GRANDEURS DE RÉACTION
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GRANDEURS DE RÉACTION
JL 2005 – 2006 2 PC HdB CHAPITRE I3 GRANDEURS DE RÉACTION Nous disposons des outils qui nous permettent de traduire la condition d’évolution d’un système en réaction et la condition caractérisant l’état final. Nous raisonnons dans le modèle introduit au chapitre précédent, d’un système dont l’évolution est régie par une seule équation de réaction, notée 0 = ∑ν B i i , d’avancement ξ. i Par précaution, comme nous l’avons déjà indiqué, la majorité des calculs est développée dans le cadre de transformations isothermes isobares, du moins au niveau différentiel. La température du système est toujours uniforme, ainsi que sa pression. Les échanges thermiques entre le système et l’extérieur sont supposés sans irréversibilité, de même l’équilibre pneumatique est établi entre le système et son extérieur. Ainsi la seule source d’irréversibilité réside dans la réaction chimique. Dans un premier temps, nous développons le calcul complet sur un exemple simple, qui nous permet de dégager les idées essentielles et de nous poser les bonnes questions. Puis nous mettons en place les notions de grandeur de réaction, dont la connaissance est indispensable tant pour la prévision de l’évolution de l’état du système que pour l’étude de son état d’équilibre thermodynamique. L’étude détaillée des systèmes comportant des solutés est repoussée à un chapitre ultérieur. 2 THERMODYNAMIQUE CHIMIQUE 1. ÉTUDE ANALYTIQUE D'UN EXEMPLE MODÈLE 1.1. Hypothèses de travail Considérons l’isomérisation en phase gazeuse du (Z)-but-2-ène en (E)-but-2-ène. Cette transformation se réalise par exemple à haute température, en présence d’un catalyseur acide (de Lewis ou de Bronsted) ou en présence de radicaux. Nous notons l’équation de réaction (E) sous la forme simplifiée : A = B Le système contient initialement les quantités de matière a de A et b de B. Les deux constituants sont assimilés à des gaz parfaits en mélange parfait. La pression p et la température T du récipient enfermant le système sont maintenues constantes. Le système est supposé n’évoluer que selon (E). Les valeurs des potentiels chimiques standard de A et B sont supposées connues, du moins celle de leur différence. Par exemple, nous supposons que la différence µ °A − µ °B est positive. Pour l’étude analytique, nous choisissons b = 0 . Nous appelons ξ l’avancement de la réaction et nous notons α le taux d’avancement de la réaction, défini par la relation ξ = a α . Le tableau d’avancement permet de traduire aisément le bilan de matière : état initial état quelconque état final nA a nB a 1 0 1− α α 1 − α final α final 1.2. Affinité chimique ∂G ∂ξ T , p L’affinité chimique a pour expression : A = − = µA − µB Les gaz sont parfaits. Tous calculs faits, nous obtenons la relation suivante : ∂G ∂ξ T , p A = − = µ A − µ B = µ°A (T ) − µ°B (T ) + RT ln 1− α α 1.3. État final À pression et température fixées et constantes, l’état final est caractérisé par le minimum de la fonction enthalpie libre. Deux éventualités sont possibles : le réactif limitant est épuisé : α final = α max = 1 la dérivée de la fonction G est nulle ou, ce qui revient au même : A = 0 pour α final = α éqχ (l’équilibre chimique est établi). [I3] grandeurs de réaction 3 L’état final est par conséquent caractérisé par : αfinal = min ( α éqχ , α max ) = min( αéqχ ,1) En traduisant la relation A = 0 nous obtenons la valeur de α éqχ selon la formule suivante : 1 αéqχ = µ°B (T ) − µ°A (T ) RT 1 + exp = 1 − A °(T ) 1 + exp RT qui montre de toute évidence que α éqχ < α max et que, par conséquent, l’état final est caractérisé par α éqχ : Pour cette valeur, nous vérifions aisément que la dérivée seconde de l’enthalpie libre est positive, ce qui montre que l’extremum est bien un minimum [figure 3.1]. 