`Etats fragiles` (PDF, 2.4 Mo)
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Dossier Réfugiés fuyant la zone de conflit dans la région de Goma - Nord-Kivu 2009. 4 dimension mars-avril 2010 © rnw Les événements récents en Haïti et au Niger rappellent à quel point la thématique de la "fragilité" de certains Etats est d’actualité : la situation peut rapidement y devenir explosive et se transformer en catastrophe humanitaire de grande ampleur. La planification d’un projet de développement exige la prise en compte de nombreux facteurs qui s’interpénètrent souvent. Or, dans les situations de fragilité, tout devient infiniment plus complexe et les risques sont décuplés. C’est donc pour s’assurer de l’efficacité maximale de ses actions de développement que la communauté internationale prône une approche particulière pour les "Etats fragiles". Loin de les stigmatiser, il est question de mieux les aider. états fragiles Etats fragiles, populations en danger… Qu’est-ce qu’un "Etat fragile" ? Le Comité d’Aide au Développement (CAD) de l’OCDE définit l’Etat fragile comme suit : Un État est fragile lorsque le gouvernement et les instances étatiques n’ont pas les moyens et/ou la volonté politique d’assurer la sécurité et la protection des citoyens, de gérer efficacement les affaires publiques et de lutter contre la pauvreté au sein de la population.1 Il propose en 2008 : L’incapacité d’un état à rencontrer les attentes de sa population ou à gérer l’évolution de ces attentes et des capacités disponibles, par des processus politiques. 2 Ces nouvelles approches à propos de la "fragilité" réinstallent l’Etat comme acteur incontournable. C’est la puissance étatique qui dispose de la légitimité à lever l’impôt, de la capacité à faciliter le développement économique, etc. C’est à l’Etat qu’il revient de fournir les services fondamentaux (sécurité, justice, santé, éducation) à la population. Avec la difficulté supplémentaire que l’on attend plus de l’Etat aujourd’hui que dans le passé, lors de la formation des Etats nations européens. © Geo La réponse à cette question ne fait pas l’unanimité parmi les bailleurs et encore moins parmi les Etats concernés, qui souhaiteraient éviter cette qualification considérée comme dénigrante (C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’Union européenne préfère utiliser le vocable de "pays en situation fragile" à celui d’"Etat fragile"). Sécheresse extrême et famine en Somalie. Comme l’Etat redevient l’acteur principal, la communauté internationale approfondit et développe ses approches du renforcement de l’Etat (ou State building). On met en évidence qu’il s’agit d’un processus endogène, non linéaire, et multidimensionnel. L’appui à ce dernier devra s’envisager sur le long terme et nécessiter, pour les acteurs internationaux, une meilleure connaissance du contexte local, des relations entre les structures formelles et informelles, des mécanismes de légitimité, et des relations entre Etat et société. Le but de cet appui international est de permettre la mise en place d’Etats suffisamment robustes (résilients) pour surmonter les crises, de soutenir et de formaliser les structures de gouvernance locales, de pérenniser les acquis, afin de pouvoir in fine lutter contre la pauvreté. De nombreux acteurs ont établi leur propre liste d’Etats fragiles (la Banque Mondiale, des universités anglaises, canadiennes,…), mais aucune ne fait l’unanimité car il est impossible à ce jour de trouver un consensus parmi les bailleurs. Deux éléments au moins expliquent ce foisonnement de listes. Premièrement, les divergences entre les différentes logiques soutenant la conception d’une liste (Quel est le but poursuivi > Pour la Belgique Avec six partenaires en situations de fragilité, et pas des moindres, la Belgique a un rôle important à jouer. Cela nécessite de repenser nos politiques et nos mécanismes de mise en œuvre de l’aide, afin 1 2 de prendre en compte les particularités de ces Etats : solides analyses contextuelles, approche pangouvernementale, etc. Comme ce numéro de Dimension 3 le présente, nous avons commencé à adapter nos pratiques à la réalité des Etats fragiles, cependant du chemin reste à faire pour relever les défis qui nous y attendent. www.oecd.org/document/9/0,3343,fr_2649_33693550_39254537_1_1_1_1,00.html OCDE/CAD, Concepts et dilemmes pour le renforcement de l’Etat dans les situations de fragilité, De la fragilité à la résilience, Paris, OCDE, 2008, p. 19. mars-avril 2010 dimension 5 Dossier © DGCD / Elise Pirsoul cent les acteurs internationaux à s’interroger sur l’impact de leurs actions d’aide au développement. Le conflit israélo-palestinien persiste depuis plus de 60 ans, laissant deux communautés dans un état de constante insécurité. > en l’établissant ?). Deuxièmement, il y a autant de formes de fragilité que de pays en situations de fragilité. Nous évoluons dans des contextes très spécifiques : le cas de la RD Congo n’est pas celui d’Haïti. Néanmoins, nous pouvons retrouver des récurrences au niveau des causes de cette fragilité, causes auxquelles il faut tenter d’apporter remède : une situation de conflit, un contexte environnemental particulier (sécheresses ou inondations récurrentes, comme en Ethiopie ou au Bangladesh), l’insécurité, la pauvreté, la présence ou l’absence de ressources naturelles, les faiblesses institutionnelles et/ou capacitaires de l’Etat, la faiblesse de la gouvernance, le manque de légitimité des élites, etc. Ces différentes causes interagissent d’une manière qui est propre à chaque pays et cela se traduit par une grande hétérogénéité des situations, de la RD Congo à Haïti, en passant par l’Afghanistan. Sur la liste du CAD (OCDE) qui compte 43 "Etats fragiles", se retrouvent six de nos pays partenaires (la RD Congo, le Burundi, les Territoires Palestiniens, l’Ouganda, le Rwanda et le Niger). Par ailleurs, d’autres listes similaires reprennent également la Bolivie et le Mali. Pourquoi développer une approche particulière pour ces Etats ? De par leur situation particulière, ces Etats qui font face à des défis considérables, avec des capacités souvent très réduites, for- En effet, selon les chiffres utilisés par le CAD pour ses rapportages, les Etats fragiles ne parviendront pas à atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) en 2015. Ces pays qui représentent 1/6 de la population mondiale, regroupent 1/3 des personnes vivant avec moins d’un dollar par jour, et la moitié de la mortalité infantile mondiale. 35 pays considérés comme fragiles en 1979 le sont toujours aujourd’hui. Alors que leurs besoins sont criants, ces pays ont connu dans les années nonante une forte diminution de l’aide au développement, en raison de la complexité inhérente à toute intervention de l’extérieur, tant au niveau politique que pratique. Certains sont même devenus des "orphelins de l’aide", comme la République centrafricaine. Pourquoi tenir de tels débats sur des concepts qui peuvent paraître abstraits ? Le but est que les acteurs internationaux partagent les mêmes conceptions afin de travailler avec plus de cohérence sur le terrain. Dans le cadre des réflexions sur l’efficacité de l’aide (cf. la Déclaration de Paris), les bailleurs ont pris conscience de la nécessité d’adapter leurs politiques et les modalités de l’aide au développement afin d’atteindre plus efficacement les populations de ces pays en état de fragilité. Pour répondre à ces défis, et afin d’adopter une approche proactive des problèmes (agir sur les Etats "fragiles" pour qu’ils ne deviennent pas des Etats State building en RD Congo La nouvelle Constitution de la RD Congo consacre le principe de la décentralisation dans la gestion du pays, jusque-là un État unitaire, en déterminant même la clef de répartition des recettes à caractère national. Des 11 provinces actuelles, la RD Congo devra passer à 26, au mois de mai 2010. Mais la connaissance des réalités au Congo est devenue fort déficiente, surtout celles vécues sur le terrain dans les provinces. 6 dimension mars-avril 2010 Soutenu par la Coopération belge, le Musée Royal de l’Afrique Centrale (MRAC) à Tervuren mène des études monographiques sur l’état réel de chacune des 26 provinces ainsi instituées. Elles contiendront des données d’ordre administratif, politique, social, économique (y inclus les ressources naturelles et les infrastructures),… souvent objet des controverses. Les travaux identifieront le profil spécifique de chaque province pour les comparer quant à leurs atouts et faiblesses du point de vue du développement. Cette recherche conduira à s’interroger sur la cohérence interne des unités décentralisées ainsi que sur la construction d’un État congolais plus performant. Bref, le résultat deviendra un outil important dans les mains des acteurs qui contribuent au développement de la RD Congo. Jean Omasombo états fragiles "faillis", comme la Somalie), les bailleurs ont, depuis le début des années 2000, réévalué leurs politiques. La Banque Mondiale, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne sont en pointe dans la réflexion sur cette question (chacun ayant par ailleurs sa logique propre). Ces trois courants principaux se sont cristallisés au CAD. En 2007, les Ministres de la Coopération au développement du CAD ont ainsi adoptés les Principes pour l’engagement international dans les Etats fragiles et les situations précaires. Au nombre de 10, ils sont sensés encadrer les politiques d’action des acteurs du développement agissant dans les Etats fragiles. Egalement en 2007, l’Union Européenne a lancé un processus visant à coordonner les politiques des Etats membres. Ce processus doit aboutir à la mise sur pied d’un plan d’action de