Annales de l`Université Omar Bongo n° 14 DE VILLES - Pug

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Annales de l`Université Omar Bongo n° 14 DE VILLES - Pug
Annales de l’Université Omar Bongo n° 14
DE VILLES-CHAMPIGNONS À VILLES FANTÔMES :
la trajectoire de Gamba et Mounana (Gabon)
Jean Pamphile KOUMBA
départ. de géographie,
Centre de recherche CERGEP,
Université Omar Bongo,
Chercheur associé au RESO, UMR 6590 CNRS,
Université Rennes 2
[email protected]
Résumé :
Mounana et Gamba ont été des villes-champignons nées respectivement de l’extraction de
l’uranium et du pétrole au début des années 1960. Après quatre décennies d’activités extractives,
leur existence est remise en cause par le déclin de leur activité motrice amorcée à la fin des années
1990. Le devenir de ces villes est alors posé en termes de reconversion économique, tant elles sont
demeurées dépendantes de l’extraction par leur structure économique dominée par une monoindustrie extractive que par la prégnance de celle-ci sur le tissu urbain, engageant ainsi leur
pronostic vital. C’est cette épineuse question qui est développée dans les lignes suivantes.
Mots-clés : Mounana, Gamba, croissance urbaine, déclin minier, reconversion économique,
syndrome de Gillette, ville-champignon, crise urbaine.
Summary:
Mounana and Gamba have been boomtowns burnt respectively by uranium and oil extraction in
the earlier 60s. After four decades of mining activities, their existence is threatened by the decline of
the extraction in the end of the 90s. The future of two towns depends on the economic
restructuring as well they stayed depending of mining extraction by their economic structure
dominated by extractive industry. This is the main topic of the following lines.
Key words: Mounana, Gamba, urban growth, mining decline, economic restructuring, Gillette
symdrome, boomtown, urban crise.
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La fin des années 1990 a été marquée par deux crises majeures ayant affecté les
villes de Gamba (6 300 hab.1) et de Mounana (6 372 hab.) comme résonance
respectivement du déclin de l’extraction pétrolière et uranifère. La Compagnie des Mines
d’Uranium de Franceville (COMUF) a mis un terme officiellement à son activité
industrielle à Mounana en 1999 consécutivement à l’épuisement des réserves
économiquement exploitables. Pour sa part, le déclin durable dès 1998 du gisement
pétrolier Rabi-Kounga a contraint son exploitant Shell Gabon à se lancer dans une stratégie
de réduction de ses coûts de production par la délocalisation de son siège social et le
transfert d’une cinquantaine de ses actifs à Gamba en 1998. Mais la poursuite du déclin de
Rabi lui impose de systématiser les suppressions d’emplois qui chutent de 1000 actifs en
1997 à 311 actifs en 2004. Le développement des deux crises urbaines présente un
isomorphisme quant aux défis auxquels sont confrontées les deux villes : défi de la
dépollution des sites industriels, de la requalification des infrastructures héritées et de la
reconversion économique. Ces défis, auxquels ne sont pas confrontées Port-Gentil
(pétrole) et Moanda (manganèse), les excluent de notre étude essentiellement axée sur les
difficultés de reconversion économique.
En effet, Port Gentil monopolise l’ensemble des sociétés pétrolières et des 5000
emplois du secteur. Pour sa part, Moanda a des réserves économiques estimées à 200
millions de tonnes de manganèse, soit un siècle d’exploitation. Cette étude n’abordera pas,
non plus, l’épineuse question de la pollution déjà objet d’un autre projet d’article2. Par
contre, elle se propose de lire la trajectoire de nos deux petites villes-champignons en
mobilisant le modèle de la base exportatrice d’Homer Hoyt3 dans un but prédictif. En effet,
le modèle hoytien paraît robuste pour expliciter l’évolution des deux centres urbains, à la
structure économique élémentaire organisée et dominée par une activité mono-extractive.
