Amenzu n°19 : Janvier 2006

Transcription

Amenzu n°19 : Janvier 2006
19
AMENZU
Janvier 2006
Yennayer 2956
Numéro
B u l l e t i n
d e
l ’ A s s o c i a t i o n C u l t u r e l l e
d e B r e t a g n e
d e s
B e r b è r e s
Cours de Tamazight à Rennes
Les cours de tamazight ont débuté le 25 septembre 2005
pour les plus jeunes, âgés de 4 à 12 ans.
Ces cours se déroulent tous les dimanches de 11h à 12h au
78 Bd de Vitré à Rennes.
Actuellement nous avons 8 élèves inscrits.
Pour tout renseignement n'hésitez pas à nous contacter.
Mustapha Ammi
L’ACBB a rencontré le 12 novembre dernier Ali Mouzawi,
cinéaste algérien.
Il a bien voulu répondre à nos
questions (pages2-3) pour permettre aux lecteurs d’Amenzu
de faire sa connaissance.
L’échange a porté sur le livre*
qu’il a écrit en 2005 mais également sur sa carrière de cinéaste.
* Thirga au bout du monde
Awal it-ifarrun d awal
Awal ma wezzil yefra,
Ma γezzif a d-yarew kra
Awal n tiγilt,
Yettawi-t wadu
SOMMAIRE
Ed° L’Harmattan
EDITORIAL
Toute culture est par essence riche
de sa diversité, elle est totalement
pluriculturelle et se bâtit grâce au
contact entre différentes communautés de vie qui apportent leurs
manières de penser, de sentir et d’agir.
Il n’existe pas de culture meilleure
ou plus mauvaise que d’autres.
Aussi, si nous acceptons qu’il n’y
ait pas de classement entre elles,
nous reconnaissons que toutes les
cultures sont dignes et méritent le
respect des autres, toutes étant au
même niveau.
En vous souhaitant à tous un Yennayer 2956 très heureux, en émettant les vœux que l’interculturalité
devienne un élément du substrat
fondateur de la paix, de la tolérance
et du respect.
Toufik Khiar
Editorial
p. 1
Rencontre avec
Ali Mouzaoui
p. 2-3
Thirga lu par
p3
Infos
p. 4
Poèmes
p. 4
Président de l’ACBB
L’ACBB a participé à la manifestation Convergence culturelle (du 19 au 22 octobre) co-organisée par
l’U.A.I.R et la Ville de Rennes avec le soutien du F.A.S.I.L.D. C’est un rendez vous annuel, festif et de partage.
Notre stand a permis à beaucoup de visiteurs de découvrir notre culture.
Aussi nous avons eu la bonne surprise de rencontrer deux lycéennes qui préparaient un TPE (Travaux Personnels Encadrés) sur la Kabylie.
Convergence se déroulera courant novembre 2006. Nous serons bientôt fixés sur les dates et nous avons
dés à présent proposé une conférence sur le thème de l’inter culturalité
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Amenzu 19– page 1
Rencontre avec Ali Mouzaoui
Rencontre avec Ali Mouzaoui
Amenzu : - Qui est Ali Muzawi ?
nes deviennent les miennes.
A. M : Je me définis authentiquement Kabyle et profondément Algérien. Je tiens à cette
kabylité qui a fait mon enfance,
donc qui m’a façonné. J’ai vécu
mes premières quinze années en
Kabylie que j’ai bue de tous mes
yeux. C’est la période où se forge
la sensibilité des hommes. Le reste
du temps, se forme notre vision de
la vie. La seconde période nous
permet de nous regarder, de nous
voir, inséré dans le cadre de la première, comme à travers un prisme
de maturité.
L’algérianité à laquelle je ne renonce pas s’assimile à des
blessures puisque, manipulée par des apprentis sorciers,
elle m’a longtemps dénié, culturellement, ma kabylité.
C’est toute une identité que nous passons notre temps à
reconstituer tandis que d’autres tentent de la gommer.
Amenzu : Thirga au bout du monde augure-t-il
une "reconversion" dans l'écriture ? ou
est-ce un cheminement logique, ce passage
d'une écriture scénique à une écriture plus
romanesque ?
Amenzu : - Comment est venue ta passion pour le cinéma, donc pour la formation et le métier dans ce domaine ?