l’UE pour les situations de fragilité. Xavier Rouha Sécurité et développement "Pas de Développement sans Sécurité et pas de Sécurité sans Développement" © quickblogcast La sécurité fait non seulement partie des besoins de base de chaque individu, mais surtout elle constitue un pré requis à toute forme développement durable; alors même que le développement constitue une condition au maintien de la sécurité. Troubles au Kivu - 2009. La création d’un climat sécuritaire, dans son acception la plus large, est indispensable pour assurer le recul de la pauvreté, la protection des droits humains élémentaires et la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement. La notion de sécurité ne renvoie plus seulement à la stabilité de l’Etat et au fonctionnement des institutions politiques, elle comprend avant tout le bien-être de chaque individu, créant ainsi un environnement favorable à la reprise/création d’activités économiques. A terme, la création d’une classe moyenne, avec le concours d’investisseurs étrangers, doit contribuer à une répartition plus équitable des richesses. Dans une situation post-conflit, le relèvement et la stabilisation d’un Etat passent nécessairement par la Réforme de son Secteur de la Sécurité (RSS) et par la réduction du nombre de personnes armées (ayant souvent crû exagérément pendant le conflit et ayant profité de l’économie parallèle générée par celui-ci). L’objectif de la RSS vise donc à rétablir la confiance de la population en l’Etat comme fournisseur de sécurité et de justice, conformément aux aspirations de celle-ci. Cette réforme vise non seulement les "acteurs classiques" de la sécurité (tels que armée, police, justice,…), mais également les "thèmes transversaux" (tels que contrôle parlementaire, rôle de la société civile et des média, etc.). Il s’agit donc d’une réforme délicate, holistique et globale, qui s’inscrit dans la durée et dans le respect de la souveraineté nationale du partenaire. Un double débat est actuellement engagé au niveau international : d’une part, le lien entre sécurité et développement, d’autre part, l’intégration de la RSS dans les actions diplomatiques. Ceci implique la création de mécanismes de concertation spécifiques entre acteurs parfois peu habitués ou enclins à partager une vision commune. Même si certaines dispositions ont déjà été prises, il n’en demeure pas moins que beaucoup reste à faire pour parvenir à une approche véritablement en "3 D’s" (Diplomatie, Défense et Développement), pour inclure la prévention des conflits dans les actions de coopération, et pour définir la sécurité comme un objectif diplomatique. Lt-Col Junior de Fabribeckers, Détaché au SPF Affaires Etrangères Coopération au Développement mars-avril 2010 dimension 7 Reportage © DGCD / Elise Pirsoul Réfugiés de père en fils Du camp de réfugiés de Nahr el-Bared au Liban, théatre d'affrontements violents en 2007, il ne reste que des ruines. Au Liban, en Jordanie, en Syrie, à Gaza et en Cisjordanie sont réfugiés 4,7 millions de Palestiniens, dont 1, 4 millions vivent dans des camps1. Avec un espace de vie établi trois générations auparavant qui n’a pas suivi la courbe démographique, un taux de chômage affolant, une insécurité quasi-permanente, la vie dans les camps offre peu de perspectives d’avenir. Pour ces sans terres, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) est la principale assistance. Reportage sur les vestiges d’un camp au Liban, en cours de reconstruction. Liban, camp de Nahr el-Bared Nous sommes à quelques kilomètres de Tripoli. Le paysage serait magnifique s’il n’était entaché des ruines d’une scène de violence inouïe. D’un côté la mer, de l’autre les pics blancs des montagnes, à nos pieds, les gravats des immeubles et quelques pans de murs criblés de balles. Le camp de Nahr el-Bared qui abritait auparavant environ 30.000 réfugiés palestiniens fut le théâtre d’affrontements violents lorsqu’en mai 2007 les forces libanaises l’attaquèrent à la suite de la provocation d'un groupe armé qui s'était abrité dans le camp . Un combat qui dura 3 mois et demi, laissant 27.000 personnes, déjà dans une situation difficile, sans abris. "Ces familles sont dans une détresse absolue, ils sont entièrement à la charge de l’UNRWA.", explique Salvatore Lombardo, directeur de l’UNRWA au Liban. 1 Chiffres UNRWA, juin 2009 8 dimension mars-avril 2010 La plupart des réfugiés ont été déplacés dans d’autres camps, les autres ont trouvé refuge chez des parents ou ont du louer de petits garages pour abriter leur famille. Un nouveau coup dur pour ces réfugiés dans un pays qui ne les reconnaît pas comme les siens et dont la population leur est souvent hostile. Ibrahim est professeur à l’école du camp. Ses parents sont arrivés à Nahr elBared comme tant d’autres en 1948, il est né ici et n’a jamais connu que les camps de réfugiés. "Après la destruction de mon immeuble, j’ai été déplacé dans le camp voisin de Beddawi, je viens tous les jours en bus pour enseigner." Comme la plupart de ceux qui ont un travail, il est employé par l’UNRWA qui gère notamment l’éducation des réfugiés dans les camps. L’organisation emploie en effet des travailleurs locaux, pour le reste, le taux de chômage est de 40 à 50 %, "ce qui est peu par rapport aux autres camps. Nahr el-Bared était avant sa destruction celui qui avait la deuxième meilleure situation économique." Situé à côté de l'autoroute, près de la frontière syrienne , Nahr el-Bared était un important centre commercial profitant des échanges économiques entre les deux pays. Réfugiés deux fois, cherchent appartement C’est pour mettre un terme au déplacement de ces milliers de réfugiés que l’UNRWA reconstruit le camp d’origine. "Pour les familles du camp dispersées, la détresse est totale. L’UNRWA doit pourvoir à tous leurs services, les frais sont multipliés." Nahr elBared n’est que l’un des quatre camps qui ont été détruits au Liban durant les années de conflit, "mais c’est le seul que nous sommes en train de reconstruire", explique Salvatore en désignant un terrain vague Moyen-Orient qui contraste avec les murs effondrés d’à côté. "Vous voyez, ici, avant c’étaient des immeubles en ruines. Il a fallu tout déminer, détruire, déblayer. Le sol était truffé de mines. Le processus est long car chaque étape doit être validée par le Conseil des Ministres libanais. Et comme si cela ne suffisait pas on a retrouvé des vestiges archéologiques qui ont stoppé temporairement les travaux." Heureusement, un compromis fut trouvé en soulevant le sol de 5 cm pour ne pas abîmer les vestiges. santé (134 cliniques), l’aide alimentaire et les services sociaux de base, l’infrastructure, la formation professionnelle de base… L’agence offre un près de 29.000 emplois locaux et elle veille et plaide pour le respect des droits humains des réfugiés. Cet état d’assistance obligatoire qui perdure depuis 60 ans génère frustrations, hostilité et violence chez les réfugiés, les autres Palestiniens et les populations environnantes. La question des réfugiés palestiniens est un problème pour la stabilité de toute la région. En attendant une autre solution, le travail de l’UNRWA aux côtés des réfugiés est essentiel. Construire, mais pas n’importe comment : "Le but est de permettre aux familles déplacées de retrouver un logement et une communauté de voisinage similaire à ceux qu’elles ont quitté." Pour ce faire, un recensement minutieux des logements a été effectué par un groupe de volontaires de la communauté-même qui se sont mobilisés dès le débuts des combats. La construction a commencé fin mai 2009 et sera effectuée au fur et à mesure du support financier reçu. Une question de stabilité pour tout le Moyen-Orient A travers la bande de Gaza, la Cisjordanie, le Liban, la Syrie et la Jordanie, sont ainsi dispersés 58 camps de réfugiés. L’UNRWA gère les besoins de base comme l’éducation (684 écoles pour toute la région), la online www.unrwa.org L’UNRWA lance un appel à l’aide de son mandat n’ont toujours pas quitté les camps et se sont multipliés. La démographie et l’arrivée de nouveaux "exilés" porte le nombre de réfugiés actuels à 4,7 millions dans le Moyen-Orient. © DGCD / Elise Pirsoul En attendant, et afin de favoriser un environnement viable, l’UNRWA coordonne une assistance à ceux qui retournent peu a peu aux alentours du vieux camp détruit. En sus du projet de reconstruction, l’Agence coordonne des aides humanitaires (logements provisoires et gratuits, assistance sociale, médicale, alimentaire, et scolaire). Elle offre également des aides économiques (une subvention de l'Union Européenne) pour rétablir les petits commerces ou entreprises dans le camp. Réactiver l'économie des quartiers palestiniens autour du vieux camp est primordial, car ces zones souffrent d'un manque de circulation économique en partie parce que le Liban considère toujours cet endroit comme une zone militaire. Comme dans un ghetto, l'accès y est fortement contrôlé par l'armée qui a institué un système de permis pour tout résident et visiteur. Elise Pirsoul Le conflit israélo-arabe de 1948 a entraîné le départ des premiers réfugiés palestiniens. Consécutive à cet exil, la Résolution 303 des Nations Unies créait, en 1949, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens dans le Moyen-Orient. L’agence n’aurait du avoir qu’une mission temporaire. Mais, six décennies plus tard, les quelques 750.000 réfugiés du début La situation générale des Palestiniens, et en particulier celle des réfugiés, s’est largement détériorée depuis la seconde intifada, le blocus de Gaza et l’offensive israélienne de 2008 dans la bande de Gaza. Aujourd’hui, 80 % de la population de la bande de Gaza est dépendante de l’aide humanitaire. La montée générale des prix alimentaires, du carburant, des "loyers" dans les pays hôtes ; la diminution de certaines donations suite à la crise financière; la difficulté d’acheminer de l’aide matérielle vers la bande de Gaza, ont multiplié les besoins de l’agence. L’UNRWA accuse cette année un déficit prévisionnel de 140 millions de dollars sur son budget régulier. La Belgique a contribué à raison de 6.250.000 euros en 2009 et prévoit 6.750.000 euro pour 2010. E.P. mars-avril 2010 dimension 9 dossier Moyen-Orient Un hôpital militaire devenu humanitaire © DGCD / Elise Pirsoul > Des casques bleus belges au Sud-Liban "La présence des casques bleus a permis de séparer les belligérants. C’est la première fois en 40 ans que la population du Sud Liban connaît 3 ans et demi de stabilité", explique le lieutenant-colonel De Brabander, commandant du BELUBATT, le contingent dont font partie les casques bleus belges au Liban. "La population recommence à investir dans la construction, ce qui est bon signe." Les principaux objets de la guerre entre Israël et le Liban sont les 250 à 400.000 Palestiniens réfugiés1 au Liban depuis 1948 et la milice Hezbollah. Au cours de l’été 2006, une guerre de 6 semaines entre le Hezbollah et Israël a fait rage. