Les troubles de comportement externalisés

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Les troubles de comportement externalisés
Dossier
Les troubles de comportement externalisés :
de l’étiologie à l’intervention différentielle
Isabelle PLANTE
Jean BÉLANGER
UQAM
C
omment intervenir lorsqu’un élève refuse
d’effectuer le travail demandé, dérange fréquemment le fonctionnement d’un groupe
classe, insulte un coéquipier ou frappe un
autre élève? Dans le langage courant, l’expression
« trouble de comportement » est souvent employée pour
faire référence à ces comportements, dits externalisés.
Ces troubles, qui se caractérisent par de l’agitation, de
l’impulsivité, un manque d’obéissance ou de respect des
limites et une certaine agressivité (Roskam, Kinoo et
Nassogne, 2007), représentent un défi constant pour de
nombreux enseignants. Selon le DSM-IV-TR (American
Psychiatric Association [APA], 2000), les troubles du
comportement externalisés regroupent trois principaux
syndromes : le trouble déficitaire de l’attention avec
hyperactivité (TDAH), le trouble des conduites (TC) et
le trouble oppositionnel avec provocation (TOP). Ajoutons également l’indiscipline qui, bien que ne faisant pas
partie des pathologies établies par le DSM-IV-TR, est la
source de nombreux comportements perturbateurs en
classe. Malheureusement, dans le quotidien de l’école,
ces syndromes sont trop souvent confondus, produisant
conséquemment des interventions inappropriées. Après
avoir brièvement cerné l’indiscipline, les manifestations
et l’étiologie des différents troubles du comportement
seront décrites. Pour chacun des troubles abordés, sans
prétendre qu’elles soient exhaustives, des pistes d’intervention susceptibles d’outiller les enseignants en vue
d’une intervention différentielle seront proposées. Ces
éléments sont synthétisés à la figure 1.
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Comorbidité
Comorbidité
TYPE DE
TROUBLE
Indiscipline
TDAH
Contextuelle ou
environnementale
Déficit d’autocontrôle et
des fonctions exécutives
Système de
Transmission ouverte de
gestion de
l’information
classe efficace
Récompenses
immédiates et externes
Conséquences
réparatrices
Figure 1. L’intervention fondée sur l’étiologie des troubles de
comportement externalisés
L’indiscipline
Contrairement à un trouble de comportement, l’indiscipline n’apparaît que dans certains contextes et
peut se résorber à l’aide d’un système de gestion de
classe employé avec des élèves à développement typique
(Evertson et Weinstein, 2006). La base d’une gestion
de classe efficace prend appui sur un système de règles
de classe et de conséquences logiques établi en début
d’année. Pour être efficaces, les règles de classe doivent
être peu nombreuses et formulées de façon à englober
un ensemble de comportements spécifiques. Dans le cas
du manquement aux règles, plusieurs interventions peuvent être employées, en fonction de la gravité du geste
commis. Les techniques de Redl et Wineman (1964)
proposent une banque d’interventions pertinentes pour
pallier l’indiscipline et incluent notamment le fait d’ignorer intentionnellement les comportements fautifs et le
renforcement des comportements attendus, la proximité
et le contrôle par le toucher, et l’atténuation de la tension
par l’humour. Les conséquences dites logiques, donc en
lien avec le comportement mésadapté et visant à enseigner les comportements attendus, permettent également
de sanctionner les comportements inadéquats, sans être
associées aux effets négatifs de la punition traditionnelle,
telle la copie ou la retenue. Lorsque les comportements
inadaptés sont récurrents, le recours à un système
d’émulation, qui renforce les comportements attendus à
l’aide de récompenses matérielles ou de privilèges, peut
s’avérer efficace. Bien qu’une bonne gestion de classe ne
permette pas d’enrayer les comportements perturbateurs
TOP
Déficit
d’autorégulation
Psychosociale
Stratégies d’autocontrôle
PISTES
D’INTERVENTION
Précurseur
fréquent
TC
Organique
ÉTIOLOGIE
Comorbidité
Dérèglement
émotionnel
Conséquences qui Renforcements plutôt
que conséquences
responsabilisent
Retrait
Enseignement des
habiletés pro-sociales
issus des troubles de comportement en soi, il s’agit néanmoins d’une base essentielle, à laquelle devront s’ajouter
des interventions plus spécifiques, adaptées aux troubles
du comportement abordés ci-dessous.
