ce pouvoir sur trois instances : l'exécutif,
le législatif et le judiciaire. La règle
essentielle étant que chaque pouvoir soit contrôlé et limité par les
deux autres.
La Révolution américaine (17631787), qui a permis aux Etats-Unis
de se détacher de l'Angleterre,
a résolument opté pour cette "séparation des pouvoirs". Les
Etats-Unis sont devenus une république avec un président aux
rênes du pouvoir exécutif. Le pouvoir législatif est entre les
mains du parlement. L'accent est mis sur la liberté et l'égalité
des citoyens. La constitution américaine est la première constitution du genre.
La Révolution française (1789-1792) a mis fin de manière radicale à l'absolutisme incarné par la personne du roi Louis XVI. Il
a été remplacé par la République française, dotée d'un parle-
ment élu détenteur du pouvoir législatif. La transposition dans
la pratique de l’ambitieuse Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen ne fut pas évidente. Finalement, en 1799, Napoléon
prend le pouvoir. Son avènement ne fut pas entièrement synonyme de retour en arrière. Son organisation du pouvoir judiciaire, des communes et des provinces est encore en application aujourd'hui.
Les tâches principales de l'Etat sont de maintenir l'ordre intérieur et de garantir une existence digne à ses citoyens. Dans
la société complexe d’aujourd’hui, l'Etat possède de nombreuses compétences: la levée d'impôts afin de financer les services
publics, l'enseignement, les transports, l'économie, l'énergie,
etc. Il entretient des relations avec l'étranger et possède une
armée destinée à protéger le pays. Les ministres (et secrétaires
d'Etat) exercent ces diverses compétences. Pour exécuter leur
politique, ils s'appuient sur un corps administratif, les ministères.
Afrique
© histoire.fr
Lors de la conférence de Berlin en 1885, les puissances européennes se sont partagé le continent africain. Le Roi Léopold II
a reçu le Congo pour la Belgique. Les frontières en ont été fixées
arbitrairement. De ce fait, plusieurs groupes ethniques différents se sont retrouvés sur un même territoire "national".
"La Liberté guidant le peuple". Célèbre tableau d’Eugène Delacroix
qui représente la Révolution française.
La vague d'indépendances des années 50 et 60 a débuté assez
soudainement en Afrique, obligeant les colonisateurs à quitter leurs colonies de manière tout aussi abrupte. Le manque de
temps ne leur a pas permis d'opérer le transfert de leurs institutions étatiques à la nouvelle nation. Elles appartenaient en effet
aux colonisateurs et non à la colonie qui fonctionnait souvent
sur un mode tribal. D'autre part, l'économie de ces colonies se
limitait à un seul ou à quelques produits d'exportation, dont le
bénéfice ne profitait guère au pays.
L'Etat moderne de type occidental
• L'Etat dispose d'un pouvoir central, indépendant.
• Les institutions de l'Etat sont publiques, elles prennent et
appliquent des décisions qui concernent l'ensemble de la
communauté. Les groupes privés comme les organisations
syndicales, les familles et les entreprises poursuivent leurs
objectifs personnels.
• Le pouvoir de l'Etat est légitime (légal). Ses décisions lient
tous les membres de la communauté et servent l'intérêt
général.
• L'Etat est un instrument de suprématie. Il peut imposer ses
décisions et dispose d'outils pour ce faire : police et tribunaux ("le monopole de la violence légitime"). Les contrevenants aux lois sont sanctionnés.
• L'Etat est lié à un territoire, et est reconnu en principe en
tant que tel par la communauté internationale.
L'Etat démocratique moderne repose sur une constitution qui en
fixe l'organisation et la relation entre dirigeants et dirigés. Sa
caractéristique principale est la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Les élections sont essentielles. Elles
permettent au peuple d'exprimer un jugement sur ses dirigeants
et, le cas échéant, de les désavouer.
© britannica.com
Les différentes révolutions ont ouvert la voie de l'Etat moderne.
Il comporte cinq caractéristiques de base :
Lors de la conférence de Berlin en 1885, les puissances européennes se
sont partagé le continent africain.
