Narcolepsie : « Nous sommes présentés comme des animaux au zoo

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Narcolepsie : « Nous sommes présentés comme des animaux au zoo
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Narcolepsie : « Nous sommes présentés
comme des animaux au zoo »
Le 01/08/2015
Cécile David
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La narcolepsie se retrouve souvent réduite à une seule et même image : une
personne s'endort subitement en plein milieu d'une activité. Une « drôle » de maladie
dont est atteint Alain de la Tousche, qui en a ras-le-bol des idées reçues.
Quand on évoque la narcolepsie, au bureau, en famille ou entre amis, il y a généralement ceux qui se
remémorent le sketch d'Elie Semoun (« Les dormeurs ») et sourient, les petits malins qui feignent de
s'endormir lourdement sur la table avant de pouffer, et ceux qui froncent les sourcils, parce qu'ils ne
comprennent pas, ne savent pas à quoi correspond ce terme à la fois rude et chantant. Quand vient ensuite
la question : « C'est quoi un narcoleptique ? », il n'est pas si rare d'entendre : « Tu sais, c'est une personne
qui s'endort en deux secondes sans prévenir, trop marrant ». Et quand, enfin, on s'imagine la vie d'une
narcoleptique... On ne se l'imagine pas. On se dit que ça doit être impossible. On se dit que tout ce qu'on
entend doit être exagéré. Comment conduire sans risque ? Comment garder un enfant ? Comment passer un
entretien d'embauche ? Des questions auxquelles il paraît impossible de répondre et, au fond, qu'on ne se
pose pas vraiment.
Surpris par cette méconnaissance de la maladie, nous avons décidé de les poser sans tabou à Alain de la
Tousche, président de l'Association française de narcolepsie cataplexie et hypersomnies rares (ANC), luimême narcoleptique. Nous avons discuté pendant près de trois heures et, non, il ne s'est pas endormi.
Narcolepsie et humour : « Ils ne se rendent pas compte du mal qu'ils font »
Que pensez-vous des reportages télévisés sur la narcolepsie ?
Alain de la Tousche : La plupart du temps, c'est du voyeurisme. Nous sommes présentés comme des
animaux au zoo, comme une curiosité. Dans certaines émissions, en particulier celles diffusées sur la TNT,
les journalistes passent trois ou quatre jours au quotidien avec la personne, avec parfois des caméras
infrarouges pour la filmer même la nuit, pour seulement dix minutes de diffusion. Le but n'est pas de
s'intéresser au malade, juste d'avoir LE moment où il s'endort subitement.
Peut-être parce que c'est ce symptôme qui intrigue le plus ? La preuve avec le sketch d'Elie Semoun,
très populaire.
A. d. T. : Ça fait rire tout le monde mais pas celles et ceux qui sont concernés. Personnellement, je n'ai par
exemple pas du tout aimé le film Narco (de Tristan Aurouet et Gilles Lellouche, 2004). Ils ne se rendent pas
compte du mal qu'ils font, de la la répercussion qu'à la maladie sur la vie familiale et professionnelle. Tout ça
à un côté dramatique. C'est comme si les gens ne voulaient pas en entendre parler. Il y a tout de même entre
20 000 à 30 000 narcoleptiques en France. Seul un tiers d'entre eux sont diagnostiqués et dans ce tiers là, il
se passe entre sept à dix ans entre le développement de la maladie et le diagnostic. C'est pour ça qu'il est
important d'en parler, pour que les gens sachent, pour qu'ils n'aient plus honte de consulter.
Narcolepsie : le diagnostic est souvent tardif
À quel âge avez-vous été diagnostiqué ?
A. d. T. : J'ai eu mes premiers symptômes (besoin de beaucoup de repos, sommeil lourd...) à l'adolescence,
vers 13-14 ans, mais je n'en ai parlé à un professionnel qu'à mes 30 ans. À 34 ans, j'ai fait une crise de
cataplexie (relâchement soudain d'un ou plusieurs muscles) et c'est seulement là que j'ai été diagnostiqué.
C'est pourquoi il est important de communiquer avec les jeunes. Avec l'ANC, on fait tout un travail de
prévention auprès des collèges. La méconnaissance de la maladie peut entraîner des réflexions déplacées
des professeurs, du type « votre enfant est paresseux », « il doit trop regarder la télé », « il n'arrivera à rien ».
Ils remettent en cause la volonté de l'enfant ou l'éducation des parents au lieu de soutenir le malade. Notre
rôle est de les informer eux aussi pour qu'ils puissent mieux repérer les cas de narcolepsie.
Le problème ne vient-il pas aussi de la formation des médecins ?
