Table ronde Infrastructure 2016

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Table ronde Infrastructure 2016
Table ronde
Infrastructure
16 Novembre 2015
Philippe Detours
Demeter
Stéphane Duhr
3i
Denis Andres
Arsene Taxand
Renaud de Matharel
Cube Infrastructure
Mathias Burghardt
ARDIAN
Marie-Laure Mazaud
CDC
Yves Lepage
Orrick RM
Vincent Levita
InfraVia
Daniel Benquis
EY
FINANCE
table ronde
Table ronde
Les taux bas devraient continuer
à stimuler l’investissement dans
l’Infrastructure en 2016
Vincent Levita
††
Fondateur et Président d’InfraVia Capital
Partners où il dirige une équipe de 15 personnes
†† Lancée en 2008 avec un premier fond doté
d’environ 200 M €, InfraVia a levé début 2014 son
nouveau véhicule, InfraVia European Fund II, d’un
montant de 530 M€. Sa stratégie d’investissement
est axée essentiellement sur le mid-market brownfield
dans un cadre géographique européen.
††
Infravia a réalisé 19 investissements à ce jour,
parmi lesquels la rénovation du stade Vélodrome,
l’autoroute A 150, le tramway de Nottingham,
l’autoroute A8 en Allemagne ou encore la cité musicale
de l’Ile Seguin. Plus récemment, après avoir racheté
les 24% détenus par Dalkia France dans le groupe
Regaz-Bordeaux, InfraVia vient de prendre le contrôle
de Cignal, un réseau de tours télécom en Irlande.
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Avec 87 Mds € gérés par les fonds européens, l’Infrastructure est devenue la 1ère
classe d’actifs par niveau d’allocation en Europe. Mais est-il pour autant devenu
facile de lever de l’argent ? Cet afflux de liquidités ne complique-t-il pas, au fond,
le métier d’investisseur ? Et comment créer de la valeur sur le long terme à l’heure
de la révolution digitale ? Autant de questions auxquelles les participants de notre
table ronde ont tenté de répondre au cours d’un débat passionné et passionnant.
sont autour de la table arrivent à lever
de l'argent et arrivent à l'investir.
Photographie : Yves Breton
Xavier Leloup, le Magazine des
Affaires : On avait parlé ces deux
dernières années du retour de la liquidité. Il y en a énormément, sous
diverses formes. J'imagine que ça
rend votre métier, pour vous investisseurs, plus facile. Qu'est-ce qui
s'est passé depuis décembre 2014 sur
ce sujet ? L'environnement de financement s'est-il encore amélioré ?
Vincent Levita InfraVia : Le niveau
de liquidité global reste très important,
à la fois sur l'equity et sur la dette. Au
niveau de la dette, on peut en parler
rapidement, les fonds de dette ont l'air
de rester dans le paysage avec une offre
peu différenciée pour le moment, les
émissions obligataires se sont développées, et les banquiers ont retrouvé de la
liquidité. Du coup, beaucoup d'acteurs
en profitent pour faire leurs refinancements. J'ai l'impression que, même
si les conditions de financement sont
plus faciles, ça reste raisonnable pour
le moment. Je n'ai pas vu de structure
très leveragées comme on le voyait en
2006 ou en 2007. Sur l’equity, il y a
aussi de la liquidité qui s'est différenciée, on voit apparaître une segmentation avec des fonds secondaires, des
fonds qui évoluent vers un positionnement plus risqué, plus private equity,
ce qui est la preuve d'un marché qui
mature. Enfin, il y a un grand débat
pour savoir s'il y a plus de liquidités
que d'actifs, je ne suis pas très inquiet
là-dessus. Je pense que la liquidité génère aussi le deal flow, tous les gens qui
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Est-ce qu'il n'y a pas un
risque sur le niveau des prix qui sont
proposés, justement ? Est-ce qu'il n'y
a pas une tentation de faire monter les
enchères, en plus du premier phénomène qui est « beaucoup de candidats
sur un actif », si en plus, c'est facile
d'emprunter. N’y-a-t-il pas une tentation de se dire : « comme mes coûts de
financement sont faibles, je vais augmenter mon offre » ?
