La mythologie de la déesse dans l`écologie
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La mythologie de la déesse dans l`écologie
Ce texte a été reproduit via un logiciel de reconnaissance de texte, des erreurs peuvent subsister. LA MYTHOLOGIE DE LA DEESSE DANS L’ECOLOGIE Janet Biehl, 1994 Au moment où la couche d’ozone se dissout peu à peu, où l’air pollué submerge nos villes, où l’effet de serre réchauffe l’atmosphère, où les océans deviennent des cloaques, il paraît clair que les politiques dites de gauche ne peuvent ignorer plus longtemps la destruction de la biosphère. Cela exige que les théoriciens et militants de la gauche américaine examinent cette crise en cours. Malheureusement, lorsqu’il se tournent vers les principaux mouvements écologistes américains, comme les Verts, les biorégionalistes ou les mouvements écoféministes, ils ne trouvent pas de réponses cohérentes et rationnelles, mais plutôt un mysticisme rêveur vouant à la Terre un culte avec une pléthore de rituels. Il faut reconnaître qu’un travail de qualité est accompli par ces mouvements dans le domaine des déchets toxiques ou du recyclage ; de même, sur le plan théorique, un débat salutaire a émergé entre deux approches distinctes de l’écologie, celle de l’écologie sociale et celle de l’écologie profonde. Cependant, un grand nombre de militants Verts donnent l’impression d’avoir désespérément recours au théisme sous toutes ses formes. Rituels et méditations apparaissent de plus en plus dans les programmes des conférences vertes, écoféministes et biorégionalistes. Il arrive que des militants en lutte contre la destruction de la biosphère invoquent une déesse ; contre la culture écocide et destructrice on leur suggère de célébrer la « vie et le monde » comme une « divinité immanente » car « la déesse n'est pas séparée du monde, Elle est le monde et tout ce qu’il contient — nous autres inclus — » ainsi que nous l’explique Starhawk dans son ouvrage The Spiral Dance. De plus, ces rituels ne se contentent pas de célébrer les changements de saison, les cycles de mort ou de renaissance, les changements de lune, mais ils cherchent aussi à développer le côté intuitif de la nature humaine. L’accent est mis sur le développement de l’irrationnel car « les mystères de l’absolu ne pourront jamais être expliqués, seulement pressentis ». Pour nous sensibiliser aux problèmes écologiques et pour nous donner une conscience écologique « qui unifie les contraires », les prêtresses de la déesse utilisent tout autant des bougies, des plantes, de l’encens, des pierres que des pentacles, des cristaux ou d’autres attributs New Age comme instruments, ainsi que la panoplie des symboles terre-air-feu-eau. Accompagnés de battements de mains ou de tambours, de chants ou de pas de danse, s’inspirant de transes et de rêves, les fidèles de la déesse lancent des sorts, « participent au souffle du groupe » et « libèrent l’énergie du groupe ». Ils présentent aussi la déesse comme immanente en nous, en particulier pour les femmes car à la différence des hommes « elles incarnent la déesse ». Ce culte de la déesse n’est pas né dans les conférences des Verts. Ce phénomène est apparu aux Etats-Unis dans les années 1970, promu par certaines au sein du mouvement féministe et écoféministe comme moyen de transformation personnelle. En identifiant comme cause principale de la crise écologique « la société technologique » et la « mécanisation cartésienne de la planète » qui domineraient à la fois les femmes et la nature, certaines écoféministes en sont venues à considérer la déesse comme la métaphore de l’interconnexion de toutes choses et à proposer son culte comme force de « respiritualisation » ou de « réenchantement du monde ». Depuis lors, la croyance en la déesse s’est retrouvé dans d’autres domaines et sujets de recherches : dans la géoscience avec l’Hypothèse Gaïa de James Lovelock, dans la théorie des systèmes avec The Calice and the Blad de Riane Eisler, dans la psychologie jungienne et le mysticisme des archétypes avec The Times Falking Bodies Take to Light d’Irwing Thompson, dans le taoïsme ou même la physique quantique. C’est seulement depuis quelques années que la croyance en la déesse est en vogue chez certains Verts qui y voient là le moyen de cultiver une conscience pacifiste, antihiérarchique, ouvrant la voie à une société écologique. Ce culte de la déesse se réfère souvent à la spiritualité. C’est une source de confusion, car le terme spiritualité possède une grande variété de significations : il peut vouloir dire simplement la sensibilité écologique envers la nature mais aussi avoir une signification profondément religieuse en rapport avec la déesse (par définition une supernature). Mon propos n’est pas de critiquer la croyance religieuse en elle-même, la foi religieuse est un problème éminemment personnel. Il ne fait aucun doute que des militants politiques peuvent être inspirés par la foi. La croyance religieuse a parfois été un soutien, y compris dans les mouvements politiques de gauche, comme dans le mouvement Dorothy