un tableau exposé à la Royal Academy et la

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un tableau exposé à la Royal Academy et la
Le tableau du mois n° 106 :
Portrait de deux amis
de Benjamin Vandergucht
Un tableau exposé à la Royal Academy et la redécouverte de son auteur
Longtemps ce double portrait est resté anonyme.
Pourtant, depuis son entrée dans les collections du Louvre, en 1947, sa qualité et sa
présence ont toujours impressionné ceux qui l'observaient. Quand la revue Musées
de France, lors de sa livraison d'août-septembre 1948, consacra deux articles à la
belle donation faite par Jacques Lenté en souvenir de M. et Mme Lucien Laveissière,
ce fut ce tableau qui en illustra la couverture. Il était alors attribué à John Hoppner
(1758-1810). Ce nom ne resta pas longtemps attaché à cette toile. Le nom de
Romney fut prononcé en vain. Malgré ses évidentes qualités, l’œuvre restait sans
paternité établie. Depuis, recherches et attributions s'étaient succédé sans jamais
apporter de réponse satisfaisante.
De la mémoire des conservateurs
En 2001, une exposition, Art on the Line, se tint à Londres, au Courtauld
Institute, dans les pièces mêmes qui avaient servi de 1780 à 1836 à l'exposition
annuelle de la Royal Academy. Le commissaire de l'exposition, David Solkin, y avait
reconstitué sur parfois près de huit rangs et en surplomb l'accrochage d'une
exposition de la fameuse société. Expérience extraordinaire, en particulier dans la
Great Room, qui permettait de retrouver les perceptions réelles des spectateurs du
XVIIIe siècle. Inspiré par le Salon carré, l'architecte William Chambers avait créé en
1780 la Great Room avec un éclairage dispensé non pas par une verrière zénithale
mais par les baies d'une large coupole, inspirées de l'architecture thermale antique.
Accompagnant l'exposition, un catalogue retraçait l'histoire de ces expositions
de la Royal Academy.
Parmi les illustrations, des aquarelles d'Edward Francis Burney reproduisaient
fidèlement l'accrochage de 1784. Jacob Simon, conservateur en chef de la National
Portrait Gallery qui avait plusieurs années auparavant regardé le tableau du Louvre
lors d'un de ses passages à Paris, le reconnut dans l'aquarelle représentant le mur
ouest, au dernier rang (Edward Francis Burney. Exposition de la Royal Academy,
1784, mur ouest Londres, British Museum). Il reprit alors la liste des exposants et de
leurs œuvres et redonna à Benjamin Vandergucht la paternité de cette œuvre.
L'exposition de 1784 se signale par une autre œuvre aujourd'hui conservée au
Louvre. Outre ce double portrait de Vandergucht, le tableau de Johann Fussli, Lady
Macbeth, se trouvait exposé sur le mur nord (Johann Fussli, Lady Macbeth, Paris,
musée du Louvre).
Enfin, toujours en relation avec les collections françaises d'art britannique et
américain, les figures de Isaïe et de Jérémie de Benjamin West, peintes pour la
chapelle de George III, étaient exposées sur le mur est de la Great Room (Edward
Francis Burney, Exposition de la Royal Academy, 1784, mur est, Londres, British
Museum). Les deux esquisses de ces tableaux sont aujourd'hui au musée des
Beaux-Arts de Bordeaux (Benjamin West, Isaïe, esquisse, Bordeaux, musée des
Beaux-Arts et Benjamin West Jerémie, esquisse, Bordeaux, musée des Beaux-Arts).
Benjamin Vandergucht (1753 - 1794)
L'auteur de notre tableau, Benjamin Vandergucht, est né à Londres en 1753. Il
descendait d'une famille d'artistes d'origine anversoise. Son grand-père, Michael,
illustrateur et marchand de tableaux, après avoir étudié à Anvers, s'était installé à
Londres vers 1700. Le fils de ce dernier, Gerard Vandergucht (1696 - 1776), fut
comme son père illustrateur puis marchand de tableaux. Benjamin Vandergucht lui
même devint peintre, restaurateur et marchand.