Mathias Burghardt, ARDIAN :
Comme disait quelqu'un il n’y a pas si
longtemps, tout est relatif. L'augmen-
‘‘
Aujourd’hui, la
valeur ajoutée peut
venir de l'infrastructure,
du service sur
l'infrastructure, de
la connectivité de
l'infrastructure
tation des prix de l'infrastructure par
rapport à l'immobilier ou par rapport
aux titres cotés est relativement raisonnable. Les indices de prix ont moins
augmenté dans l'infrastructure que le
S&P-500 ou les indices immobiliers.
Une fois qu'on a dit ça,
c'est normal que des prix
augmentent quand les taux
baissent. La question est de
savoir si la prime, au-delà
du taux sans risques augmente. Moi, je ne suis pas
convaincu que la prime ait
sensiblement baissé par rapport à 2006. Il y a des actifs
qui partent très cher, mais
dans l'ensemble, lorsqu'on
mesure la prime par rapport
au taux sans risque, on est
dans des niveaux relativement acceptables, avec un rendement courant
qui reste confortable. Donc les prix
sont chers, mais je ne pense pas que
ce soit l'infrastructure qui soit la classe
’’
33
FINANCE
table ronde
d'actifs la plus critiquable de ce point
de vue-là.
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Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Je pense que nous sommes
dans un marché qui est plus compliqué qu’auparavant. La raison est que
les grands investisseurs institutionnels,
notamment les grands fonds souverains et les grands fonds de pension
Canadiens, n'ont pas les mêmes objectifs que nous : ces fonds ont une
collecte très importante –par exemple
du fait de l'immigration au Canadaet n’ont donc pas de problèmes de
trésorerie pour payer les retraites et
autres obligations auxquelles fait normalement face tout fonds de pension
ou assureur vie. Dans ce contexte,
leur benchmark d'investissement,
c'est l'obligataire souverain de leur
pays d’appartenance et avec 5-6 % de
TRI ils sont très contents. En d’autres
termes « they are setting the tone ».
Et ça, c'est compliqué, parce qu’effectivement, il y a beaucoup de liquidités, les fonds d'infrastructure ont
beaucoup levé, et ils doivent investir
eux aussi tout en devant maintenir les
objectifs de TRI de 12-15% promis
à leurs investisseurs. Pour y parvenir,
les grands fonds d’infrastructures n’ont
pas d’autre choix que de recourir à plus
d’endettement. Les banques suivent en
accordant des dettes d'acquisition très
importantes. On ne peut donc pas nier
que le marché s'est tendu sur les prix.
Est-ce que pour autant les prix sont
trop hauts ? Tout est relatif. Compte
tenu de la quantité de liquidités qu'il
y a dans l'économie et du niveau des
taux d’intérêt, la hausse significative
des prix peut se comprendre.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Les grands investisseurs
canadiens qui tirent les prix vers le
haut sont-ils vos concurrents ?
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Heureusement pas pour
Cube Infrastructure, parce que notre
fonds est ciblé sur le mid-market, c’està-dire sur les infrastructures essentielles
Table ronde
au service des collectivités locales, un
marché où ils ne peuvent pas être présents parce que trop dépendant de relations locales qu’ils ne peuvent avoir
comme nous. Les prix des actifs sur ce
marché sont de ce fait restés beaucoup
plus raisonnables, et paraissent même
bas lorsqu’on les compare avec les prix
‘‘
Dans un
monde globalisé,
vous avez besoin
d'un management
qui puisse faire
évoluer la société,
qui puisse
anticiper, car
sinon vous êtes
balayés
’’
parfois pharaoniques des grandes transactions d’infrastructures qui ont eues
lieu récemment.
Vincent Levita, InfraVia : La réalité,
c'est que l'infrastructure est perçue
comme classe d'actifs « simple », au
même titre que l'immobilier, donc ça
attire les fonds de pension et les assureurs qui pensent pouvoir y investir
sans intermédiaire. Ces investisseurs
ont un coût du capital moins élevé,
ce qui fait mécaniquement monter
les prix. Est-ce que c'est vraiment une
classe d'actifs simple, l'histoire dira à
quel point elle est simple, à quel point
elle n'est pas si simple que ça.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Est-ce qu'ils ont le même
horizon d'investissement, aussi ?