Les pays nouvellement indépendants partaient donc sur des
bases plutôt fragiles. Leurs dirigeants ont toutefois maintenu
les frontières de leur territoire telles que les colons les avaient
fixées, en préférant néanmoins conserver un pouvoir centralisé
fondé sur un parti unique et ce, en raison de la diversité des
groupes ethniques présents. Ils ont su faire usage du tout nouveau sentiment national né de la lutte anticolonialiste qui avait
rassemblé toutes les forces du pays. Cela a parfois donné >
mars-avril
2010
dimension
III
> lieu à des expériences socialistes assez originales, comme ce fut
le cas en Tanzanie avec le Président
Nyerere.
© Safran-arts
De nombreux dirigeants ont consolidé leur pouvoir. Ils ont conquis leur
population en leur prodiguant des
services comme l'enseignement ou
les soins de santé. Leur souci principal restait néanmoins l'ancrage de
leur propre hégémonie. La fin de la Guerre froide et le manque d'intérêt au niveau international dans les années 90 ont
entraîné une forte réduction des moyens. Plus guère de place
pour les services aux citoyens. Cette situation a finalement
entraîné un processus de démocratisation appuyé par la tenue
d'élections libres. A l'instar de l'Europe, l'Afrique n'effectue pas
ce passage vers une véritable démocratie du jour au lendemain,
cela demande du temps. Certains pays sont confrontés à des
groupes qui refusent de reconnaître le pouvoir central (Soudan,
Nigéria, Niger, …). Beaucoup sont considérés comme des "Etats
fragiles".
fragile" est la grande pauvreté de leur population et un niveau
d’aide extérieure souvent très limité. Il n'existe en effet aucune
garantie que l'aide fournie arrive effectivement à bon port.
Il n'empêche, ces pays ont besoin d'être soutenus. Six pays partenaires de la Belgique sont en situation de fragilité, selon l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques :
la RD Congo, le Burundi, le Rwanda, les Territoires palestiniens,
l'Ouganda et le Niger. Dans un souci d'accroître l'efficacité de
son aide, la Belgique décide avec le pays partenaire de promouvoir la bonne gouvernance. Tous deux s'engagent à faire preuve
de transparence et à rendre des comptes afin de lutter contre la
corruption. La Belgique collabore avec les institutions du pays et
La signification de l'expression "Etat fragile" ne fait pas l'unanimité. Elle fait référence aux pays qui rencontrent des difficultés
à réaliser les tâches spécifiques d'un état, comme le maintien de
l'ordre intérieur et la répartition équitable des richesses. La participation de la population à la vie politique est trop faible, tout
comme le contrôle sur le pouvoir exécutif. La gestion du budget
de l'état est également problématique.
Ce concept revêt une grande importance en matière de coopération au développement. La particularité des "Etats en situation
L'Etat belge
Depuis les années 90, des élections sont organisées
dans beaucoup de pays africains.
fournit des formations et des conseils. Cette action s'accompagne du renforcement des structures démocratiques (parlement,
société civile, …), d’une attention portée au respect des droits
de l'homme et de la promotion de la liberté de la presse.
Conclusion
En Belgique, qui est une
monarchie
constitution-
nelle, le pouvoir législatif est exercé par le
Parlement (la Chambre et
© Panoramio
© britannica.com
Etats fragiles
le Sénat) et le Roi. Outre le
pouvoir d’édicter des lois,
ils peuvent également ins-
taurer des commissions d'enquête et contrôler le pouvoir exé-
Si le modèle démocratique est celui qui est le plus appliqué actuellement, il ne constitue pas pour autant un aboutissement ultime.