Day’s Catholic Worker. Mais quand la croyance religieuse devient partie intégrante d’un mouvement politique, comme c’est souvent le cas pour le mouvement Vert, quand la spiritualité — dans ses aspects théistes — est désignée comme un des principes d’un mouvement politique, alors il doit être examiné comme n’importe quel principe du programme (à l’image de la démocratie ou de la décentralisation) avec l’ensemble de ses implications politiques. Dès lors qu’une religion est proposée comme principe politique, il n’y a aucune raison qu'elle échappe aux analyses ou aux critiques rigoureuses. Un examen critique est plus que jamais nécessaire car les faits historiques eux- mêmes sont mythifiés au nom de ces perspectives théistes. Certains auteurs influents au sein des mouvements écologiques dressent le tableau rassurant d’une ère néolithique bienveillante pratiquant le culte de la déesse, et jugent l’histoire en Occident depuis trois mille ans avant J.-C. comme pernicieuse en bloc. Le mythe d’une culture écologique néolithique vers laquelle nous pourrions souhaiter retourner est en train de naître. Un tel atavisme devrait suffire à nous alarmer, mais ceux qui créent actuellement le mythe de la déesse considèrent comme souhaitable le retour à cette conscience de la société néolithique. Dans la mesure où les peuples du néolithique usèrent plus de mythes que de raison ou de science pour expliquer les origines de l’univers, ils nous encouragent à croire que la mytho-poésie et l’intuition sont les formes de réflexion écologique capables de résoudre nos problèmes. C’est pourquoi une analyse critique du culte de la déesse ne doit pas porter seulement sur le contenu du mythe, mais également sur la fonction du mythe dans une société capitaliste industrialisée. Alors seulement apparaît la perspective de changement social prôné par le culte de la déesse. L’instrumentalisation des mythes Au cours de l’histoire, les religions ont été profondément impliquées dans des mouvements pour le changement social à l’ouest, notamment chez les Hébreux du premier millénaire avant J.-C. ou chez les calvinistes du dix-septième siècle. En revanche, et cela est naïvement et largement ignoré, les religions ont aussi servi de base à des systèmes politiques. L’archéologue James Mellart (auquel se réfèrent de nombreux adeptes de la déesse) remarquait : « les religions […] tendent à résister aux changements politiques. Les gens s’identifient aux religions et tendent à préserver ce signe extérieur de leur identité à travers toutes les épreuves.1 » Le fait que la plupart des changements sociaux depuis l’avènement de l’Etat-nation et depuis la sécularisation de la pensée occidentale aient été le fait de mouvements politiques laïcs plutôt que religieux nous incite à réfléchir sur la tendance actuelle à la création de mythes et au culte de la déesse. La popularité du mythe de la déesse est le résultat des profonds bouleversements de notre société. Ses adeptes mettent en avant des conditions sociales qui semblent appeler une « respiritualisation » : Dans notre culture anonyme de masse, les gens sont de plus en plus isolés les uns des autres, la société est fragmentée et les communautés détruites, les individus sont traités comme des machines par un Etat bureaucratique et ils se sentent déconnectés, aliénés et déshumanisés. Il leur est de plus en plus difficile de réaliser leur développement personnel, leur vie intérieure et ils sont finalement saisis d’un profond sentiment de vide. Ainsi, aujourd’hui, les machines et l’argent ont plus de valeur que la vie, les êtres humains — ou tout autre être vivant. Pour beaucoup, le culte d’une déesse permet de réévaluer la dimension qualitative de la vie, une vision de soi plus valorisante, et ce, surtout chez les femmes. Tout cela peut être perçu comme une forme d’aide : « Changez-nous ! Touchez-nous ! Touchez- nous ! Changez-nous ! » est l’une des invocations courantes à la déesse évoquant spécifiquement ces besoins. Les rituels du culte de la déesse sont considérés comme de très bons moyens de réunir les gens. « La spiritualité nous permet de sentir des liens très étroits entre nous » écrit Spretnak qui poursuit : « Notre union est profonde » Pour certains peut-être cela est-il vrai2 ? Pourquoi pas ? Il ne fait aucun doute que les rituels jouent un rôle important dans les différents passages de la vie, que ce soient les célébrations ou les enterrements. Aujourd’hui, toutefois, nous sommes confrontés à un problème différent ; l’utilisation consciente des mythes et des rituels en vue de changements politiques. Comme l’a exprimé Georges Sorel au début de ce siècle, le point important concernant l’utilisation des mythes en politique n’est pas leur contenu ni même leur véracité ou leur fausseté, mais plutôt leur efficacité ou leur inefficacité – en d’autres termes, leur instrumentalisation. Nous sommes témoins aujourd’hui de l’émergence d’une utilisation instrumentale, partie intégrante d’un mouvement politique, de mythes en vue de satisfaire des besoins personnels. Bien sûr, les mouvements