santé - Ministère de la Santé et des Services sociaux
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SANTÉ Le Prononcez le mot «masturbation» dans une classe et vous êtes certain de provoquer le rire, ou du moins, la gêne. La masturbation est encore un sujet relativement tabou pour bien des gens. Il faut dire que cet acte intime est relié au jardin secret de chacun et parfois, aussi, à des fantasmes bien personnels. On ne l'évoque pas volontiers et il n'est pas facile d'obtenir des réponses sur le sujet dans son entourage. Si personne ne craint plus la damnation éternelle en s'adonnant aux plaisirs charnels solitaires, quelques craintes, accompagnées d’une certaine honte, continuent d'accompagner la masturbation. plaisir Caroline Fortin Pendant des siècles, la morale chrétienne a tenté de réprimer la dimension de plaisir dans la sexualité : l'activité sexuelle devait servir à la procréation. La masturbation a donc été considérée non seulement comme inutile, mais comme perverse. Encore de nos jours, certaines personnes voient obligatoirement la sexualité comme un acte d'amour entre deux personnes ou du moins un échange. La masturbation heurte cette vision romantique de la sexualité. Par ailleurs, certaines personnes pratiquent la masturbation tout en se sentant très coupables de le faire. Elles aimeraient être capable de s'en abstenir. Tel ce garçon dans le début de la vingtaine qui porte un jugement très sévère sur ce qu'il fait. Il lance un appel à l'aide sur le site Internet http://elysa.uqam.ca* : « C'est maladif. Je me masturbe à tous les jours. Je ne trouve pas la force d'arrêter surtout que je suis seul dans le moment. En plus, je fantasme beaucoup, je suis hanté même par des scènes de sexe. J'essaie de me convaincre d'arrêter. Mais je suis désespéré, j'ai même pensé au suicide tellement je trouve que je manque de volonté. » Les mythes sur la masturbation Avant la Révolution tranquille, on disait d'affreuses choses aux enfants concernant la masturbation. Heureusement, il y a bien peu de jeunes d'aujourd'hui qui croient que se caresser les organes génitaux peut rendre sourd, mais les mythes entourant cet acte solitaire ne sont pas encore tous disparus, loin de là. Par exemple, une adolescente qui observe que ses menstruations reviennent aux deux semaines se demande si le fait qu'elle ait commencé à se masturber pourrait en être la cause, ce qui n'a évidemment aucun lien. i o s en 18 Le Magazine jeunesse . été 2003 Elle ne peut être modifiée par aucun « exercice ». Qu’un homme se masturbe ou pas ne changera ni la taille, ni la forme de son sexe. Un homme qui se masturbe souvent peut avoir l'impression que son pénis perd du volume avec le temps. En fait, avec l'âge, les érections peuvent devenir moins fermes (et aussi plus lentes à obtenir). La fermeté peut aussi diminuer à mesure que la routine s'installe dans les activités sexuelles et qu'elles deviennent moins excitantes. Il suffit de suspendre la masturbation pendant quelques jours pour que le pénis se gonfle comme avant. C'est un autre mythe que de croire que la puissance sexuelle de l'homme puisse être affectée par la masturbation. Bien sûr, immédiatement après une éjaculation, il est moins évident d'avoir une érection à nouveau. Ce phénomène est appelé la période réfractaire et il apparaît également après une éjaculation suite à une relation sexuelle. La masturbation n'est donc pas en cause. Au contraire, un homme qui vit une longue période de célibat peut se servir de la masturbation pour maintenir la capacité des tissus de son sexe à réagir à une stimulation. Au moment de la prochaine relation sexuelle, la réaction sera donc meilleure que s'il s'était abstenu de se caresser. r Suis-je normal docteur ? À travers tous les chambardements qu'apportent la puberté, bien des jeunes ont besoin de se situer face aux autres. La masturbation fait partie des sujets sur lesquels ils ont besoin de vérifier s'ils sont normaux, d'autant plus que cette pratique constitue souvent leur première activité sexuelle. En général, ce sont les garçons qui redoutent les conséquences physiologiques néfastes de la masturbation. Voici quelques exemples de questions recueillies sur Élysa : « Bonjour, je suis un adolescent de 16 ans et j'aimerais savoir si le fait de se masturber fréquemment (environ une fois par jour) peut entraîner une diminution de la taille du pénis et/ou peut entraîner des problèmes quant aux futures relations sexuelles (érection moins spontanée)? », « Est-ce qu'il est possible d'endommager le pénis en se masturbant au point de ne plus pouvoir avoir d'érection? », « Est-ce vrai que se masturber de façon excessive finit par courber le pénis? », « Est-ce vrai que la masturbation