On assiste de fait à un élargissement de l'influence des organisations internationales et supranationales comme les Nations unies
et l'Union européenne. Conjointement, une tendance se dessine
vers davantage de compétences pour des entités locales. Le choix
se portera-t-il sur un état réduit qui privilégie les initiatives privées ou sur un état aux vastes compétences où les richesses sont
réparties au mieux ? La quête d’Utopia1 se poursuit.
cutif. Le pouvoir exécutif appartient au gouvernement constitué de ministres et de secrétaires d'état, et au roi. Ils exécutent
Chris Simoens
les lois et définissent la politique du pays. Le pouvoir judiciaire
est exercé par les cours et les tribunaux qui se prononcent en
Fiche thématique du Journal de la coopération belge.
matière de litiges et contrôlent la légalité des actes du pouvoir
Périodique bimestriel de la Direction Générale
de la Coopération au Développement (DGCD)
Rédaction : DGCD – Direction Programmes de Sensibilisation
Rue des Petits Carmes 15 | B-1000 Bruxelles
Tél : 0032 (0)2 501.48.81 – Fax: 0032 (0)2 501.45.44
E-mail : [email protected]
www.diplomatie.be | www.dgcd.be
exécutif. La monarchie est en grande partie protocolaire.
1 Utopia : Ouvrage de Thomas More (1516), qui décrit une société idéale.
IIV
dimension
mars-avril
2010
dossier
Moyen-Orient
Le cercle des parents
Alors que le conflit israélo-palestinien continue à faire
des victimes, le fossé entre les deux communautés
se creuse toujours plus, amenuisant les chances de
réconciliation. Mais, pour ceux qui ont perdu un
enfant dans le conflit, la douleur est la même, au-delà
de l’appartenance communautaire. "The Parents Circle"
propose de rétablir un dialogue, apprendre à se
connaître pour laisser une chance à la réconciliation.
Dessin extrait de l'exposition et du calendrier "Cartooning in Conflict",
organisé par l'association israélo-palestinienne "The Parents Circle".
"Nous avons tous perdu un parent dans le
conflit", soupire Aaron, "Moi j’ai perdu mon
fils Noam, en 99, en mission de déminage
pour l’armée israélienne au Liban. C’étaient
ses derniers jours de service militaire. Pour
nous, parents, ce fut la fin du monde." Dans
cet hôtel anonyme de Tel Aviv, l’émotion est
encore palpable 10 ans après l’événement.
"On nous a appris peu après qu’il portait
sur son uniforme un badge sur lequel était
inscrit "Laisser le Liban en paix" 1. C’était un
appel à la paix alors qu’il accomplissait sa
dernière mission, un symbole de la futilité
de la guerre. Peu après, nous avons joint
"The Parents Circle".
Aaron est membre de "The Parents
Circle", une communauté d’Israéliens et
de Palestiniens qui ont perdu un membre
proche de leur famille durant le conflit. Ils
promeuvent ensemble un processus de
réconciliation via le dialogue et la compréhension mutuelle. L’association est créée
en 95 à la suite de l’assassinat d’un jeune
soldat israélien dont le père était membre
influent d’un parti religieux traditionnellement opposé aux accords d’Oslo, convaincu
que seule la force pouvait mettre un terme
à la terreur. Contre toute attente, ce père
déclara que la mort d’autres enfants,
israéliens ou palestiniens, ne lui rendrait
pas son fils et qu’il fallait stopper ces
guerres insensées. Ce message nouveau,
et inattendu, fut relayé par les médias.
L’appel est rapidement entendu et rejoint
par plus de 20 familles. Après l’assassinat
de d’Yitzhak Rabin qui porte un coup violent aux accords d’Oslo, le groupe décide
de prôner activement le dialogue et la
réconciliation. Ils entrent en contact avec
les premières familles à Gaza et commencent à les rencontrer. "Le groupe comprit
vite qu’il avait en main un outil important
qui pouvait montrer à la population qu’il
était possible de se réconcilier."
"Depuis cinq ans, nous avons recréé une
structure complètement égalitaire : il y a
deux managers et deux bureaux : 1 israélien, 1 palestinien. On se rencontre une fois
par semaine. L’idée est de montrer que nous
pouvons parler le même langage de paix.
Nous pensons que le problème vient du
manque de dialogue : aucun des côtés ne
connait l’autre communauté et les visions
sont déformées. La guerre est plus facile à
accepter lorsqu’on connait mal l’adversaire.
