Ici était Radio-Canada. Par Alain Saulnier. Montréal : Les Éditions

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Ici était Radio-Canada. Par Alain Saulnier. Montréal : Les Éditions
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Ici était Radio-Canada. Par Alain Saulnier. Montréal : Les Éditions
du Boréal, 2014. 275 pp. ISBN : 9782764623626.
Dans Ici était Radio-Canada, Alain Saulnier jette un regard intéressant
sur l’histoire du diffuseur public grâce à ses quelque vingt-cinq ans
comme journaliste, journaliste à la recherche, réalisateur et cadre à
l’intérieur de la boîte. La première moitié du livre, pimentée de ses
souvenirs personnels, survole l’histoire de la Société de ses débuts
au référendum de 1995 au Québec. Dans la partie traitant la période avant 1952, l’année
de l’arrivée de la télévision à Radio-Canada, le récit s’inspire de l’œuvre de Pierre Pagé
(2007) sur la radio alors que le reste du livre, lui aussi en grande partie chronologique,
examine l’histoire du diffuseur public jusqu’à nos jours. L’ensemble se lit avec facilité
et fournit un grand nombre d’incidents et d’anecdotes, parfois révélateurs.
Alain Saulnier, ancien directeur général de l’information à Radio-Canada, explique
dans son introduction que ce livre est né du désir de comprendre les raisons de son
congédiement en février 2012, recherche qui l’a conduit à explorer davantage la relation
entre le diffuseur public et le gouvernement canadien. Une telle démarche pouvait difficilement déboucher sur un examen rigoureux de cette relation ou sur une analyse
impartiale des évènements couverts par le récit qui nous est offert. En l’absence d’un
index, de bibliographie et, occasionnellement, de notes en bas de page, il est parfois
ardu de retrouver des informations recherchées ou de connaître l’étendue des sources
de l’auteur. Mais il n’en reste pas moins que son tableau impressionniste soulève d’importantes questions sur l’encadrement gouvernemental du diffuseur public national.
Le déclin de Radio-Canada, particulièrement sa télévision généraliste, est indéniable, et ceci pour de multiples raisons liées aux compressions financières importantes
effectuées par les gouvernements canadiens successifs depuis plusieurs décennies,
sans oublier le nouvel environnement numérique, le fractionnement des auditoires
et les décisions prises à l’interne. L’attitude des gouvernements est démontrée par la
diminution des crédits parlementaires de la Société depuis 1990 sous les gouvernements Mulroney, Chrétien, Martin et Harper, et illustrée par un graphique (p. 135) tiré
des données provenant de l’organisation Les amis de la radiodiffusion canadienne.
Alain Saulnier examine la nature de la relation « sans lien de dépendance » (at
arm’s length) entre le gouvernement fédéral et Radio-Canada. Ainsi, comment le PDG
de la Société devrait-il se comporter vis-à-vis le parti au pouvoir? L’auteur critique les
échanges réguliers que l’actuel président de Radio-Canada, Hubert Lacroix, entretenait
avec l’ancien ministre du Patrimoine canadien James Moore ainsi qu’avec Nigel Wright,
alors que ce dernier était le chef de cabinet de Stephen Harper, même s’il reconnaît
que les prédécesseurs du président actuel, dont Pierre Juneau et Robert Rabinovitch,
entretenaient des relations du même type avec des ministres et des hauts fonctionnaires. En entrevue avec l’auteur, Rabinovitch affirmait qu’il « n’a jamais discuté de
programmation avec le Cabinet du premier ministre ni avec le ministre responsable
Canadian Journal of Communication Vol 40 (2015)
©2015 Canadian Journal of Communication Corporation
Canadian Journal of Communication, Vol 40 (2)
de CBC… » (p. 213) Mais cette déclaration habile occulte des discussions sur des questions autres que « la programmation » ainsi que les relations de Rabinovitch avec tous
les autres interlocuteurs gouvernementaux potentiels.
De fait, dans son désir de protéger l’indépendance des journalistes, Alain Saulnier
remet en question le droit des dirigeants de la société d’État de corriger le tir de leurs
subalternes. Même s’il leur accorde le droit d’évaluer la programmation entendue en
ondes, l’auteur s’offusque de la désapprobation exprimée par Hubert Lacroix, à l’instar
d’une question du ministre du Patrimoine canadien James Moore, quant à l’engagement
de l’ancien leader du Bloc Québécois, Gilles Duceppe, comme collaborateur à l’émission
Médium large—trois mois et demi après la défaite de ce dernier aux élections du 2 mai
2011. (En fin de compte, Duceppe s’est retiré de l’émission d’un commun accord avec
la directrice de la Première Chaîne sans que, apparemment, celle-ci soit au courant de
la pression provenant d’en haut.) Alain Saulnier restreindrait le droit des dirigeants de
Radio-Canada d’évaluer la programmation aux cas impliquant le non-respect des
normes journalistiques ou de la politique des programmes—une fois l’émission diffusée. « Le journalisme libre et indépendant est du côté du service public », écrit l’auteur
(p. 255). On comprend que tout un chacun recherche l’autonomie, mais il n’est pas certain que l’autoréglementation de l’information suffise à protéger le public de la partisanerie de certains journalistes et modérateurs—nonobstant l’existence d’un
ombudsman maison.
