Rwanda - Royal Museum for Central Africa
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Les instruments de musique du Rwanda 2 Les instruments de musique du Rwanda Il existe au Rwanda une musique donnant lieu à la danse, celle des Imbyino, et une musique faite pour la simple écoute, celle des Indirimbo. Cet art a souvent été lié à la poésie et à l’éloquence. La musique, la danse et la poésie ont toujours constitué les manifestations les plus spectaculaires de la culture rwandaise. Autant d’éléments d’identité et de socialisation qui ont profondément imprégné la vie de ce peuple de travailleurs de la terre, de pasteurs et de gardiens de troupeaux, de potiers et/ou de gens d’autres métiers. Ils ont été transmis oralement. En eux se reflètent l’histoire, les valeurs essentielles, les usages et la vision du monde des Rwandais. 3 Umuduri Umuduri, arc musical 1. Umuduri, arc musical Bois et corde en métal, calebasse Le musicien tient dans sa main une tige de mil pour frapper la corde de l’instrument et un hochet. Collecté à l’INRS (Rwanda) par J.-B. Cuypers en 1999 Coll. Ethnomusicologie – MRAC L’umuduri est un arc musical composé d’un arc en bois umuheto, bandé avec une corde umurya en fibres végétales, une corde en matière animale ou plus récemment un fil métallique. Une calebasse fixée sur la tige de l’arc fait office de caisse de résonance. Le maniement requiert aussi une baguette en bois et le hochet inzebe. La corde est rapprochée de l’arc au moyen de deux boucles, tandis qu’une troisième boucle – la plus importante – divise la corde en deux parties inégales. Cette construction produit deux 4 notes différentes, généralement à la quarte ou à la quinte, en guise de notes fondamentales. Cette dernière boucle est reliée à la calebasse/caisse de résonance par une ficelle. Pour écarter la calebasse de l’arc musical, un morceau de tissu ou un coussinet d’écorce de banane est inséré entre les deux, ce qui permet d’éviter tout contact direct gênant entre l’arc et la calebasse. Pour jouer de l’instrument, on tient l’arc dans la main gauche devant le corps en position verticale en serrant la calebasse contre soi. Dans la main droite, on tient une fine baguette dont on frappe la corde, ainsi qu’un hochet inzebe. Pour jouer d’autres notes que les deux fondamentales produites par la corde, on peut raccourcir la partie la plus longue (supérieure) de la corde avec l’index ou le majeur, ce qui permet de produire trois notes à intervalles de seconde/quarte ou de quinte. L’instrument est utilisé dans les occasions les plus diverses – fêtes, cérémonies officielles, à l’invitation des autorités – ou par des mendiants pour éveiller la pitié. L’umuduri se joue généralement en solo, l’instrumentiste étant tout à la fois chanteur, souvent accompagné par les battements des mains du public. Umuduri 5 Ingoma L’ensemble ingoma, tambours à deux peaux lacées 2. Ishakwe, tambour au ton haut 3. Igihumurizo, tambour au ton bas 4. Inyahura, tambour au ton moyen 5. Inyahura, tambours au ton moyen 6. Igihumurizo, tambour au ton bas Bois et peau Cinq tambours collectés par Jean-Baptiste Nkulikiyinka (MRAC) en 1996 à Nyabisindu, Rwanda Coll. Ethnomusicologie – MRAC Ingoma, tambour à membrane Au Rwanda tout autant qu’au Burundi, le tambour était synonyme de règne, de royauté, de royaume. Généralement on distingue trois catégories de tambours qui répondent au nom générique d’ingoma. Les tambours dits ingoma z’imihango ou « tambours rituels », qui intervenaient dans plusieurs rituels royaux et ne jouaient aucun rôle musical. Ces tambours représentaient chacun un symbole rituel sans lequel le Roi ne pouvait exercer les pouvoirs surnaturels qui lui étaient conférés lors de son avènement. Les tambours dits ingoma z’ingabe ou « tambours dynastiques » comptaient comme objets symboles de la royauté sacrée et du pouvoir des Rois. Et enfin les tambours joués en batterie présentés ici dans l’exposition et dits ingoma z’imivugo, « tambours qui parlent ». Ce sont des tambours joués en tant qu’instruments de musique, aujourd’hui, soit dans des spectacles organisés lors des festivités officielles, soit pour appeler les chrétiens catholiques aux célébrations eucharistiques du dimanche et des grandes fêtes religieuses. 