30,00 3,00 G (α ) kJ ⋅ mol−1 a 2,00 A (α) kJ ⋅ mol−1 20,00 1,00 10,00 A (α ) 0,00 0,00 -10,00 -1,00 G (α) a -20,00 -2,00 α -30,00 -3,00 0 0,05 0,1 0,15 0,2 0,25 0,3 0,35 0,4 0,45 0,5 0,55 0,6 0,65 0,7 0,75 0,8 0,85 0,9 0,95 Figure 3.1 – Évolution de G (α) a et de l’affinité chimique A 1.4. Avancement à l'équilibre chimique Il est intéressant de connaître la position de α éqχ par rapport à la valeur ½, de façon à savoir si l’état d’équilibre est plutôt en faveur de A ou de B. Celle-ci dépend du signe de l’affinité chimique standard et nous constatons aisément que : si A ° > 0 : α éqχ > 0, 5 si A ° = 0 : α éqχ = 0, 5 si A ° < 0 : α éqχ < 0,5 4 THERMODYNAMIQUE CHIMIQUE Pour notre étude, nous nous sommes placés dans la première situation. L’état d’équilibre est donc ici plus favorable à B. 1.5. Condition d'évolution spontanée (naturelle) À température et pression constantes et fixées, la condition d’évolution spontanée (ou naturelle) est donnée par la relation : A (α) ⋅ dξ > 0 Considérons un système constitué des quantités a ⋅ (1 − α) de A et a ⋅ α pour B. Il est immédiat, compte tenu de la courbe de la figure 2.1, que : Si α > α éqχ , l’affinité chimique est négative et la réaction transforme B en A, Si α < α éqχ , l’affinité chimique est positive et la réaction transforme A en B. REMARQUE : il faut bien évidemment tempérer ces prévisions par des considérations cinétiques. La composition du système n’évolue que si la vitesse des réactions est suffisante. C’est pourquoi nous préférons le terme « naturel » au terme « spontané ». 1.6. Définitions Nous avons constaté sur l’exemple précédent que la connaissance de l’affinité chimique standard entraînait la connaissance de l’état final du système. Le problème est donc le calcul de cette grandeur, sachant que chacun des potentiels chimiques standard n’est a priori pas calculable. Constante d'équilibre thermodynamique Définition La constante d’équilibre thermodynamique K °(T ) associée à une équation de réaction est définie par la relation suivante : A °(T ) = RT ln K °(T ) Cette grandeur ne dépend que de la température, une fois fixés et définis les états standard des divers constituants. NOTE : si certains des constituants sont des solutés dissous dans un solvant donné, la valeur de la constante d’équilibre dépend aussi du solvant retenu puisque l’état standard en dépend. Nous appelons température d’inversion la température Ti pour laquelle la constante d’équilibre prend une valeur unitaire, c’est-à-dire pour laquelle l’affinité chimique standard est nulle. [I3] grandeurs de réaction 5 2. GRANDEUR DE RÉACTION 2.1. Définition Considérons un système dont l’évolution de la composition est définie par une seule équation de réaction (E). La quantité de matière de chaque constituant s’exprime uniquement à l’aide de l’avancement, une fois l’état initial et l’équation (E) définis. Soit Z une grandeur extensive, que nous exprimons à l’aide de la pression p , de la température T et de l’avancement ξ. La différentielle de Z s’exprime sous la forme suivante : ∂Z dT ∂T p , ξ dZ = ∂Z ∂Z dp + ∂ξ ∂p T , ξ + dξ p,T Pour tout constituant Bi du système étudié, nous définissons la grandeur molaire partielle : ∂Z ∂ni Z i = T , p ,n j , j ≠i La différentielle de Z dans les variables (T , p, n1 , ∂Z ∂T p , n j dZ = ⋯, n ) s’écrit alors : dp + ∑ Z dn q ∂Z ∂p T , n j dT + q i i i =1 En remplaçant dni par ν i dξ et en identifiant le résultat obtenu avec l’expression de la différentielle de Z dans les variables (T , p, ξ) nous obtenons l’expression de la dérivée partielle de Z par rapport à ξ : ∂Z ∂ξ Il s’agit de l’opérateur de Lewis. T , p = ∑ν Z i i i Cette grandeur est notée, par convention, ∆ r Z . Nous l’appelons « grandeur Z attachée à la réaction » ou, plus simplement, « Z de la réaction ». ∆ r est un opérateur agissant sur la fonction Z , le résultat obtenu est une fonction des paramètres (T , p, ξ) . Il s’agit donc d’une grandeur « locale », par opposition à la grandeur ∆Z = Z final − Z initial , variation de Z le long de la transformation, qui est une grandeur « intégrale ». REMARQUE : (∆ r Z )(T , p, ξ) est fréquemment noté ∆ r Z (T , p, ξ) . 