Pour ce faire, on montrera d’abord que les deux agglomérations sont des villeschampignons atteintes du « syndrome de Gillette », avant d’être confrontées aux limites
d’une croissance impulsée par l’industrie extractive faisant planer la menace de voir
Mounana et Gamba devenir des villes fantômes faute d’une reconversion réussie.
I- MOUNANA
ET GAMBA, DEUX ANCIENNES PETITES VILLES-CHAMPIGNONS
ATTEINTES DU « SYNDROME DE GILLETTE »
Elles ont été sujettes au « syndrome de Gillette », observé pour la première fois
dans la ville américaine de Gillette (Wyoming), qui a connu une croissance rapide sous
l’effet de booms miniers successifs faisant exploser sa population, qui est passée de 7 600
hab. en 1966 à 13 000 hab. en 1970, puis à 34 400 en 1983. Parallèlement, la ville a été en
proie à une surcriminalité de 32 % supérieure à la moyenne de l’Etat de Wyoming. C’est cet
aspect qui a beaucoup retenu l’attention de psychologues comme Elean Kohrs4. Mais pour
Les données démographiques sont celles du recensement général de l’habitat et de la population (RGHP) de
1993, celles du RGHP de 2003 ont été sujettes à controverse, entre le Gouvernement, le Ministère de la
Planification et la Cour constitutionnelle.
2 « La réhabilitation de la friche minière de Mounana », à paraître dans la revue Gabonica, n°3.
3
HOMER HOYT, « Homer Hoyt on development of economic base concept », in Land Economics, vol. 30, 1954,
pp.182-186.
1
4ELDEAN
KOHRS, « Social consequences of
http://fr.wikipedia.org/wiki/syndrome de Gillette.
boom
growth
in
ISSN : 2-912 603-18-8 - ISBN : 978-2-912603-21-0 - EAN : 9782912603210
Mise en ligne le 27 octobre 2009.
Wyoming »,
1974,
in
2
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les économistes comme Isserman et Merrifield1, le syndrome fait référence à un
phénomène urbain marqué par une forte expansion urbaine sous la domination de
l’industrie extractive. Il définit les villes-champignons nées de l’extraction d’une ressource
naturelle. C’est dans cette acception qu’il est usité ici puisque la croissance des deux
agglomérations gabonaises est la conséquence directe du développement de l’industrie
extractive. En effet, l’extraction s’est implantée et développée en des localités vides
d’hommes : les villages de Gamba et de Mounana ne comptaient que quelques dizaines
d’habitants avant l’ère minière (1950-1960). Les effets du « syndrome de Gillette » se sont
manifestés pleinement au cours de la décennie 1970-80 sous l’impulsion des chocs
pétroliers de 1973 et 1977. Le développement des gisements Gamba (1963) et Ivinga (1967)
a dopé la production de Shell Gabon qui est passée de 39 000 b/j en 1967 à 52 000 b/j en
moyenne au cours de la période 1968-1974, contribuant pour moitié à la production
nationale. L’emballement de la production a accéléré l’urbanisation et l’immigration de
nouvelles populations. Gamba comptait désormais près de 10 000 hab. au début des années
1980.
A Mounana, l’urbanisation s’est faite sous l’égide de la COMUF dès 1961 avec
l’édification des équipements industriels et des premiers logements miniers. Elle a connu
une accélération avec la mise en valeur de nouveaux gisements (Mikoulongou en 1965,
Boyindzi en 1967 et Okelobondo en 1974) et une conjoncture favorable due aux effets
d’entraînement des chocs pétroliers sur le marché de l’uranium avec le développement de
l’électronucléaire en France, absorbant 80 % des exportations de la COMUF. La
production d’uranium a doublé en passant de 500 t. d’Ur/an dans la période 1960-74 à
1000 t. d’Ur/an dans la décennie suivante (fig.1).