6 7 Ingoma Ces tambours s’organisaient en batterie, animant les spectacles lors des festivités. Traditionnellement, suivant les informations obtenues des membres des anciennes troupes de tambourinaires royaux, une batterie de tambours en action comprenait de 5 à 10 tambours, soit : 1 tambour chercheur et donneur de ton (ishakwe-ishako), le plus petit de la batterie, il a un ton aigu. Son rôle est d’annoncer la succession des rythmes tambourinés, un par un, suivant le répertoire fixé avant le spectacle, répertoire connu par tous les membres de la troupe. C’est donc ce tambour qui entonne les rythmes. Son autre rôle est d’assurer le jeu de base continu au cours de la succession de ces rythmes. Il est joué sans arrêt du début à la fin du répertoire. 1 ou 2 tambours guides (inyahura) : il s’agit du tambour meneur de jeu. C’est lui qui réceptionne et développe le rythme entonné par le tambour ishakwe. Il règle et assure la succession des rythmes du répertoire fixé pour tel spectacle. À ce titre, il peut accepter ou refuser le rythme annoncé par le premier. Traditionnellement cette formation ne comportait qu’un seul tambour guide, la présence de deux d’entre eux est le fait d’une adaptation récente. 3 à 7 tambours barytons (igihumurizo) : les tambours barytons constituent la basse de la batterie. Ils sont plus volumineux que les deux premiers et ont, entre eux, plusieurs variantes tonales. En principe, dans une batterie, chaque tambour baryton possède sa propre tonalité, et c’est cette diversité tonale qui contribue à la richesse des rythmes tambourinés. 8 Ishakwe Igihumurizo Inyahura 9 Ingoma Origine des tambours du Rwanda L’origine des tambours ne peut être déterminée avec certitude. Les tambours existaient déjà dans l’espace du Rwanda précolonial, les tambours emblèmes du pouvoir notamment, le tout étant de savoir si, à côté de ces tambours, existaient aussi déjà ceux joués en batterie ou s’ils ont été créés à la cour des rois Nyiginya à une époque plus récente. Dans le Rwanda précolonial, les tambours étaient battus pour le Roi seul et notamment lors du cérémonial quotidien du réveil et du coucher du souverain. Traditionnellement, les tambourinaires chargés de ce cérémonial n’étaient pas rétribués. L’un ou l’autre s’étant distingué pouvait recevoir un cadeau en nature. L’avantage principal de leur fonction de « Faisant-métiers-royaux » est qu’ils étaient exonérés des corvées auxquelles était astreint le reste de la population. Depuis la période coloniale et l’arrivée des missionnaires, surtout des Pères Blancs catholiques, la situation changea. Les missionnaires estimèrent que si les tambours pouvaient être joués en l’honneur du Roi du Rwanda, ils pouvaient l’être pour le Roi des rois (Dieu). Dès lors presque toutes les missions catholiques et aujourd’hui les paroisses, aussitôt fondées, disposèrent chacune de sa batterie de tambours qui battaient et battent encore l’appel des chrétiens aux offices religieux, les dimanches et jours de fêtes chrétiennes. Plus tard, avec l’avènement de la République, le tambour est devenu un instrument de musique ordinaire à la disposition de celui qui veut se le procurer et en jouer ou en faire jouer. Au temps de la première et de la deuxième République, la plupart des communes rwandaises ainsi que des particuliers possédaient des batteries de tambours. Avec cette évolution on peut aussi noter que depuis 10 l’arrivée des missionnaires, les rythmes tambourinés classiques, nous dirions royaux, se sont enrichis de rythmes modernes créés par des artistes inspirés dans ce domaine, des prêtres catholiques notamment. Les nouveaux rythmes sont souvent plus courts, plus allègres, mais gardent toujours quelque chose des rythmes anciens. La forme des tambours aussi a changé : la caisse de résonance, de forme oblongue quasi pointue, au point que le tambour ne pouvait tenir debout seul, a changé. La base du tambour est plus large, et l’instrument reste debout lorsqu’on le pose sur le sol. On a peine à imaginer aujourd’hui que le jeu de 10 tambours de l’ancien Rwanda exigeait 20 personnes : 10 pour les jouer et 10 pour les tenir. 