2.2. Enthalpie, entropie et enthalpie libre de réaction Observons d’abord que l’affinité chimique n’est rien d’autre que l’opposée de l’enthalpie libre de la réaction ∆ r G . Nous définissons ensuite l’enthalpie et l’entropie de réaction par les relations : 6 THERMODYNAMIQUE CHIMIQUE ∂H ∂ξ T , p ∆ r H = = ∑ν H i ∂S ∂ξ T , p ∆ r S = i i = ∑ν S i i i Par manipulation élémentaire des dérivées partielles, nous obtenons la relation : Expression de l’affinité chimique A (T , p, ξ) = − (∆ r G )(T , p, ξ) = T ⋅ (∆ r S )(T , p, ξ) − (∆ r H )(T , p, ξ) 2.3. Transformation isotherme isobare Considérons une transformation isotherme et isobare du système en réaction chimique. Pour une variation élémentaire dξ de l’avancement, la variation élémentaire de la grandeur Z , identifiée au premier ordre à la différentielle d Z , s’écrit sous la forme suivante : ∂Z ∂ξ p , T dZ = dξ = ∆ r Z (T , p, ξ) ⋅ dξ Par intégration entre l’état initial (caractérisé par ξ = 0 ) et l’état final, nous obtenons la relation entre la variation de Z sur la transformation et la grandeur de réaction correspondante : ξ ∆Z = Z F − Z In = ∫ ∆ r Z (T , p, ξ′) dξ′ 0 En général, la grandeur de réaction est fonction de l’avancement et varie sur le chemin suivi. REMARQUE : si la transformation n’est que monotherme et monobare – ce qui sera en général le cas –, l’intégration de la fonction ∆ r Z (T , p, ξ) ne peut être réalisée sur le chemin effectivement suivi. Néanmoins, comme la variation de Z est la même sur la transformation associée isotherme isobare qui conduit du même état initial au même état final, le résultat est conservé, à condition que l’intégration soit effectuée sur ce chemin. 2.4. Grandeur standard de réaction L’état standard jouant un rôle particulier pour les composés étudiés, il est intéressant de définir la valeur particulière de la fonction (∆ r Z )(T , p, ξ) « dans les conditions standard » ou, plus précisément, pour un système où tous les constituants sont dans leur état standard. REMARQUE : une transformation réelle d’un tel système est impossible car dans l’état standard, les constituants sont pris soit purs, soit seuls en solution infiniment diluée dans un solvant de référence, à la concentration c , donc ne sont pas mélangés et ne peuvent réagir entre eux… [I3] grandeurs de réaction Si l’état standard est un état « corps pur », il s’agit de la grandeur molaire du corps pur sous la pression p°. 7 Pour le système ainsi défini, chacune des grandeurs Z i prend la valeur notée Z i °(T ) qui, une fois l’état standard choisi, ne dépend plus que de la température . La grandeur ∆ r Z prend alors la valeur : (∆ r Z )°(T ) = ∑ ν Z °(T ) i souvent notée ∆ r Z °(T ) i i Il s’agit de la « grandeur Z standard de la réaction » et sa valeur ne dépend plus que de la température, une fois l’état standard précisé pour chaque constituant. Ces deux grandeurs ont été introduites « sauvagement » dans le cours de PCSI. Définissons ainsi l’affinité chimique standard et l’enthalpie libre standard de la réaction A °(T ) = − ∆ r G°(T ) , l’enthalpie standard ∆ r H °(T ) , l’entropie standard ∆ r S°(T ) et l’énergie interne standard ∆ rU °(T ) de cette réaction. Nous avons immédiatement la relation suivante : A °(T ) = −∆ r G °(T ) = T ⋅ ∆ r S °(T ) − ∆ r H °(T ) Il suffit alors, pour déterminer la valeur de l’affinité chimique standard, donc de la constante thermodynamique d’équilibre, de savoir exprimer l’enthalpie standard et l’entropie standard de réaction. 2.5. Mesure d’une grandeur standard de réaction Considérons la transformation suivante, monotherme monobare, pour le système dont l’évolution est régie par l’équation de réaction écrite sous la forme classique : g1G1 + g 2G 2 + ⋯ = d 1 D1 + d 2 D2 + ⋯ état initial : sont présents dans le système les constituants G j avec des quantités de matière n j , 0 = ν j ⋅ n0 . Chacun d’eux est pris dans son état standard. état final : l’avancement de la réaction prend la valeur ξ = n0 , ce qui entraîne que les constituants G j ont été entièrement consommés pour conduire aux constituants Di , dont les quantités de matière sont ni = ν i ⋅ ξ = ν i ⋅ n0 . Chacun d’eux est ramené dans son état standard. dans les deux états extrêmes, la pression vaut p et la température vaut T , le système est en équilibre thermique et pneumatique avec l’extérieur. Pour faire le calcul de la variation de Z sur cette transformation, nous utilisons la transformation associée, isobare et isotherme, entre les mêmes états extrêmes, au cours de laquelle tous les constituants restent dans leur état standard. Rappelons que cette transformation est physiquement irréalisable puisque, chacun des composés devant être pur (ou infiniment dilué) dans son état standard, il est impossible qu’ils entrent en contact, condition nécessaire à la réalisation de la transformation. Mais