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a alors décidé de renforcer la force intérimaire de l’ONU au Liban (FINUL), qui existe depuis la première invasion par Israël en 1978, voyait passer ses effectifs de 3.000 à 12.500 hommes. Les Belges participent à cette mission depuis 2006. "Pas de développement sans sécurité… Les tâches de ce groupe de 360 militaires belges ont été réparties sur plusieurs activités : un hôpital près du village de Tibnine, le génie, le déminage et la protection de la force. A mesure de la stabilité retrouvée, les forces 10 dimension mars-avril 2010 En Afghanistan comme au Liban, le développement est lourdement conditionné par l’insécurité. Dans ces deux pays, on voit apparaître des synergies entre Défense et Coopération belge. Ainsi, dans le Sud du Liban, les casques bleus belges déminent les terrains des champs de batailles israélo-libanais et s’apprêtent à transférer une partie de la tâche aux ONG. Pendant ce temps, la CTB réhabilite un hôpital qui pourra combler le vide de l’ancien hôpital militaire belge qui rendait de nombreux services à la population... Le camp Scorpion des casques bleus belges à Tibnine. militaires sont appelées à étre réduites. "On a d’abord effectué le déminage humanitaire à Tibnine pour sécuriser les champs et les maisons." Le déminage, un domaine dans lequel la Belgique a une expertise avérée et dont l’impact est visible. "Quand la région est déminée, les gens retrouvent l’esprit de reconstruction. Ils retournent aux champs." Lorsqu’une zone est complètement sécurisée, le déminage humanitaire est laissé aux ONG et les militaires se replient dans les zones plus dangereuses. Ils délimitent actuellement un passage dans les champs de mine sur la "Blue line", la ligne en deça de laquelle Israël s’est retiré en 2.000. Le déminage est contrôlé par l’ONU qui transférera, à terme, sa connaissance vers les Libanais. Quant à l’hôpital militaire, il a du être démantelé. Mais il offrait de nombreux services à la population. C’est ainsi que la Coopération a pris le relais de la Défense en proposant de remettre en état de marche un ancien hôpital civil. "120.000 civils vont pouvoir profiter de l’hôpital", explique le gestionnaire du projet à la CTB. "Les patients paieront 5% des soins, le reste sera pris en charge par l’Etat libanais." Les travaux de réhabilitation ont commencé en novembre 2008 et devraient se terminer en août 2010. Ils sont supervisés au jour le jour par le génie BELUBATT, en attendant un agent CTB au Liban. Une fois le bâtiment réhabilité, la Belgique fournira les équipements médicaux, pour un total général de 3 millions d’euros. …Ni de sécurité sans développement" "Il faut d’abord assurer la paix pour permettre à tout le monde de s’asseoir à une table pour discuter", ajoute le commandant. L’objectif des Nations Unies est en effet, après la stabilisation, de permettre un processus diplomatique entre Israël, le Liban et la Syrie. L’aide belge au Liban a véritablement démarré en 2006 (hormis UNRWA, voir article p. 8) et s’inscrit dans cette optique comme le souligne le Ministre de la coopération : "La dimension régionale des projets qui sont soutenus ici est importante. Il existe une réticence, compréhensible, qui consiste à ne pas mélanger militaire et humanitaire mais je suis convaincu que le développement est un enjeu politique majeur, une clé pour favoriser la paix et la sécurité." C’est aussi l’avis de la casque bleu : "On vit avec la population, il est important d'avoir de bons contacts. Grâce à la remise en état de l’hôpital, la population est favorable à l’action des Belges. Les projets de développement facilitent la sécurité des militaires." Elise Pirsoul 1 Différentes estimations existent. dossier Consolidation de la paix Donner un avenir aux pays en conflit © DGCD / Chris Simoens Comment garantir la paix dans un pays déchiré par les conflits ? Dimension 3 a rencontré le professeur Luc Reychler (K.U. Leuven), spécialiste en matière de consolidation de la paix. Par où faut-il commencer ? D’abord, il faut tout inventorier. Qui est prêt à faire quelque chose ? Quel type de paix souhaite-t-on : une paix durable, armée, ou fragile ? Quels sont les besoins au niveau de la politique, de la sécurité, de l’économie, de la justice…? La reconstruction est en effet indispensable. L’éducation joue dans ce contexte un rôle important, notamment pour la formation de nouveaux dirigeants. Les coûts de tous les besoins doivent être calculés. Un point que l’on oublie souvent. De plus, il est particulièrement important d’associer toutes les parties prenantes. Pas seulement la société civile et les groupements politiques, mais également les pays voisins. Quelle importance revêt la démocratisation ? Je suis opposé au modèle néoconservateur qui veut imposer une démocratie libérale de l’extérieur. C’est en partie de l’escroquerie. Le passage vers une démocratie réussie exige plus que de simples élections. Un pays sortant d’un conflit a, en premier lieu, besoin de stabilité. C’est possible si le pouvoir est "légitime", donc reconnu par le peuple. Et la légitimité d’un pouvoir dépend tout autant de la bonne gouvernance que du degré de démocratisation. Dans une situation de post-conflit, cela n’a d’ailleurs pas beaucoup d’importance que l’état se montre quelque peu autoritaire. Pourvu qu’il réponde aux besoins essentiels de la population : sécurité, alimentation, soins de santé, écoles, etc. Prenons par exemple la Corée du Sud. Dans les années 70, le pays avait un régime autoritaire, mais également une politique économique progressiste. L’accent était mis sur l’éducation, la recherche et la gestion. La demande de démocratisation ne vint que plus tard. Quand la Belgique est-elle vraiment devenue démocratique ? A peine dans les années 60, après la décolonisation ! Une démocratie libérale promeut également le marché libre et le dégraissage de l’état. Mais on ne peut pas imposer cela sans nuances aux états fragiles. Dans un premier temps, il y a un besoin de protectionnisme. Dans ce contexte, l’état joue un grand rôle. Il doit décider où il faut investir et veiller progressivement à une ouverture au marché libre. Aurions-nous oublié que les pays prospères de l’Ouest et de l’Est sont eux aussi passés par là ? Quid des blessures provoquées par un conflit ? Il faut guérir les blessures. C’est possible en combinant la justice, les compensations, la reconnaissance de la dette, le pardon, l’assurance que cela ne se produira plus, etc. Mais parfois, on regarde trop vers le passé. Ainsi, le soutien massif aux gacaca – les tribunaux populaires – au Rwanda a été exagéré. Chaque village avait sa gacaca. Un pays sortant d’un conflit a surtout besoin d’espoir et d’avenir. Pensez à l’Europe après la Seconde Guerre mondiale. On parlait d’un Plan Marshall, il y a eu l'Initiative Fulbright (ndlr : un programme d’échanges d’étudiants entre les Etats Unis et l’Europe afin d’améliorer la compréhension entre les peuples). Ces mesures étaient porteuses d’espoir. Un monde sans conflits est-il possible ? Comment aborder la sécurité ? La sécurité est d'un intérêt vital. Un pays dangereux attire les mafiosi et constitue un terreau favorable à la corruption. Dans ce contexte, les Nations unies ou les organisations régionales ont un rôle important à jouer en tant qu’instances neutres. Ainsi, le Congo a besoin d’une solide force militaire des Nations unies, qui impose la paix, modernise l’armée et renforce la police. Au fur et à mesure que les institutions nationales se montrent capables d’assurer l’ordre et la paix, les troupes étrangères peuvent se retirer. Les conflits sont inévitables dans les relations humaines. Mais nous pouvons contribuer à ce que les conflits soient réglés sans recours à la violence. Dans ce contexte, l’UE joue un rôle d’exemple. Nous vivons actuellement dans une région sûre, prospère et libre. Non pas parce que nous sommes devenus meilleurs, mais parce que nous avons créé les circonstances nous permettant d’aborder les conflits avec plus d’efficacité. Chris Simoens mars-avril 2010 dimension 11 dossier © Boston.com Ces maux auxquels doit Récemment à la une de l’actualité suite au coup d’Etat militaire qu’il vient de connaître, le Niger, ce pays sahélien d’Afrique de l’ouest, territoire immense et enclavé, adossé au Nigéria, est l’un des pays les plus pauvres au monde. Affecté par des sécheresses récurrentes, il doit en outre faire