politiques devraient se sentir concernés par les besoins émotionnels de leurs membres. Les besoins sociaux de satisfaction et de vie communautaire sont réels ils ont des causes sociales 1 2 James Mellaart, The Neolithic of the Necir East, New York Scribner’s, 1975, p 279. Charlène Spretnak, The Politics ofWomen’s Spirituality, New York Anchor Press, 1982. profondes. Comme par exemple, l’invasion par le marché de tous les aspects de la vie ou la subordination de la plupart des individus à plusieurs hiérarchies au sein de l’Etat. Dans ces circonstances, peut-on vraiment remédier aux sentiments de vide et d’aliénation, dont les causes fondamentales sont sociales, aux moyens de symboles et de rituels ? Les fidèles, venant d’une culture fast-food, peuvent-ils vraiment trouver une alternative sérieuse dans les mythes ? Les conditions sociales dans lesquelles nous vivons ne produisent pas seulement un sentiment de vide et d’isolement mais également un énorme stress. Ce stress est si profond qu’il tend à « empêcher » les gens d’avoir le temps, l’énergie, voire même la volonté d’étudier la complexité de notre société, de la crise écologique et des solutions politiques qu’on leur propose. Dans ces conditions, il est très tentant d’accepter un symbole qui fournit un substitut. « Somme toute, les gens stressés manquent d’énergie pour s'occuper d’autre chose que d’eux-mêmes » note le psychologue David Elkind. « Les symboles, véritable simplification à l’extrême, sont une économie d’énergie. »3 Les symboles semblent remplir le vide des vies personnelles et sont de surcroît un moyen finalement beaucoup plus facile de comprendre la crise. C’est la solution fast-food à un problème théorique. Leur acceptation passive nous évite d’avoir à étudier et à penser. Cela n’a rien à voir avec le dévouement à une cause. Le culte de la déesse fait plus appel au désir de satisfaction immédiat d’un besoin qu’à des principes, plus à l’angoisse qu’à la conscience, plus à un vague désir de communauté qu’à une authentique solidarité politique et sociale basée sur un engagement et une compréhension partagée. Au lieu de cela, un rêve issu du lointain néolithique devient un substitut facile à l’analyse historique sociale et politique. Il serait extrêmement étonnant qu’un tel raccourci de type fast-food (l’adoption d’un mythe) apporte autre chose qu’une solution de type fast-food. Et, de ce point de vue, le culte de la déesse semble le plus souvent avoir échoué, y compris en tant que thérapie. Le mythe Le contenu du mythe sur lequel reposent ces rituels est assez simple. Au temps préhistorique du néolithique la société était, paraît-il, égalitaire. Les femmes, en particulier, loin d’être oppressées avaient un statut social dominant Les gens vivaient en harmonie avec la nature et leurs semblables. « Durant plusieurs milliers d’années, nos ancêtres du néolithique vécurent de l’agriculture. Les fouilles archéologiques de ce type de peuplement nous révèlent des tombes de même nature, pas de fortification et aucun signe de guerre. »4 Un grand nombre de figurines trouvées sur des sites néolithiques représentent une déesse ou des déesses adorées en ce lieu. Et l’égalitarisme des sociétés villageoises du néolithique aurait été lié au culte de déesses. Le culte d’une déesse étant considéré comme antihiérarchique. « La déesse n’est pas une figure d’autorité » nous assure Spretnak ; et Starhawk ajoute que le culte de la déesse est par nature démocratique, « très proche des idéaux des Pères fondateurs de la “révolution américaine” ». Les implications du culte de la déesse sont prétendument écologiques par elles-mêmes, l’auto-apprentissage de l’unicité avec la nature est le symbole de l’harmonie entre les humains, les animaux et la nature. Ces cultures paisibles, durables et égalitaires sont présumées avoir été détruites par l’invasion de nomades pastoraux immigrants. Les tribus barbares indo-européennes des steppes eurasiennes, les « envahisseurs kurgans » comme ils sont souvent nommés, originaires des steppes du Pont et de la Volga, auraient commencé à envahir l'Europe néolithique au cinquième millénaire avant J.-C. D’une culture guerrière, sur des chars de combat ou à cheval, ils conquirent sans peine les paisibles adorateurs de la déesse et imposèrent un dieu du Ciel, un culte guerrier et un ordre social 3 David Elkind, The Hurried Child, Reading, Mass.: Addison-Wesley, 1981. Spretnak, Spiritual Dimension of Green Politics, Bear and Co, 1986. Starhawk, The Spiral Dance, Harper and Row, 1979 4 patriarcal. Et nous en sommes encore là, aujourd’hui, dans cette culture indo-européenne. En dominant la culture fondée sur le culte de la déesse, ils ont surtout désacralisé la Terre5. La culture occidentale européenne qui découle directement de ces envahisseurs kurgans s’est, de manière ininterrompue, préoccupée de la puissance et de la domination. On apprend dans le journal écologique radical Earth First ! que « l’élévation de la civilisation s’est accompagnée d’une hausse du taux de maladies, du taux de pauvreté et de la