la variation de Z sur ce chemin hypothétique est très facile à calculer et prend la même valeur que sur la transformation réelle. Entre les états extrêmes de cette transformation isotherme et isobare, nous pouvons écrire, x désignant l’avancement « instantané » de la réaction : n0 ∆Z = Z F − Z In = ∫ ∆ r Z (T , p, x) dx 0 8 THERMODYNAMIQUE CHIMIQUE Mais, tout au long de la transformation, nous avons la ∆ r Z (T , p, x) = ∆ r Z °(T ) . La variation de Z prend donc la forme suivante : relation ∆Z = Z F − Z In = n0 ⋅ ∆ r Z °(T ) Si la mesure de la variation de Z pour la transformation réelle est possible, par exemple dans le cas de l’enthalpie (la variation de l’enthalpie du système est égale au transfert thermique vers l’extérieur, à pression constante) il est donc envisageable de déterminer la valeur de la grandeur standard correspondante. 2.6. Relations entre les grandeurs standard de réaction Les relations de Gibbs-Helmholtz nous indiquent que : d µ°k (T ) H °k (T ) d µ°k (T ) =− = − S °k (T ) et dT T T2 dT Nous en déduisons les relations qui permettent de déterminer la variation de l’enthalpie libre standard ou de l’affinité chimique standard avec la température : d ∆ r G°(T ) = − ∆ r S °(T ) dT et d A °(T ) = ∆ r S °(T ) dT ou d A °(T ) ∆ r H °(T ) = dT T T2 ∆ r H °(T ) d ∆ r G °(T ) ou =− dT T T2 3. ENTHALPIE STANDARD DE RÉACTION Revenons dans cette section sur l’étude menée dans le cours de première année. 3.1. Variation avec la température Relation de Kirchhoff Nous étudions la dérivée de l’enthalpie standard par rapport à la température. Par application de la définition, nous obtenons immédiatement : d ∆ r H °(T ) = dT ∑ν k k d H k °(T ) = dT ∑ν C k p,m,k °(T ) = ∆ rCp° (T ) k C p, m, k °(T ) représente la capacité thermique isobare molaire partielle pour le constituant B k pris dans l’état standard. Elle est égale à la capacité thermique Gustav Robert Kirchhoff, 1824 – 1887 isobare molaire du constituant pur dans l’état standard ou, lorsqu’il s’agit d’un soluté, à la capacité thermique isobare du constituant infiniment dilué, dans les conditions de l’état standard (en général, en solution molaire). [I3] grandeurs de réaction 9 Les valeurs de ces grandeurs sont tabulées et, ainsi, nous pouvons déterminer comment l’enthalpie molaire standard dépend de la température, si nous en connaissons la valeur à une température donnée. De façon générale, nous pouvons écrire : T ∆ r H °(T ) = ∆ r H °(T0 ) + ∫ ∆ r Cpo (T ′) dT ′ T0 Approximation d’Ellingham L’approximation d’Ellingham consiste à négliger la variation de l’enthalpie standard avec la température. Elle suppose donc que ∆ r Cp°(T ) est une grandeur de faible valeur numérique. Nous écrivons alors ∆ r H °(T ) = ∆ r H °(T1 ) où T1 vaut en général 298 K . Cette approximation n’est raisonnable que sur un intervalle de température relativement étroit, mais donne souvent des résultats numériques acceptables sur un intervalle de température assez étendu. ATTENTION ! Il faut impérativement que, dans l’intervalle de température étudié, tous les constituants restent dans le même état physique pour que l’approximation d’Ellingham ait un sens. Cette approximation sera utilisée notamment lors de la construction des diagrammes d’Ellingham, qui permettent d’étudier graphiquement les réactions de réduction d’un oxyde ou d’un chlorure métallique par un métal [chapitre 4]. Si nous ne voulons pas utiliser cette approximation, nous considérons dans un premier temps que ∆ r C po (T ) est une constante indépendante de la température, ce qui nous permet d’écrire : ∆ r H °(T ) = ∆ r H °(T1 ) + ∆ r C po ⋅ (T − T1 ) Si nous voulons encore préciser la dépendance de l’enthalpie standard avec la température, nous pouvons mettre ∆ r C po (T ) sous la forme d’un polynôme de degré q et obtenir une expression polynômiale de l’enthalpie standard de degré [q + 1] en T. NOTE : il est en général tout à fait illusoire de pousser les calculs à un degré élevé, car nous faisons bien d’autres approximations plus critiques pour l’exactitude des résultats, en particulier l’utilisation des modèles des gaz parfaits et surtout des solutions diluées. Il nous reste à calculer la valeur de l’enthalpie standard à la température T1 et, pour cela, nous introduisons les « enthalpies standard de formation des constituants physico-chimiques », ainsi que « l’état standard de référence d’un élément chimique ». 