A. d. T. : Absolument. La part de formation consacrée aux maladies liées au sommeil est minime dans les
universités de médecine mais tout de même de plus en plus importante. Il existe actuellement sept centres de
réflexion sur la narcolepsie et un centre de référence du sommeil (Hôtel-Dieu, Paris). Ils sont tous très bien
équipés.
NARCOLEPSIE, TRAVAIL ET FAMILLE : UN COMBAT QUOTIDIEN
Professionnellement, la narcolepsie doit être compliquée à gérer.
A. d. T. : Avant, j'étais entrepreneur de parcs et de jardins. Un jour, j'étais sur échelle avec une petite
tronçonneuse pour tailler un arbre et j'ai dégringolé de cinq-six mètres. J'ai eu une peur terrible. À terre, j'ai
regardé ce que j'avais et heureusement je m'en suis sorti avec quelques ecchymoses.
Je me suis ensuite reconverti dans le social car j'ai été reconnu à 35 ans en état d'invalidité totale par la
Mutualité sociale agricole (MSA). C'est pas mal comme parcours professionnel, non ? Plus sérieusement, ça
a été très compliqué car quand on est narcoleptique, il n'y a pas grand monde qui veut vous prendre dans
son équipe. Je savais que je pouvais faire plein de choses, que je pouvais être utile mais non, personne ne
voulait de moi.
Vous avez fini par trouver un poste ?
A. d. T. : Oui, Je recevais les chômeurs de longue durée. Le problème c'est que les échanges peuvent être
longs et il m'est déjà arrivé de m'endormir en les écoutant...
Il doit y avoir aussi des moments difficiles socialement, en dehors du travail.
A. d. T. : Ça peut être embarrassant. Par exemple, à un repas entre amis, on peut être en train de rigoler et
d'un coup, tout le monde vous voit en train de plonger la tête dans l'assiette. On peut aussi faire tomber notre
verre alors que quelqu'un est en train de nous servir. C'est gênant.
Votre famille le vit comment ?
A. d. T. : Ça été très compliqué quand j'ai été diagnostiqué. J'avais une trentaine d'années. On se dit qu'on
est foutu. On se pose plein de questions. On se sent mal. Je ne supportais plus le moindre bruit. C'était très
difficile pour ma femme et mes enfants. Ils étaient encore petits à l'époque donc ils devaient jouer dans le
jardin, loin de ma chambre, parce que le bruit me mettait en pétard. On ne recevait pas d'amis à la maison.
Ma compagne a été formidable parce qu'elle a tout fait pour que je me soigne.
Oui, un narcoleptique peut conduire
Vous avez repris espoir petit à petit ?
A. d. T. : Oui. Par exemple, avant, je m'interdisais de prendre le volant. Le professeur Billiard (spécialiste du
sommeil) m'a poussé à reconduire. Il me disait de commencer par des petits trajets mais qu'il fallait que je me
lance car sinon j'allais m'isoler et que ça allait devenir problématique. Alors je me suis mis à emmener les
enfants à l'école (à trois kilomètres) en partant très tôt. Je devais prendre de l'avance pour pouvoir faire des
pauses et dormir si besoin. J'ai dû apprendre à me connaître pour bien préparer mes parcours en voiture.
Maintenant je peux faire des centaines de kilomètres sans m'arrêter ! J'ai mes habitudes. Je me repose
avant, je prépare mon esprit en me disant que je vais conduire, et je prends mon comprimé.
Tous les narcoleptiques peuvent-ils conduire comme vous ?
A. d. T. : Dans l'absolu, oui. Le problème c'est la loi. Tout nouveau conducteur souffrant de narcolepsie doit
obtenir une autorisation. Une aptitude à la conduite peut être délivrée par le préfecture de police sur avis de
la Commission départementale du permis de conduire mais pour seulement un an.
NARCOLEPSIE : LES ORIGINES DE LA MALADIE
Comment se déclenche la maladie ?
A. d. T. : C'est là toute la subtilité. Il y a deux façons d'avoir cette maladie. Soit on l'a en soit, soit un facteur
extérieur en est à l'origine. Dans le premier cas, c'est un gène du système immunitaire qui a quelques soucis.
C'est ce qui a été diagnostiqué chez moi. En clair, il y a une défiance du neurotransmetteur chargé de l'état
de veille et de l'état de sommeil. Mais, de la même manière que le cancer, il se peut que la maladie soit là et
qu'elle ne se déclenche pas.
Les premiers symptômes surviennent habituellement au début de l'adolescence. On ressent le besoin de
dormir beaucoup, le sommeil est très profond et on éprouve de grandes difficultés à se lever le matin. Un des
effets peut aussi être ce que l'on appelle la paralysie du sommeil. On ne peut pas parler mais on entend tout,
on voit tout si nos yeux sont ouverts et on a des hallucinations. Ça m'est arrivé. J'avais l'impression de faire
de la lévitation un soir de pleine lune. Ça ne dure que quelques secondes mais c'est épouvantable !