1
A. M. ISSERMAN, J. D. MERRIFIELD, « Quasi-experimental methods for analyzing regional economic and
spatial change: an application to an energy boomtown », pp.264-287, in H. BERENTSEN WILLIAM, R. DANTA
DARRICK, ETA DAROCZI (dir.), Regional Development Process and Policies, 1989, 324 pages; [in Economic geography,
vol. 63, 3-19];
A. M. ISSERMAN, J. D. MERRIFIELD, « Quasi-experimental control group methods for regional analysis: an
application to an energy boomtown and growth theory», Economic geography, 1987, 63, 1: 3-19.
ISSN : 2-912 603-18-8 - ISBN : 978-2-912603-21-0 - EAN : 9782912603210
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3
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1200
12000
1000
10000
800
8000
600
6000
400
4000
200
2000
0
nbre d'habts
en tonnes d'Ur métal
Fig. 1: La relation entre extraction m inière et croissance
dém ographique à Mounana
Production d'uranium
Population urbaine
0
58 61 64 67 70 73 76 79
19 19 19 19 19 19 19 19
Années
Cette progression a eu un effet de levier sur l’urbanisation et la croissance
démographique à la suite de nouveaux migrants venus à la quête d’un emploi. Cette
urbanisation rapide a propulsé au statut de préfecture Mounana en 1977, et Gamba en
1993.
II- LES LIMITES DE LA CROISSANCE URBAINE
Mais la croissance urbaine a été limitée par des effets de seuil et par des effets
pervers inhérents à l’emprise spatio-économique des exploitants.
II-1. EFFETS DE SEUIL DE LA CROISSANCE URBAINE
La croissance s’est avérée bien fragile ; l’activité industrielle (basique) a fini par
induire des effets de seuil sur le développement urbain, particulièrement sur l’habitat et les
équipements collectifs dimensionnés à la taille des compagnies exploitantes. De sorte que
les deux villes-champignons présentent toujours des caractéristiques typiques des villes
minières avec un sous-équipement en services et des pôles urbains encore élémentaires
(fig.2a et 2b). De plus, cet effet de seuil a été renforcé par la faiblesse des réalisations des
pouvoirs publics, en dépit de la présence de « fils du terroir » au sein de différents
gouvernements.
Trois raisons principales paraissent éclairer cette situation. D’abord, le paternalisme
minier a induit un « syndrome minier » se manifestant par la forte dépendance des pouvoirs
publics à l’égard de la politique sociale des exploitants miniers. Ce syndrome s’est ensuite
combiné à la logique rentière de l’Etat, qui le détourne des centres déclinants et l’oriente
vers les zones prometteuses synonymes de nouvelles rentes. Enfin, le tout est exacerbé par
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des politiques publiques de développement marginalisant l’échelle départementale où se
situent nos agglomérations.
II-2. LES EFFETS PERVERS DE LA MONO-INDUSTRIE EXTRACTIVE SUR LA
DYNAMIQUE URBAINE
Aux effets de seuil se sont additionnés des effets pervers qui se sont révélés avec le
déclin qui a engendré une crise urbaine multiforme. Celle-ci a occasionné le départ des
sous-traitants industriels, faute de possibilités de se reconvertir sur place, et l’émigration
des ex-mineurs vers Moanda, plongeant le commerce local dans une profonde atonie (fig.
3). Ainsi, au cycle vertueux de la croissance, qui s’était traduit par une augmentation des
emplois salariés, s’est substitué, avec le déclin, un cercle vicieux qui les a détruits et a affecté
les activités économiques.
Fig.2a : Vue d’ensemble du centre commercial de Mounana (JPK, 2005)
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Fig.2b : Vue aérienne de la cité pétrolière de Gamba (Shell Gabon, 1995)
Gamba et Mounana présentent une structure urbaine encore trop faiblement différenciée, caractéristique des
villes minières typiques.
Fig.3: La ville de Mounana
La simplicité de la trame urbaine illustre les difficultés structurelles de la reconversion économique de l’ex-cité de
l’uranium, dont pourtant l’important domaine immobilier constitue un des atouts.