11 Ingoma La fabrication des tambours Le tambour était sacré et considéré comme un être vivant. Fabriquer un tambour se disait « créer un tambour », et constituait un processus long et complexe qui intégrait un travail physique assez pénible et des dimensions rituelles. On retient : 1. l’identification des essences forestières taillées pour les caisses de résonance ; 2. l’abattage des arbres ainsi marqués donnait lieu à de nombreux rites : veillée précédant l’abattage, rythmes tambourinés sur le lieu de l’abattage, consommation de boissons alcoolisées et danses sur ce même lieu. L’arbre abattu était ainsi considéré comme une jeune promise, l’abattage comme une cérémonie de fiançailles, le même nom désignant la jeune fille nubile et l’arbre abattu : umwari ; 3. le découpage de l’arbre en plusieurs fûts qui fourniront les caisses de résonance ; 4. le transport de ces morceaux vers le lieu de création du tambour et le séchage ; 5. le travail de préparation des peaux : le fabricant de tambour était aussi bien boisselier que peaussier-tanneur ; 12 6. le travail de découpe des membranes de peau, deux pour chaque tambour, la préparation des lanières de fixation ; 7. la fixation des membranes par laçage ; 8. la taille des baguettes. Toutes les étapes de fabrication du tambour sont marquées par un vocabulaire propre connu des seuls pratiquants de ce métier. 13 Umwirongi Umwirongi, flûte 7. Umwirongi, flûte à embouchure terminale Roseau Collecté à Gitabi (Rwanda) en 1956 Coll. Ethnomusicologie – MRAC 8. Umwirongi, flûte à embouchure terminale Roseau Collecté par M. Bourgeois à Shangugu (Rwanda) en 1935 Coll. Ethnomusicologie – MRAC L’umwirongi est une flûte réalisée à partir de la tige de la plante intomvu, bien qu’on en trouve aussi des exemplaires en bambou ou d’autres plantes. L’instrument est fabriqué à partir de tiges jeunes, séchées et évidées et se rétrécit légèrement de haut en bas sur toute sa longueur. Les parois étant fines, l’instrument est fragile et doit donc souvent être réparé ou jeté. On conçoit alors les nouveaux instruments comme des copies des anciens, afin de conserver le même accord. Pour l’embouchure, on tranche d’abord la tige en coupe droite, puis on y pratique une incision en U. L’umwirongi dispose généralement de deux à cinq trous ronds pour les doigts (inoboro), toujours situés sur la moitié inférieure de l’instrument. L’umwirongi est surtout utilisé (et à l’origine, exclusivement) par les pâtres, qui en jouent pour passer le temps ou pour tenir à distance les éventuels voleurs de bétail ou les prédateurs, le soir ou la nuit. On joue aussi de l’umwirongi pour accompagner des danses akagitari et urwagitari ou pour divertir. En ville, on le voit dans les mains de veilleurs de nuit. Les joueurs d’umwirongi se produisent généralement en solo, mais cet instrument peut aussi être combiné avec un inanga, un indingiti ou des instruments 14 rythmiques. Lors des enregistrements, nous avons constaté que la musique racontait en réalité des histoires aux accents comiques et moqueurs, évoquant la relation homme-femme, comme dans le morceau Umugore w’ingare (la femme acariâtre) : le registre suraigu (obtenu en forçant le souffle) imite la voix de la femme, tandis que le registre grave imite celle de l’homme. Mais l’instrument a aussi sa propre signification symbolique, comme la fertilité de l’homme, de la terre et du bétail. À ce titre, il est aussi utilisé dans un contexte rituel lors des semailles et des plantations. L’ambitus s’étend de 3 à 10 notes ; une préférence est marquée pour des échelles tétra- ou hexatoniques. Remarquons que la gamme, comme celle des chansons pastorales amahamba, est dépourvue de demi-tons. L’utilisation de la tierce supérieure de la gamme domine dans la formation des mélodies. Sur le plan rythmique, la liberté est totale grâce au caractère improvisé, mais l’exécution rapide de la mélodie est une caractéristique constante. Embouchure Umwirongi 15 Iyugi Iyugi, grelot de danse 9. Iyugi, grelot de danse (chevillière) Peau et fer martelé Collecté par Charles Mutara Rudahigwa en 1949 Coll. Ethnomusicologie – MRAC Le grelot iyugi est forgé dans une mince plaque de fer. Le forgeron, spécialiste de cet objet, entreprend de courber la surface découpée pour lui donner la forme caractéristique de l’instrument, et pratique deux trous dans la partie pliée. Avant de fermer le grelot, le forgeron introduit une boule de fer. La percussion de la boule sur la paroi de l’instrument donnera le son qui lui est caractéristique. Le