Vincent Levita, InfraVia : Nous
sommes tous ici des investisseurs assez
longs, ce n’est pas la bonne raison. Objectivement, un assureur ou un fonds
de pension a des objectifs de rendement qui sont plus bas qu'un fonds
d'investissement. Du coup, effectivement, ils sont plus compétitifs. Toute
notre stratégie consiste à se positionner
sur des actifs pour lesquels on ne va pas
être en compétition directe avec eux.
Mathias Burghardt
††
Membre du Comité Exécutif, Responsable
d’Ardian Infrastructure
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Et sur Géosel par exemple,
il y avait de la concurrence internationale ?
†† Ardian investit au cœur des Infrastructures
en Europe : 7 milliards de dollars sous gestion, des
bureaux à Paris, Londres, Milan, Francfort et Madrid,
et plus de 20 investissements en Europe depuis 2006
Mathias Burghardt, ARDIAN : À la
fin, on était deux, je crois, français à
90 %.
Xavier Leloup, Magazine
Affaires : Ça restait local ?
††
Dernières opérations marquantes :
•Investissement dans Géosel aux côtés d’EDF Invest
(VE de 265 M€)
•Investissement dans 2i Aeroporti aux côtés de
Crédit Agricole Assurances et F2i
•Investissement dans l’aéroport de Luton (G.B) en
partenariat avec AENA (VE de 468 M€)
•Reprise d’Indigo aux côtés de Predica (VE d’1,96
Mds€)
des
Vincent Levita, InfraVia : C'était un
actif particulier, c'était un actif français
sur lequel il y avait un biais français,
c'était très dur d'y avoir accès sans être
local. C'est une des manières de se protéger de la compétition des fonds de
pension internationaux, c'est de cultiver l’angle local.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Mais ont-ils les mêmes
moyens humains que vous ? Parce
que les équipes d'infrastructure
s’étoffent quand même. Combien êtes-vous aujourd'hui chez
ARDIAN ?
Mathias Burghardt, ARDIAN : 25.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Chez InfraVia, combien
êtes-vous aujourd'hui ?
Vincent Levita, InfraVia : 15.
Xavier Leloup, Magazine
Affaires : Et chez Cube ?
des
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : 25.
Xavier
Leloup,
Magazine
des
†† Un
positionnement
majoritairement
brownfield, notamment dans le transport, l’énergie,
et les infrastructures de services publics mais aussi
greenfield (ex : LGV SEA), avec une stratégie qui
s'appuie sur des partenariats avec des industriels tels
qu’Abertis, Vinci, Suez ou Enel.
Affaires : La CDC, c'est à géométrie
variable.
Marie-Laure Mazaud, CDC : Effectivement, nous sommes plus de 120
investisseurs dans la nouvelle direction
de l’investissement et du développement local en France, mais ce vocal recoupe une notion plus large en termes
d’investissement, d’infrastrcutures et
de secteurs concernés... elle couvre également des missions de service public
telles que le PIA que nous exerçons
pour le compte de l’Etat.
Xavier
Leloup,
Magazine
des
Affaires : Oui, c'est ça, ce n'est pas
forcément comparable. Chez Demeter, vous êtes ?
Philippe Detours, Demeter : On ne
joue pas dans la même catégorie car on
ne cible pas les mêmes projets. Nous,
dans le fonds Demeter 4 INFRA, nous
sommes 4 personnes, et nous ciblons
uniquement des projets locaux d’infrastructure. Mais on vit exactement la
même chose que ce que vous décrivez
même si ce ne sont pas les fonds souverains qui viennent nous concurrencer et potentiellement faire monter les
prix. Comme le disait Vincent, l'infras-
tructure bénéficie d’un engouement
toujours croissant, y compris sur les
petits projets et peut-être même encore
plus sur tout ce qui touche aux secteurs
de l’environnement et de la transition
énergétique. Ce sont des actifs qui
sont de plus en plus considérés comme
étant des actifs assez sûrs, en plus d’un
éventuel phénomène de mode. Donc
on assiste à une recrudescence d’investisseurs potentiels dans le secteur de
l’environnement et de la transition
énergétique, tous ne sont pas forcément dotés de l'expertise nécessaire, ce
qui ne les empêche pas de proposer des
prix parfois assez agressifs. Le position-
35
FINANCE
table ronde
Table ronde
nement de Demeter part du constat
que les actifs infrastructure du secteur
de l'environnement et la transition
énergétique sont à 80 % des projets
territoriaux de taille relativement modeste. Tactiquement, nous bénéficions
du fait que nous sommes sous l'écran
radar de la plupart des personnes qui
sont autour de cette table, parce que
ces projets sont trop petit pour eux,
et ils préfèrent allouer leurs ressources
à de plus gros projets. Nous sommes
donc positionnés sur un segment où
il faut savoir être plus agiles, et spécialisés, pour traiter des transactions de
taille modeste. Ce que l’on remarque
malgré tout c’est une tendance de
certains acteurs, y compris des étrangers, à s’intéresser à des projets que
l’on aurait imaginés trop petits pour
eux. Dans un tel contexte, la capacité
à sourcer des deals propriétaires, voir
à créer des opportunités d’investissement (notamment en restructurant /
refinançant des portefeuilles d’actifs)
est primordiale. Attendre un infomémo qui tombe sur la table, c'est
souvent trop tard.