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II- DE VILLES-CHAMPIGNONS A VILLES FANTOMES
Le déclin a engendré des effets vicieux qui menacent directement l’existence des
deux agglomérations. D’autant plus qu’il a supprimé les deux termes de l’équation de la
croissance urbaine formulée par Hoyt, à savoir le secteur basique d’exportation et les
services. La fonction de multiplicateur d’emplois urbains du secteur extractif n’a pas
uniquement agi dans le cycle vertueux puisque le déclin a eu, cette fois-ci, un effet
d’amplificateur dans l’érosion de l’emploi local dont l’impact démographique s’est traduit
par une dépopulation urbaine : c’est sans grande surprise que Mounana ne donnait plus que
4 000 hab. en 20001 contre 6500 en 1993 (RGPH, 1993), soit un recul de 38 %. Les flux de
dispersion ont surtout concerné les ex-mineurs et les commerçants. Pour les premiers ce
sont les politiques de reconversion qui sont en cause avec l’échec de la création de microentreprises initiée par la COMUF et le développement d’un phénomène de réinsertionémigration de la main-d’œuvre licenciée qui a essentiellement profité à Moanda (32 000
hab.) en raison des activités minières en plein essor de la Compagnie Minière de l’Ogooué
(COMILOG), avec la mise en service du Complexe Industriel de Moanda (CIM)
fournissant 500 emplois industriels en phase de lancement des activités en 2000. Quant aux
seconds, ils n’ont pour la plupart pu se maintenir avec le départ des mineurs qui
représentaient le gros de leur clientèle.
III- 1. DES FACTEURS NATURELS AGGRAVANTS DE LA CRISE URBAINE
Le déclin minier a également fait ressurgir des facteurs naturels aggravants,
notamment l’enclavement relatif des deux agglomérations. Mounana est située dans
l’arrière-pays minier du Haut-Ogooué à 550 km de Libreville, soit à une journée de train de
la capitale gabonaise. Mais, elle est seulement à 20 km de Moanda et à 75 km de
Franceville. Bien plus enclavée, Gamba n’est joignable par aucune route terrestre
carrossable. Il faut pour s’y rendre parcourir les 300 km qui la séparent de Port-Gentil en
quarante cinq minutes par avion et en un peu plus d’une heure pour faire la jonction avec
Libreville à 450 km à vol d’oiseau. La ville la plus proche, Tchibanga à 120 km au sud, n’est
atteignable qu’au bout d’une journée d’effort passée sur de « méchantes » pistes dont seuls
les véhicules tout-terrain viennent à bout. Gamba serait donc un isolat urbain si elle ne
disposait pas de trois plates-formes propriétés de Shell : un terminal pétrolier, un
aérodrome et un môle qui assurent ses échanges avec l’extérieur. Pour cette raison, la
question du désenclavement se pose avec une acuité qui supplante celle de sa reconversion,
persuadés que sont ses habitants que le départ du pétrolier pourrait signifier leur fermeture
faute d’activités économiques susceptibles de maintenir leur fonctionnement. D’où la
priorité accordée à l’ouverture d’une voie terrestre, praticable en toutes saisons, qui
permettrait de la raccorder à Tchibanga ou Mouila. Le facteur démographique pourrait
s’exprimer ici plus fortement que dans l’ex-ville de la COMUF si elle n’est pas désenclavée :
l’isolement et la déprise économique pourraient exacerber l’émigration dans des
proportions insoupçonnées. Car le départ de Shell Gabon ne pourra qu’engendrer ce
phénomène de réinsertion-émigration, déjà observé à Mounana et dans une moindre mesure à
Gamba, notamment avec les départs occasionnés par l’exécution des plans sociaux de 1998,
2001 et 2002 qui se sont faits au profit de Port-Gentil.
1
Le RGHP de 2003 a estimé la population de Mounana à 11 000 habitants. Cette évolution nous paraît
injustifiée en raison de la crise consécutive à la fermeture de la mine et de l’échec relatif des politiques anticrises. Nous croyons que la population a vraisemblablement stagné autour des 4000 habitants.