grelot, en tant qu’instrument musical, fait partie de la famille des idiophones à percussion. Les deux trous permettent d’y passer une mince bande de cuir tirée d’une peau de vache adulte, ce qui en garantit la solidité. Cette bande est fixée à une jambière, elle aussi en cuir brut ou tanné. Les grelots amayugi sont principalement utilisés pour la danse, portés aux chevilles par le danseur ou la danseuse. Chaque danseur ou danseuse en porte un certain nombre – plus ou moins 10 unités à chaque jambe – fixés sur la jambière. Si les danseurs ou les danseuses forment un groupe d’une certaine importance et portent grelots aux chevilles, ceux-ci produisent un spectre sonore impressionnant pour le spectateur et galvanisent l’ardeur de la danse. Les Européens qui sont arrivés parmi les premiers au Rwanda au xixe siècle évoquent cet instrument dont on ne sait pas quand il est né ou a été introduit au Rwanda et dont on peut dire simplement qu’il est ancien dans le pays. 16 17 Urusengo Urusengo, ensembles de sifflets insengo 10. Igihumurizo, sifflets en bois Trois sifflets collectés par Jos Gansemans en 1981 à Nkumba, Rwanda Coll. Ethnomusicologie – MRAC Le sifflet insengo, de forme conique, est taillé dans la branche de l’arbre Markhamia lutea (umusave) ou des plantes Ximenia caffra ou Pittosporum spathicalyx (toutes deux dites umusekera). Le morceau de bois est coupé en deux parties égales dans le sens de la longueur. L’intérieur est évidé de telle manière qu’en mettant les deux parties l’une contre l’autre, la cavité ainsi formée montre un forage conique. Les deux moitiés sont tenues ensemble par de fines cordelettes enroulées autour du sifflet. Le luthier achève son travail en coulissant une section de trachée de bœuf autour de 18 l’instrument. En séchant, le morceau de trachée serre fortement les deux parties de l’instrument l’une contre l’autre. L’ensemble urusengo mêle son histoire à celle de la royauté nyiginya, en tant que l’un des symboles de la dynastie. Cette royauté, à ses débuts, avait pour emblème le sifflet nyamiringa, avant de le remplacer à cette fonction par le tambour. Dans cette tradition, probablement, les Basengo (joueurs de sifflets insengo) formaient avec les chefs, les ritualistes et les poètes dynastiques, le groupe d’élite qui évoluait autour du roi. Les sifflets insengo remplissaient plusieurs fonctions dans quatre rituels du code ésotérique de la royauté sacrée, comme nous l’indiquent d’Hertefelt et Coupez (1964). Il faut noter par ailleurs que les sifflets insengo participaient au cérémonial quotidien du coucher et du lever du roi, et cela au moins depuis le xviiie siècle. Hors du Rwanda, l’ensemble des insengo se retrouve en Uganda, au Bunyoro, au Toro, dans le Nkole et dans le Kiziba et le Kigezi. L’ensemble compte 5 instruments ou plus. La dénomination de leurs fonctions musicales est la même que pour celles des tambours de batterie. Le sifflet ishakwe, qui entonne, est joué ici par le chef de l’ensemble ; il donne un ton aigu. Les sifflets inyahura, au ton moyen, sont généralement au nombre de 2 dans l’ensemble. Les sifflets igihumurizo ou sifflets barytons, sont habituellement à 3. Les phrases musicales se composent de cellules mélodiques et rythmiques d’une ou de deux notes, jouées alternativement et invariablement par les trois groupes de sifflets. Le répertoire des sifflets est varié et toujours accompagné par le battement des mains, avec plusieurs thèmes d’inspiration. Depuis l’avènement de la République, les sifflets insengo, comme les tambours, ont perdu leur caractère royal mais sont restés relativement populaires, étant invités à rehausser de leur musique les festivités officielles à tous les niveaux. 