C’est ainsi que les gens ne soutiennent plus
le processus de paix."
gères belges. "Après les témoignages, nous
avons une discussion avec les élèves. Pour
beaucoup d’entre eux, c’est une découverte. Ils vivent dans une tour d’argent et
n’ont aucune conscience de ce qui se passe
de l’autre côté. Ils se rendent compte que
chaque partie raconte les mêmes histoires avec un point de vue différent. 1948,
par exemple, marque la bonne nouvelle
de l’indépendance pour les juifs, mais est
une "catastrophe" (Naqba) pour les autres."
Le groupe précise ne pas vouloir accepter
d’argent de l’Etat israélien afin de ne pas
être instrumentalisé ou accusé de parti
pris, mais il compte nombre de bailleurs
internationaux. "Nous avons fait une série
télévisée qui met en scène les deux communautés. Un beau succès. Nous avons
créé une ligne téléphonique "Allo shalom,
Allo salaam" qui permettait de mettre en
connexion Israéliens et Palestiniens. Plus
d’un million d’appels ont été passés. Nous
planchons maintenant sur un projet de
mise en contact via les nouveaux modes de
communication."
Elise Pirsoul
"C’est pour cette raison que nous allons,
main dans la main, Palestiniens et Israéliens,
raconter notre histoire dans les écoles
israéliennes" : un projet du "Parents Circle"
qui reçoit le soutien financier du service de
Diplomatie préventive des Affaires étran-
online
www.theparentscircle.com
1 "Let Lebanon in peace", slogan du groupe "Four mothers" en 1993.
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19
dossier
Seuls ceux qui connaissent leurs
© Bart Colman
Au sein du SPF Affaires étrangères,
le service Consolidation de la paix se
consacre à la prévention des conflits,
à la diplomatie préventive et aux droits
de l’homme. La consolidation de la
paix présente de nombreuses facettes
différentes qui touchent de près à la
coopération au développement, comme
la médiation de conflit, le processus de
démocratisation et la liberté des médias.
"Et pourtant nous faisons quelque chose
de totalement différent..."
Les femmes pygmées dans l'est du Congo apprennent à tendre le cordeau sur leur champ
de maïs et de haricots. Le programme semencier fait partie du projet de l'Union pour
l'émancipation de la femme autochtone.
Quoi de plus normal pour un fonctionnaire
qui finance des projets dans le Sud que de
pouvoir y effectuer un réel suivi de "ses"
dossiers. Et pourtant, cela ne va pas de soi.
En effet, de telles missions demandent un
important investissement en temps et en
énergie de la part des gestionnaires de dossiers eux-mêmes et des partenaires locaux.
Les attachés de la Consolidation de la paix,
Bart Colman et Robert Olbrechts, ont finalement fait ce qu'ils souhaitaient depuis longtemps : se rendre au Burundi et dans l'est
du Congo pour visiter les projets financés
par leur service.
L'un de ces projets est l’ICLA (Information,
Counseling and Legal Assistance) du Conseil
norvégien pour les réfugiés, une ONG jouissant d'une grande autorité dans ce domaine.
L'objectif du projet ICLA est de promouvoir
l'intégration des personnes déplacées en
jouant entre autres le rôle de médiateur
Médiation dans le cadre
de conflits territoriaux
dans les conflits territoriaux. Le Conseil des
réfugiés organise des "centres d'écoute" où
les deux parties peuvent prendre la parole
et reçoivent une assistance. "Nous avons
assisté à une séance d'écoute au cours de
laquelle les deux familles en conflit ont, avec
le soutien de conseillers indépendants, justifié leur droit territorial", nous raconte Bart.
"Vraiment très instructif. Il s’agit de mettre
un forum à la disposition des personnes qui
leur permette de régler un litige de manière
pacifique."
La première mission de suivi de leur travail
s'est avérée très fructueuse. "Nous sommes revenus d'un voyage très enrichissant",
nous assure Bart. "Les guerres ont provoqué de grandes vagues de migration dans
cette région. Ces dernières années, de nombreux réfugiés sont revenus, mais leur réintégration dans la communauté ne s'est pas
faite sans mal. Leurs terres ont pour la plupart été saisies par des familles voisines. Le
problème est qu’une fois de retour, ils les
revendiquent. Les projets destinés à prévenir de tels litiges, par exemple à l'aide de
médiation et d'assistance juridique, méritent notre soutien."