A. M : A l’indépendance, je me suis retrouvé dans un
orphelinat où le deuil dominait les atmosphères. Chaque
week-end, un film était projeté pour les marmots que
nous étions. Dès que le faisceau du projecteur trouait
l’obscurité de la salle, nous étions littéralement emporté
vers un monde où rêver était permis. Nous oublions les
tourments d’une guerre qui meublaient jusqu’à notre
sommeil. J’attendais, à l’image de mes camarades, le samedi. Le spectacle, parce qu’il s’agissait surtout de spectacle, avait un côté apaisant, à la limite, lénifiant. À cette
époque, je pensais que faire des films étais une façon de
rendre moins triste la vie des hommes. Cela a suffit à
orienter mon destin professionnel.
Amenzu : Peux-tu nous dire quelques
mots sur ce qui t'a inspiré pour écrire
Thirga et nous en dire un peu sur cette
histoire, nous accompagner vers ce bout
du monde ?
A. M : Au-delà de l’inspiration, il y a
d’abord la nécessité. Je pense que j’ai
écrit ‘’Thirga au bout du monde’’ par
devoir. Il est des moments où l’on se sent
interpellé, chargé de la mission de dire
des faits ou des vérités. Pourtant, je vous assure de toute
mon âme que c’est un acte douloureux. Souvent, je ne
trouve pas la force de parler publiquement de ce que j’ai
écrit, tellement ma gorge se noue et les larmes devancent
les mots. L’écriture, telle que je la conçois, est loin d’être
un bonheur. Car les personnages qui, pour la plupart, sont
de mon invention, ne se détachent pas de moi. Leurs pei_________________
Amenzu 19– page 2
A. M : À ce jour, j’ai tout le temps écrit les
textes qui ont fait mes films. Dans le fond,
c’est une contrainte. J’aurais aimé trouver
des sujets tout ficelés et en assurer la mise en
scène. Malheureusement, l’absence de scénaristes m’a imposé une autre façon de gérer
la situation. Alors pour ce faire, je me suis
imposé, sans gaîté de cœur, le métier de scénariste. L’écriture du scénario, que l’on s’entende, est une écriture
technique qui a ses normes. Nous écrivons d’abord pour
l’œil. L’image est notre souci. Il faut toute la précision
dans la description de l’action. C’est une écriture du détail. À cela s’ajoute les tracas du raccord, du rythme….
Le roman se conçoit autrement. Enfin, du moins en ce qui
me concerne. L’imaginaire, au sens facteur de création,
prend toute l’importance. A priori, nous nous sentons
libres dans notre entreprise qui n’associe personne d’autre que le lecteur et ce, en fin de parcours. Contrairement
au scénario que nous destinons à une équipe.
Amenzu ? - Quel regard portes-tu sur le cinéma algérien dans son ensemble et dans quel état se trouve-t-il ?
A.M : Le cinéma algérien est en phase d’agonie. Financièrement, il a eu une période faste. Après l’indépendance
on a ouvert les caisses pour un cinéma qui avait pour mission de légitimer une orientation politique propre à un
clan. Tout ce qui s’écartait de certaines valeurs dites
‘’constantes’’ était susceptible de porter atteinte à l’état.
Les plus grands artistes algériens marginalisés avaient
créé leur carré de martyrs avant de mourir. À l’écart des applaudissements, ils se
sont étiolés.
Les cinéastes n’ont pas échappé au tri.
Zinet est un cas criard. N’étant pas docile,
les décideurs l’ont éjecté du cirque. Il
n’empêche, que ses bourreaux ont été les
premiers à verser une larme feinte à ses
obsèques.
Aujourd’hui, la réalité est tout autre. La
culture a droit à la monnaie qui reste sur
le comptoir. Le budget du ministère des
affaires religieuses est cinq fois plus important que le
budget destiné à la culture occasionnelle. Je crois que
c’est clair.
La dernière chance m’apparaît dans les nouvelles technologies qui tendent à faciliter l’accès à l’image. Le numérique est une chance inespérée. Dans moins d’une dizaine
d’année, nous pourrons faire des films en nous passant du
Rencontre avec Ali Mouzaoui
(suite)
chantage alimentaire que nous imposent des décideurs
plus préoccupés à détourner des fonds que de s’encombrer de la culture ou des arts.