diminue la puissance sexuelle de l'homme? », « La masturbation amène-t-elle une diminution de la qualité du sperme? » Disons-le clairement, la masturbation ne cause pas de maladies physiques ou psychologiques, même si une activité trop soutenue peut causer temporairement une irritation du pénis ou de la vulve. Il en va comme de tout autre partie du corps. Les mécanismes internes qui permettent le gonflement du pénis ne peuvent pas être endommagés à l’usage. La courbure du pénis et sa taille ne sont pas modifiées par la masturbation. La taille définitive du pénis est obtenue à la fin de la puberté. sexualité Ces questions, qui apparaissent sur le site Élysa, en sont de bons exemples. « J’ai 12 ans et je me demandais s’il était normal d’avoir envie de se caresser le pénis? Si oui, pourquoi là plus qu’ailleurs? », « Est-ce que c'est normal que j'aie envie de me masturber presque tous les soirs? » « Est-il normal qu'un homme se masturbe une ou deux fois par jour ? » Paradoxalement, la masturbation est de plus en plus perçue comme quelque chose de « cool », alors on s'inquiète tout autant si la chose nous laisse de glace. « J’ai 15 ans et je n’ai jamais ressenti l’intérêt de me masturber. Mes amies se masturbent, mais moi, je n’en ai jamais vraiment eu envie. Suis-je normale? » Disons tout d'abord qu'il est aussi normal de se masturber que de ne pas le faire. C’est une activité sexuelle parmi d’autres. Certaines personnes n’éprouvent jamais le besoin de se masturber et d’autres le font plusieurs fois par jour. Pour ce qui est de la peur de l'excès, il faut savoir qu'il n'y a aucun problème à se caresser une ou deux fois par jour. En fait, la masturbation est considérée comme néfaste ou problématique seulement si elle occupe les pensées d'une personne au point de l'empêcher de fonctionner dans sa vie personnelle ou ses activités sociales. Pour satisfaire leur curiosité, il n'est pas rare que des adolescents pratiquent la masturbation entre amis. Ces caresses peuvent se faire côte à côte ou encore mutuellement. Encore une fois, il s'agit souvent d'une façon de se comparer. La masturbation entre amis peut répondre à certaines questions. Par exemple, est-ce que les autres répondent aux stimulations sexuelles de la même façon que moi? Cette pratique ne semble pas avoir de conséquences malheureuses en autant que les personnes impliquées consentent librement à le faire et se sentent respectées. L’essentiel est d’être en harmonie avec ses choix. Quelques statistiques Dans un sondage américain chez les jeunes de 15 ans, les deux tiers des garçons et moins du tiers des filles ont affirmé se masturber. Un autre récent sondage auprès de Français un peu plus âgés indique que 93 % des garçons de 15 à 18 ans se sont déjà masturbés. Encore une fois, les gars sont deux fois plus nombreux à le faire que les filles du même groupe (45 %). Cette étude éclaircit un autre aspect intéressant des différences entre les deux sexes : les garçons pratiquent la masturbation avant de connaître leur premier rapport sexuel, alors que c'est l'inverse chez les filles. Il semble que ce soit là une autre démonstration du fait que la dimension émotive ou intime prend une place plus importante dans la sexualité féminine que masculine. Le Magazine jeunesse . été 2003 19 Un geste naturel La masturbation consiste en la stimulation manuelle des organes génitaux, soit avec la main, soit au moyen d'un objet. Elle se pratique en solitaire ou en couple. En effet certaines personnes trouvent excitant de se masturber devant leur partenaire ou de le regarder faire. Lorsqu'une personne caresse les organes génitaux de son ou sa partenaire, on dit aussi qu'elle masturbe l'autre. L'autoérotisme fait partie du développement sexuel de la personne, mais il ne faut donc pas en faire une règle : c'est une question d'intérêt personnel, d'un choix propre à chaque personne. Si de nombreux adolescents font la découverte de la sexualité par la masturbation, d'autres n’y ont pas recours. Ces jeunes découvrent plutôt la sexualité et le plaisir lorsqu'ils ont une relation avec une autre personne. L’essentiel, c’est d’être en harmonie avec ses choix! Quoi de plus rassurant à l'adolescence que de constater que son corps répond bien aux caresses. La personne qui sait se donner du plaisir se sent alors plus compétente par rapport à sa sexualité. D'une part, elle est plus autonome, d'autre part, elle saura ensuite mieux exprimer ses préférences à son ou à sa partenaire sur la façon dont elle souhaite être caressée. La relation sexuelle en bénéficiera donc elle aussi. Des études démontrent d'ailleurs que les hommes et les femmes qui ont déjà connu l'orgasme par la masturbation avant leurs premiers rapports sexuels