tamment depuis Londres, pour mieux
couvrir le marché européen ; c’est le cas
par exemple de Teachers’, qui a exporté
une partie de ses équipes à Londres. Ils
veulent ainsi être plus proches de leurs
clients, mais également plus proches
‘‘
36
Xavier Leloup, Magazine
Affaires : Et Stéphane chez 3i ?
des
Stéphane Duhr, 3i : 25 chez 3i en
Europe, mais ce qui serait intéressant,
c'est de regarder le nombre de personnes par actifs sous gestion. En effet,
il y a du monde chez CDPQ, il y a du
monde chez CPP, en revanche, si on
fait un ratio par million, par milliard
géré, ce n'est pas dit que ce soit les
mêmes ratios.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Mais ont-ils la capacité humaine de gérer ces actifs ? Et peuventils le faire sur la durée ? Quid du
turn-over au sein des équipes, qui
fait que ce ne sera pas la même personne qui va gérer l'actif sur trois,
quatre, sept ans ?
Marie-Laure Mazaud, CDC : Aujourd'hui, ce qu'on observe, c'est qu'ils
installent des équipes en Europe, no-
Le plan Juncker
a permis de faire
émerger des
projets prioritaires
dans un grand
nombre de pays
européens, en
tous les cas de les
identifier
’’
des actifs. C'est une manière aussi pour
eux de mieux pénétrer ces marchés, dès
lors qu’ils y ont pris pied avec des premières participations.
Vincent Levita, InfraVia : Ces investisseurs institutionnels ont les moyens
d'embaucher 15, 20 ou 25 personnes.
C'est largement dans leurs moyens.
A terme, il va se poser des questions
pour eux: est-ce que ça fait du sens
qu'une organisation de traitement de
retraites canadienne ait finalement 50
personnes pour gérer des actifs infrastructure, est-ce que c'est leur boulot
d'avoir autant de gens qui font ça ?
est-ce que ces gens-là ne vont pas avoir
besoin, pour attirer les bonnes personnes, d'avoir des modes de rémunération similaires à ce qu'il y a dans les
fonds, et que ça ne risque pas entraîner des changements organisationnels
? Mais pour le moment, ils sont là, il
faut compter qu'ils sont dans le jeu, ils
ont les moyens et ils ont un coût du
capital qui est bas, donc il faut avoir
une stratégie qui est adaptée.
Stéphane Duhr, 3i : En effet ces investisseurs institutionnels arrivent à
recruter des gens, y compris des professionnels provenant de fonds existants,
en leur faisant des offres alléchantes, cf.
CPP, Ontario Teachers, etc.
Marie-Laure Mazaud
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Oui, c'est ça, ils ne se
privent pas pour...
†† Directrice en charge des Transports et du
Développement et membre du comité de direction du
pôle ‘‘Infrastructures et Transport’’
Daniel Benquis, EY : Ils ont une capacité de déploiement à la fois rapide
et forte. J'ai travaillé pour un certain
nombre d'entre eux, c'est assez étonnant. Ils n’ont pas l’habitude d’envoyer
juste deux personnes à Londres pour
regarder passer les trains. On voit que
le marché a effectivement beaucoup
cru. Si l’on se replace 5 ans en arrière,
l'ensemble du marché était beaucoup
plus petit. C’est donc vrai, ce que tu
disais, on constate une maturité du
secteur, qui attire de nouveaux investisseurs mais chacun, quelque part,
arrive encore à trouver son terrain de
jeu. Certains interviennent principalement en « greenfield », d'autres en «
brownfield », certains dans tel secteur,
certains dans tel autre. Le marché a
énormément évolué mais il y a encore
la place pour tout le monde, en spécifiant bien ce qu'on sait faire, ce qu'on
veut faire, ce qui permet à tous aujourd'hui de continuer à se développer.
