Quand on s`interroge sur la question du réchauffement climatique
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Quand on s`interroge sur la question du réchauffement climatique
Quand on s’interroge sur la question du réchauffement climatique, on pense généralement à ses conséquences, souvent lourdes, sur une série de thématiques relativement spécialisées : érosion de la biodiversité, ou migrations climatiques, par exemple. Quand on aborde ces questions sous l'angle sanitaire, la question des inégalités dans l'exposition aux risques sanitaires apparait immédiatement et soulève des questionnements transversaux. Elles renvoient aux multiples dimensions de la vie en société des êtres humains et à la complexité du réel, tel que les sciences humaines et sociales tentent de l’appréhender. C’est ce que je vais tenter de montrer dans les lignes qui suivent. En fait, ville de demain, réchauffement climatique, exposition aux risques environnementaux, santé et inégalités sociales sont probablement des parties inextricablement liées d'un même problème. Cette courte présentation ne repose pas sur une recherche en cours. Mon but est simplement de pré-positionner quelques éléments de cadrage de recherches qu'il faudrait songer à développer un jour, en anticipation des situations à venir. Urbanisme et réchauffement climatique Divers prospectivistes annoncent que, pour les prochaines décennies" le déplacement des populations vers les villes va s'accélérer, en partie du fait du réchauffement climatique. La ville de demain est un objet dont les urbanistes, les géographes, les architectes, etc., se sont déjà emparés depuis longtemps. Il semble que l'on s'oriente de plus en plus vers le développement de la ville intense par opposition à la ville extense, notamment dans l'objectif de contenir ou de réduire l'émission de gaz à effet de serre. Mais quand on pense à la ville du futur sous l'angle sanitaire d'une part et sous celui de la justice et de l'injustice d'autre part, on ne peut plus seulement penser à la ville comme un simple dispositif sociotechnique piloté en fonction d'objectifs quantifiés de production de gaz à effet de serre, par exemple. M-C Jaillet, entre autre, a montré que la ville actuelle était déjà, en France, un espace ségrégationniste. Ce sont d'ailleurs les populations les plus aisées qui ont tendance à se mettre à l'écart des autres, dans des zones réservées, plus surveillées. La ville intense, de demain, en admettant que les contraintes qu'elle imposera s'avèrent socialement acceptables, sera-t-elle également un espace ségrégationniste ? On ne peut que se poser la question quand on constate que des vagues de migrations, somme toute limitées dans leur ampleur, comme c'est le cas depuis quelques temps avec les réfugiés syriens devient un problème. Or ces vaques ne feraient que préfigurer des vagues migratoires d'une toute autre ampleur, du moins du point de vue de certains prospectivistes. Si ces mouvements devaient produire de nouvelles formes de ségrégations, quelles formes cette ségrégation pourrait-elle prendre, particulièrement pour les nouveaux arrivants ? Observera-t-on l'émergence de nouvelles formes de zones de relégation, comme c'est le cas pour les tsiganes, mais cette fois sur un périmètre intra-urbain ? Ces zones de relégation, si elles surgissent, exposeront-elles leurs habitants à des risques sanitaires spécifiques ? Après tout la ville, même intense, génèrera toujours des déchets et des polluants divers. Verra t-on de nouvelles formes d'exposition aux risques sanitaires chez ces populations reléguées ? Et si oui comment traduire ces situations d'inégalités en termes de justice et d'injustice ? D'ailleurs, comment et à quelles conditions la ville de demain peut-elle être pensée en fonction des notions de justice et d'équité ? Ces questions se complexifient encore si l'on considère les caractéristiques démographiques des populations concernées. Rien de nouveau sous le soleil, en Europe de l'Ouest, la population vieillit rapidement. Les inégalités d'exposition aux risques seront également générationnelles. On le sait, nombres de cités, et parmi elles les plus importantes en nombre d'habitants, sont également des îlots de chaleur. Le phénomène îlot