19 Ensemble des amakondera 20 Ensemble des amakondera, Trompes à embouchure latérale 11. Umurangi 12. Umurangi 13. Incuragane 14. Ikanka Trompes en bambou, col en calebasse, peau et lanière de suspension Collectées par Dirk Thys van den Audenaerde (MRAC) en 1985 à Butare, Rwanda Coll. Ethnomusicologie – MRAC Les amakondera comprennent cinq types de trompes ; ils forment des ensembles accompagnés de deux tambours. Il est d’introduction récente au Rwanda ; un certain nombre d’informations contradictoires ou complémentaires existent à leur propos aussi bien au sujet de leur provenance qu’à celui de l’époque de leur arrivée dans ce pays. La version qui prévaut est celle qui fait venir ces instruments de l’ancien petit royaume du Bujinja, dans l’actuelle Tanzanie, sous le règne du roi Kasusuro, souverain de ce petit royaume. La même version en situe l’arrivée au Rwanda sous le règne de Musinga, au xxe siècle. Cette version est celle qui nous a été personnellement rapportée par Bunungu, danseur étoile de la troupe royale Ishyaka (Émulation), qui tout jeune enfant encore, a assisté à l’arrivée de cet ensemble qui causa un certain émoi à la cour royale de Nyanza, avec les sons amples des trompes et le rythme inhabituel des deux tambours d’accompagnement. Il ajoute qu’une masse de curieux courut voir et entendre de près cet ensemble d’étrangers et que ce furent les femmes qui y allèrent les premières. Les types d’amakondera Pour le type insengo et certaines trompes urugunda : une tige de bambou umugano, pourvue d’une embouchure latérale, ovale ou rectangulaire. Une extrémité de la tige est obturée, cette obturation étant elle-même percée d’un chalumeau en son milieu. Celui-ci permet, selon qu’il est ouvert ou fermé, de produire deux sons différents. L’autre extrémité du bambou reste ouverte. Pour les types umurangi, ikanka et incuragane : une calebasse oblongue (igicuma) est glissée sur la tige de bambou comme un pavillon et fait fonction d’amplificateur. La calebasse est liée au bambou par un morceau d’écorce de ficus et par de la colle de latex tirée de l’euphorbe (umuyenzi) : Euphorbia tirucalli. Il arrive, mais c’est rare, que la calebasse soit remplacée par une corne de vache. Plusieurs instruments sont couverts d’une peau de vache ou de chèvre, ou d’une bande d’étoffe. Cette coutume de renforcer le pavillon par la peau ou par une bande d’étoffe n’est ni commune ni obligatoire. On rencontre des instruments qui en disposent et d’autres qui n’en ont pas. 21 Ensemble des amakondera Fonction des différents types : - La trompe umurangi : dont le nom rwandais peut être traduit par « introducteur », du verbe kuranga : annoncer, faire savoir. Il s’agit de l’instrument « chef » de l’ensemble, soliste, à la sonorité ample. Elle entonne le morceau à jouer dans lequel elle est rejointe par les autres trompes et les tambours, guide son exécution et donne le signal de la fin. - La trompe incuragane : dont le nom rwandais peut être traduit par « celui qui va ici et là », ou « qui s’occupe de menues activités en même temps et avec rapidité ». L’appellation de cette trompe, représentée dans l’ensemble par un seul ou deux exemplaires, nous oriente vers sa fonction qui est de jouer des notes rapides sur un rythme trépidant de deux tons, secondant de près la trompe « chef ». - La trompe urugunda : dont le nom rwandais semble emprunté à la langue correspondant à l’origine de l’instrument, située dans l’ancien royaume du Bujinja, dans la Tanzanie actuelle, comme indiqué plus haut. Représentée souvent en deux exemplaires dans l’ensemble, elle joue une seule note, basse, reposante, en une sorte d’ostinato – procédé musical consistant à jouer un phrasé mélodico-rythmique en boucle, l’équivalent d’un riff en jazz. Elle assure la basse de l’ensemble et semble conçue pour reposer l’oreille heurtée par la tonalité aiguë de la trompe insengo. - La trompe insengo : on peut noter que cette trompe a la même appellation que les sifflets insengo que nous évoquons plus loin, sa tonalité est aiguë comme l’est celle des sifflets. Elle est la plus représentée dans l’ensemble puisqu’elle peut compter jusqu’à six ou même sept exemplaires qui ne jouent pourtant qu’un simple rôle d’accompagnement en recto tono – procédé musical qui consiste à jouer un phrasé sur une note constante ; on retrouve ce principe dans les psalmodies de plain-chant. - La trompe ikanka : l’appellation de cette trompe semble dérivée du verbe gu-kankama : s’exprimer dans une tonalité criarde assez haute qui rappelle le bêlement du mouton. Elle joue deux tons et semble assurer l’harmonie entre les tons hauts et les tons bas. Elle est présente dans l’ensemble en un seul exemplaire. 