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de qualité et d'une société civile solide.
Cependant, au Burundi, cela ne va pas toujours de soi. "C'est la raison pour laquelle
nous apportons notre soutien aux radios et
aux rédactions de journaux", affirme Bart.
"Nous avons visité le IWACU, un journal
indépendant au cœur de Bujumbura. Celui-ci
"Il s’agit de mettre un forum à la disposition
des personnes qui leur permette de régler
un litige de manière pacifique."
La liberté d'expression
L’indépendance et l’objectivité des médias
sont d’une importance considérable dans la
promotion d'une information des citoyens
défend une information objective et porte
une grande attention aux élections de 2010.
Le financement de ce journal vise à soutenir
les médias indépendants et les processus de
démocratisation. Et je suis content d'avoir pu
constater que la rédaction de IWACU, dont
le personnel représente presque tous les
groupes ethniques, est composée de journalistes enthousiastes et professionnels."
Toutefois, le journal manque de moyens
financiers propres et est trop dépendant
de l'aide financière belge. L'IWACU s'efforce d'acquérir une plus grande autonomie
financière, mais cela ne se fait pas du jour
au lendemain. La rédaction ne manque pas
de rendre compte de manière critique mais
Consolidation de la paix au Burundi et en RD Congo
droits peuvent les revendiquer
Discrimination des Pygmées
© Bart Colman
Dans l'est du Congo, le groupe des attachés
a visité un projet destiné aux communautés autochtones. L’Union pour l’Emancipation de la Femme Autochtone (UEFA) s'est
attelée à l'intégration des Pygmées dans
la société congolaise et à leur participation
dans le processus de démocratisation, avec
une attention particulière pour les femmes. Les Pygmées sont souvent victimes
de préjugés et de discrimination et, à l'instar de nombreuses femmes dans l'est du
Congo, les femmes pygmées sont trop souvent victimes de violences sexuelles. Cette
"Séance d'écoute" à Magara, à Bujumbura rural,
avec à gauche les médiateurs. "L'approche
et l'expertise du Conseil norvégien pour les
réfugiés en matière de résolution de conflits liés
aux propriétés foncières sont remarquables",
déclare Bart Colman.
union les aide en leur permettant de se
faire entendre et de devenir plus autonomes. "Nous avons fait la connaissance d'une
jeune femme victime de maltraitance de la
part de sa belle-famille", raconte Robert,
visiblement touché. "Lorsque nous avons
abordé son cas avec le chef de la police, il
est apparu que certains membres du corps
de la police étaient eux-mêmes complices
de cette exploitation. C’est une situation
extrêmement frustrante."
les émissions radiophoniques, les campagnes de bandes dessinées et posters et les
activités agricoles. "Les Pygmées doivent
connaître leurs droits, ce qui est rarement
le cas", déclare Robert. "Seuls ceux qui
connaissent leurs droits peuvent les revendiquer. Or, un droit que l'on ne peut faire
valoir, cela n'existe pas. Celui qui souhaite
venir en aide aux Pygmées doit donc s’assurer du respect de leurs droits."
Expertise en matière de
consolidation durable de la paix
On ne peut omettre de parler du 'Life &
Peace Institute' (LPI), dirigé par le juriste
belge Pieter Van Holder. L'ambassade de
Belgique à Kinshasa avait proposé de financer cette organisation remarquable, qui
recourt à la recherche-action participative
ciblée sur la transformation des conflits. À
l’aide de cette approche, le LPI analyse les
conflits dans l'est du Congo et apporte son
soutien à la paix par la conciliation, la négociation et le renforcement des capacités.