face, depuis son indépendance en 1960, à l’instabilité politique et aux conflits internes. Considéré comme un "Etat fragile", le Niger dispose cependant d’atouts intéressants, telles les richesses minières, un potentiel pastoral non négligeable, et une surface de terres irrigable encore peu exploitée. Pauvreté d'une population essentiellement rurale, et particulièrement des femmes. Pauvreté et démographie élevée1 Dégradation climatique et insécurité alimentaire2 62 % des Nigériens sont pauvres et 34% sont extrêmement pauvres. Plus de la moitié des ménages ont un revenu moyen inférieur à 53 euros par personne et par an. L’intensité de cette pauvreté est déterminée par une série de facteurs tels que le lieu de résidence (9 sur 10 pauvres vivent en milieu rural), le niveau d’instruction (74,9% d’analphabètes), la taille des ménages (plus de 6 personnes), le secteur d’activité (essentiellement agricole), et le genre (3 sur 4 des pauvres sont des femmes). A l'instar des autres pays sahéliens, le Niger connaît une anomalie climatique prononcée depuis plusieurs décennies. Les problèmes environnementaux s’imposent aux habitants avec sévérité du fait des sécheresses récurrentes, de la désertification, de la démographie élevée, et de la crise économique persistante. La pauvreté extrême d’une population essentiellement rurale, tributaire d’un environnement sahélien difficile, aggravée par un taux de croissance démographique élevé, constitue la principale faiblesse et le plus grand défi pour le développement économique et social du Niger. Cette croissance démographique, de plus de 3% par an, et un taux de croissance économique moyen inférieur à ce taux, débouche sur l’appauvrissement général de la population. Dès lors, tandis que les équilibres des écosystèmes sont sérieusement perturbés, les ressources naturelles disponibles s'amenuisent au fil du temps. Les principales conséquences en sont la baisse de fertilité des sols, la réduction du capital productif, la diminution des revenus en milieu rural, l'accroissement de l'insécurité alimentaire, et l'exacerbation des conflits entre les exploitants des ressources. Les 2/3 de la surface totale du Niger sont désertiques et seulement 11% des terres sont aptes à l’agriculture. Avec 270.000 ha de terres irrigables, dont seulement 85.700 sont exploitées, la production agricole nigérienne reste faible, et elle est même décroissante sur le long terme. En effet, l’extension des superficies cultivées n’a pas entraîné un renversement de la tendance du déséquilibre vivrier, en raison de la forte croissance démographique et de la faiblesse des investissements de modernisation dans le secteur agricole. La production agricole restant structurellement inférieure à la demande nationale, le Niger est donc amené à importer des denrées alimentaires, son principal partenaire en matière d’approvisionnement étant le Nigéria voisin. En 2004-2005, un déficit de production au Nord Nigéria, la sécheresse, et les invasions de criquets, ont entraîné une grave crise alimentaire3. En 2010, le même fléau menace une fois de plus. Un ralentissement des pluies au moment des semis a engendré des poches de sécheresse dans plusieurs régions. Cette faible pluviométrie à un moment crucial, assortie des dégâts provoqués par des insectes nuisibles, a eu 1 Stratégie de Développement accéléré et de Réduction de la Pauvreté (SDRP) 2008-2012 ; Profil de sécurité alimentaire du Niger par le CILSS et CSAO, avril 2008. 2 Idem 1 + Centre Régional AGRHYMET, Bulletin spécial sur la situation agro-pastorale, août 2009. 3 Cette question de la sécurité alimentaire reste un sujet difficile, voire tabou au Niger, où elle a été à l’origine du premier coup d’Etat militaire, en 1974, renversant le régime du Président Diori. 12 dimension mars-avril 2010 Niger © Lucas DiClaudio faire face le Niger… A l'instar des autres pays sahéliens, le Niger connaît une anomalie climatique prononcée. comme conséquence un ralentissement de la croissance du mil. Dans le secteur pastoral d’autre part (qui représente 13% du PIB national, et implique 87% de la population rurale), le Niger a enregistré un déficit fourrager sans précédent, qui risque de compromettre l’existence même du secteur. En effet, le caractère sous-régional du problème complique encore davantage l’approvisionnement fourrager, et compromet les possibilités de transhumance. Une enquête gouvernementale, qui a rendu ses conclusions fin janvier, a finalement reconnu l’urgence de la situation. Pas moins de 2,7 millions de personnes, soit 20 % de la population, seraient en effet menacées cette année. L’ère Tandja sera marquée par des efforts de redressement économique et financier soutenus par les bailleurs de fonds, et par une approche stratégique plus formalisée débouchant sur l’adoption en 2002 de la Stratégie de Réduction de la Pauvreté (SRP) et, en 2007, de la Stratégie de Développement accéléré et de Réduction de la Pauvreté (SDRP). Avec la réussite des élections locales, législatives et présidentielles de 2004, le Niger a écrit une page décisive de son histoire démocratique. Pour la première fois depuis le début du processus démocratique enclenché en 1990, une législature a été remplacée par une autre, confirmant la stabilité politique du pays. En témoigne ainsi la création en 2004 du Conseil National de Dialogue Politique, cadre permanent de prévention et de règlement des conflits politiques, qui regroupe tous les partis politiques et le gouvernement ainsi que les autorités morales. Des tensions socio-politiques ont cependant été observées (grèves et manifestations contre la vie chère, contre la faiblesse des salaires, à caractère politique,…) et, depuis 2007, la démocratie a été fragilisée par des affaires de corruptions et la reprise de la rébellion touarègue dans le Nord, sous-tendue par des trafics de drogue, d’armes et de personnes. L’approche des élections présidentielles et la volonté du président Tandja de se maintenir au pouvoir (alors que la Constitution limite à deux le nombre de mandats présidentiels), vont déboucher en mai 2009 sur une crise institutionnelle marquée par la dissolution de l’Assemblée Nationale, > Indépendant depuis 1960, le Niger a connu sur le plan politique une succession de périodes calmes et agitées. Tout d’abord gouverné durant 14 ans par un régime civil à parti unique (l’ère Hamani Diori), les régimes militaires se succèdent jusqu’à fin 1999. Sous la pression internationale, le major Daouda Mallam Wanké rend alors le pouvoir aux civils, permettant ainsi les deux mandats présidentiels successifs de Mamadou Tandja. © Globalgiving Instabilité politique et déni de démocratie Les problèmes environnementaux s'imposent aux habitants avec sévérité du fait des sécheresses récurrentes. mars-avril 2010 dimension 13 dossier Niger L’uranium, une ressource précieuse © MNS Si le Niger reste l’un des pays les plus pauvres d’Afrique, son sous-sol recèle par contre un minerai très recherché : l’uranium, dont les prix se sont envolés ces dernières années. Troisième producteur mondial de ce combustible (après le Canada et l’Australie), le Niger en a extrait 3.242 tonnes en 2009. En termes de réserves, il arrive en huitième position, avec 5 % des gisements mondiaux. Jusqu’en 2007, l’important groupe nucléaire français Areva a pu y bénéficier du monopole de l’extraction, mais les autorités de Niamey ont cherché à sortir de cette relation de dépendance et, depuis lors, celles-ci ont octroyé des licences d’exploration à une centaine d’autres compagnies étrangères. Le haut commandement du MNJ (2008). Avec ce dernier putsch et la destitution du président Tandja, l’armée voudrait passer pour le garant du changement démocratique. Mais, si elle tire une certaine légitimité de la confrontation avec la rébellion touarègue, elle est mal perçue par la communauté internationale qui appelle tous les acteurs concernés à s’engager dans un processus démocratique en vue de rétablir un "ordre constitutionnel" dans le pays. conduite par le Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ). Celui-ci reproche au gouvernement le non-respect des accords de 1995, qui concernaient notamment la réinsertion des ex-rebelles, ainsi que l’embauche des Touaregs dans les compagnies minières. Depuis lors, les enlèvements de cadres, de diplomates et de touristes se sont multipliés, revendiqués par les rebelles touaregs, ou encore attribués à Al Qaeda au Maghreb, présent dans la région. Le MNJ, devenu l’un des principaux groupes rebelles, réclame la redistribution de ces richesses, qui échappent aux populations locales. Mais la reprise de la lutte armée a eu pour principal résultat jusqu’à présent une nouvelle militarisation du pays, qui s’accompagne d’une ferme répression à l’encontre des sympathisants réels, ou supposés, de la rébellion. Florence Deschuytener Jean-Michel Corhay © Oneman > puis de la Cour Constitutionnelle, et par l’adoption d’une nouvelle Constitution prévoyant la prolongation du mandat du président pour 3 ans. Ce "coup d’Etat institutionnel" va susciter la réprobation de l’ensemble des partis politiques, de la société civile et des bailleurs de fonds du Niger, et va finalement déboucher sur le coup d’Etat militaire perpétré le 18 février 2010. La rébellion des Touaregs Depuis 1990, une minorité est entrée en rébellion, les Touaregs, en butte à la discrimination et à la répression de la part des autorités. Ils réclament leur reconnaissance et une représentation dans la structure fédérale, qui lui permettrait de toucher une partie de la manne de l’extraction minière du Niger. Les régions les plus riches en uranium et en charbon se trouvent en effet dans les zones de peuplement