3.2. État standard de référence d’un élément chimique Cas général L’état standard de référence d’un élément chimique correspond en général (les exceptions seront vues plus bas) à la forme physique la plus stable sous laquelle se trouve l’élément considéré à la température indiquée, dans son état standard. 10 THERMODYNAMIQUE CHIMIQUE Ainsi la figure 3.2 indique les états stables du fer en fonction de la température. Les trois formes α, γ et δ sont trois arrangements stéréochimiques différents des atomes de fer à l’état cristallisé [chapitre 14]. solide γ α 1184 δ 1665 liquide 1809 vapeur 3145 T/ K Figure 3.2 – États physiques stables du fer, selon la température Nous en déduisons immédiatement l’état standard de référence de l’élément fer, selon la température : T K < 1184 : Fe α cristal parfait pur sous pression standard, 1184 < T K < 1 665 : Fe γ cristal parfait pur sous pression standard, 1 665 < T K < 1809 : Fe δ cristal parfait pur sous pression standard, 1809 < T K < 3145 : Fe liquide pur sous pression standard, T K > 3145 : Fe gaz parfait monoatomique sous pression standard REMARQUE : quand le constituant se trouve en phase vapeur, nous choisissons comme état standard de référence la structure de plus petite atomicité présente dans le gaz. ATTENTION ! Il faut noter plusieurs points importants : l’état standard de référence dépend essentiellement de la température, nous nous intéressons à un élément chimique et non à un constituant physicochimique, fût-il un corps simple (formé d’un seul élément). Parler de « l’état standard de référence de l’oxyde de calcium » ou de « l’état standard de référence de l’ion chlorure » n’a absolument aucun sens. Exceptions Il s’agit du carbone et des éléments chimiques qui se présentent à la température T1 = 298 K , sous pression standard, sous forme de molécules diatomiques (H, N, O, F et Cl). Pour le carbone, à toute température, l’état standard de référence est le carbone sous forme graphite hexagonal, pris pur sous la pression standard. Notons que les autres formes allotropiques du carbone sont, entre autres, le diamant, les nanotubes et les fullerènes, dont le plus célèbre représentant est le footballène de formule C 60 (il existe aussi dans l’espace interstellaire des espèces exotiques C q de faible atomicité). Pour l’hydrogène, l’azote, l’oxygène, le fluor et le chlore, à toute température, l’état standard de référence est le composé diatomique, considéré comme un gaz parfait, pris pur sous la pression standard. [I3] grandeurs de réaction 11 3.3. Enthalpie standard de formation d’un corps pur ATTENTION ! Dans cette sous-section, nous limitons à des espèces physicochimiques pour lesquelles l’état standard est un état de type « corps pur ». Nous excluons ainsi de l’étude les solutés et notamment les ions en solution aqueuse, pour lesquels l’état standard est « la solution molaire infiniment diluée ». Considérons une espèce physico-chimique B , dans un état donné à la température T. Elle est constituée d’un certain nombre d’éléments chimiques. Réaction de formation d’une espèce La réaction de formation de B à la température T a pour équation : éléments (pris dans leur état standard de référence à T ) = 1 Les indices g (gaz), liq (liquide), cr (cristallisé) et aq (aqueux) sont souvent utilisés pour préciser l’état physique du corps. B L’enthalpie standard de cette équation est par définition l’enthalpie standard de formation de B à la température T. Elle se note ∆ f H °B (T ) , conformément aux recommandations de l’IUPAC. L’état physique du constituant doit être précisé . Par exemple, la réaction de formation de l’eau liquide à la température T1 = 298 K a pour équation : 1 H 2,gaz + O2,gaz = H 2O liq 2 En effet, H 2,gaz et O 2,gaz sont les états standard de référence respectifs des éléments H et O constitutifs de l’eau, à la température T1 = 298 K . REMARQUE : Il est clair que, compte tenu de la définition adoptée, à une température T où il est la forme la plus stable de l’élément chimique qui le constitue, l’enthalpie standard de formation d’un corps simple prend une valeur nulle. Ainsi l’enthalpie standard de formation du dioxygène ou du carbone graphite sont nulles à toute température. Mais le trioxygène (ou ozone), forme peu stable de l’oxygène, a une enthalpie standard de formation positive. Il en est de même pour l’enthalpie standard de formation de l’oxygène atomique. De même, l’enthalpie standard de formation du fer liquide à T = 2 000 K est nulle [figure 3.2]. Mais celle-ci n’est pas nulle à une température inférieure à 1809 K , elle est égale à l’enthalpie standard de fusion du solide stable à cette température. 