Amenzu : - Quels sont tes projets ?
A. M : Trois projets de films dont les scénarios ont dûment été agréés, et ce à l’unanimité, par une Commission
Nationale de Lecture, donc censés bénéficier du financement du ministère de la culture. Il s’agit de ‘’Comme un
petit nuage sur la route’’ consacré à la vie et l’œuvre du
poète kabyle Si Mohand Ou M’hand, de ‘’Mimezrane, la
fille aux tresses’’ – légende kabyle qui embrasse l’Algérie du désert au Djurdjura, et enfin, un projet sur
‘’Fadhma N’Soumer’’ que mon pays a préféré céder aux
Syriens - comme l’on cède une femme de plaisir - qui en
ont fait un navet insultant.
En attendant, j’ai la conviction qu’en haut lieu, il est décidé une désacralisation de toutes les valeurs kabyles. Il
faut dire que c’est une région qui continue de s’opposer
aux turpitudes d’un régime à bout de souffle. L’Algérie,
malgré l’appellation d’El Djazaïr, est loin d’être une île à
l’écart du monde. Nous finirons par rejoindre le cours du
temps. La mondialisation, ça n’a pas que des travers....
Thirga au bout du monde
Ce qu’ils en pensent :
Entre rêves et cauchemars
C'est vraiment au bout du monde, qu'Ali Mouzaoui nous
fait voyager, nous fait «buter contre les parois rocheuses
du Djurdjura» dans une fiction qui nous plonge dans la
vie du village de Thirga, «nid d'aigle lancé à l'assaut du
ciel», où il faut épierrer pour survivre à la dureté des
temps, au yatagan des Ottomans et aux canons du général Randon, pour accomplir ses rêves.
Mais cela ne suffit pas. Alors devoir quitter le village est
un déchirement «une meurtrissure de l' âme» Mais, après
l'errance étouffante vers La Mecque ou le M'zab ou après
l'exil glacé parisien, on finit par revenir vers le Djurdjura
aux quatre saisons.
Ces paysans farouches «aussi noueux qu'un vieux tronc
d'olivier» car dit-il «les hommes finissent par ressembler
à la terre qui les nourrit» imposent à leurs femmes la
violence qu'ils subissent eux-mêmes, toutes sortes de
violence. Il n'y a pas de place pour les gestes de tendresse, pour les mots d'amour dans cette société rude,
rustre et fermée. Les visages de femmes, Ali nous les
dessine avec chaleur et tendresse: elles sont celles par
qui l'espoir arrive: espoir de dignité, de liberté, espoir
d'amour, espoir de vie.
Dans cette fiction enracinée dans son enfance, une enfance que l'on devine à la fois insoucieuse et douloureuse, Ali Mouzaoui, parfois avec humour, parfois avec
une insoutenable violence, toujours avec émotion nous
fait aimer ce peuple «fragile et coriace», «libre dans son
dénuement», viscéralement attaché à sa montagne. Alors
nous nous laissons prendre par la poésie des lieux et des
êtres, poésie qui oscille entre la beauté des légendes et
les cauchemars du réel et nous rêvons avec ceux de Thirga de faire éclater le printemps.
Nicole Logeais
novembre 2005
Amenzu : - Un mot pour les lecteurs d'Amenzu, pour
la Kabylie et pour la Bretagne ? Kenavo
A.M : Je ne saurai exprimer toute ma reconnaissance à
tous ces amis qui ont empli de leur présence amicale la
salle où eut lieu notre brève rencontre, un soir de novembre. A eux tous, je transmets, à travers les pages d’Amenzu, mes amitiés entières et indéfectibles. A tous ceux
qui font Amenzu, à ceux qui le lisent et donc l’entretiennent, je souhaite longue vie.
Interview réalisé par K.Drider
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Amenzu 19– page 3
ASSEGWAS AMEGGAZ
BONNE ANNEE
BLOAVEZH MAT
Infos
Infos
•Fellag est passé au Théâtre de Saint-Malo le 16
décembre dernier. Il a présenté son nouveau spectacle « Le dernier chameau » qui est d’ailleurs sorti
en DVD.
•Idir a sorti un DVD « Entre scènes et terres »
avec des chansons et des fragments de sa vie et de
son parcours entre son village Ath Lahcène, Alger
et Paris où il vit depuis une trentaine d’années. A
voir et à réécouter !