touareg. Sous l’égide de la France et de l’Algérie, un traité de paix a pu être signé en 1995, qui aura été suivi par une longue trêve. Mais celle-ci a été rompue en 2007 et, depuis lors, la rébellion a repris dans le nord du pays, 14 dimension mars-avril 2010 Pont sur le fleuve Niger, à l'approche de Niamey. Population : 13,5 millions Superficie : 1.267.000 km2 Capitale : Niamey Structure étatique : République PNB / habitant : 155 dollars Classement IDH PNUD : 182ème sur 182 Religion : Islam 95 %, Animisme 4 %, Christianisme 1 %. Taux de prévalence du SIDA : 0,67 % Source: Indicateurs africains du développement Fiche thématique dimension Le journal de la coopération belge L'éternelle quête d'Utopia © Jean-Michel Corhay Le désir de créer une société idéale est apparu avec la naissance de l'humanité. Passons en revue les évolutions qui ont mené aux formes actuelles de nos états. Analysons les difficultés rencontrées. La structure étatique idéale n'a pas encore été trouvée. Ce n'est que répétition des mêmes processus d'essaiserreurs, de recherches, de changements, d'améliorations. Le conseil des anciens – présidé par le chef- est un organe d’administration important dans la société traditionnelle en Afrique. Chasseurs-cueilleurs Les premiers hommes pratiquaient la chasse et la cueillette. Nomades, ils vivaient en petits groupes dont le nombre était volontairement limité entre 25 et 50 membres. Il s'agissait de peser le moins possible sur leur environnement naturel qui leur apportait leur nourriture (plantes et animaux sauvages). On suppose que ces petits groupes sont relativement égalitaires: la différence de rang est quasi inexistante. Les plus âgés exercent une autorité discrète, les décisions sont prises de préférence au sein du groupe. Ce type de communauté se retrouve encore aujourd'hui chez les Amérindiens et les aborigènes australiens. Sociétés tribales L'agriculture est venue modifier cette situation. Il y a quelque 12.000 ans, l'homme apprend à cultiver des plantes sauvages et à élever des animaux. Cette abondance de nourriture permet une croissance démographique. D'autre part, les travaux agricoles ne requièrent pas la participation de tous. La diversité des tâches s'est ainsi imposée (aux agriculteurs viennent s’ajouter des artisans, une classe dirigeante, …), tout comme une différence de statut. La communauté perd donc son caractère égalitaire. L'homme ne doit plus se déplacer pour rechercher sa nourriture, il s'installe alors dans des villages. Ces sociétés originelles s'articulent principalement autour des liens de parenté. Elles sont organisées et vivent en tribus. Différentes familles (élargies) appartiennent à un groupe plus important (village ou clan), différents villages forment une tribu ou un groupe ethnique. Chaque groupe possède son propre chef. Il y a des chefs de famille, des chefs de village et des chefs de tribu. Certaines sociétés – comme les Igbos au Nigéria – sont fortement décentralisées : chaque village y est indépendant. > mars-avril 2010 dimension I > Les sociétés organisées sur le mode tribal sont souvent considérées en Occident comme des sociétés primitives. Rien n'est moins vrai. Leur organisation est parfaitement adaptée à leur environnement. Elles ne sont pas prisonnières d'un territoire et les différences sociales y sont minimes. Leur système juridique est astucieux : chaque conflit est réglé à un niveau approprié de la famille, du village, de la tribu. Le conseil des anciens est un organe clef dont le chef peut être destitué de sa fonction s'il ne satisfait pas. C'est la communauté qui entretient les routes et les autres infrastructures communes. On peut donc dire que de manière générale les communautés tribales assurent très bien leur ordre intérieur, la solidarité familiale garantit à leurs membres une existence digne. Ces communautés étaient les plus répandues en Afrique à l'ère précoloniale. Les révolutions des 17e et 18e siècles Le 17e siècle voit se répandre un courant de pensée qui s'oppose à cet absolutisme. Les penseurs de l'époque s'inspirent du modèle grec de gestion du pouvoir par le Demos (peuple), développé à Athènes aux 4e et 5e siècles avant JC. Chaque habitant de la cité était membre de l'Ecclesia (sorte de conseil municipal) qui se réunissait au moins 40 fois par an. C'est là que se prenaient les grandes décisions. Il y avait également un autre Conseil, composé de 500 membres, et un Comité de 50 membres. L'aspect négatif était que seuls les habitants de sexe masculin âgés de plus de 20 ans pouvaient faire partie de l'Ecclesia. Esclaves - la majorité de la population -, femmes, et étrangers, en étaient exclus. Le penseur Locke (1637-1704) a mis en avant l'existence de droits "naturels" que l'homme reçoit de Dieu : le droit à la paix, à la liberté et à la propriété. Il prônait l'idée d'un gouvernement élu par le peuple et qui protège ses droits. © adelaide.edu Parmi ces civilisations, on retrouve l'Ancienne Egypte, le Ghana, le Mali, l'Ethiopie, les Sumériens, les Incas et l'Empire romain. Confucius (500 av. JC) aura quant à lui inspiré l'empire chinois, dans sa conception d’une société "idéale". Ce n'est pas tant la loi, sinon le sens moral qui est le garant de l'ordre dans la société. Les rituels et des valeurs comme le respect des anciens et des supérieurs en constituent les fondements. Féodalisme et absolutisme Le féodalisme européen du haut moyen-âge est issu des sociétés tribales germaniques. La hiérarchie des niveaux sociaux y est également présente : les seigneurs sont supérieurs aux vassaux. Le roi ou l'empereur est le plus puissant des seigneurs, tandis que le serf se trouve au bas de l’échelle. Ce système repose essentiellement sur l'exploitation. Le système féodal laisse aux vassaux une certaine indépendance par rapport au roi. A partir des 15e et 16e siècles cependant, les rois s’approprient progressivement tout le pouvoir. Les autres classes (bourgeoisie, noblesse, clergé) n'ont quasiment plus voix au chapitre. Le parfait exemple de cet absolutisme est Louis XIV, le Roi Soleil (1638-1715). III dimension mars-avril 2010 Les idées de Locke ont influencé la Révolution anglaise de 1688. Celle-ci a réduit considérablement le pouvoir du roi, qui s'est vu adjoindre un Parlement en tant que nouvel organe politique. Les membres du parlement étaient de véritables "représentants du peuple", choisis par le peuple. Le Bill of Rights est le premier texte qui définit des droits octroyés aux citoyens, parmi lesquels la liberté d'expression. © histoire.fr Les excédents économiques – dus par exemple à la production agricole élevée et à l'expansion du commerce – ont mené à la naissance des civilisations. Elles se caractérisent par une structure politique complexe composée de diverses institutions – un Etat à part entière – et par un pouvoir centralisé fort, dont un roi est souvent le dépositaire. Ce dernier s'emploie la plupart du temps à accroître sa sphère d'influence, son royaume s'élargit par l'absorption de plusieurs groupes ethniques. Ses sujets peuvent acquérir davantage de richesses, l'écart entre les classes se creuse. Les civilisations possèdent également leurs propres cultures sur le plan des valeurs, des usages, des expressions artistiques. © adelaide.edu Civilisations Montesquieu (1689-1775) soutenait que toute personne détentrice d'un quelconque pouvoir aura tendance à en abuser. Selon lui, il convient donc de répartir ce pouvoir sur trois instances : l'exécutif, le législatif et le judiciaire. La règle essentielle étant que chaque pouvoir soit contrôlé et limité par les deux autres. La Révolution américaine (17631787), qui a permis aux Etats-Unis de se détacher de l'Angleterre, a résolument opté pour cette "séparation des pouvoirs". Les Etats-Unis sont devenus une république avec un président aux rênes du pouvoir exécutif. Le pouvoir législatif est entre les mains du parlement. L'accent est mis sur la liberté et l'égalité des citoyens. La constitution américaine est la première constitution du genre. La Révolution française (1789-1792) a mis fin de manière radicale à l'absolutisme incarné par la personne du roi Louis XVI. Il a été remplacé par la République française, dotée d'un parle- ment élu détenteur du pouvoir législatif. La transposition dans la pratique de l’ambitieuse Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne fut pas évidente. Finalement, en 1799, Napoléon prend le pouvoir. Son avènement ne fut pas entièrement synonyme de retour en arrière. Son organisation du pouvoir judiciaire, des communes et des provinces est encore en application aujourd'hui. Les tâches principales de l'Etat sont de maintenir l'ordre intérieur et de garantir une existence digne à ses citoyens. Dans la société complexe d’aujourd’hui, l'Etat possède de nombreuses compétences: la levée d'impôts afin de financer les services publics, l'enseignement, les transports, l'économie, l'énergie, etc. Il entretient des relations avec l'étranger et possède une armée destinée à protéger le pays. Les ministres (et secrétaires d'Etat) exercent ces diverses compétences. Pour exécuter leur politique, ils s'appuient sur un corps administratif, les ministères. Afrique © histoire.fr Lors de la conférence de Berlin en 1885, les puissances européennes se sont partagé le continent africain. Le Roi Léopold II a reçu le Congo pour la Belgique. Les frontières en ont été fixées arbitrairement. De ce fait, plusieurs groupes ethniques différents se sont retrouvés sur un même territoire "national". "La Liberté guidant le peuple". Célèbre tableau d’Eugène Delacroix qui représente la Révolution française. La vague d'indépendances des années 50 et 60 a débuté assez soudainement en