domination politique, encore aujourd’hui considérée comme un progrès, une évolution sociale et une bonne douzaine d’autres concepts valorisants6 ». Ceux qui cultivent le mythe de la déesse suggèrent que l’Europe néolithique était le prototype même de la société écologique. Se réclamer aujourd’hui de ces valeurs et resacraliser la nature nous permettrait de rétablir l’harmonie avec la nature, de respecter la Terre et d’arrêter la pollution. Nous prendrions également conscience qu’il faut arrêter de se dominer les uns les autres. Alors, la tranquillité et l’égalité pourraient être rétablies si nous recommencions à adorer la Terre en tant que déesse. Dans une rhétorique éblouissante et fascinante, William Irwin Thompson déclare que « les civilisations, tel le pénis, s’élèvent et retombent lorsque les tours et les remparts s'effritent et se mélangent à la terre, ils retournent étreindre la Grande Mère7 ». L'examen des preuves Incontestablement, certaines sociétés néolithiques devaient être relativement égalitaires. Elles ont hypothétiquement aussi pu être matrilinéaires, bien que cela n’ait pas encore pu être prouvé. Les cultures néolithiques étaient certainement religieuses et devaient avoir de forts concepts supranaturels. Il y a aussi, à partir du milieu du néolithique, c’est un fait prouvé, un accroissement du nombre et de la sophistication des armes trouvées sur les sites funéraires. Mais les problèmes d’interprétation de ces faits sont nombreux. De plus, ceux qui croient aux mythes sur le néolithique ont une fâcheuse tendance à les déformer. Ils ont également tendance à se référer à un idéalisme philosophique simpliste, en pensant que les symboles culturels déterminent la réalité sociale, confondant par là même les symboles religieux et les institutions religieuses. D’ailleurs, ils ne savent pas comment aborder le rapport entre l’autorité religieuse et la société laïque. Et ils éludent la question de savoir si le règne d’une coutume ou d’une tradition rigide est vraiment plus souhaitable qu’une alternative communautaire rationnelle fondée sur l’individualisme et la liberté. « La vieille Europe » L’une des plus scandaleuses déformation de la réalité est l’utilisation faite par l’ethnologue Gimbutas de l’expression « vieille Europe » pour déterminer les cultures néolithiques de l’Europe du sud-est. Les partisans des mythes qui s’appuient sur ses travaux ont tendance à en élargir le sens à toute l’Europe néolithique. Spretnak, par exemple, le fait couramment et William Irwin Thompson va jusqu’à élargir le champ du culte de la déesse jusqu’à en faire une religion universelle qui se serait selon lui étendue sur toute l’Afrique et l’Eurasie8 alors que, en aucun cas, ni le terme, ni la culture caractéristique qu’il décrit ne se réfèrent à l’ensemble de l’Europe néolithique. En effet, en Europe néolithique centrale et du 5 Spretnak, id.; The Nation, Letters section, 2 avril 1988. Christopher Manes, « A Critical Mythology of Civilization », Earth First!, 1er août 1988. 7 Willian Irwin Thompson, The Time Falling Bodies Take to Light, St Martin Press, New York, 1981. 8 Thompson, Falling Bodies. 6 nord, rares sont les figurines retrouvées de forme humaine de l’un ou l’autre des deux sexes. Donc, quand bien même on célébrait le culte de la déesse Vinca, ce culte n’avait rien de l’universalité proclamée par Thompson. De même, l’égalitarisme n’est en rien caractéristique de toute l’Europe néolithique. La société néolithique maltaise, par exemple, était soumise à l’autorité d’un chef et d’une organisation complexe de prêtres. Comme le décrit l’archéologue Colin Renfrew dans son livre Before Civilization, la hiérarchisation qui s’est développée le fut fort probablement de l’intérieur indépendamment de l’invasion des nomades. De manière générale, l’ethnologie des sociétés tribales d’aujourd’hui montre une évolution de la société égalitaire des bandes nomades de chasse vers un système de statut et de rang que l’on retrouve dans les sociétés tribales et dans le clergé des sociétés guerrières, simples ou complexes. Ce mode de développement a vraisemblablement dû se produire également en Europe néolithique. La réalité est que la rupture que l’on retrouve dans l’art ne prouve pas nécessairement qu’une invasion eût lieu. Selon l’anthropologue Antonio Gilman « il n’est pas évident que les différences dans les objets de tous les jours, voire même des différences de langage, soient le signe de différences de culture.9 » Cette rupture peut très bien être attribuée à une cause interne, le développement d’une forme de hiérarchie, qui peut elle-même par ailleurs être la cause de la prédominance économique et politique croissante des hommes sur les femmes. Il existe des preuves de cette montée interne de la hiérarchie dans l’Europe du sud-est. La société crétoise de Minos (que Gimbutas intègre à sa « vieille Europe » et que les faiseurs de mythes de déesses citent comme l’exemple de la société où le culte de la déesse était à son paroxysme) disposait d’une structure sociale à mi-chemin entre celle du clan