Sur les mêmes plates-bandes

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Sur les mêmes plates-bandes
Vente d’assurance sans permis
Sur les mêmes
plates-bandes
Des produits d’assurance
vendus sans représentant,
par un concessionnaire
automobile, est-ce permis ?
Un récent rapport
ne ferme pas la porte à ce
type de pratique.
Gérard Bérubé
La vente d’assurance accessoire
est l’objet de consultations publiques depuis plus de deux ans
maintenant, depuis quatre ans si on élargit le cadre du processus
au cœur véritable du débat, soit à la garantie de remplacement.
Encore non chiffré, le volume ­d’affaires se veut considérable.
L’on se demande encore si leur distribution doit être mieux
encadrée et si le consommateur est, au demeurant, bien desservi. Difficile de trancher.
« Nous continuons à dialoguer avec les gens de l’industrie »,
commente Sylvain Théberge, porte-parole de l’Autorité des
marchés financiers. Il insiste sur le fait que ce n’est pas un dossier
simple. Les intervenants sont nombreux, les points de vue aussi.
« Nous souhaitons arriver à des solutions. Et ce que l’on peut
faire dans les meilleurs délais, on veut le faire. » Mais il n’y a pas
d’échéancier précis.Assurance-crédit, garantie prolongée, garantie
de remplacement… : difficile de mesurer la taille du marché. Dans
le secteur automobile, six véhicules sur dix sont vendus accomwww.conseiller.ca
pagnés d’une assurance-crédit. Le même ordre de grandeur
prévaut pour la valeur de remplacement. Si l’on calcule que les
concessionnaires québécois ont vendu 413 000 véhicules neufs
l’an dernier et qu’une garantie de quatre ans se vend, en moyenne,
autour de 800 $, on obtient un volume d’affaires annuel de quelque 200 millions de dollars, uniquement pour la garantie de
remplacement. En retenant un taux de commission de
40 % – considéré comme abusif par l’Association pour la protection
des automobilistes (APA) – les quelque 850 concessionnaires
québécois peuvent se partager des revenus annuels additionnels
estimés à 80 millions.
Dans un éventail plus large, l’assurance-crédit s’étend au
crédit à la consommation, aux hypothèques, aux marges de crédit
utilisées ou encore au solde sur carte de crédit. Pour leur part,
les garanties prolongées couvrent les biens de consommation
semi-durables et durables, tels les meubles, les électroménagers
et les automobiles, ces dernières étant également vendues accompagnées de garantie de remplacement.
conseiller
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Face à toute cette panoplie, l’on s’entend pour dire que les
garanties de remplacement émises par les concessionnaires
automobiles constituent le cœur du débat. Mais on ne sait
jusqu’où il faut s’aventurer côté réglementation.
À l’échelle canadienne, le Conseil canadien des responsables
de la réglementation d’assurance et les Organisations d’enca-
de vente différent du réseau habituel de l’assurance, elle
demeure un produit d’assurance dont la vente est, finalement,
sous la responsabilité des assureurs ».
Photo : James Wagner
drement des services d’assurance du Canada ont déposé leur
rapport sur la vente d’assurance accessoire en novembre dernier.
Le groupe de travail avait entrepris ses travaux au printemps 2007.
Laissant chaque organisme de réglementation libre de faire sa
propre évaluation et d’adopter les mesures appropriées, il entend
prendre l’initiative dans les domaines de l’information acheminée
aux consommateurs et dans la collecte des données et statistiques
sur l’assurance accessoire, qualifiées d’incomplètes.
Le groupe de travail a toutefois lancé le processus de consultation en demandant si le consommateur est, au moment de la
vente, en mesure de prendre une décision éclairée concernant
son achat. Il conclut que « pour répondre à cette question par
l’affirmative, l’objectif du secteur de l’assurance accessoire
devrait être de fournir aux consommateurs l’information nécessaire pour bien comprendre le produit qu’ils achètent, l’étendue
de la couverture, leur admissibilité à la couverture, et pour
évaluer si le produit répond à leurs besoins ». Et l’on retient
que « même si l’assurance accessoire est offerte par un réseau
Le vrai risque
Éric Brassard, associé chez Brassard Goulet Yargeau, Services
financiers intégrés, résume bien les enjeux. « En matière d’assu­
rance, l’idée consiste à couvrir le vrai risque. À se demander si
la situation va devenir précaire lors d’un décès ou d’une invalidité. L’enjeu tourne donc autour du remplacement d’un revenu.