Xavier Leloup, Magazine
Affaires : Renaud ?
††
Administratrice du groupe Sanef, de FM (Faure
& Machet) Holding – ETI familiale spécialisée dans la
logistique et le transport -, de Lisea – ligne à grande
vitesse entre Tours et Bordeaux, du Viaduc de Millau,
de la société La Rocade L2 de Marseille et des sociétés
d’exploitation et de projet des Ports du Détroit
†† Constituée de 14 investisseurs, l’équipe du
pôle Infrastructures et Transport est positionnée sur
4 secteurs – transports, mobilité durable, énergie,
télécommunications - et vise un investissement
nouveau de 200 à 250 M€ par an, en privilégiant les
projets sobres en carbone.
††
Avec 22 participations, la Caisse des Dépôts
est notamment actionnaire de GRT gaz, de la LGV
Tours-Bordeaux, de la société d’autoroutes Sanef,
d’Eurotunnel, du Viaduc de Millau, de la société de
la rocade L2 de Marseille et du train rapide Rhône
Express entre le centre de Lyon et l’aéroport de Lyon
Saint Exupéry, et a pris des participations dans des
plateformes numériques avec Tutor Investissement et
énergétiques avec la Compagnie du Vent.
des
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure: Je voulais juste dire que les
positions extrêmement fortes que ces
fonds d'investissement souverains ou
quasi-souverains prennent depuis peu
sont surprenantes. Je parle des positions majoritaires, des positions d'actionnaires de référence.
Mathias Burghardt, ARDIAN : C'est
là, le changement. C'est le seul changement, parce qu'ils sont investisseurs
dans l’infrastructure depuis très longtemps, voire depuis plus longtemps
que nous.
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Et ça, c'est là où je rejoins ce
qui a été dit. Ce changement ne paraît
pas pérenne, parce qu'un fonds souverain qui gère les retraites d’un Etat
n'est pas fait pour devenir l'actionnaire
de référence, par exemple, du métro de
Paris. Ça ne marchera pas, parce que
lorsqu’il y aura des sujets très politiques
qui arriveront sur le devant de la scène,
il y aura des accidents et des problèmes,
et ça fera désordre pour ces fonds souverains de se retrouver en première
page des Échos, comme principale
partie devant s’engager pour résoudre
ces problèmes. Pour moi ça, c'est franchement le signe de l’existence d’une
bulle, c'est anormal, ce n'est pas un
équilibre qui me paraît durable.
Mathias Burghardt, ARDIAN : Oui,
je suis d'accord avec Renaud, je pense
que le seul élément nouveau là-dedans,
c'est le fait qu'ils deviennent majoritaires, y compris d'actifs complexes
comme les aéroports.
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Mais pas tous, pas tous, il
y en a qui sont restés plus raisonnables
que d'autres.
Mathias Burghardt, ARDIAN : Il y
a par exemple Ontario Teachers qui
est désormais actionnaire à 100% de
l’aéroport de Bristol. C’est vrai que si
demain il y a un problème dans un
aéroport, les organes de gouvernance
de ces caisses de retraites de fonctionnaires composés en grande partie par
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FINANCE
table ronde
des personnes peu qualifiées pour gérer ce type d’actifs et souvent peu au
fait des enjeux locaux (représentant
des salariés, professeurs d’économie
etc…) risquent de remettre en question la pertinence de la présence de ces
institutions aux commandes de telles
infrastructures complexes et loin de
leur base.
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure: Il y a en effet pas mal
de Canadiens qui ont pris des positions majoritaires, mais pas tous.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Et comment le justifient-ils, d'être majoritaires ?