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III-2. DES LOGIQUES INSTITUTIONNELLES CONTRE-PRODUCTIVES
Les déterminants institutionnels ne sont pas en reste. Ils agissent d’abord à l’échelle
locale des collectivités dont la modicité des allocations budgétaires et la faiblesse de
l’assiette d’imposition des commerces locaux les rendent dépendantes des revenus miniers.
Pareillement, l’absence de compétences humaines au sein des collectivités entrave le
développement d’une vision stratégique prospective endogène. Ces facteurs jouent aussi au
niveau national par le vide juridique sur la reconversion des bassins d’extraction, par la
logique rentière étatique et par l’inadéquation des politiques publiques de développement
comme autant d’aspérités. En effet, si la législation gabonaise s’est armée sur les questions
environnementales, elle est bien dépourvue en matière de reconversion par sa non prise en
compte par le code de l’environnement et le code minier. En sus, cette question ne semble
pas être une préoccupation majeure de l’Etat déjà engagé dans une course à la
diversification de son économie par la prospection de nouveaux partenaires au
développement (Chine, Brésil) et de nouveaux gisements (fer de Bélinga, niobium de
Lambaréné, manganèse de Franceville, Ndjolé et de Léconi) susceptibles de prendre le
relais du pétrole. La reconversion de Mounana et de Gamba est, pour l’exprimer
trivialement, plutôt l’affaire des exploitants miniers que celle de l’Etat d’autant plus qu’elle
pose l’épineux problème de son financement, comme le prouve le décaissement en 2005 de
45,8 millions € par Shell pour le financement des activités-relais à Gamba et
le « saisissement » opportuniste de ce dossier par les services centraux de l’Etat. La
COMUF s’est résolue en 2006 à financer des activités agricoles pour une somme
équivalente de 300 millions de FCFA (45 millions d’€) sur des fonds d’aides européens.
III-3. DES LOGIQUES ECONOMIQUES INEFFICACES
Sur ces pesanteurs se greffent des contraintes inhérentes aux stratégies anti-crises
elles-mêmes qui apparaissent plus explicitement en confrontant, de nouveau, le modèle de
base aux logiques en œuvre. La stratégie prônée par Shell, fondée sur la création de microentreprises, a pour inconvénient de les lier à l’activité pétrolière déclinante par un autocouplage structurel de la demande (fig.4) ; les nouvelles entreprises viendraient élargir la
gamme des services urbains sans modifier fondamentalement la structure économique
urbaine qui demeurerait dominée par l’exploitation pétrolière. De plus, elle suppose
implicitement que la ville devienne son propre moteur de croissance par la consommation
de ses services, en contradiction avec le modèle hoytien qui prédit que la croissance est le
fruit des services rendus à l’extérieur. Or, la faible taille démographique de Gamba interdit
toute dynamique de croissance endogène que n’autoriseraient pas, non plus, les effets
multiformes d’une crise consécutive à la fin de l’extraction pétrolière.
L’approche tentée à Mounana, plus conforme au modèle, a néanmoins échoué à
cause d’une identification erronée des marchés et des activités-relais. Quatre moteurs
économiques, appelés à fonctionner en parallèle (fig.5), devaient assurer la continuité de la
croissance à partir de l’extraction des mines de grès, de l’exportation du caoutchouc naturel,
du sciage de bois
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Fig.4 : La logique des micro-projets à Gamba : une mauvaise solution à la reconversion
The micro projects in Gamba as bad solution to economic restructuring
Marché
international
du pétrole
Exportations Shell
(Revenus pétroliers)
Services urbains
(Consommation
des populations)
Micro-projets
(Offre de services)
Légende :
Revenus du secteur d’exportation (pétrole)
« Recyclages » des revenus pétroliers par le
biais de la consommation des services urbains
ururbains
Micro-projets élargissant l’offre de service
sans rompre la dépendance à l’activité pétrolière
Fig.5 : Mécanisme de l’échec de reconversion économique à Mounana
Reasons of failure of economic restructuring in Mounana
Marché international
du caoutchouc naturel
Marché national
du bois
Marché national
des BTP
Les marchés :
Hévéaculture
Industries
forestières
Emploi total
(Revenus)
Activités minières
(Carrières de grès)
Population
urbaine
Emplois de service
(Consommation)
Les activités-relais
Crise du marché
Début d’exécution, suivi de faillite
Marché dynamique
Demeuré au stade de projet
Effets d’entraînement
Absence de marché
Impacts très limités sur l’emploi, la
population et les services
Jean-Pamphile KOUMBA, UOB/CERGEP, 2009.