3.4. Cas particulier des solutés Pour un soluté, l’état standard adapté est la « solution molaire infiniment diluée ». Il est donc impossible d’écrire pour un tel constituant une équation de formation analogue à celle que nous avons envisagée au paragraphe précédent. En effet, comment faire intervenir le solvant qui, de toute évidence, participe à l’état standard en solvatant les molécules de soluté ? Nous reviendrons sur cette difficulté après avoir démontré la relation de Hess, dans un chapitre ultérieur. 12 THERMODYNAMIQUE CHIMIQUE Notons que celle- Intéressons-nous néanmoins au cas des ions en solution aqueuse. La première ci n’a pas encore été définie explicite- difficulté réside dans le fait que ces ions ne peuvent exister seuls en solution puisque la phase aqueuse doit être électriquement neutre. Nous ne pourrons donc accéder ment. expérimentalement qu’à des grandeurs faisant intervenir au moins deux ions de signe opposé. Les théoriciens ont donc été conduits à imposer la valeur de l’enthalpie + standard de formation d’un ion de référence et ont choisi l’ion H aq . Convention Quelle que soit la valeur de la température, l’enthalpie standard de + formation de l’ion H aq est nulle : ∆ f H ° H + (T ) = 0 aq De même, l’entropie standard de cette espèce est nulle : S ° H + (T ) = 0 aq Nous verrons dans les paragraphes suivants comment, de proche en proche, nous pouvons définir et déterminer les enthalpies standard de formation des autres ions. De façon générale, les enthalpies standard de formation sont tabulées à la température T1 = 298 K . En effet, leurs valeurs sont accessibles à partir de mesures calorimétriques effectuées sur des transformations réelles. La relation de Kirchhoff permet éventuellement de les calculer à n’importe quelle température. 3.5. Relation de Hess Étude d’un exemple Nous allons montrer sur un exemple que l’enthalpie standard de n’importe quelle équation de réaction se calcule à partir des enthalpies standard de formation des constituants apparaissant dans l’équation. La démonstration générale de la relation de Hess repose sur l’écriture de la conservation de la matière. Considérons la réduction de Fe 3 O 4 , oxyde mixte de fer(II) et de fer(III), par le monoxyde de carbone CO. Cette transformation, qui intervient dans l’élaboration industrielle du fer, est modélisée par la réaction d’équation : Fe3O 4 cr + CO gaz = CO 2 gaz + 3 FeO cr ( R) Nous calculons à la température T1 = 298 K l’enthalpie standard de cette équation de réaction, connaissant les enthalpies standard de formation des divers constituants. Dans un premier temps, nous montrons que l’équation ( R) est une combinaison linéaire des équations de formation des différents constituants, les coefficients étant égaux aux nombres stœchiométriques de l’équation ( R) . Les équations de formation sont indiquées ci-après, ainsi que les expressions des diverses enthalpies de réaction : ( F1 ) 3 Fe cr + 2 O2gaz = Fe3O 4cr ∆ f H ° Fe3O 4 = H ° Fe3O 4 − 2 H ° O 2 − 3H ° Fe [I3] grandeurs de réaction 13 ∆ f H ° CO = H ° CO − 12 H ° O 2 − H ° C ( F2 ) Cgr + 12 O 2gaz = CO gaz ( F3 ) Fecr + 12 O 2gaz = FeOcr ∆ f H ° FeO = H ° FeO − 12 H ° O 2 − H ° Fe ( F4 ) Cgr + O 2gaz = CO 2gaz ∆ f H ° CO 2 = H ° CO 2 − H ° O 2 − H ° C Nous constatons aisément que l’équation ( R) se met sous la forme : ( R) = ( F4 ) + 3 ( F3 ) − ( F2 ) − ( F1 ) De façon générale, nous pouvons écrire : ( R) = ∑ ν (F ) k k k Dans un second temps, nous formons la même combinaison linéaire des enthalpies standard de formation. Nous obtenons la relation suivante : − ∆ f H ° Fe3O 4 − ∆ f H ° CO + 3 ∆ f H ° FeO + ∆ f H ° CO 2 = − H ° Fe3O4 − H ° CO + 3 H ° FeO + H ° CO 2 Or le second membre de cette égalité représente l’enthalpie standard de l’équation , ce