Le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH)
Touchant entre 3 % et 10 % des élèves nord-américains,
dont trois fois plus de garçons que de filles, le TDAH est
le plus diagnostiqué de tous les troubles durant l’enfance
(Lussier et Flessas, 2009). Trois catégories de symptômes
entourent le TDAH : l’inattention, l’hyperactivité et l’impulsivité (APA, 2000). L’inattention peut se manifester
par une incapacité à maintenir une attention soutenue
pour réaliser une tâche assignée ou par une distraction
accrue par des stimuli externes. L’hyperactivité se traduit
par des comportements tels que remuer souvent les
mains ou les pieds, se tortiller sur sa chaise ou se lever
souvent en classe. Finalement, l’impulsivité se caractérise notamment par le fait d’avoir du mal à attendre
son tour de parole ou par une incapacité à inhiber des
réponses verbales.
En plus des traitements pharmacologiques qui ont
démontré leur efficacité pour réduire les symptômes
du TDAH (Faraone, Biederman, Spencer et Aleardi,
2006), l’étiologie de ce trouble permet de cibler des
pistes d’intervention adaptées au contexte scolaire.
En effet, les recherches des dernières décennies sur le
TDAH suggèrent que ce trouble émane d’un manque
d’autocontrôle (Barkley, 2011). L’enseignement de
stratégies d’apprentissage et d’autocontrôle émotionnel
est donc une avenue à privilégier avec les élèves présentant un TDAH. Le manque d’autocontrôle associé au
TDAH affecte à son tour quatre fonctions exécutives :
la mémoire de travail, l’autorégulation de l’affect, de
la motivation et de la vigilance, le langage internalisé
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et la reconstitution (Barkley, 2011). Les conséquences
qui découlent de ces déficits permettent également de
formuler certaines pistes d’intervention destinées aux
praticiens en éducation.
D’abord, le TDAH altère les processus de régulation interne qui permettent d’organiser des séquences d’action
pour atteindre un but, tels le maintien de l’information
à l’esprit ou l’anticipation. Concrètement, cette lacune
peut rendre ardue pour un élève TDAH la mémorisation
des documents à prévoir en vue d’une leçon ou encore
la mémorisation du but ou des étapes d’un projet. Une
intervention susceptible de faciliter ce processus consiste
à rendre cette information ouverte, par exemple en
affichant des listes de rappel du matériel nécessaire ou
des étapes d’une tâche ou d’une journée. La gestion
du temps est également un élément complexe pour les
enfants et adolescents atteints du TDAH, qui éprouvent
une aversion pour les délais et vivent dans le moment
présent, à l’affût des récompenses immédiates. Parallèlement, puisque le TDAH réduit la motivation interne
nécessaire à la mise en œuvre de comportements dirigés
vers l’atteinte d’un but, les individus atteints de ce trouble
trouveront leur motivation dans des sources externes.
Par conséquent, en plus des renforcements verbaux
donnés par l’enseignant, qui sont souvent insuffisants,
un système d’émulation individualisé peut s’avérer efficace pour récompenser des comportements qui, sans
quoi, n’ont pas de conséquences immédiates pour l’élève
(DuPaul, Helwig et Stay, 2011). À l’aide d’un tel système,
les comportements ciblés peuvent être renforcés par
des points ou des jetons qui pourront éventuellement
être échangés contre des renforçateurs ou des privilèges
choisis par l’élève concerné (p. ex., le droit de réaliser
une activité de son choix durant une période).
Le trouble des conduites (TC)
Le TC se traduit par un ensemble de conduites répétitives et déviantes qui bafouent les droits fondamentaux
d’autrui ou qui violent les normes sociales adaptées à
l’âge de l’individu (APA, 2000). Ce trouble, qui touche
entre 2 % et 13 % des individus, dont deux fois plus
de garçons que de filles, entraîne des comportements
d’agression envers des personnes ou des animaux, la
destruction de biens matériels, des actes de fraude ou de
vol, ou de graves violations des règles établies. Bien que
le TC disparaisse généralement à l’âge adulte (Lussier et
Flessas, 2009), ce trouble est néanmoins l’un des précur14
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seurs de la personnalité antisociale chez l’adulte (Loeber,
Burke et Pardini, 2009). Les écrits sur le sujet soutiennent
l’hypothèse d’une double étiologie du TC (Lussier et
Plessas, 2009). Pour un premier type de TC, l’étiologie
serait psychosociale alors que pour un deuxième type,
elle serait plutôt organique (c.-à-d., issue d’une lésion
ou d’une immaturité des lobes frontaux). La principale
différence entre ces deux catégories de TC concerne
l’intentionnalité des gestes commis. Ainsi, chez les TC
à caractère psychosocial, l’hostilité, la provocation ou la
violation des règles sont volontaires. À l’inverse, le TC
organique commet des délits impulsifs sous l’effet d’une
colère incontrôlable et pourrait être issu, comme dans
le cas du TDAH, de lacunes des fonctions exécutives.