Afrique, obligeant les colonisateurs à quitter leurs colonies de manière tout aussi abrupte. Le manque de temps ne leur a pas permis d'opérer le transfert de leurs institutions étatiques à la nouvelle nation. Elles appartenaient en effet aux colonisateurs et non à la colonie qui fonctionnait souvent sur un mode tribal. D'autre part, l'économie de ces colonies se limitait à un seul ou à quelques produits d'exportation, dont le bénéfice ne profitait guère au pays. L'Etat moderne de type occidental • L'Etat dispose d'un pouvoir central, indépendant. • Les institutions de l'Etat sont publiques, elles prennent et appliquent des décisions qui concernent l'ensemble de la communauté. Les groupes privés comme les organisations syndicales, les familles et les entreprises poursuivent leurs objectifs personnels. • Le pouvoir de l'Etat est légitime (légal). Ses décisions lient tous les membres de la communauté et servent l'intérêt général. • L'Etat est un instrument de suprématie. Il peut imposer ses décisions et dispose d'outils pour ce faire : police et tribunaux ("le monopole de la violence légitime"). Les contrevenants aux lois sont sanctionnés. • L'Etat est lié à un territoire, et est reconnu en principe en tant que tel par la communauté internationale. L'Etat démocratique moderne repose sur une constitution qui en fixe l'organisation et la relation entre dirigeants et dirigés. Sa caractéristique principale est la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Les élections sont essentielles. Elles permettent au peuple d'exprimer un jugement sur ses dirigeants et, le cas échéant, de les désavouer. © britannica.com Les différentes révolutions ont ouvert la voie de l'Etat moderne. Il comporte cinq caractéristiques de base : Lors de la conférence de Berlin en 1885, les puissances européennes se sont partagé le continent africain. Les pays nouvellement indépendants partaient donc sur des bases plutôt fragiles. Leurs dirigeants ont toutefois maintenu les frontières de leur territoire telles que les colons les avaient fixées, en préférant néanmoins conserver un pouvoir centralisé fondé sur un parti unique et ce, en raison de la diversité des groupes ethniques présents. Ils ont su faire usage du tout nouveau sentiment national né de la lutte anticolonialiste qui avait rassemblé toutes les forces du pays. Cela a parfois donné > mars-avril 2010 dimension III > lieu à des expériences socialistes assez originales, comme ce fut le cas en Tanzanie avec le Président Nyerere. © Safran-arts De nombreux dirigeants ont consolidé leur pouvoir. Ils ont conquis leur population en leur prodiguant des services comme l'enseignement ou les soins de santé. Leur souci principal restait néanmoins l'ancrage de leur propre hégémonie. La fin de la Guerre froide et le manque d'intérêt au niveau international dans les années 90 ont entraîné une forte réduction des moyens. Plus guère de place pour les services aux citoyens. Cette situation a finalement entraîné un processus de démocratisation appuyé par la tenue d'élections libres. A l'instar de l'Europe, l'Afrique n'effectue pas ce passage vers une véritable démocratie du jour au lendemain, cela demande du temps. Certains pays sont confrontés à des groupes qui refusent de reconnaître le pouvoir central (Soudan, Nigéria, Niger, …). Beaucoup sont considérés comme des "Etats fragiles". fragile" est la grande pauvreté de leur population et un niveau d’aide extérieure souvent très limité. Il n'existe en effet aucune garantie que l'aide fournie arrive effectivement à bon port. Il n'empêche, ces pays ont besoin d'être soutenus. Six pays partenaires de la Belgique sont en situation de fragilité, selon l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques : la RD Congo, le Burundi, le Rwanda, les Territoires palestiniens, l'Ouganda et le Niger. Dans un souci d'accroître l'efficacité de son aide, la Belgique décide avec le pays partenaire de promouvoir la bonne gouvernance. Tous deux s'engagent à faire preuve de transparence et à rendre des comptes afin de lutter contre la corruption. La Belgique collabore avec les institutions du pays et La signification de l'expression "Etat fragile" ne fait pas l'unanimité. Elle fait référence aux pays qui rencontrent des difficultés à réaliser les tâches spécifiques d'un état, comme le maintien de l'ordre intérieur et la répartition équitable des richesses. La participation de la population à la vie politique est trop faible, tout comme le contrôle sur le pouvoir exécutif. La gestion du budget de l'état est également problématique. Ce concept revêt une grande importance en matière de coopération au développement. La particularité des "Etats en situation L'Etat belge Depuis les années 90, des élections sont organisées dans beaucoup de pays africains. fournit des formations et des conseils. Cette action s'accompagne du renforcement des structures démocratiques (parlement, société civile, …), d’une attention portée au respect des droits de l'homme et de la promotion de la liberté de la presse. Conclusion En Belgique, qui est une monarchie constitution- nelle, le pouvoir législatif est exercé par le Parlement (la Chambre et © Panoramio © britannica.com Etats fragiles le Sénat) et le Roi. Outre le pouvoir d’édicter des lois, ils peuvent également ins- taurer des commissions d'enquête et contrôler le pouvoir exé- Si le modèle démocratique est celui qui est le plus appliqué actuellement, il ne constitue pas pour autant un aboutissement ultime. On assiste de fait à un élargissement de l'influence des organisations internationales et supranationales comme les Nations unies et l'Union européenne. Conjointement, une tendance se dessine vers davantage de compétences pour des entités locales. Le choix se portera-t-il sur un état réduit qui privilégie les initiatives privées ou sur un état aux vastes compétences où les richesses sont réparties au mieux ? La quête d’Utopia1 se poursuit. cutif. Le pouvoir exécutif appartient au gouvernement constitué de ministres et de secrétaires d'état, et au roi. Ils exécutent Chris Simoens les lois et définissent la politique du pays. Le pouvoir judiciaire est exercé par les cours et les tribunaux qui se prononcent en Fiche thématique du Journal de la coopération belge. matière de litiges et contrôlent la légalité des actes du pouvoir Périodique bimestriel de la Direction Générale de la Coopération au Développement (DGCD) Rédaction : DGCD – Direction Programmes de Sensibilisation Rue des Petits Carmes 15 | B-1000 Bruxelles Tél : 0032 (0)2 501.48.81 – Fax: 0032 (0)2 501.45.44 E-mail : [email protected] www.diplomatie.be | www.dgcd.be exécutif. La monarchie est en grande partie protocolaire. 1 Utopia : Ouvrage de Thomas More (1516), qui décrit une société idéale. IIV dimension mars-avril 2010 dossier Moyen-Orient Le cercle des parents Alors que le conflit israélo-palestinien continue à faire des victimes, le fossé entre les deux communautés se creuse toujours plus, amenuisant les chances de réconciliation. Mais, pour ceux qui ont perdu un enfant dans le conflit, la douleur est la même, au-delà de l’appartenance communautaire. "The Parents Circle" propose de rétablir un dialogue, apprendre à se connaître pour laisser une chance à la réconciliation. Dessin extrait de l'exposition et du calendrier "Cartooning in Conflict", organisé par l'association israélo-palestinienne "The Parents Circle". "Nous avons tous perdu un parent dans le conflit", soupire Aaron, "Moi j’ai perdu mon fils Noam, en 99, en mission de déminage pour l’armée israélienne au Liban. C’étaient ses derniers jours de service militaire. Pour nous, parents, ce fut la fin du monde." Dans cet hôtel anonyme de Tel Aviv, l’émotion est encore palpable 10 ans après l’événement. "On nous a appris peu après qu’il portait sur son uniforme un badge sur lequel était inscrit "Laisser le Liban en paix" 1. C’était un appel à la paix alors qu’il accomplissait sa dernière mission, un symbole de la futilité de la guerre. Peu après, nous avons joint "The Parents Circle". Aaron est membre de "The Parents Circle", une communauté d’Israéliens et de Palestiniens qui ont perdu un membre proche de leur famille durant le conflit. Ils promeuvent ensemble un processus de réconciliation via le dialogue et la compréhension mutuelle. L’association est créée en 95 à la suite de l’assassinat d’un jeune soldat israélien dont le père était membre influent d’un parti religieux traditionnellement opposé aux accords d’Oslo, convaincu que seule la force pouvait mettre un terme à la terreur. Contre toute attente, ce père déclara que la mort d’autres enfants, israéliens ou palestiniens, ne lui rendrait pas son fils et qu’il fallait stopper ces guerres insensées. Ce message nouveau, et inattendu, fut relayé par les médias. L’appel est rapidement entendu et rejoint par plus de 20 familles. Après l’assassinat de d’Yitzhak Rabin qui porte un coup violent aux accords d’Oslo, le groupe décide de prôner activement le dialogue et la réconciliation. Ils entrent en contact avec les premières familles à Gaza et commencent à les rencontrer. "Le groupe comprit vite qu’il avait en main un outil important qui pouvait montrer à la population qu’il était possible de se réconcilier." "Depuis cinq ans, nous avons recréé une structure complètement égalitaire : il y a deux managers et deux bureaux : 1 israélien, 1 palestinien. On se rencontre une fois par semaine. L’idée est de montrer que nous pouvons parler le même langage de paix. Nous pensons que le problème vient du manque de dialogue : aucun des côtés ne connait l’autre communauté et les visions sont déformées. La guerre est plus facile à accepter lorsqu’on connait mal l’adversaire. C’est ainsi que les gens ne soutiennent plus le processus de paix." gères belges. "Après les témoignages, nous avons une discussion avec les élèves. Pour beaucoup d’entre eux, c’est une découverte. Ils vivent dans une tour d’argent et n’ont aucune conscience de ce qui se passe de l’autre côté. Ils se rendent compte que chaque partie raconte les mêmes histoires avec un point de vue différent. 