qui nous permet d’écrire la relation de Hess : ∆ r H ° ( R ) = − ∆ f H ° Fe3O 4 − ∆ f H ° CO + 3 ∆ f H ° FeO + ∆ f H ° CO 2 Généralisation Relation de Hess ∑ L’enthalpie standard attachée à l’équation 0 = ν k Bk s’écrit comme la combinaison linéaire des enthalpies standard de formation des divers constituants, les coefficients étant égaux aux nombres stœchiométriques. ∆ r H °( R ) = ∑ν ∆ H° k f Bk k Cette relation peut s’étendre à n’importe quelle grandeur standard de réaction, comme l’entropie standard, l’énergie interne standard ou l’enthalpie libre standard, donc l’affinité standard. De façon encore plus générale, on démontre aisément, et nous l’admettrons, que si une équation de réaction (R) est combinaison linéaire de diverses équations ( Ri ) , les grandeurs standard de réaction suivent la même combinaison linéaire : ( R) = ∑ λ (R ) i i i ∆ r X ° ( R) = ∑λ ∆ X° i r ( Ri ) i Application au calcul des valeurs des constantes d’équilibre Ce résultat essentiel permet d’accéder de façon simple à de nombreuses grandeurs de réaction et permet en particulier de calculer aisément les valeurs de constantes d’équilibre. En effet, si nous appliquons la relation précédente à l’affinité standard (opposée de l’enthalpie libre standard), nous écrivons : 14 THERMODYNAMIQUE CHIMIQUE RT ln K ° ( R ) = ∑ λ i RT ln K ° ( Ri ) ( ) K (°R ) = ∏ K (°Ri ) soit i i αi Dans les problèmes mettant en jeu l’étude des solutions aqueuses, nous avons besoin de cette relation pour calculer les valeurs des constantes d’équilibre des diverses réactions qui peuvent intervenir entre les réactifs et déterminer ainsi celle qui a le plus de chances d’être la réaction prépondérante entre les espèces introduites. 4. ENTROPIE STANDARD DE RÉACTION 4.1. Dépendance par rapport à la température Pour déterminer comment l’entropie standard de réaction dépend de la température, nous étudions la dérivée de cette grandeur. Par définition, nous avons : d ∆ r S °(T ) = dT ∑ν k k d Sk °(T ) = dT ∑ν Cp,m,k °(T ) k T k = ∆ r Cp° (T ) T Nous pouvons intégrer cette relation et obtenir l’expression de l’entropie standard de réaction en fonction de la température : T ∆ r S °(T ) = ∆ r S °(T0 ) + ∫ T0 ∆ r C p° (T ′) T′ dT ′ Dans l’approximation d’Ellingham, nous négligeons le terme intégral et ainsi, l’entropie standard de réaction ne dépend pas de la température. Dans ces conditions, l’affinité chimique standard est une fonction affine de T. Le terme ∆ r S°(T0 ) se calcule à l’aide des tables de thermodynamique, où sont tabulées les entropies molaires standard. Si l’état standard est un « état corps pur », ces grandeurs sont égales aux entropies molaires standard absolues. Dans le cas où l’état standard est du type « dilution infinie », elles sont calculées par extrapolation de mesures expérimentales. 4.2. Signe de l’entropie standard de réaction Lorsque l’équation de réaction ne fait intervenir que des constituants gazeux ou en phase condensée pure, le signe de l’entropie standard est souvent facile à déterminer sans calculs. ATTENTION ! Ce raisonnement est à proscrire dans l’étude des systèmes où figurent des solutés et notamment des ions en solution aqueuse, pour lesquels l’état standard est « la solution molaire infiniment diluée ». Pour ces espèces, le signe de l’entropie standard molaire partielle est quelconque et aucune prévision n’est envisageable. [I3] grandeurs de réaction 15 Nous savons que l’entropie molaire standard d’un corps pur gazeux est très nettement supérieure à celle du même corps pur en phase condensée. Considérons une équation de réaction où n’interviennent que des constituants gazeux ou en phase condensée pure. Nous décomposons en deux termes l’entropie standard de réaction : ∆ r S °(T ) = ∑ ν S °(T ) = ∑ ν S ° (T ) + ∑ ν S ° (T ) k k k k k k ph. cond k gaz Adoptons une valeur moyenne pour l’entropie molaire standard d’un corps pur gazeux, de l’ordre de S °gaz ≈ 180 J ⋅ K −1 ⋅ mol−1 . L’entropie standard de réaction a alors le même signe que l’expression suivante : ∑ ν S ° (T ) + S ° ⋅ ∑ ν k k gaz ph. cond k gaz La première somme, formée de termes de faible valeur absolue, possède une valeur absolue petite. Si le second terme n’est pas nul, nous pouvons négliger le premier devant le second et écrire : signe[∆ r S °] = signe ∑ν gaz k REMARQUE : souvent, la somme algébrique des nombres stœchiométriques des constituants gazeux est notée ∆ν gaz . Si ∆ν gaz n’est pas nul, l’entropie standard de réaction possède le même signe que ce terme. En revanche, si ∆ν gaz est nul, le signe de l’entropie standard de réaction n’est pas prévisible. Cette prévision qualitative s’avère souvent utile si nous avons simplement besoin de connaître le sens de variation de l’affinité chimique standard avec la température. Mais rappelons que ce raisonnement ne peut être mis en œuvre si l’équation de réaction fait intervenir des espèces en solution aqueuse. 