Par conséquent, seul l’enfant ou l’adolescent ayant un
TC organique ressent un sincère regret pour les fautes
commises et souffre des difficultés qu’il éprouve dans ses
relations interpersonnelles (Lussier et Plessas, 2009).
Bien que les comportements déviants associés au TC
soient similaires peu importe l’étiologie du trouble, cette
dissociation est importante pour l’intervention en milieu
scolaire. Compte tenu de la gravité des comportements
déviants des élèves ayant un TC, des conséquences
claires devront leur être exposées et appliquées systématiquement. Cependant, si des conséquences favorisant
la responsabilisation, telles que le retrait du lieu où les
actes répréhensibles ont été commis, conviennent au
TC psychosocial, des conséquences visant à réparer les
fautes commises sont mieux adaptées au TC organique
(Lussier et Flessas, 2009). Plusieurs approches cognitivocomportementales ont également démontré leur efficacité pour diminuer les comportements déviants associés
au TC. Parmi ces approches, les interventions visant
la gestion de la colère ou le développement de l’autocontrôle émotionnel sont pertinentes pour le milieu
scolaire. De telles interventions consistent notamment
à amener les élèves à trouver des réactions alternatives
à la suite de frustrations, à anticiper les conséquences
de leurs gestes et à développer de l’empathie afin de
comprendre le point de vue des autres lors de conflits
(Loeber et al., 2009).
Le trouble oppositionnel avec
provocation (TOP)
Défini comme un ensemble de comportements négatifs,
hostiles et provocateurs, le TOP affecte entre 2 % et
12 % des garçons et des filles (Loeber et al., 2009). Le
En contexte scolaire, la plupart des interventions efficaces avec les élèves TC le seront également avec des
élèves manifestant un TOP. Notamment, l’enseignement
explicite des stratégies d’autocontrôle émotionnel ou
de gestion des comportements colériques peut s’avérer
bénéfique. De plus, puisque les récompenses sont particulièrement attrayantes aux yeux des élèves atteints
d’un TOP, le renforcement des bons comportements,
plutôt que l’application de conséquences à la suite d’un
comportement fautif, est une approche à privilégier
avec eux. Un autre type d’intervention efficace avec les
élèves manifestant de faibles compétences relationnelles est l’enseignement des habiletés prosociales (Cook,
Gresham, Kern, Barreras, Thornton et Crews, 2008).
Les composantes spécifiques de ce type d’intervention
varient considérablement et prennent diverses formes,
tels des systèmes de renforcement des comportements
adaptés, du modelage ou l’enseignement de procédures
pour pallier des difficultés sociales. En dépit de leur hétérogénéité, la plupart des programmes d’enseignement
d’habiletés prosociales mettent l’accent sur l’acquisition,
la mise en œuvre et le maintien de comportements
prosociaux et sur la réduction ou l’élimination des comportements problématiques incompatibles.
Conclusion Ce bref survol des différents syndromes qui émanent
des troubles du comportement externalisés révèle qu’en
dépit de symptômes souvent similaires, la source des
comportements perturbateurs en classe varie considérablement. En contexte scolaire, l’intervention auprès
des élèves manifestant les troubles du comportement
abordés est d’autant plus complexe que ces différents
troubles affichent une forte comorbidité. Ainsi, rares
sont les élèves qui n’ont qu’un seul diagnostic. Néan-
moins, une meilleure compréhension de ces syndromes
est susceptible de guider l’intervention pédagogique vers
une perspective différentielle, mieux adaptée aux différents troubles de comportement. De plus, ceci montre
à quel point la recherche sur l’intervention différentielle
auprès de ces jeunes est capitale.
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TOP, qui peut se manifester par des colères fréquentes,
la contestation de l’autorité et une tendance à être irrité
par les autres, est couramment décrit comme une forme
modérée du TC, qui en précède souvent l’apparition
(APA, 2000). Il est issu de faibles capacités d’autorégulation, produisant un dérèglement émotionnel. De plus,
les élèves atteints d’un TOP accordent une importance
accrue aux récompenses tout en minimisant les signes de
punition, ce qui altère leurs prises de décision (Luman,
Sergeant, Knol et Oosterlaan, 2010). Ce trouble entraîne
donc de nombreuses difficultés sociales tant avec les
pairs qu’avec les parents et les enseignants.
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