et celle de l’Etat et où, par exemple, la nourriture était distribuée par une administration. Les faiseurs de mythes ont tendance à totalement ignorer la genèse des systèmes hiérarchiques dans les cultures non occidentales. Il est donc contestable, c’est le moins que l’on puisse dire, d’attribuer la disparition des cultures fondées sur le culte des déesses et l’émergence du système hiérarchique exclusivement ou même principalement aux envahisseurs Kurgans. En effet, il est archéologiquement très difficile de prouver une invasion. « Prouver une migration préhistorique ou même la présence d’une économie pastorale n’est pas chose facile [...] les hypothèses fondées sur des migrations devraient être considérées avec beaucoup de prudence. » nous prévient Milisauskas. En fait, la théorie de Gimbutas est loin de faire l’unanimité parmi les archéologues. Les plus récents travaux sur l’Europe néolithique ne vont pas du tout dans son sens. Colin Renfrew récuse la théorie d’une « monogénèse » qui attribue aux changements de l’ordre social une cause unique, telle une migration. Le linguiste Edgard Polome avance, lui, que « nous savons qu’il peut y avoir un changement radical de la religion sans changement culturel10». Il est donc permis de penser, du fait qu’il n’existe pas de preuves tangibles de migrations de populations, que les changements observables sur les sites archéologiques européens du néolithique furent le fait d’une évolution continue des rapports hiérarchiques au sein même des cultures. Quelle déesse ? Mais de quelle déesse parle-t-on ? Parfois, de la déesse de la nature. D’autres fois, de la déesse de la Terre ou de la « Grande Mère », voire de la « reine de l’Univers ». Les faiseurs de mythes contournent généralement la question en argumentant qu’il s’agissait de plusieurs déesses, « d’une unicité dans la multiplicité ». 9 In Roberto Suro, « New Theories on Early Europe Cite Migration, not Conqucst », The New York Times, 10 mai 1988. 10 Colin Renfrew, Problems in European Prehistory, Cambridge University Press, 1979. Polome et Renfrew, in Suro, New Theories. Le plus souvent, la déesse est simplement appelée « déesse de la nature ». On pense souvent à la « nature » comme étant la nature non humaine et tel est le sens qui semble être utilisé lorsque l’on nous dit que « l’art et les objets (du néolithique) sont la preuve d’une compréhension fine de l’interrelation des hommes avec la nature et ses cycles » comme l’écrit Spretnak11, suggérant par là que les fidèles de la déesse du néolithique auraient pas mal à nous apprendre ! Que les gens du néolithique puissent ne pas avoir eu une conception du non-humain proche de la nôtre ne traverse même pas l’esprit de Spretnak. Il n’y a aucune raison de penser que la représentation de la nature et celle de l’humanité aient pu être conceptuellement différenciées avant que les philosophes grecs du premier millénaire avant Jésus-Christ n’introduisent les concepts de Physis et de Nomos. Il n’y a donc aucune raison de croire que la déesse puisse avoir été, à cette époque, celle d’une nature non humaine. Dans d’autres passages de la littérature mythique des déesses, il est fait référence à la « déesse de la terre ». Spretnak, par exemple, affirme que l’archéologie nous a fait découvrir « un art sophistiqué et des formes symboliques religieuses faisant référence à la Terre Mère »12. Cela aussi est historiquement contestable car le fait que les déesses adorées dans la « vieille Europe » ne fussent pas des déesses de la Terre est passé sous silence. Bien qu’encore aujourd’hui beaucoup de peuples africains ou d’indiens d’Amérique du Nord adorent une déesse de la Terre (avec le plus souvent simultanément un dieu du Ciel), cela semble être en ce qui concerne l’Europe un phénomène spécifiquement indo-européen. Les Indiens védiques adoraient Rthivi, les Grecs adoraient Gaïa et les Romains adoraient Telia, tous étaient de souche indo-européenne ; à quoi il faut ajouter certains peuples pastoraux nomades également de souche indo-européenne tels les agressifs Scythes du premier millénaire avant Jésus-Christ, qui entrèrent en Europe bien après les Kurgans et qui leur ressemblaient de manière frappante. Ils étaient guerriers, avaient des chefs, accumulaient les richesses, avaient des funérailles royales et appréciaient particulièrement les expéditions contre les anciennes cultures. Tout cela ne les empêchait pas de vouer un culte à une déesse de la Terre et ce culte ne leur ajoutait pas une once de matriarcat ou de pacifisme. Le culte de la déesse de la Terre apparaît donc dans les faits comme une forme atténuée de l’adoration de la grande déesse. Ironiquement, en nous proposant d’adorer aujourd’hui la Terre en tant que déesse, les faiseurs de mythes, sans s’en rendre compte, nous demandent d’adorer la déesse sous sa forme indo-européenne, forme totalement compatible avec une société patriarcale guerrière. Finalement, ce qui pose le plus un problème social, du point de vue théorique, est le fait que la déesse soit parfois considérée comme la divinité de