Et pour aborder cette problématique, il faut regarder l’ensemble
des besoins. » D’autant que les contraintes budgétaires viennent
souvent influencer le choix du consommateur.
Le conseiller se fait l’apôtre d’une couverture d’assurance
unifiée sous l’idée d’un remplacement de revenu. « Ce n’est pas
la dette qui crée un besoin d’assurance. » Face à la vente d’assurance accessoire ou sans représentant, il joint sa voix à celle des
partisans d’un meilleur encadrement. « Ces produits sont souvent
mal expliqués ou présentés de manière émotive. Il n’y a pas de
vue d’ensemble de la situation financière, d’analyse des besoins.
En bout de piste, le client a-t-il besoin de ces produits ? »
Éric Brassard n’est toutefois pas prêt à dénoncer les pratiques
actuelles. À titre d’exemple, il cite la garantie de remplacement
offerte par le concessionnaire automobile, qui peut être aussi
bonne ou même mieux que l’avenant 43E pour valeur à neuf
proposé par l’assureur. « Parmi les histoires d’horreur, le pire
cocktail est une voiture louée, déclarée perte totale, couverte
par un avenant 43E. Cet avenant n’est pas fait pour une voiture
louée », donne-t-il en guise d’illustration. « Si la personne n’a
pas d’autre filet d’assurance, si c’est la seule protection qu’elle
a, c’est mieux que rien. Sinon, prendre de l’assurance à la pièce,
c’est coûteux, et pas nécessairement pertinent », ajoute-t-il.
Le conseiller est plutôt critique face à l’assurance-crédit, vie
ou invalidité. Même si deux ou trois questions sont posées au
préalable, les réclamations peuvent être contestées. « C’est pire
en invalidité. On se retrouve très souvent avec des produits bas
de gamme, offrant une couverture limitée ou ouvrant facilement
la porte à des contestations pour mauvaises déclarations. » Sans
compter que ce type d’assurance est dégressif, qu’il est lié à
l’utilisation du crédit et que la couverture s’éteint lorsque la
dette est remboursée.
Dans le cas des garanties prolongées, Éric Brassard estime
qu’elles sont inutiles et coûteuses lorsqu’elles sont appliquées
aux meubles ou aux électroménagers. Elles peuvent avoir une
certaine raison d’être lorsque les garanties de remplacement
accompagnent l’achat d’une automobile, compte tenu de la
janvier 2009
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Vente d’assurances sans permis
somme plus élevée en jeu. Mais quel est le risque véritable ?
« Et on confond souvent garantie de remplacement et garantie
d’écart. N’empêche, si la personne veut couvrir ce risque.… »
Alliance, La Capitale, AXA et Aviva. S’il y a insolvabilité d’un
concessionnaire, l’assureur réfère le client vers un autre concessionnaire. Tout fonctionne bien », affirme M. Béchard, qui
rappelle qu’il s’agit, ici, d’un produit simple. « C’est un produit
Laisser-aller
intéressant, qui procure certes un revenu additionnel au
Le président de l’APA, George Iny, parle carrément de laisserconcessionnaire, mais il a pour objectif principal de fidéliser
aller. Évoquant les risques associées à l’insolvabilité du
le client, de sorte que ce dernier se représente chez le concesconcessionnaire, aux abus observés lorsque vient le temps
sionnaire pour remplacer son véhicule. »
M. Béchard souligne, au passage, le nombre élevé
de vols de véhicules ou de pertes totales. « Il se paie
beaucoup de réclamations. Pourtant, à ma connaissance, il y a si peu de plaintes que les autorités ne se
sentent pas pressées de légiférer. » Il insiste : « Nous
collaborons étroitement avec les organismes de réglementation. Et au Québec, nous bénéficions d’une
Alexandre Royer, conseiller en Affaires publiques,
bonne réglementation. Pour l’assurance-crédit, nous
Bureau d’assurance du Canada.