1948, par exemple, marque la bonne nouvelle de l’indépendance pour les juifs, mais est une "catastrophe" (Naqba) pour les autres." Le groupe précise ne pas vouloir accepter d’argent de l’Etat israélien afin de ne pas être instrumentalisé ou accusé de parti pris, mais il compte nombre de bailleurs internationaux. "Nous avons fait une série télévisée qui met en scène les deux communautés. Un beau succès. Nous avons créé une ligne téléphonique "Allo shalom, Allo salaam" qui permettait de mettre en connexion Israéliens et Palestiniens. Plus d’un million d’appels ont été passés. Nous planchons maintenant sur un projet de mise en contact via les nouveaux modes de communication." Elise Pirsoul "C’est pour cette raison que nous allons, main dans la main, Palestiniens et Israéliens, raconter notre histoire dans les écoles israéliennes" : un projet du "Parents Circle" qui reçoit le soutien financier du service de Diplomatie préventive des Affaires étran- online www.theparentscircle.com 1 "Let Lebanon in peace", slogan du groupe "Four mothers" en 1993. mars-avril 2010 dimension 19 dossier Seuls ceux qui connaissent leurs © Bart Colman Au sein du SPF Affaires étrangères, le service Consolidation de la paix se consacre à la prévention des conflits, à la diplomatie préventive et aux droits de l’homme. La consolidation de la paix présente de nombreuses facettes différentes qui touchent de près à la coopération au développement, comme la médiation de conflit, le processus de démocratisation et la liberté des médias. "Et pourtant nous faisons quelque chose de totalement différent..." Les femmes pygmées dans l'est du Congo apprennent à tendre le cordeau sur leur champ de maïs et de haricots. Le programme semencier fait partie du projet de l'Union pour l'émancipation de la femme autochtone. Quoi de plus normal pour un fonctionnaire qui finance des projets dans le Sud que de pouvoir y effectuer un réel suivi de "ses" dossiers. Et pourtant, cela ne va pas de soi. En effet, de telles missions demandent un important investissement en temps et en énergie de la part des gestionnaires de dossiers eux-mêmes et des partenaires locaux. Les attachés de la Consolidation de la paix, Bart Colman et Robert Olbrechts, ont finalement fait ce qu'ils souhaitaient depuis longtemps : se rendre au Burundi et dans l'est du Congo pour visiter les projets financés par leur service. L'un de ces projets est l’ICLA (Information, Counseling and Legal Assistance) du Conseil norvégien pour les réfugiés, une ONG jouissant d'une grande autorité dans ce domaine. L'objectif du projet ICLA est de promouvoir l'intégration des personnes déplacées en jouant entre autres le rôle de médiateur Médiation dans le cadre de conflits territoriaux dans les conflits territoriaux. Le Conseil des réfugiés organise des "centres d'écoute" où les deux parties peuvent prendre la parole et reçoivent une assistance. "Nous avons assisté à une séance d'écoute au cours de laquelle les deux familles en conflit ont, avec le soutien de conseillers indépendants, justifié leur droit territorial", nous raconte Bart. "Vraiment très instructif. Il s’agit de mettre un forum à la disposition des personnes qui leur permette de régler un litige de manière pacifique." La première mission de suivi de leur travail s'est avérée très fructueuse. "Nous sommes revenus d'un voyage très enrichissant", nous assure Bart. "Les guerres ont provoqué de grandes vagues de migration dans cette région. Ces dernières années, de nombreux réfugiés sont revenus, mais leur réintégration dans la communauté ne s'est pas faite sans mal. Leurs terres ont pour la plupart été saisies par des familles voisines. Le problème est qu’une fois de retour, ils les revendiquent. Les projets destinés à prévenir de tels litiges, par exemple à l'aide de médiation et d'assistance juridique, méritent notre soutien." 20 dimension mars-avril 2010 de qualité et d'une société civile solide. Cependant, au Burundi, cela ne va pas toujours de soi. "C'est la raison pour laquelle nous apportons notre soutien aux radios et aux rédactions de journaux", affirme Bart. "Nous avons visité le IWACU, un journal indépendant au cœur de Bujumbura. Celui-ci "Il s’agit de mettre un forum à la disposition des personnes qui leur permette de régler un litige de manière pacifique." La liberté d'expression L’indépendance et l’objectivité des médias sont d’une importance considérable dans la promotion d'une information des citoyens défend une information objective et porte une grande attention aux élections de 2010. Le financement de ce journal vise à soutenir les médias indépendants et les processus de démocratisation. Et je suis content d'avoir pu constater que la rédaction de IWACU, dont le personnel représente presque tous les groupes ethniques, est composée de journalistes enthousiastes et professionnels." Toutefois, le journal manque de moyens financiers propres et est trop dépendant de l'aide financière belge. L'IWACU s'efforce d'acquérir une plus grande autonomie financière, mais cela ne se fait pas du jour au lendemain. La rédaction ne manque pas de rendre compte de manière critique mais Consolidation de la paix au Burundi et en RD Congo droits peuvent les revendiquer Discrimination des Pygmées © Bart Colman Dans l'est du Congo, le groupe des attachés a visité un projet destiné aux communautés autochtones. L’Union pour l’Emancipation de la Femme Autochtone (UEFA) s'est attelée à l'intégration des Pygmées dans la société congolaise et à leur participation dans le processus de démocratisation, avec une attention particulière pour les femmes. Les Pygmées sont souvent victimes de préjugés et de discrimination et, à l'instar de nombreuses femmes dans l'est du Congo, les femmes pygmées sont trop souvent victimes de violences sexuelles. Cette "Séance d'écoute" à Magara, à Bujumbura rural, avec à gauche les médiateurs. "L'approche et l'expertise du Conseil norvégien pour les réfugiés en matière de résolution de conflits liés aux propriétés foncières sont remarquables", déclare Bart Colman. union les aide en leur permettant de se faire entendre et de devenir plus autonomes. "Nous avons fait la connaissance d'une jeune femme victime de maltraitance de la part de sa belle-famille", raconte Robert, visiblement touché. "Lorsque nous avons abordé son cas avec le chef de la police, il est apparu que certains membres du corps de la police étaient eux-mêmes complices de cette exploitation. C’est une situation extrêmement frustrante." les émissions radiophoniques, les campagnes de bandes dessinées et posters et les activités agricoles. "Les Pygmées doivent connaître leurs droits, ce qui est rarement le cas", déclare Robert. "Seuls ceux qui connaissent leurs droits peuvent les revendiquer. Or, un droit que l'on ne peut faire valoir, cela n'existe pas. Celui qui souhaite venir en aide aux Pygmées doit donc s’assurer du respect de leurs droits." Expertise en matière de consolidation durable de la paix On ne peut omettre de parler du 'Life & Peace Institute' (LPI), dirigé par le juriste belge Pieter Van Holder. L'ambassade de Belgique à Kinshasa avait proposé de financer cette organisation remarquable, qui recourt à la recherche-action participative ciblée sur la transformation des conflits. À l’aide de cette approche, le LPI analyse les conflits dans l'est du Congo et apporte son soutien à la paix par la conciliation, la négociation et le renforcement des capacités. Au fil des années, cette organisation suédoise s’est développée en une cellule de réflexion qui publie régulièrement des études de référence. LPI a sélectionné sept partenaires locaux avec lesquels elle coopère, sur la base de leur compétence et de leur complémentarité réciproque. Ensemble, ils bâtissent un socle durable d’expertise locale relative aux dimensions structurelles et culturelles des conflits. Le réseau de terrain ainsi créé offre une certaine garantie que le savoir faire accumulé par LPI continuera de se développer même après son départ éventuel de la région. "Cet institut nous a laissé une impression tout simplement positive", ajoute Robert. "Celui-ci contribue réellement à la consolidation de la paix dans la région tellement agitée de l'est du Congo." Des frontières floues entre coopération au développement Afin de protéger les droits de ces peu- et consolidation de la paix ples, et plus spécifiquement ceux des femmes autochtones, une assistance juridique et sociale leur est proposée. S'y ajoutent des actions de sensibilisation, telles que nes. Un rapprochement avec la Coopération au développement semble inévitable. "Il arrive que la frontière entre la coopération au développement et la consolidation de la paix ne soit pas évidente", explique Robert. "Au Burundi, nous avons visité un projet qui promeut la réintégration des réfugiés en leur permettant de suivre un enseignement. Les activités subsidiées étaient exclusivement limitées à l'enseignement des techniques de construction, à savoir la construction et la rénovation d'écoles, de maisons pour les enseignants, de dortoirs, de réservoirs Dans la plupart des cas, les projets visités sont liés à la résolution de conflits, à la démocratisation, à la liberté des médias, aux réfugiés ou aux droits des peuples autochto- © Bart Colman objective de l’actualité politique du