la « Nature » au sens du cosmos. Dans ce sens, la déesse représente le cosmos universel et l’ordre social immanent de l’univers tout entier. Le cosmos comprend donc les humains ainsi que leur ordre social. Dans la conception du monde des tribus et des peuples néolithiques, l’ordre social faisait partie intégrante du cosmos sacralisé. La conception d’une divinité immanente dans l’ordre social est donc profondément conservatrice. Le concept religieux d’immanence peut servir à justifier n’importe quel ordre social, qu’il soit égalitaire, despotique ou nomade patriarcal en le rendant immuable, voire même en quelque sorte « enchanté ». Un changement de l’ordre social ne put être concevable qu’avec l'expulsion de la divinité hors de la nature et donc hors de l’ordre social. Cela est précisément l’extraordinaire contribution des Hébreux (un peuple très critiqué dans la littérature des faiseurs de mythes). En rendant la divinité transcendante, les Hébreux ont sécularisé le monde. Ils ont ainsi inauguré une tradition révolutionnaire 11 12 Spretnak, Spiritual Dimension. Spretnak, Spiritual Dimension. permettant le changement de n’importe quel ordre social — y compris bien sûr ceux fondés sur l’idéologie de la domination de la nature. Cette croyance nous oblige à poser certaines questions. Quels sont les effets déterminants des symboles culturels sur la réalité de la vie sociale ? Existe-t-il des raisons suffisantes permettant de penser qu’un symbole culturel telle qu’une déesse puisse plus sûrement avoir une répercussion positive, comme l’instauration d’une société écologique, qu’une répercussion négative comme la réapparition des sacrifices humains ? Quelles sont les relations existant entre le contenu d’un mythe et la réalité sociale ? Les mythes déterminentils réellement la réalité sociale ? Bien des gens issus des mouvements écologiques ou écoféministes le pensent. Qu’en d’autres termes, le fait de transformer le contenu des mythes de quelque chose de « mauvais » en quelque chose de « bon » puisse changer la réalité sociale. L’idéalisme et le statut social des femmes Cela va tout à fait dans le sens du jugement naïf de Lynn White qui prétend que « puisque les racines de notre mal sont si profondément religieuses, le remède doit nécessairement lui aussi être profondément religieux [...] que nous le définissions comme tel ou non ». Nombreux sont ceux, parmi les mouvements écologiques et écoféministes, qui ont tendance à ignorer le rôle joué par les hiérarchies religieuses (y compris bien sûr celle des prêtresses) dans l’essor de la hiérarchisation des sociétés. Hiérarchie qui, par ailleurs, a beaucoup plus de rapport avec notre crise écologique que n’en ont les symboles qu’elle manipule. L’analyse rigoureuse des faits ne peut donc en rien fonder la thèse selon laquelle le contenu des mythes façonne irrémédiablement la réalité, pas plus que ne pourrait le faire le sexe de la divinité adorée. Les écrits anthropologiques ne rapportent aucune correspondance entre le culte d’une déesse et un statut politique et social élevé des femmes. On trouve, par contre, fréquemment le contraire. Si on considère la religion de Birmanie (le bouddhisme Theravada), on n’y trouve aucune divinité féminine alors que le statut des femmes « birmanes » est parmi le plus élevé qui soit13. Nous citerons comme contreexemples le bouddhisme chinois qui possède une divinité féminine (Kwan Yin doit être la plus représentée et la plus adorée de toutes les divinités du bouddhisme chinois) et le culte de la vierge de la Guadeloupe (l’une des plus adorée de toutes les « déesses mères », véritable symbole national du Mexique). Le moins que l’on puisse dire est que le culte de Kwan Yin n’a pas élevé d’un iota le statut des femmes chinoises (la Chine reste le type même de la société patriarcale) et que la vierge de Guadeloupe n’a pas fait grand chose non plus pour les Mexicaines (la culture mexicaine reste notoirement patriarcale et machiste)14. L’anthropologue féministe Peggy Sanday, qui étudia douze peuples, considère qu’il existe une relation entre le statut élevé des femmes et leur engagement politique et l’existence d’une forme de solidarité féminine, mais jamais avec le culte d’une déesse15. Le sexe de la divinité adorée aurait même très peu de rapport avec le sexisme de la culture concernée. Un nombre impressionnant d’auteurs mettent d’ailleurs en garde contre le fait de vouloir trouver une correspondance directe entre les mythes d’une culture et sa réalité politique et sociale. 13 John P. Ferguson,, in J.P. Preston, Mother Worship: Themes and Variations, Chapel Hill, 1982. Ena Campbell, The Virgin of Guadalupe and the Female Self-image : a Mexican Case History, in Preston, Mother Worship. 15 Peggy R. Sanday, Female Status in the Public Domain, in M.Z. Rosaldo et L. Lamphere, Woman, Culture and Society, Stanford university Press, 1974. 