• Idir à Chartres de Bretagne, c’est le samedi 4
mars au Pôle Sud.
• Article sur Matoub Lounès dans le journal New
York Times paru le 19 novembre dernier, vendu en
supplément avec le journal Le Monde de ce jour-là.
• à noter !
TRAVELLING ALGER du 4 au 14 mars 2006
SELECTION BEAUX LIVRES :
• Le très beau livre de Yann Arthus-Bertrand :
ALGERIE aux Editions de la Martinière
(L’Algérie vue du ciel, de l’inédit pur !)
• La réédition en novembre du livre de Tahar Djaout et
Infos
• Un autre beau livre : ALGERIE , Terre de Contras-
tes et de passions de Yacine Ketfi, au NATIONAL
GEOGRAPHIC
RAPPEL:
• Le DICTIONNAIRE DE LA CULTURE BERBERE EN
KABYLIE de Camille Lacoste Dujardin
aux Editions La Découverte (avril 2005)
• Nina Bouraoui, :
Ecrivaine de père algérien et de mère bretonne
(Rennes), prix Renaudot 2005, l'un des grands prix
littéraires en France, pour son roman Mes mauvaises
pensées, paru chez Stock ; je vous conseille vivement
de la lire, son écriture est violente, singulière, l’Algérie
est dans chaque livre…. :
« La beauté se pose sur la peur comme un voile ; je
pleure de beauté en Algérie, vous savez, je pleure au
sommet de l’Assekrem, je pleure dans la forêt d’eucalyptus, je pleure sous la cascade de glycines, il y a une
révolution de la beauté, la beauté algérienne a formé
ce que je suis... J’ai rapporté l’Algérie en France, j’ai
rapporté sa douceur et sa violence, et je suis devenue
sa douceur et sa violence... »
Nadia Ould Slimane
Ali Marok : LA KABYLIE
Bats-toi ma sœur
Retour au pays
Dis-moi, c’est quoi cette rumeur
Parvenue à mes oreilles ?
On te dit polluée, ma sœur,
Par des milliers de bouteilles !
Serais-tu tombée en disgrâce
Au pays des Imazighen ?
Et vont-ils te voiler la face
Jusqu’à te priver d’oxygène ?
C’est quoi cette manière de salir
Ce qui est naturellement beau ?
Ont-ils pris conscience de bâtir
Ta dernière demeure, ton tombeau ?
Vas-tu te laisser enterrer
Sans te défendre, sans réagir ?
Ou ne vas-tu pas déterrer
La hache de guerre et la brandir
Pour que s’arrête cette mise à mort
Qu’ils attribuent au mauvais sort ?
Car moi je ne veux qu’une chose :
Que tout se métamorphose
Pour que je te retrouve belle
De ta parure naturelle.
Alors je pourrai vivre en paix
Sûr de ton éclat à jamais.
Ernest Jouzel
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Amenzu 19– page 4
Quand il retourne au pays de sa chère enfance
Et qu’il foule à nouveau le sol de sa naissance,
Tout en lui se renouvelle, se métamorphose ;
Le passé se redessine et se recompose.
Tel un papillon qui naît de sa chrysalide
En déployant ses ailes trop longtemps retenues,
Il volette de visage en visage et déride
Les joues mouillées de larmes des personnes reconnues.
Rien n’a changé dans cet univers familier :
Le Djurdjura veille sur les vivants et les morts,
La grand-mère prépare le couscous près du foyer
Et la sorcière continue de jeter ses sorts.
Comme il est agréable de revoir les siens,
De renouer le contact ou resserrer les liens !
Emigré il est, mais kabyle il restera
Jusqu’à son dernier souffle, au pied du Djurdjura.
E. J
A C B B
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MJC La Paillette
Rue Pré de Bris 35 000 RENNES
Tél. : 02 99 59 88 88
Fax. : 02 99 59 88 89
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http://www.acb-bretagne.org
Responsable du Bulletin
Khaled DRIDER
Ont collaboré à ce numéro :
T. Ait-Abdelmalek, H. Ait Seddik,
M. Ammi, K. Drider, E. Jouzel, B.
Kaci Chaouch, C. Kadi, T. Khiar, N.
Logeais, A. Nessah, N. Ould-Slimane