Il avait d'abord étudié à la Saint Martin Lane's Academy à Londres. Il fut ensuite l'un
des premiers élèves de la Royal Academy naissante, où il mérita en 1774 une
médaille d'argent. Il établit sa réputation à la fois comme peintre de portraits et de
théâtre. Dans le genre très britannique de la conversation piece théâtrale, il fut
inspiré par les œuvres de Zoffany. Il peignit comme lui des portraits d'acteurs jouant
les scènes les plus populaires du répertoire foisonnant de la seconde moitié du
XVIIIe siècle. Il profita semble-t-il de l'absence de Zoffany, alors en Italie, pour établir
plus fermement sa réputation. Il exposa régulièrement à la Royal Academy des
portraits ainsi que des conversation pieces comme Moody et Parsons dans une
scène du Register office de Joseph Reed en 1773, Henry Woodward dans le rôle de
Pettruccio en 1774, ou Garrick dans le rôle du Steward of the Stratford Jubilee en
1776.
Son activité de marchand fut parfois l'objet de controverses, avec la Royal
Academy ou avec d'autres marchands, comme Noel Desenfans, le futur fondateur de
la Dulwich Picture Gallery.
La fin de Benjamin Vandergucht fut tragique puisqu'il périt dans un accident de
bateau sur la Tamise le 21 septembre 1794. Sa collection de maîtres anciens, fruit
de son commerce, fut dispersée dans une vente chez Christie's, les 11 et 12 mars
1794.
Le portrait de deux amis
Notre tableau parfaitement reconnaissable était présenté à la Royal Academy
dans un cadre à écoinçons qui ne laissait apparaître qu'une vue ovale. Le tableau
était probablement un peu plus large. Si l'on examine d'ailleurs attentivement le détail
de l'aquarelle et qu'on la compare avec le tableau dans son état actuel, il semble que
ce dernier ait été légèrement coupé sur la droite et qu'un repentir postérieur ait fait
disparaître une épaulette dorée sur l'épaule gauche du jeune homme en costume
militaire. Le repentir de l'épaulette est surprenant car il semble indiquer un
changement postérieur de grade militaire, à moins qu'il ne s'agisse d'un costume de
fantaisie.
Le livret de la Royal Academy ne donne malheureusement pas l'identité des
modèles. La seule indication est celle du costume de l'homme de gauche, celui d'un
Fellow Commoner de Cambridge ou d'Oxford tenant à la main sa toque noire. Le
costume militaire du second personnage reste trop indéterminé pour que l'on puisse
l'identifier.
Si ce double portrait reste celui de deux inconnus, il faut pourtant le rapprocher d'un
double portrait peint en 1776 par Reynolds, qui présente avec celui de Vandergucht
de nombreuses similitudes (Sir Joshua Reynolds, Portrait du Rev. George
Huddesford et John Codrington Bamfylde, Londres, National Gallery). L'homme à
gauche, habillé en docteur d'université, présente un visage bien identifiable avec un
nez aquilin et une bouche caractéristique. Le second, qui semble plus jeune, montre
dans les deux tableaux un beau visage presque enfantin. Dans le tableau de
Reynolds, il s'agit du Reverend George Huddesford et de John Codrington Bamfylde.
Le premier obtint un fellowship à Oxford. élève de Reynolds, il exposa lui-même à la
Royal Academy. La vente de ses collections et de ses tableaux eut lieu le 11 juillet
1811 (Lugt 8047). Le second, John Codrington, né en 1754, étudiant à Cambridge,
publia d'étranges sonnets en 1778. Il devint malheureusement fou et finit sa vie en
1796 dans un asile. Avec toute la prudence que l'on peut mettre à rapprocher des
physionomies dans des portraits peints, les deux doubles portraits par Reynolds et
Vandergucht présentent d'indéniables ressemblances.
Il manque pourtant d'autres preuves pour affirmer l'identification des modèles,
tout au plus peut-on avancer ce rapprochement. Ce qui est par contre désormais
assuré, c'est l'identité de Benjamin Vandergucht retrouvée grâce à la mémoire de
Jacob Simon et à la précision d'un artiste comme Edward Francis Burney.
Texte d'Olivier Meslay.

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