Les effets évoluent après l'adolescence ?
A. d. T. : Vers vingt ans, d'étranges choses me sont arrivées. Quand vous riez, votre mâchoire peut se
décrocher, vous n'arrivez plus à serrer fermement une main. Mais ces symptômes varient d'une personne à
l'autre. Certains en ont très peu, d'autres les cumulent.
La seule constante c'est cette envie irrépressible de dormir dans la journée. Selon les patients, ce trouble
peut être accompagné ou non d'une paralysie du sommeil, d'une cataplexie partielle (bouche, tête, buste,
bras...) ou d'une cataplexie totale. Dans ce dernier cas, vous tombez comme une poupée de chiffon. Ce
phénomène est provoqué par l'émotion ou la surprise, comme un coup de klaxon. C'est surprenant mais vous
ne vous cassez rien car tout votre corps est parfaitement relâché.
La dernière étape, c'est la reconnaissance d'invalidité, souvent aux alentours de 30-36 ans.
Vaccin H1N1 et narcolepsie : un lien de cause à effet ?
La narcolepsie est-elle héréditaire ?
A. d. T. : Je connais des familles dans cette situation mais c'est très rare. Il y a par exemple ces sept frères et
sœurs tous narcoleptiques ainsi que leurs parents. Mais la narcolepsie cataplexie génétique ne représente
qu'environ 2 % des diagnostics.
Quelle est donc la deuxième origine possible de la maladie ?
A. d. T. : On a remarqué qu'il y avait eu des déclenchement de narcolepsie après la grande vague de
vaccination contre le virus H1N1 en 2009. Environ soixante-dix personnes ont été touchées dans les six mois
suivant leur vaccination. Quand le facteur est accidentel, les malades sont souvent atteints de manière très
sévère, souffrant à la fois de narcolepsie et de cataplexie totale. Ils ont le package complet ! Il est temps que
les laboratoires prennent leur part de responsabilité.
NARCOLEPSIE : DES TRAITEMENTS EXISTENT MAIS...
Vous avez expliqué que vous preniez un comprimé avant de prendre le volant. Il existe donc un
traitement ?
A. d. T. : Oui ! Je fais partie de ceux qui ont quasiment tout testé ! Jusque dans les années 80, la
narcolepsie était soignée avec des médicaments à base d'amphétamine. Ça évite de trop dormir mais on n
était comme des zombies. Puis des médecins militaires on trouvé une molécule permettant de rester éveillé
plus longtemps J'ai fait partie du panel de testeurs formé en 1986.
Maintenant j'utilise un médicament nommé Modiodal. J'en prends six par jour. Ça fonctionne. Si le traitement
n'est pas assez efficace contre l'endormissement soudain, il existe aussi la Ritaline mais c'est plus délicat à
prendre. Il y a un risque de dépendance et vous pouvez avoir des problèmes si vous faites l'objet d'un
contrôle, après un accident de voiture par exemple. Le produit est considéré comme étant une drogue donc il
faut avoir son ordonnance avec soi. Un essai a aussi été réalisé avec le Pitolisant mais certaines personnes
ont développé des effets secondaires au niveau rénal et cardiaque. Le médicament peut aussi entraîner des
vertiges ou augmenter le risque d'obésité.
Tous ces comprimés permettent de maintenir l'éveil. Ils sont souvent associés à un comprimé permettant de
lutter contre la cataplexie. Le Teronac est très bien malheureusement il est en rupture de stock. Mais, d'une
manière générale, en prenant ces deux types de traitements, on se sent un peu mieux.
On peut donc bien se porter même en souffrant de narcolepsie ?
A. d. T. : On ne peut pas vraiment aller bien quand on est atteint de narcolepsie. Et puis c'est compliqué
d'être bien soigné. Beaucoup d'entre nous n'arrivent pas à obtenir le statut de travailleur handicapé et à faire
reconnaître leur maladie comme une affectation de longue durée (ALD). Certains n'ont pas les moyens
d'acheter de Modiodal, qui coûte quand même presque cent euros (en cas d'ALD, la Sécurité social
rembourse le traitement à 100 %). Avec l'association, on se bat pour qu'il y ait une uniformisation, pour que
tout le monde puisse avoir accès aux soins.
Voilà plusieurs années que vous avez été diagnostiqués, plusieurs années que vous suivez un
traitement. Vous avez fini par accepter la maladie ?
A. d. T. : Non. Et je ne peux pas non plus dire que je me porte mieux. Mais grâce à ma femme, à mes enfants
et aux médecins, j'arrive à vivre avec.
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