de chaleur, associé à l'occurrence croissante de phénomènes caniculaires, si les anticipations de par certains climatologues s'avèrent exactes, risquent d'impacter plus particulièrement les personnes âgées, les exposant à une mortalité particulière, comme cela a été le cas en France en 2003. Est-il juste, et équitable, que la ville "îlot de chaleur" génère demain des risques différentiels en fonction des générations d'habitants et en fonction du fait qu'en même génération de PA sera plus ou moins exposée à la mort ou à diverses atteintes à la santé, suivant qu'elle habite à la ville ou à la campagne ? De la même manière, la ville intense devrait privilégier les transports en commun ou les formes alternatives de déplacements, ou altermobilités. Mais, là encore, cela peut affecter les mobilités quotidiennes soit des PA, soit des personnes à mobilités réduites et, à terme, provoquer des situations de perte d'autonomie. Or, on sait qu'aujourd'hui le maintien en autonomie (cad le maintien à domicile) de la population est un énorme enjeu de santé publique. Cela correspond, d'une part, à une attente forte exprimée par la population et, d'autre part, à une exigence gestionnaire de notre système de santé qui ne pourra financer la prise en charge d'une population vieillissante en constante augmentation. Or, il se trouve que les transports en commun ou autres formes d'altermobilités peuvent s'avérer excluantes pour des personnes en situation de perte d'autonomie. C'est aujourd'hui le cas. Saura t-on redresser la barre pour demain ? Comment mettre en place des politiques publiques permettant d'atteindre ces objectifs ? Quel poids pèsera la question de l'équité ou de l'inéquité face aux coûts que sa prise en compte engendrera ? La question du droit On pourrait aisément multiplier les questionnements de ce type, par exemple en croisant la dimension du positionnement social des citoyens avec les phénomènes de transitions énergétiques ou encore alimentaire tout en s'interrogeant sur un éventuel impact de cela sur leur santé. La liste des questions à traiter sous cet angle s'avérerait rapidement interminable et fastidieuse. Le traitement de toute question au travers d'une double entrée, par le sanitaire et par l'équité, donc par la justice ou l'injustice, traverserait l'ensemble des changements du quotidien provoqués par le réchauffement climatique. Et sans doute ces questions devront être posées et seront traitées, d'une manière ou d'une autre, sauf à admettre que l'inégalité devient une norme tolérable et acceptée. Mais nous n'en sommes pas là. Poser la question de la justice ou de l'injustice pose, avant tout chose, la question du droit. Comment le droit peut-il traiter de telles questions ? Le droit anglo-saxon, par exemple, repose sur le fait que tout être humain jouit, en principe, de droits naturels. Le problème est relativement simple. Si une personne est spoliée de ses droits, elle peut demander réparation. En Europe, les choses sont plus compliquées (sauf pour les anglosaxons). En France, la constitution garantit depuis 2004 que "Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé". Mais, selon la philosophie de notre droit, les lois sont faites dans l’intérêt « du plus grand nombre ». Mais comment traiter le cas du plus petit nombre ? Faut-il considérer qu'il y a nécessairement un petit nombre ? Comment traiter ce dernier ? Faut-il rentrer dans une logique compensatrice, ou plutôt réparatrice si besoin est ? Et dans tous les cas, à qui appartient-il d’apporter la charge de la preuve de l’existence d’un préjudice ? Comment harmoniser la question des dédommagements dans un espace comme l’espace européen, par exemple ? L’ensemble de ces questions est déjà ouvert, mais pour le moment les avancées demeurent extrêmement prudentes au regard de l’ampleur de la tâche à entreprendre. Et le reste… Je vais m'interrompre à présent, pour respecter la contrainte des dix minutes. Il y aurait pourtant tant à dire sur la question de l'équité dans la ville de demain. On pourrait étendre la réflexion à la question des transitions alimentaires, des nouveaux flux alimentaires, aux inégalités d'accès à une alimentation saine et peu risquée, aux modes d'habiter, et tant d'autres choses encore…