Au fil des années, cette organisation suédoise s’est développée en une cellule de
réflexion qui publie régulièrement des études de référence. LPI a sélectionné sept
partenaires locaux avec lesquels elle coopère, sur la base de leur compétence et de
leur complémentarité réciproque. Ensemble,
ils bâtissent un socle durable d’expertise
locale relative aux dimensions structurelles
et culturelles des conflits. Le réseau de terrain ainsi créé offre une certaine garantie
que le savoir faire accumulé par LPI continuera de se développer même après son
départ éventuel de la région. "Cet institut nous a laissé une impression tout simplement positive", ajoute Robert. "Celui-ci
contribue réellement à la consolidation de
la paix dans la région tellement agitée de
l'est du Congo."
Des frontières floues entre
coopération au développement
Afin de protéger les droits de ces peu- et consolidation de la paix
ples, et plus spécifiquement ceux des femmes autochtones, une assistance juridique
et sociale leur est proposée. S'y ajoutent
des actions de sensibilisation, telles que
nes. Un rapprochement avec la Coopération
au développement semble inévitable. "Il
arrive que la frontière entre la coopération
au développement et la consolidation de la
paix ne soit pas évidente", explique Robert.
"Au Burundi, nous avons visité un projet qui
promeut la réintégration des réfugiés en leur
permettant de suivre un enseignement. Les
activités subsidiées étaient exclusivement
limitées à l'enseignement des techniques
de construction, à savoir la construction
et la rénovation d'écoles, de maisons pour
les enseignants, de dortoirs, de réservoirs
Dans la plupart des cas, les projets visités sont liés à la résolution de conflits, à la
démocratisation, à la liberté des médias, aux
réfugiés ou aux droits des peuples autochto-
© Bart Colman
objective de l’actualité politique du pays.
Or, un financement explicitement belge
pourrait fragiliser ces efforts.
Robert Olbrechts (à gauche) et Bart Colman ne se
privent pas de la photo obligée avec les enfants.
d’eau, de latrines, etc. Seul un écolier sur six
est un réfugié de retour au pays. Même si
les travaux prévus à l’origine ont bel et bien
été réalisés, on est en droit de s'interroger
sur leur dimension de consolidation de la
paix. En fait, il s'agit plutôt de coopération
au développement."
La différence entre la Consolidation de la
paix et la Coopération au développement
n'est pas toujours évidente, cela a d'ailleurs
été constaté à plusieurs reprises sur le terrain. "Certains partenaires pensent que nous
sommes une composante de la Coopération
belge au développement, quod non. Ce qui
se traduit par l’inscription 'avec le soutien de
la Coopération belge au développement' sur
un panneau d'information… Ce n'est certes
pas si grave pour le partenaire local, mais un
peu dommage pour nous... Visiblement, nous
avons encore beaucoup de travail RP en
perspective !", ajoute Robert en souriant.
Thomas Hiergens
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dossier
Un 9e Objectif du Millénaire
pour l’Afghanistan
En 2010, nous faisons le bilan de 10 années d’Objectifs du Millénaire.
Ce n’est pas le cas en Afghanistan. En proie aux conflits, le pays n’a souscrit
aux objectifs qu’en 2004. L’Afghanistan enregistre-t-il des avancées ?
Avancées1
L’Afghanistan enregistre de nettes avancées pour les OMD concernant la santé :
réduire la mortalité infantile (OMD 4) et
limiter la propagation de maladies telles
que le paludisme et la tuberculose (OMD 6).
En outre, la santé maternelle s’est améliorée (OMD 5), mais le taux élevé de fécondité reste un problème pour atteindre
l’objectif. L’accès à l’eau (OMD 7) n’a connu
qu’une amélioration modérée. Pour les
enfants en âge scolaire, on constate une
augmentation du nombre d’inscriptions
dans l’enseignement de base (OMD 2)
– surtout chez les filles – mais nombreux
sont les enfants qui quittent l’école prématurément.
Des avancées faibles, voire même des
régressions, ont été constatées pour trois
Objectifs du Millénaire. C’est le cas pour
l’éradication de l’extrême pauvreté (OMD 1)
et la promotion de l’égalité hommes/femmes (OMD 3). Les donateurs font en outre
trop peu d’efforts en vue d'accroître l'efficacité de l'aide à l’Afghanistan (OMD8). La
Coopération belge fournit son aide essentiellement via des institutions internationales (voir tableau). La corruption accrue
ne figure pas dans le rapport d'avancement afghan – mais elle apparaît clairement dans d’autres rapports.