ont souvent moins de difficulté à atteindre l'orgasme avec leur partenaire. un geste naturel Toutes les enquêtes sur le sujet démontrent par ailleurs que la fréquence de masturbation décroît avec l'âge, tout comme celle des rapports sexuels. Les personnes en couple la pratiquent moins que les célibataires. De même, les hommes et les femmes les plus scolarisés ont eu plus de facilité à déclarer qu’ils se masturbent. Les poussées d'hormones sexuelles qui surviennent avec la puberté jouent un rôle important dans l’éveil des pulsions sexuelles. Pour plusieurs adolescents, la tension qui en résulte peut devenir très gênante et la masturbation les amènera à la soulager. À l'âge de la découverte de soi, l'auto-stimulation est aussi une façon simple de satisfaire sa curiosité sur la sexualité, de répondre à certaines questions. La masturbation est donc une expérience permettant de se découvrir, d’explorer son corps et les plaisirs reliés à la sexualité. La masturbation peut, par ailleurs, aider la personne à contrôler ses pulsions sexuelles. Un adolescent sera sûrement moins insistant auprès de sa copine s'il s'est masturbé juste avant la rencontre. De son côté, elle se sentira moins bousculée, surtout si elle n'a jamais eu de relation sexuelle. Le garçon peut aussi se servir de cette pratique pour apprendre à contrôler la montée de son excitation et donc le moment de son éjaculation. C'est une chose plus facile à faire lors de la masturbation que lors d'une relation sexuelle. Il lui restera cependant à transférer cet apprentissage dans la relation à deux ! Même si la masturbation semble plus fréquente à l’adolescence, elle ne lui est pas exclusive. De nombreux adultes la pratiquent toute leur vie durant. Il arrive aussi qu'une personne fasse la découverte de cette dimension de la sexualité seulement dans sa vieillesse. Quant aux jeunes enfants, ils se rendent rapidement compte, au cours de leur exploration, qu'il est agréable de caresser leurs organes génitaux : cette partie du corps est plus sensible que les autres. Il faut cependant spécifier qu'à cet âge, il n'agissent pas par pulsion sexuelle. Elle permet aussi de s’exercer pour apprendre à utiliser un condom. Finalement, faisons remarquer que la masturbation, même en couple, est une pratique sans risque de transmission du VIH. Aucun cas de transmission du VIH n’a été recensé suite à la masturbation d’un ou d’une partenaire. La peau des doigts est en effet une barrière naturelle qui protège contre les agressions extérieures. Cependant, en cas de lésions sur les doigts, il faut se protéger de tout contact avec le liquide pré-éjaculatoire, le sperme ou les sécrétions vaginales. Dans ce cas, l'utilisation d'un gant de latex est recommandée. Une pratique utile Masturbation et sexualité en couple Pour certaines personnes, la masturbation est une façon d’atteindre l’orgasme, pour d'autres, elle n'est pratiquée que comme préliminaire ou pour le simple plaisir de la caresse. Chose certaine, la masturbation est avant tout une recherche du plaisir. La masturbation peut avoir d'autres fonctions, comme la libération des tensions sexuelles ou simplement du stress accumulé dans la journée. Certaines personnes trouvent le sommeil tous les soirs après s'être masturbées. L'évasion est une autre fonction de la masturbation. L'acte en solitaire se prête bien aux fantasmes, et permet de s’évader dans un monde imaginaire, loin des contraintes imposées par la vraie vie. La masturbation, en effet, n’est pas qu’une expérience physique. En plus d'amener bien-être, détente et calme, elle peut être une belle occasion de découverte et d'intimité avec soi-même. Malheureusement, elle peut aussi être source de honte et de culpabilité pour certaines personnes qui ont intégré les messages négatifs véhiculés sur cette pratique. La pratique de la masturbation sert parfois de remplacement à la rencontre sexuelle, par exemple, chez les jeunes qui n’ont pas encore de partenaire sexuel ou plus tard, en période de célibat. Il y a des gens qui éprouvent le besoin de se masturber uniquement lorsqu'ils sont célibataires et qui, une fois en couple, cessent cette pratique. D'autres continuent à se masturber en parallèle à une vie sexuelle épanouissante à deux. Certains n'auront recours à la masturbation que lorsque leur partenaire n'a pas envie d'une relation sexuelle, alors que pour d'autres, la masturbation demeurera une activité sexuelle importante et complémentaire. Les bienfaits de la masturbation Comme nous l'avons vu, la masturbation peut constituer une étape importante de l’apprentissage érotique. Elle permet de découvrir son corps, d’explorer les touchers qui procurent du plaisir ainsi que ses différentes zones érogènes. L'avantage de l'auto érotisme est de pouvoir se concentrer entièrement sur soimême. De plus, il n'y a aucune pression psychologique ou émotive qu'engendre parfois la présence d'une autre personne. 