14 D’après Marina Warner « il n'y a aucune équivalence logique dans quelque société que ce soit entre la culture d'une femme sacralisée et une position dominante des femmes ». L’anthropologue Ena Campbell note, elle, que « le culte d’une déesse mère semble être, inversement, en relation avec le statut séculier des femmes ». L’éminente théoricienne féministe Sarah Pomeroy conclut, quant à elle, que « vouloir utiliser les théories du culte des déesses mères pour en tirer une conclusion concernant le statut élevé des femmes de l'époque (préhistoire) serait tout bonnement téméraire16». On ne peut certainement pas dire que si l’on vouait demain un culte à une déesse, la situation des femmes s’en trouverait améliorée. L’affirmer serait une forme d’idéalisme philosophique la plus grossière qui soit La mytho-poésie Il reste tout de même un thème pour lequel le mythe de la déesse garde une efficacité instrumentale : ce qui tourne autour de l’irrationnel, l’intuitif et l’émotionnel, en résumé à la sensibilité mytho-poétique. « Les mystères de l'absolu ne seront jamais expliqués [...] seulement perçus de manière intuitive » explique Starhawk. Le raisonnement des faiseurs de mythes repose sur le postulat que notre processus mental fondamental n’est pas rationnel mais mythopoétique. C’est précisément parce que la culture occidentale a toujours porté un regard méfiant sur la mytho-poésie, l’émotion et le sensuel, en opposition à la raison que la mytho-poésie peut nous aider comme le prétend William Irwin Thompson « à trouver une ouverture sur le monde idéal », vision harmonieusement écologique du monde de la déesse16. Les faiseurs de mythes considèrent la restauration d’une forme mythopoétique de pensée comme l’un de leurs projets radicaux. La mytho-poésie est devenue un élément si central de la politique des faiseurs de mythes qu’il convient d’être clair sur ce qu’est précisément la sensibilité mythopoétique. La spécificité de la mytho-poésie en tant que processus mental est sa tendance à confondre les symboles avec ce qu’ils symbolisent Les faits historiques, la société et même la science deviennent des éléments d’importance négligeable. L’un des aspects du projet des faiseurs de mythes est de démontrer que la rationalité et a fortiori la science sont enracinées dans les mythes. Les mythes de la science deviennent pour eux beaucoup plus importants que la science elle-même qu’ils considèrent d’ailleurs comme une forme de grand mythe. Thompson déclare même que « la science poussée à son extrême devient un mythe ». La raison n’est pas plus épargnée que ne l’est la science. Raison et science ne sont d’ailleurs que très rarement distinguées dans ce genre de littérature. Les faiseurs de mythes semblent avoir aussi peu de considération pour les faits historiques que pour les faits scientifiques. C’est avec une totale indifférence envers les faits historiques et scientifiques qu'ils imposent leur vision de la réalité sur la réalité des faits euxmêmes. Par ce procédé, ils semblent se rallier à l’effarante pensée de Reagan « les faits ne sont vraiment que de stupides choses ». Un autre aspect consternant est qu’ils ne tiennent absolument pas compte de tout ce qui a pu se passer au cours de l’histoire de l’Occident depuis la chute du néolithique. Ils considèrent que du point de vue écologique, ce qui se déroula est l’antithèse de la reconstruction qu’ils proposent. Thompson soutient que « si notre culture veut en savoir plus, alors nous devons faire l’effort de passer du mythe héroïque de Darwin, de celui de Marx ou de Freud au langage hiéroglyphique des dieux ». 16 Marina Warner, Alone of Ail Her Sex, New York, Knopf, 1976. Sarah Pomeroy, Godesses, Whores, Wives and Slaves, New York, Shocken Books, 1976. S’il est clair que la gauche traditionnelle n’a jamais su donner suffisamment d’importance à ce qui touche à la sensibilité et à la sensualité (fait qui doit être corrigé sans plus tarder), les faiseurs de mythes quant à eux cherchent à nous éloigner du traditionnel et fondamental appel de la gauche au raisonnement humain et à la morale, afin de promouvoir leur sensibilité mytho-poétique qu’ils considèrent comme étant instrumentalement plus efficace pour changer les gens. Ils cherchent par là même à réduire la pensée à son plus petit commun dénominateur. Cette pratique est de plus en plus acceptée par les courants mystiques des mouvements écologiques. Un nombre important de livres traitant de ce thème sont récemment apparus depuis le Lost Goddesses of Ancient Greece de Spretnak ou le Ancient Mirrors of Womanhood de Stone. On est loin de l’apport théorique de Stone dans son livre When God was a Woman où elle montrait que des facteurs sociaux tels que la matrilinéarité devaient avoir au moins autant de répercussions sur le statut des femmes que n’en avait le culte de la déesse. A une époque où le taux d’illettrisme monte en flèche aux Etats-Unis, où le système éducatif est constamment à deux doigts de s’effondrer et où l’ignorance des faits historiques et géographiques les plus élémentaires atteint des proportions effroyables, que l’on ne s’étonne pas si ces mythes nouvellement créés apparaissent dans des livres écrits au sixième degré. Si l’on considère que la pensée