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OMD 9
Pour son 9e OMD – la promotion de la sécurité – l’Afghanistan s’est fixé des cibles
spécifiques (voir encadré). Mais, du fait de
la guerre, le pays reste très instable et l’insécurité a même augmenté dans certaines
provinces. On a toutefois enregistré certaines avancées; par exemple, dans la formation du personnel de l’armée et de la police
au niveau local. Le pays progresse raisonnablement dans l’évacuation des restes
explosifs de guerre. Du fait de l’énorme
présence d’explosifs et de mines terrestres non explosés, l’Afghanistan connaît,
après le Cambodge, le pourcentage de
handicapés le plus élevé au monde. La
lutte contre l’économie (illégale) de l’opium
a enregistré moins de succès. Le trafic de
Objectif 9
PROMOUVOIR LA SÉCURITÉ
Ce n’est qu’en 2004 que l’Afghanistan a
intégré les Objectifs du Millénaire (OMD)
dans sa stratégie de développement. Etant
donné sa situation extrêmement fragile, il
n’est pas possible que le pays puisse rattraper le reste du monde. L’Afghanistan a
prolongé l’horizon 2015 jusqu’en 2020 et
a décidé de se fixer un 9e OMD relatif à la
sécurité. Le développement durable est en
effet impossible sans sécurité. Les OMD
afghans comprennent par ailleurs des
"cibles" supplémentaires, notamment en
faveur de l’égalité des sexes.
drogue et la corruption sont aujourd’hui
les deux principales sources de revenus
en Afghanistan. Aux termes d’un rapport
récent de l’Office des Nations Unies contre
la drogue et le crime (ONUDC), la somme
des deux correspond à la moitié du Revenu
National Brut légal.
Alain Baetens
online
Afghanistan National Development Strategy
(ANDS): www.ands.gov.af
1 OMD National Progress Report 2008, Afghanistan
Cibles à l’horizon 2020
Cible 20 : Réforme et professionnalisation de l’armée nationale
afghane pour 2010.
Cible 21 : Réduction de l’utilisation abusive d’armes ainsi que
de la proportion d’armes détenues illégalement pour 2010.
Cible 22 : Réforme, restructuration et professionnalisation
de la police nationale afghane pour 2010.
Cible 23 : Destruction de toutes les mines antipersonnel posées
pour 2013. Destruction de tous les autres explosifs pour 2015.
Cible 24 : Destruction de tous les stocks de mines antipersonnel
pour 2007. Destruction de tous les autres stocks d’explosifs
abandonnés ou indésirables pour 2020.
Cible 25 : Réduction de la contribution de l’opium au PIB total
(légal et illégal) à moins de 5 % en 2015, et à moins de 1 % en 2020.
Aide de la coopération belge au développement à l’Afghanistan en 2009
Institution
Montant en euros
Objectif
Banque mondiale
2 millions
Reconstruction
Programme alimentaire
mondial (PAM)
2 millions
Aide alimentaire
Unicef
2 millions
Enseignement et genre
Programme de
développement des
Nations unies (PNUD)
1 million
Élections
Fondation Aga Khan
environ 900.000
Agriculture et
développement rural
Afghanistan
Témoignages sur un pays déchiré
Trois Afghans témoignent sur la vie dans un "Etat fragile".
Après une fuite mouvementée, ils ont trouvé refuge dans notre pays.
© DGCD
Abdullah (nom d'emprunt)
ancien officier de l’armée
afghane
"Le problème de mon pays natal, c’est
qu’il n’y a presque pas d’infrastructure. Or la société dans son ensemble
– aller à l’école, faire du business… en dépend. L’infrastructure moderne
n’existe que dans les grandes villes
comme Kaboul ; elle ne s’est absolument pas développée à la campagne.