20 Le Magazine jeunesse . été 2003 « Cela fait 7 mois que je suis avec mon copain, raconte une adolescente. L’autre jour, il m’a demandé si je me masturbais et j’ai répondu que oui. Il était très en colère et il m’a dit que j’étais une obsédée sexuelle. Selon lui, si je l’aimais vraiment, je ne ferais pas ça et j’arrêterais de le faire. Comment lui expliquer que cela n’a rien avoir avec lui? » Ce genre de conflit survient à l'occasion dans les couples. Il a des gens qui considèrent qu'une personne devrait délaisser la pratique érotique en solitaire lorsqu'elle vit une relation de couple. Ils redoutent une incidence négative sur les relations sexuelles. Des femmes et des hommes se sentent blessés que l'autre se donne son propre plaisir. Ils ont l'impression de ne pouvoir répondre entièrement aux besoins sexuels de l’autre. Cette absence de partage dans l'expérience sexuelle peut aussi leur sembler anti-romantique. Pourtant, même en couple, la masturbation peut s'avérer positive. La masturbation demeure un geste de contact avec soi et avec son corps. Se masturber peut correspondre à une détente, un soulagement et un beau rapport intime avec soi-même. Cette pratique ne constitue pas une trahison envers l'autre, puisqu’il ne s’agit pas d'une relation. Il n'y a pas non plus à craindre que la masturbation réduise le désir d'avoir des rapports sexuels en couple. C'est plutôt un complément. La relation sexuelle comporte des sentiments, un contact humain. La masturbation permet plutôt de soulager une tension sexuelle même si l'autre personne du couple n'éprouve pas ce besoin en même temps. C’est aussi une façon d’atteindre l’orgasme plus rapidement, sans les préliminaires. La personne qui se masturbe va directement au but en effectuant les gestes qu’elle préfère. Elle est de plus libérée de la responsabilité de faire plaisir à l’autre. La morale et l'histoire La réprobation morale de la masturbation remonte à la nuit des temps. Dans l’Égypte ancienne, on croyait que les personnes décédées devaient jurer devant le tribunal divin ne s’être jamais adonnées à la masturbation pour pouvoir accéder à la vie de l’au-delà. À certaines périodes de l'histoire, des Juifs ont été condamnés à mort pour s'être masturbés puisque cette pratique était considérée comme un péché capital. Quant à la religion chrétienne, elle a toujours condamné très plaisir Ce petit tour historique permet de retrouver l'origine de plusieurs mythes qui circulent encore aujourd'hui au sujet de la masturbation. S'il s'agit d'un acte qui suscite encore une certaine controverse, bien des gens sont aujourd'hui convaincus que la masturbation est un comportement sexuel normal et bienfaisant. * http://elysa.uqam.ca/ est un site Internet produit par le Département de sexologie de l'Université du Québec à Montréal avec le soutien du Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. Ces textes ont été écrits avec la collaboration de sévèrement la masturbation sous prétexte qu’elle détournait l’activité sexuelle de son but premier : la reproduction. On prétendait même que cette pratique pouvait épuiser la précieuse semence de l'homme. De péché, la masturbation devient maladie avec la thèse du docteur Tissot qui publie en 1760 « L’Onanisme : dissertation sur les maladies produites par la masturbation ». Le médecin d’origine suisse y affirme que l’autosatisfaction peut entraîner impuissance, épilepsie, tumeurs, perte de mémoire, insomnie, angoisse, idiotie, hystérie, isolement, vertiges, jaunisse, épuisement et même la mort. Ces croyances ont cours jusqu'au milieu du XXe siècle. C'est Havelock Ellis, vers la fin du XIXe siècle, qui le premier présente la masturbation comme un bienfait plutôt qu’une calamité. Vers la même époque, Freud, qui décrit la masturbation comme une phase normale de la puberté, considère tout de même qu'elle est un signe d’immaturité sexuelle. Selon lui, en passant à l'âge adulte, une personne équilibrée doit abandonner la masturbation au profit de la relation sexuelle en couple. Au milieu du XXe siècle, l'Association Américaine de Psychiatrie classait encore la masturbation parmi les pathologies des comportements sexuels, au même titre que l'homosexualité ou la fellation, d'ailleurs! Pendant ce temps, le biologiste Alfred Kinsey réalise enfin la première enquête sérieuse sur le sujet. Il révèle ainsi que la majorité des hommes et des femmes se masturbent au moins une fois dans leur vie et que cette pratique aide à l’apprentissage de l’orgasme. Le Magazine jeunesse . été 2003 21