En vertu de l’article 2(g)iv) de la Loi sur la radiodiffusion de 1968, Radio-Canada devait « contribuer au développement de l’unité nationale et exprimer constamment la
réalité canadienne ». Dans la partie historique du livre, Alain Saulnier affirme que cet
élément de son mandat créait un malaise auprès des journalistes et des dirigeants de
Radio-Canada, particulièrement au moment de la crise d’octobre 1970 et des élections
menant le Parti Québécois au pouvoir en 1976. « Le Service français de Radio-Canada
devait-il servir d’abord la population du Canada ou celle du Québec, qui venait d’élire
un gouvernement souverainiste? » demande l’auteur (p. 71). À la suite d’une recommandation du rapport Sauvageau-Caplan en 1986, cet article a été modifié dans la Loi
sur la radiodiffusion de 1991 pour déclarer que la programmation de la Société devait,
entre autres, « contribuer au partage d’une conscience et d’une identité nationales. »
En outre, la Loi de 1991 précisait le mandat de Radio-Canada en ce qui a trait aux
besoins des régions en proclamant, notamment, que sa programmation devait « rendre compte de la diversité régionale du pays, tant au plan national qu’au niveau régional, tout en répondant aux besoins particuliers des régions, » ainsi que « refléter
la situation et les besoins particuliers des deux collectivités de langue officielle, y compris ceux des minorités de l’une ou l’autre langue. » Selon Alain Saulnier, ces éléments
du mandat posent l’éternelle question du partage de la programmation entre les besoins des Québécois, qui constituent la très grande majorité des auditoires francophones et des revenus publicitaires afférents, et les besoins des francophones hors
Québec, dont les préoccupations feraient fuir les auditoires québécois. Pour l’auteur,
« il serait étonnant que cette difficulté s’évanouisse d’elle-même parce qu’un gouvernement ou un PDG aura décidé d’imposer artificiellement sa vision des choses »
(p. 201, les italiques sont de nous).
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Par ailleurs, Alain Saulnier affirme que l’indépendance de Radio-Canada est davantage menacée par sa situation financière que par les ingérences politiques et que,
par conséquent, la recherche de revenus publicitaires a permis au secteur des ventes
de prendre en otage la programmation de la télévision. Cette course à l’argent a déjà
mené un comité de sages à conclure dans un rapport publié il y a près de vingt ans
(Comité d’examen des mandats SRC, ONF, Téléfilm, 1996) que la télévision de la
Société était devenue « un hybride, une entreprise de télévision qui n’est ni véritable
commerce ni un véritable service public » (p. 123). Afin de réduire sa dépendance des
revenus commerciaux, l’auteur recommande une formule à l’européenne en vertu de
laquelle une redevance serait acquittée dès qu’on utilise un équipement en vue de regarder ou d’enregistrer une émission de télévision. Malheureusement, la culture fiscale
canadienne, très rébarbative à l’idée de l’utilisation de taxes à des fins précises (dedicated taxes), ne se prête pas à ce type de redevance. Alain Saulnier prône aussi, comme
d’autres, un financement pluriannuel pour pouvoir assurer une planification adéquate,
ce en quoi il a raison. D’ailleurs, dans son rapport sur Radio-Canada de 2008, le Comité
permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes recommandait un
financement pluriannuel stable du diffuseur public, indexé au coût de la vie et établi
dans le cadre d’un protocole d’entente explicitant les obligations respectives du gouvernement du Canada et de la Société.1 À ce jour, aucune recommandation de ce type
n’a été retenue.
Le concept d’un protocole d’entente permettrait aussi d’éviter une refonte de la Loi
sur la radiodiffusion, refonte proposée par Alain Saulnier laquelle, à notre avis, constituerait une entreprise très périlleuse dans l’environnement actuel. Déjà, le CRTC et
des commentateurs libertaires ont proposé de fusionner la Loi sur la radiodiffusion et la
Loi sur les télécommunications afin de rendre la radiodiffusion plus conforme aux objectifs
économiques et commerciaux qui animent cette dernière. Pour sa part, dans son rapport
de 2008 sur la Société, tout en proposant un financement pluriannuel, le Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des Communes s’est abstenu de proposer une révision du mandat législatif de Radio-Canada, estimant que dans son
ensemble le mandat actuel devrait encore servir de fondement aux décisions de la
Société. Car, même avec l’actuel mandat, plutôt vague, un protocole d’entente pourrait
préciser les orientations et les moyens de la Société sur une période de cinq à sept ans
sans passer par une refonte de la Loi.
Les orientations de Radio-Canada sont certes encadrées par les objectifs de Loi sur la
radiodiffusion et le financement de la Société par le gouvernement canadien, mais aussi
par la désignation par le gouvernement des membres de son Conseil et de son PDG. Alain
Saulnier rappelle la provenance politique du conseil actuel de la Société, mais la question
des nominations mérite un examen plus approfondi. C’est une problématique qui concerne toutes les agences culturelles, voire toutes les agences supposément sans lien de
dépendance envers le gouvernement. Tout en acceptant que le gouvernement élu aux
élections générales exerce un certain rôle dans le choix de leurs grandes orientations, comment protéger l’autonomie de ces agences ainsi que l’intérêt public?
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Note
1. Voir les Recommandations 1.13 et 4.2, qui étaient dans l’essentiel appuyées aussi par l’opinion minoritaire du Parti conservateur du Canada (Comité permanent du patrimoine canadien, 2008).
Références
Comité d’examen des mandats SRC, ONF, Téléfilm. (1996). Faire entendre nos voix : le cinéma et la
télévision du Canada au 21e siècle. Ottawa, ON : Ministère des Approvisionnements et
Services Canada.
Comité permanent du patrimoine canadien. (2008, février). CBC/Radio-Canada : Définir la spécificité dans
un paysage médiatique en évolution. Ottawa, ON : Comité permanent du patrimoine canadien.
Pagé, Pierre. (2007). Histoire de la radio au Québec : information, éducation, culture. Montréal, QC : Éditions
Fides.
Robert Armstrong, Communications Médias inc., Montréal