Les causes structurelles de l’échec des politiques de reconversion dans les deux agglomérations.
et de la production de matériaux de construction. Mais la non prise en compte de variables
économiques a eu raison de la plupart des projets.
Les effets de la récession de l’industrie pneumatique des années 1990 et la mauvaise
santé économique de la société gabonaise d’hévéa (HEVEGAB) ont eu raison de
l’hévéaculture à Mounana. De même, la prise en compte tardive du coût prohibitif des
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importations des intrants dans la production de matériaux de construction (fer à béton,
clous) par la Société de Sidérurgie du Gabon (SIDERGA) a ajourné la réalisation de ce
projet censé pourtant réutiliser l’usine COMUF. Dans la même veine, l’extraction des
mines de grès était conditionnée à la demande exprimée par la Société de chemin de fer et
celles des BTP dont la situation financière peu reluisante interdisait tout espoir
d’aboutissement. Quant aux activités de sciage de bois, elles se sont arrêtées en 2000 après
seulement trois années d’existence suite à la faillite de l’exploitant forestier Basso Timber
Industries Gabon (BTIG).
VI- DE L’EXISTENCE DE LEVIERS DE RECONVERSION
Ces exemples illustrent bien les effets de freinage imputables aux logiques économiques
mises en place, néanmoins, les deux agglomérations, quoique ne disposant pas des mêmes
atouts, ont un potentiel à développer.
VI-1. LES RESSOURCES ECONOMIQUES DE GAMBA
L’émergence d’une conjoncture internationale plus favorable depuis 2004, point de
départ d’un nouveau cycle haussier marqué par des envolées successives du prix du baril, a
eu pour conséquence d’enrayer l’érosion des revenus pétroliers et de rentabiliser les
gisements vieillissants de Rabi-Kounga et de Gamba-Ivinga. Cette bonne conjoncture s’est
aussi couplée à la montée en puissance du gisement Toucan, découvert en 2001 à une
dizaine de kilomètres de Rabi-Kounga. Il se présente comme une découverte majeure, à michemin de Rabi-Kounga et Gamba-Ivinga, avec environ 100 millions de barils. Autant dire
que la perspective de la fin de l’activité pétrolière est ajournée à Gamba en raison de la
présence du Terminal pétrolier par où s’exporte toute la production de Shell Gabon.
La ville pourrait également compter sur d’autres ressources comme le gisement de
gaz naturel de Bendé. Le pays, qui n’est pas exportateur de gaz, a faiblement exploité cette
ressource. Cependant avec le déclin général de la production pétrolière nationale, le gaz
naturel pourrait être amené à jouer un rôle plus important comme ressource d’exportation
et source d’énergie pour les centrales hydro-électriques : Bendé alimente les équipements de
production de la Société d’Eau et d’Energie du Gabon (SEEG) depuis 2004. De même
Shell est en pourparlers avec l’Etat gabonais au sujet de l’exportation de gaz naturel.
La ville, située en bordure de l’Atlantique centre-ouest et incluse dans le parc
national de Loango, dispose aussi d’importantes ressources. Des ressources halieutiques,
encore insuffisamment exploitées par une pêche artisanale, qui pourraient constituer le
socle d’une pêche semi-industrielle. Dans la même veine, les savanes de Gamba, propices à
l’activité d’élevage de bovins, autoriseraient l’émergence d’activités agropastorales qui
réduiraient la dépendance alimentaire du pays qui consacre annuellement environ 100
millions de F. CFA (15 %) de son budget aux importations alimentaires. Pareillement, le
parc de Loango (11 000 Km²) avec son exceptionnelle biodiversité appelle le
développement d’activités écotouristiques. De ce point de vue, Gamba pourrait être un
territoire pilote des nouvelles ambitions des pouvoirs publics qui souhaitent faire du Gabon
une destination touristique.