22 Ensemble des amakondera, trompes à embouchure latérale Umurangi Ikanka Incuragane Urugunda L’embouchure Insengo 23 Ensemble des amakondera Les deux tambours d’accompagnement : - Le tambour ruharage : à l’arrivée du groupe des Bakondera (joueurs de trompes amakondera) venant du Bujinja, l’ensemble comprenait un joueur de tambour, tambour assez petit que le joueur pouvait manier en le tenant d’un bras par sa lanière au-dessus du sol et en le frappant de l’autre bras tenant une mailloche. Ce tambour venu du Bujinja était couvert de membranes en peau de zèbre, d’où le surnom qu’il reçut immédiatement de « celui couvert de zèbre ». Ce qui avait frappé les Rwandais c’est qu’un tambour puisse être couvert de peau de zèbre, alors que la tradition indiquait l’usage de la peau de bovin. Ce surnom demeura pour désigner, encore aujourd’hui, tous les tambours d’accompagnement de l’ensemble des amakondera, même ceux qui ne sont couverts que de l’habituelle et traditionnelle peau de vache. Il est un peu plus grand que le tambour ishakwe de la batterie des ingoma royaux. Il a une tonalité voilée alors que celle du tambour ishakwe de batterie est plus claire. Il contribue à assurer la basse du jeu de l’ensemble. Avec l’évolution des temps, il est apparu accompagnant les danses des jeunes filles, en renforcement des battements des mains. Il peut jouer en contretemps par rapport au rythme ternaire du tambour ingaraba que nous évoquons ci-après. - Le tambour ingaraba : venu au Rwanda en même temps que l’ensemble amakondera et que le tambour ruharage, le tambour ingaraba est tout à fait atypique par rapport aux autres tambours du Rwanda : il s’agit d’un tambour cylindrique et allongé, légèrement courbé. L’orifice supérieur est tendu d’une peau, souvent de chèvre, mais parfois de vache, d’antilope et même de serpent. L’orifice inférieur peut être aussi couvert d’une membrane de peau, mais chez certains il n’est pas couvert et reste vide. Contrairement aux autres tambours rwandais dont les membranes couvrant les orifices de la caisse de résonance sont fixées par laçage, la ou les membranes du tambour ingaraba est ou sont fixées par des clous ou par des chevilles fines en bambou ou en bois qui s’enfoncent par des trous pratiqués dans la caisse de résonance. Le tambour est muni d’une bandoulière, souvent en cuir, qui permet au joueur de le tenir pendant horizontalement sur l’épaule. Il est frappé par les deux mains du musicien en un rythme ternaire, les mains touchant soit le bord, soit le centre de la membrane, les mains bien ouvertes et les doigts tendus et séparés. La fonction du tambour ingaraba est surtout déterminée par les variations 24 rythmiques. Il est exclusivement joué dans l’ensemble des amakondera. L’ensemble joue un répertoire étendu de morceaux polyphoniques aux sonorités amples. Les morceaux furent d’abord joués pour égayer les soirées royales. Puis, un jour ce fut Laenaerts, fonctionnaire belge à Nyanza, capitale royale, qui aurait suggéré au Roi de lier le jeu de l’ensemble aux danses guerrières des intore, en accompagnement. Depuis lors, la musique des amakondera introduit le spectacle de ces danses, rythme les exhibitions solos des meilleurs danseurs et la sortie de scène des troupes de danseurs. 25 Note biographique – Collecte Photos : J. Gansemans © MRAC 26 Note biographique – Collecte Les instruments de musique présentés ici ont été récoltés au Rwanda par Jos Gansemans et par Jean-Baptiste Nkulikiyinka. Le Dr. Jos Gansemans, philologue et ethnomusicologue, a été chef du département d’Anthropologie culturelle du Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC). Entre 1973 et 1988, il a effectué de nombreuses enquêtes sur les traditions musicales traditionnelles du Rwanda, qu’il a abondamment décrites. Son travail, l’un des plus complets sur le sujet, a fait l’objet de nombreuses publications. Jean-Baptiste Nkulikiyinka a dirigé le Ballet national du Rwanda depuis les années 1970 jusqu’en 1995. Il forme alors sa propre troupe Isonga, avec laquelle il tournera en Europe. Depuis 1999 il met au service du MRAC les vastes connaissances qu’il possède sur les traditions musicales du Rwanda. 27 Les voix des collines Instruments de musique du Rwanda et du Burundi Dépôt legal : D/2012/0254/07 © Musée royal de l’Afrique centrale, 2012 13, Leuvensesteenweg 3080 Tervuren (Belgique) www.africamuseum.be Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays. 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