5. AFFINITÉ CHIMIQUE STANDARD DE RÉACTION 5.1. Enthalpie libre standard de formation d’un corps De la même façon que nous avons défini l’enthalpie standard de formation d’un composé, nous pouvons définir l’enthalpie libre standard de formation de ce composé, à une température T donnée, par l’utilisation de l’équation de formation de ce composé, pris dans son état standard à cette température, à partir de ses éléments constitutifs pris chacun dans leur état standard de référence, à cette même température : éléments (pris dans leur état standard de référence à T ) = 1 B Cette méthode ne s’applique réellement que pour des composés pour lesquels l’état standard est un état de type « corps pur », comme pour la définition de l’enthalpie standard de formation. 16 THERMODYNAMIQUE CHIMIQUE Pour les espèces en solution, il faut procéder comme pour l’obtention de l’enthalpie standard de formation, par des combinaisons linéaires d’équations et en utilisant la valeur de référence pour les ions hydrogène : ∆ f G ° H + (T ) = 0 quelle que soit la valeur de la température T aq Ces grandeurs sont tabulées, en général à la température T1 = 298 K . La dépendance vis-à-vis de la température s’obtient aisément mais elle est peu utilisée. La relation de Hess s’applique à l’enthalpie libre standard de n’importe quelle ν k Bk , sous la forme : équation de réaction écrite sous la forme compacte 0 = ∆ r G° ( R ) = ∑ ν ∆ G° k f ∑ Bk k Il est donc possible, moyennant la connaissance des enthalpies libres standard de formation des divers participants à l’équation de réaction, de déterminer la valeur de l’enthalpie libre standard de réaction à la température T1 = 298 K . Les méthodes envisagées dans les paragraphes précédents permettent alors d’exprimer cette grandeur à n’importe quelle température, en faisant attention aux éventuels changements d’état. 5.2. Prévision du sens d’évolution du système L’expression de l’affinité chimique standard peut désormais être obtenue. Elle nous permet de déterminer l’expression de la constante d’équilibre et, par conséquent, de prévoir si l’état d’équilibre va être plutôt en faveur des réactifs introduits ou en faveur des produits obtenus. Rappelons que la prévision du sens d’évolution d’un système en réaction se fait avec l’affinité et non avec l’affinité standard. Néanmoins, si cette dernière possède une valeur absolue soit très grande, soit très petite, le terme complémentaire RT ln Π sera souvent négligeable devant A ° et le signe de l’affinité sera celui de l’affinité chimique standard. Si par exemple, nous sommes dans la situation où A ° >> 0 , la constante d’équilibre K °(T ) prend une valeur très grande devant 1. Si la réaction a lieu, nous pouvons dire qu’elle est quasiment quantitative. Nous avons exploité cette remarque tout au long du cours de chimie des solutions, dans la méthode de la réaction prépondérante. Mais nous savons que dans le cas des réactions mettant en jeu la formation de solides insolubles, la discussion ne doit pas se limiter à la valeur de la constante d’équilibre (ce point sera approfondi dans le chapitre dédié à l’étude des états d’équilibre des systèmes hétérogènes). Pour que la réaction ait lieu dans le sens 1, il suffit que l’affinité soit positive. Dans la majorité des cas, le quotient de réaction Π dans l’état initial prend une valeur suffisamment faible devant celle de K °(T ) pour que l’affinité soit positive, ce qui revient au même que de dire que A ≈ A ° . Il n’y a donc que des cas très particuliers où l’utilisation de l’affinité standard (si sa valeur absolue est suffisamment grande) ne pourra donner le sens de l’évolution du système.