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VI-2. LE POTENTIEL ECONOMIQUE DE MOUNANA
Les bases d’une action de conversion de Mounana ne sont pas aussi évidentes qu’à
Gamba. L’ex-ville minière a perdu tout son pittoresque avec la liquidation quasi
systématique des friches minières et industrielles sous le dictat d’impératifs socioenvironnementaux qui ont privé la ville d’un paysage qui aurait pu constituer une valeur
touristique.
Néanmoins, l’important héritage immobilier de COMUF constitue un premier
levier de redynamisation avec un stock appréciable de (543) maisons vacantes que les
fonctionnaires et les employés des sociétés privées de Moanda pourraient occuper. Et, d’un
nombre tout aussi considérable de (90) bureaux répartis sur 10 ha et de (5) friches
industrielles sur 13 ha qui pourraient eux aussi intéresser des opérateurs économiques. En
plus, Mounana dispose d’équipements économiques en souffrance qui n’attendent que leur
valorisation (le complexe hôtelier Muléka, le foyer des travailleurs, etc.).
Mais c’est surtout potentiellement l’activité forestière qui paraît le levier le plus sûr
d’une action de conversion économique ; avec 400 000 ha de domaine forestier, la ville a vu
se succéder trois exploitants forestiers. D’abord BTIG (483 emplois directs créés) dont les
activités se sont arrêtées en 2000, suite semble-t-il à une interdiction de séjour de son
propriétaire, un Italien proche de M. Zacharie Myboto1. Ensuite, l’implantation de
l’Entreprise Forestière de Mounana Industrie (EFMI) en 2002, une filiale de l’Entreprise
Forestière de Moanda, a tourné court en raison du même facteur politique, semble-t-il, à
nouveau à l’œuvre dans la décision de transférer la EFMI à Moanda. De même, les choix
portés sur Franceville et Léconi respectivement pour abriter la future Ecole Nationale des
Mines et l’usine de production de manioc, qui auraient pu profiter des installations de
Mounana, ne sont peut-être pas fortuits. Néanmoins, s’il est probable que Mounana souffre
de la domination politique de l’UGDD et de la présence des Myboto, il demeure que
Zacharie et Chantal2 Myboto représentent un espoir certain pour la redynamisation
économique de l’ex-bassin minier. D’autant que Zacharie Myboto a créé un complexe
hôtelier en 1997, fournissant une cinquantaine d’emplois directs et serait l’un des
principaux actionnaires de la Société de Sciage de Mounana (SSMO), établie dans
l’ancienne usine de la EFMI depuis 2006 et employant près de 200 personnes. Par ailleurs,
la prise des mairies de Mounana (Chantal Myboto) et de Moanda par l’UGDD laisse
augurer d’une nouvelle synergie entre les deux municipalités du département de la
Lébombi-Léyou.
QUELLES TRAJECTOIRES ?
Mounana a cessé son existence minière (en 1999) pendant que l’extraction pétrolière se
poursuit à Gamba, mais pour combien de temps encore ? La période 2010-2015 qui va
s’ouvrir sera cruciale pour Gamba et le département de Ndougou qui, selon les prédictions
1
Elu local, président fondateur de l’Union Gabonaise pour le Développement et la Démocratie (UGDD) et
ancien baron du régime PDG au pouvoir, devenu depuis quelques années l’un des principaux opposants
gabonais.
2 Fille de Zacharie Myboto, ancienne compagne et directrice de cabinet du président Omar Bongo Ondimba.
ISSN : 2-912 603-18-8 - ISBN : 978-2-912603-21-0 - EAN : 9782912603210
Mise en ligne le 27 octobre 2009.