La majorité de la population reste analphabète. Hôpitaux, transports en commun, tout y fonctionne tant bien que
mal. Les services publics sont minés
par la corruption. La justice non plus ne
fonctionne pas. Par chance, une nouvelle stratégie militaire a été élaborée
afin de rendre l’Afghanistan à nouveau
gouvernable: l’Opération Moshtarak.
Les Afghans en ont assez du chaos et
de la violence. Chaque famille afghane
a perdu quelqu’un dans la guerre. Moi,
je vois l’avenir de mon pays sous un
jour favorable. Le Président Karzaï a
déjà construit beaucoup de nouvelles
écoles et de nouveaux hôpitaux."
"En Afghanistan, l’État ne fonctionne
pas. Pas d’impôts, pas d’équipements,
pas de règles. La police, il faut la payer
pour tout et n’importe quoi. C’est normal quand on a un salaire de misère.
En Europe, il y a une bonne démocratie, mais pas en Afghanistan. Il y a environ 120 partis. Chacun crée son propre
parti parce qu’il vise le traitement qui
accompagne le siège. Les parlementaires ne travaillent pas pour le peuple.
Quelques-uns sont des Pakistanais,
et prennent uniquement la défense
du Pakistan. Il y a aussi beaucoup de
mollahs (religieux islamiques). En fait,
la plupart des dirigeants (bourgmestres…) sont des mollahs. Ils ne sont
pas compétents. Ils n’ont même pas
fréquenté l’école primaire, seulement
l’école coranique. Même dans un hôpital, vous pouvez rencontrer un mollah à
la place d’un médecin. Les 28 Ministres
eux-mêmes ne sont intéressés que par
l’argent. Une telle démocratie ne fonctionne pas. Ce qu’il faut, c’est que tous
les chefs de tous les groupes se réunissent et parlent ensemble. D’autre part,
il faut davantage de coopération au
développement, pour soutenir l’agriculture, les écoles et les hôpitaux."
Matiem (25)
étudiant en sociologie
© DGCD
Naïm (41)
manager en logistique
"Depuis le régime des Talibans, l’Afghanistan a connu un certain nombre de
changements. Aujourd'hui, nous avons
plusieurs canaux TV, la liberté d'expression existe et les filles peuvent aller à
l’université. Mais cela ne suffit pas. Le
gouvernement Karzaï n’aide que son
propre groupe ethnique, les Pathans.
Les autres minorités comme les Hazaras
et les Tadjiks sont toujours opprimées.
Le gouvernement Karzaï est corrompu
et composé de seigneurs de guerre de
l’époque soviétique. Les organisations
des droits de l’homme tentent de résoudre ce problème, mais sans succès pour
l’instant. Je ne crois pas à ce gouvernement, mais plutôt aux jeunes. Ce sont
eux l’avenir de l’Afghanistan. Je ne peux
pas dire de moi-même que je suis athée,
mais je crois à la liberté. La plupart des
jeunes de ma génération y croient. On
ne pourra résoudre le problème de
l’Afghanistan qu’en invitant les Talibans
et le gouvernement autour de la table
de négociation et en apportant une
solution au débat sur le Pachtounistan."
Une histoire mouvementée
Au fil des siècles, l’Afghanistan fut une
région vivement convoitée par les grandes puissances. Au cours du 19e siècle, la Grande-Bretagne et la Russie
tsariste tentent de conquérir le pays.
Après les guerres anglo-afghanes, une
frontière est tracée en 1893 à travers
le territoire Pathan, entre le Pakistan
et l’Afghanistan. Ce territoire, appelé le
Pachtounistan, est toujours la source de
conflits entre les deux pays. L’Afghanistan
est un amalgame de groupes ethniques,
le reflet d’un passé mouvementé, essentiellement peuplé de Pathans (42%), de
Tadjiks (27%), d’Hazaras (descendants
des Mongols, 9%) et d’Ouzbeks (9%).
Déchiré par les conflits, l’Afghanistan
reçoit en 2004 son premier président
élu : Hamid Karzai. Mais les Talibans
– un mouvement de guérilla islamique –
poursuivent la conquête du pays.
Francine Carron et Chris Simoens
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