mytho-poétique est acceptée telle quelle par les mouvements Verts, il faut s’attendre à ce qu’il peut y avoir de plus sombre dans les politiques écologiques (ce vis-à-vis de quoi les mouvements allemands sont extrêmement prudents). En résumé, le véritable problème n’est pas de savoir quel nouveau mythe arrive en remplacement de quel mythe plus ancien mais que la sensibilité mytho-poétique prend de plus en plus de poids au détriment de la science et de la rationalité. Ces deux concepts tendant à disparaître dans une société de plus en plus irrationnelle. Le mythe de la déesse est finalement, peut-être, plus enclin à soutenir la société de consommation capitaliste qu’à la combattre. Le capitalisme de consommation infantilise les gens, comme l’observe de manière pertinente Christopher Lasch : « La totale dépendance du consommateur par rapport à ce système vital, complexe, extrêmement sophistiqué [...] et plus généralement par rapport aux biens et services proposés recrée certaines sensations infantiles de faiblesse totale »17. Si le sein de la déesse peut être le symbole de la subsistance, il peut être aussi celui de la dépendance vis-à-vis de cette société de consommation, et il peut aussi représenter ce stupide sentiment fataliste de faiblesse dans une société dominée. La déesse : produit de consommation Cette pseudo-convivialité et cette pseudo-unicité considérées comme les symboles de notre interdépendance, peuvent être l’excuse invoquée pour faire disparaître toute forme de dissidence dans la quête d’un futile consensus. L’œuf peut apparaître comme le symbole primaire de la « fertilité » et de l’« unicité », ou comme celui du totalitarisme. Ce mythe de la déesse aujourd’hui est moins porteur d’espoir que de malaise. Dans notre société, la manipulation des mythes, la production et la consommation d’images sont devenues des activités dominantes. L’apparence nous obsède. Les mythes deviennent des « pseudoévénements » (comme l’a dit Daniel Boorstin). La déesse n’est ni plus ni moins qu’une nouvelle image emballée et vendue sur mesure pour la société de consommation. Le risque est grand d’amalgamer les politiques alternatives avec les principes de la société de consommation en les rendant aussi légères et manipulables que ne le sont les politiques des courants dominants. C’est pourquoi nous devrions sérieusement réfléchir sur la pertinence de 17 Christopher Lasch, The Minimal Self: Psychic Survival in Troubled Times, W.W. Notton, 1984. l’utilisation des mythes par les mouvements alternatifs dans une société déjà gavée d’images clinquantes et de mythes. On ne peut combattre les mythes à l’aide de mythes. Les élites dominantes ont toujours eu recours à la mytho-poésie pour masquer aux classes dominées la distinction entre l’illusion et la réalité. Peu importe finalement qu’une déesse ait été ou non adorée durant la préhistoire. Elle était une illusion jadis, elle le restera aujourd’hui. « Dire que les mythes affectent notre société revient à dire que l’ignorance affecte notre société » observe Murray Bookchin18. Il poursuit : « Bien sûr, cela se produit, mais rien ne peut excuser à la mytho-poésie si ce n’est l'ignorance. Plus les gens sont instruits et cultivés, plus les mythes de la mytho-poésie régressent, psychologiquement et socialement ». A notre époque de manipulation et de tyrannie des mythes, ce n'est qu’en regrettant toute forme de mythe que nous pourrons conserver notre trop fragile rationalité et développer nos facultés critiques porteuses d’espoirs et de changement social. Nous avons besoin d’un mouvement écologique sain et moral qui sache conserver son réalisme autant que son idéalisme (dans le meilleur sens du terme). Il doit bien différencier l’illusion du réel, c’est capital. Sa politique et sa philosophie doivent être fondées sur un naturalisme sain amenant une forme de communication avec la nature, ce qui n’a rien à voir avec une forme plus ou moins surnaturelle du féminisme. Il doit avant tout être politique et écologique, même s’il cherche à être sensuel et attentionné. Dans sa quête de sensibilité et d’alternative émotionnelle au vide intérieur et à l’aliénation, il ne doit pas perdre de vue la valeur fondamentale de la raison et encore moins la rejeter au nom d’un scientisme primaire et agressif. Il lui faudra avoir recours à une analyse politique rationnelle telle que peut l’offrir l’écologie sociale, et considérer que la crise écologique ainsi que notre aliénation ont des causes principalement sociales et culturelles. Bref, une tendance mystique qui laisserait libre cours à notre fantaisie et qui subtilement nous rendrait captifs de cette société de consommation confortable pourrait, malgré toutes ses bonnes intentions, avoir la très fâcheuse conséquence de nous priver de notre liberté fondamentale d’agir en tant qu’être social. Traduit de l'anglais par Frédéric Brun et Andrew Canva • Janet Biehl est membre du Green Program Project et des Verts de Burlington. 18 Murray Bookchin, Une société à refaire, Editions Ecosociété et Atelier de Création Libertaire, 1993.