pays. Or, un financement explicitement belge pourrait fragiliser ces efforts. Robert Olbrechts (à gauche) et Bart Colman ne se privent pas de la photo obligée avec les enfants. d’eau, de latrines, etc. Seul un écolier sur six est un réfugié de retour au pays. Même si les travaux prévus à l’origine ont bel et bien été réalisés, on est en droit de s'interroger sur leur dimension de consolidation de la paix. En fait, il s'agit plutôt de coopération au développement." La différence entre la Consolidation de la paix et la Coopération au développement n'est pas toujours évidente, cela a d'ailleurs été constaté à plusieurs reprises sur le terrain. "Certains partenaires pensent que nous sommes une composante de la Coopération belge au développement, quod non. Ce qui se traduit par l’inscription 'avec le soutien de la Coopération belge au développement' sur un panneau d'information… Ce n'est certes pas si grave pour le partenaire local, mais un peu dommage pour nous... Visiblement, nous avons encore beaucoup de travail RP en perspective !", ajoute Robert en souriant. Thomas Hiergens mars-avril 2010 dimension 21 dossier Un 9e Objectif du Millénaire pour l’Afghanistan En 2010, nous faisons le bilan de 10 années d’Objectifs du Millénaire. Ce n’est pas le cas en Afghanistan. En proie aux conflits, le pays n’a souscrit aux objectifs qu’en 2004. L’Afghanistan enregistre-t-il des avancées ? Avancées1 L’Afghanistan enregistre de nettes avancées pour les OMD concernant la santé : réduire la mortalité infantile (OMD 4) et limiter la propagation de maladies telles que le paludisme et la tuberculose (OMD 6). En outre, la santé maternelle s’est améliorée (OMD 5), mais le taux élevé de fécondité reste un problème pour atteindre l’objectif. L’accès à l’eau (OMD 7) n’a connu qu’une amélioration modérée. Pour les enfants en âge scolaire, on constate une augmentation du nombre d’inscriptions dans l’enseignement de base (OMD 2) – surtout chez les filles – mais nombreux sont les enfants qui quittent l’école prématurément. Des avancées faibles, voire même des régressions, ont été constatées pour trois Objectifs du Millénaire. C’est le cas pour l’éradication de l’extrême pauvreté (OMD 1) et la promotion de l’égalité hommes/femmes (OMD 3). Les donateurs font en outre trop peu d’efforts en vue d'accroître l'efficacité de l'aide à l’Afghanistan (OMD8). La Coopération belge fournit son aide essentiellement via des institutions internationales (voir tableau). La corruption accrue ne figure pas dans le rapport d'avancement afghan – mais elle apparaît clairement dans d’autres rapports. 22 dimension mars-avril 2010 OMD 9 Pour son 9e OMD – la promotion de la sécurité – l’Afghanistan s’est fixé des cibles spécifiques (voir encadré). Mais, du fait de la guerre, le pays reste très instable et l’insécurité a même augmenté dans certaines provinces. On a toutefois enregistré certaines avancées; par exemple, dans la formation du personnel de l’armée et de la police au niveau local. Le pays progresse raisonnablement dans l’évacuation des restes explosifs de guerre. Du fait de l’énorme présence d’explosifs et de mines terrestres non explosés, l’Afghanistan connaît, après le Cambodge, le pourcentage de handicapés le plus élevé au monde. La lutte contre l’économie (illégale) de l’opium a enregistré moins de succès. Le trafic de Objectif 9 PROMOUVOIR LA SÉCURITÉ Ce n’est qu’en 2004 que l’Afghanistan a intégré les Objectifs du Millénaire (OMD) dans sa stratégie de développement. Etant donné sa situation extrêmement fragile, il n’est pas possible que le pays puisse rattraper le reste du monde. L’Afghanistan a prolongé l’horizon 2015 jusqu’en 2020 et a décidé de se fixer un 9e OMD relatif à la sécurité. Le développement durable est en effet impossible sans sécurité. Les OMD afghans comprennent par ailleurs des "cibles" supplémentaires, notamment en faveur de l’égalité des sexes. drogue et la corruption sont aujourd’hui les deux principales sources de revenus en Afghanistan. Aux termes d’un rapport récent de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), la somme des deux correspond à la moitié du Revenu National Brut légal. Alain Baetens online Afghanistan National Development Strategy (ANDS): www.ands.gov.af 1 OMD National Progress Report 2008, Afghanistan Cibles à l’horizon 2020 Cible 20 : Réforme et professionnalisation de l’armée nationale afghane pour 2010. Cible 21 : Réduction de l’utilisation abusive d’armes ainsi que de la proportion d’armes détenues illégalement pour 2010. Cible 22 : Réforme, restructuration et professionnalisation de la police nationale afghane pour 2010. Cible 23 : Destruction de toutes les mines antipersonnel posées pour 2013. Destruction de tous les autres explosifs pour 2015. Cible 24 : Destruction de tous les stocks de mines antipersonnel pour 2007. Destruction de tous les autres stocks d’explosifs abandonnés ou indésirables pour 2020. Cible 25 : Réduction de la contribution de l’opium au PIB total (légal et illégal) à moins de 5 % en 2015, et à moins de 1 % en 2020. Aide de la coopération belge au développement à l’Afghanistan en 2009 Institution Montant en euros Objectif Banque mondiale 2 millions Reconstruction Programme alimentaire mondial (PAM) 2 millions Aide alimentaire Unicef 2 millions Enseignement et genre Programme de développement des Nations unies (PNUD) 1 million Élections Fondation Aga Khan environ 900.000 Agriculture et développement rural Afghanistan Témoignages sur un pays déchiré Trois Afghans témoignent sur la vie dans un "Etat fragile". Après une fuite mouvementée, ils ont trouvé refuge dans notre pays. © DGCD Abdullah (nom d'emprunt) ancien officier de l’armée afghane "Le problème de mon pays natal, c’est qu’il n’y a presque pas d’infrastructure. Or la société dans son ensemble – aller à l’école, faire du business… en dépend. L’infrastructure moderne n’existe que dans les grandes villes comme Kaboul ; elle ne s’est absolument pas développée à la campagne. La majorité de la population reste analphabète. Hôpitaux, transports en commun, tout y fonctionne tant bien que mal. Les services publics sont minés par la corruption. La justice non plus ne fonctionne pas. Par chance, une nouvelle stratégie militaire a été élaborée afin de rendre l’Afghanistan à nouveau gouvernable: l’Opération Moshtarak. Les Afghans en ont assez du chaos et de la violence. Chaque famille afghane a perdu quelqu’un dans la guerre. Moi, je vois l’avenir de mon pays sous un jour favorable. Le Président Karzaï a déjà construit beaucoup de nouvelles écoles et de nouveaux hôpitaux." "En Afghanistan, l’État ne fonctionne pas. Pas d’impôts, pas d’équipements, pas de règles. La police, il faut la payer pour tout et n’importe quoi. C’est normal quand on a un salaire de misère. En Europe, il y a une bonne démocratie, mais pas en Afghanistan. Il y a environ 120 partis. Chacun crée son propre parti parce qu’il vise le traitement qui accompagne le siège. Les parlementaires ne travaillent pas pour le peuple. Quelques-uns sont des Pakistanais, et prennent uniquement la défense du Pakistan. Il y a aussi beaucoup de mollahs (religieux islamiques). En fait, la plupart des dirigeants (bourgmestres…) sont des mollahs. Ils ne sont pas compétents. Ils n’ont même pas fréquenté l’école primaire, seulement l’école coranique. Même dans un hôpital, vous pouvez rencontrer un mollah à la place d’un médecin. Les 28 Ministres eux-mêmes ne sont intéressés que par l’argent. Une telle démocratie ne fonctionne pas. Ce qu’il faut, c’est que tous les chefs de tous les groupes se réunissent et parlent ensemble. D’autre part, il faut davantage de coopération au développement, pour soutenir l’agriculture, les écoles et les hôpitaux." Matiem (25) étudiant en sociologie © DGCD Naïm (41) manager en logistique "Depuis le régime des Talibans, l’Afghanistan a connu un certain nombre de changements. Aujourd'hui, nous avons plusieurs canaux TV, la liberté d'expression existe et les filles peuvent aller à l’université. Mais cela ne suffit pas. Le gouvernement Karzaï n’aide que son propre groupe ethnique, les Pathans. Les autres minorités comme les Hazaras et les Tadjiks sont toujours opprimées. Le gouvernement Karzaï est corrompu et composé de seigneurs de guerre de l’époque soviétique. Les organisations des droits de l’homme tentent de résoudre ce problème, mais sans succès pour l’instant. Je ne crois pas à ce gouvernement, mais plutôt aux jeunes. Ce sont eux l’avenir de l’Afghanistan. Je ne peux pas dire de moi-même que je suis athée, mais je crois à la liberté. La plupart des jeunes de ma génération y croient. On ne pourra résoudre le problème de l’Afghanistan qu’en invitant les Talibans et le gouvernement autour de la table de négociation et en apportant une solution au débat sur le Pachtounistan." Une histoire mouvementée Au fil des siècles, l’Afghanistan fut une région vivement convoitée par les grandes puissances. Au cours du 19e siècle, la Grande-Bretagne et la Russie tsariste tentent de conquérir le pays. Après les guerres anglo-afghanes, une frontière est tracée en 1893 à travers le territoire Pathan, entre le Pakistan et l’Afghanistan. Ce territoire, appelé le Pachtounistan, est toujours la source de conflits entre les deux pays. L’Afghanistan est un amalgame de groupes ethniques, le reflet d’un passé mouvementé, essentiellement peuplé de Pathans (42%), de Tadjiks (27%), d’Hazaras (descendants des Mongols, 9%) et d’Ouzbeks (9%). Déchiré par les conflits, l’Afghanistan reçoit en 2004 son premier président élu : Hamid Karzai. Mais les Talibans – un mouvement de guérilla islamique – poursuivent la conquête du pays. Francine Carron et Chris Simoens mars-avril 2010 dimension 23