sommes régis par la Loi 188 sur la distribution de
produits et services financiers, en vigueur depuis 1998,
sous le chapitre portant sur la distribution sans repréd’honorer la garantie, et au prix demandé, qualifié d’abusif
sentant. Nous n’avons aucune objection à être réglementés,
par l’APA, un meilleur encadrement serait souhaité, et souà nous autoréglementer. »
haitable. « L’on parle de produits d’assurance emballés sous
On se fait plus nuancé au Bureau d’assurance du Canada
la forme de produits de garantie », résume-t-il.
(BAC). Dans son mémoire déposé en novembre 2006, le BAC
Et il faudrait aller au-delà d’une meilleure information remise
affirme que le nombre de consommateurs ayant recours aux
aux clients. « L’utilité de ces dépliants est nulle. Le client reçoit
services de son centre d’information sur les assurances, afin
tellement d’information lors de l’achat de son véhicule qu’il ne
d’obtenir des éclaircissements sur les garanties de remplacement,
se donne pas la peine de tout lire », souligne Éric Brassard.
a augmenté de 112 % en cinq ans. Pour les questions concernant
La garantie de remplacement et la valeur à neuf deviennent
l’indemnisation des assurés ayant acheté une telle garantie, le
rapidement deux produits qui se font concurrence. Et difficile
nombre d’appels a progressé de 195 % en cinq ans.
de trancher lequel des deux l’emporte, quoiqu’un avantage
En résumé, « nous ne sommes pas contre la vente de ces
commercial soit conféré au premier : entre autres, il est financé
produits chez le concessionnaire, mais nous voulons que cette
à l’achat et couvre la période de financement, généralement
activité soit bien encadrée », renchérit Alexandre Royer,
de quatre ou de cinq ans. Le second est renouvelable, ce qui
conseiller en Affaires publiques au BAC. « À l’heure actuelle,
implique que la garantie peut ne pas être reconduite, et le
il n’y a pas d’obligation d’être qualifié pour vendre ces proprix est ascendant. « Nous offrons ce produit depuis 1995 et
duits. Il n’y a pas de code de déontologie qui s’applique,
tout fonctionne très bien. Nous avons développé une expertise.
prévoyant que l’intérêt du consommateur doit primer. » Dans
Nous occupons une part dominante de ce marché. Au début,
son mémoire, le BAC propose que « si les concessionnaires
les courtiers et intermédiaires ne voulaient pas de ce produit.
souhaitent poursuivre la vente de produits d’assurance, ils
Aujourd’hui, ils veulent nous voler ce marché », dénonce
doivent procéder par l’intermédiaire d’un représentant disJacques Béchard, pdg de la Corporation des concessionnaires
tinct du directeur commercial ».
d’automobiles du Québec.
Cette approche préconisant le recours à un représentant
Aux yeux du pdg, le véritable débat tourne depuis toujours
dûment certifié est partagée par la Chambre de la sécurité
autour de la garantie de remplacement, qui tombe sous l’égide
financière. Dans son mémoire de mai 2008, la Chambre
de la Loi sur la protection des consommateurs. En clair, on
retient que « la distribution sans représentant est un mode
soutient que le consommateur se voit offrir une garantie et
de distribution qui doit demeurer exceptionnel, tout en
non une assurance. Que l’engagement de remplacement vient
ajoutant cependant qu’elle doit ‘‘ se limiter à des produits
du concessionnaire, qui va protéger son risque par une assuspécifiques s’y prêtant et pour lesquels les risques de préjurance. Les contrats sont similaires, sans être standardisés. Et
dice à l’endroit des consommateurs sont minimes’’ ».
l’industrie a fait vœux d’auto-discipline. Au Québec, « nous
Ce qui ramène le débat autour des affirmations de la
faisons affaires avec quatre gros assureurs, soient l’Industrielle
Corporation des concessionnaires d’automobiles…
« À l’heure actuelle, il n’y a aucune
d’obligation à être qualifié pour vendre
des produits d’assurance accessoire. »
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conseiller
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