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de Shell, pourrait constituer un moment-clé dans le processus de reconversion de Gamba.
C’est dans cette perspective qu’a été initiée la « Vision prospective Gamba 2015 » et le
Programme d’Appui au Développement du Département de Ndougou (PADDN). Ces
politiques de conversion ont été examinées à l’aune du modèle de la base économique
développée par Homer Hoyt, qui se prête fort bien à la prédiction de l’avenir des deux cités
minières. Jusqu’ici c’est à un constat globalement d’échec auquel nous sommes parvenu
dans les deux cas en raison de logiques économiques et de stratégies d’acteurs contreproductives. Mounana n’est pas devenue une « ghost city », dix années après la fin de la
mine, du fait de l’ancrage des autochtones à leur terroir, des pensions de retraités et des
salaires de quelques fonctionnaires qui y maintiennent encore une vie sociale en dépit d’un
taux d’activité urbaine de 10 % bien en dessous du seuil limite de 30 %. Pour sa part la cité
pétrolière demeure malgré tout dépendante de Shell Gabon à l’orée de ce qui pourrait être
une seconde relocalisation. En effet, Shell a acquis un immeuble pour son futur siège à
Libreville.
Il est prématuré de conclure dans l’ensemble à un échec définitif des processus en
cours, la reconversion d’une ville étant une entreprise de longue haleine. D’autant qu’il
existe quelques motifs d’espérer en des lendemains meilleurs. Les cours élevés du baril de
brut de ces dernières années ont eu un impact positif sur le marché de l’uranium dont les
prix n’ont cessé de s’améliorer depuis 2004 avec la relance de la construction de nouvelles
centrales nucléaires en Occident. C’est dans ce contexte qu’une mission de prospection
d’AREVA a séjourné à Mounana en juin 2007. L’éventualité d’une reprise de l’extraction
serait donc à l’ordre du jour. D’autant que le Canadien CAMECO a rejoint AREVA dans
cette course. Le Gabon, avec ses 8000 tonnes de réserves prouvées et de nombreux indices
de gisements potentiellement exploitables, semble redevenu attractif dans ce domaine.
Cependant, le retournement de la conjoncture internationale pourrait tempérer, voire
ajourner l’aboutissement de ce projet.
Malheureusement, la crise financière mondiale et un baril désormais en dessous de
50 $ pourraient aussi avoir un impact négatif sur les investissements productifs de Shell.
L’intensification de la prospection on shore et off shore, le développement intégré de Rabi
avec l’exploitation du gaz naturel, le renouvellement de la convention de la concession de
Gamba-Ivinga sont estimés à 800 millions US $, soit 332 milliards FCFA. On note déjà que
Shell Gabon s’est retiré de la commercialisation des produits pétroliers avec la vente des
stations services Pizo-Shell à ENGEN. Cependant, Shell continue de stimuler la création
de micro-entreprises individuelles, notamment avec le financement de 34 micro-projets à
hauteur de 7,5 millions € (50 millions Fcfa) dans le cadre de l’« opération graine de semence
» dans des domaines tels que la pêche, le tourisme et le transport urbain.
L’embellie économique, avec une évolution positive du budget 2008 de l’Etat de 69
%, a permis l’acquisition de trois navires par la Compagnie de Navigation Intérieure (CNI)
dont l’un desservira Gamba à partir de Port- Gentil, rompant ainsi son enclavement.
La reconduction de la convention de la concession pétrolière de Gamba-Ivinga,
prévue pour 2010, si elle a lieu, maintiendrait la présence de Shell Gabon à Gamba
jusqu’en 2030. C’est une des raisons pour lesquelles le Gouvernement attache du prix à la
signature rapide de la convention par le pétrolier.
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Le succès de la reconversion passera par une redéfinition des rôles des
protagonistes et une prise en compte des difficultés économiques des régions sinistrées par
un dispositif réglementaire idoine, qui tienne compte de cette spécificité. Elle passera aussi
par une meilleure application de la décentralisation.
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