38
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Ils ont tellement de
liquidités... le problème est que le
deal flow auquel ils ont accès est
trop faible par rapport à la liquidité qu'ils ont à investir. Quand on
regarde les montants et la croissance
de leur fonds sous gestion, ce n’est
pas surprenant. Et pourtant, ce n'est
pas le marché des infrastructures
qui manque de profondeur en Europe
: c'est un faux miroir. Le problème
qu'ils ont, c'est celui que Vincent disait
tout à l'heure : pour pouvoir investir
sur la partie la plus importante de ce
marche, c’est-à-dire sur le middle-market des infrastructures essentielles pour
les collectivités locales, il faut avoir la
proximité des deals, il faut pouvoir
développer des angles d’approches qui
répondent aux besoins de ces collectivités car le prix ne fait pas tout pour elles.
Comme il s’agit d’un service public
d'infrastructure, il faut être crédible
en tant que gestionnaire et operateur
d’infrastructures pour être agréés par
les collectivités publiques. Les grand
deals d’infrastructure qui font la une
de la presse - je vous dis un chiffre en
l'air pour donner un ordre de grandeur
- ne doivent pas représenter plus de 20
% du marché, alors que les infrastructures essentielles pour les collectivités
locales constituent le reste du marché
pour lesquelles les besoins d’investisse-
Table ronde
ment et le potentiel de développement
restent énormes. J’ajouterai par ailleurs
que même sur les 20 %, on arrive à se
positionner, parce que les grands fonds
étrangers ont besoin d'un contenu
local et on arrive quand même à avoir
encore des positions qui sont intéres-
‘‘
Je crains
malheureusement
que la nouvelle
ordonnance sur
les marchés
publics recèle une
volonté politique
de réduire le
nombre de projets
dits de « PPP »
’’
santes. En tout cas sur les 80% du marché, ils ne sont guère présents.
Marie-Laure Mazaud, CDC : Et ils ne
cherchent d’ailleurs pas à l’être.
Vincent Levita, InfraVia : Ils ont
quand même établi le pricing de la
classe d'actifs, y compris sur ces dealslà. L’évolution des prix est le résultat
d’un ensemble de choses : la baisse des
taux, parce qu'il y a un peu de duration dans nos actifs, la baisse des taux
fait mécaniquement monter les prix.
Et la liquidité. Donc c'est un environnement intéressant et dynamique. De
toute manière, ça fait plus de dix ans
qu'on est dans ce secteur, on a vu les
périodes de liquidité et de non-liquidité, c'est quand même mieux quand il
y a de la liquidité. Ça donne plus d'options, il y a plus de choses à faire, que
ce soit en financement, en acquisition,
en build-up, en sortie éventuellement,
c'est mieux.
Mathias Burghardt, ARDIAN : Il y
a beaucoup de liquidités parce qu'il
n'y a pas de croissance. S'il y a injection massive de liquidités, c'est parce
que l’économie est sous perfusion.
C'est quand même ça, la réalité. Nous
sommes dans un environnement économique déprimé, où les matières premières sont au plus bas et dans lequel
les autorités monétaires injecte massivement des liquidités car il n'y a pas de
croissance ni d'inflation. Je ne trouve
pas que ce soit un environnement très
sain.
Stéphane Duhr
††
Stéphane est Directeur au sein de l'équipe
Infrastructure de 3i à Paris depuis Novembre 2013,
suite à l'acquisition de Barclays Infrastructure Funds
Management Limited. Stéphane a rejoint Barclays
Infrastructure Funds en 2005 BIFM pour développer des
opportunités d'investissement en France.
Vincent Levita, InfraVia : Tu fais un
raccourci macro-économique … qui
me paraît contestable !
††
Il est actuellement impliqué dans de nombreux
aspects de l’infrastructure, de l'origination à l'exécution
des projets, dans tous les secteurs de Greenfield / PPP
avec une couverture géographique couvrant la France, le
Benelux et l’Europe Centrale. Stéphane est également
en charge de la gestion des investissements existants en
France tels que l'INSEP, 1er contrat de Partenariat signé
avec l’état français, La Cité Sanitaire Nazairienne, deux
lycées en Loraine ainsi que la Maison d’Arrêt Paris La
Santé. Stéphane a également mené des investissements
à l'étranger tels que l’A12 et A9, deux autoroutes aux
Pays-Bas. Il est membre du comité de direction d’une
douzaine de sociétés de projet, en France et en Hollande.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : On avait justement fini la
table ronde de l'année dernière en disant que la baisse du niveau du brut,
qui à l’époque venait de commencer,
allait probablement bouleverser les
grands équilibres. Depuis son niveau
n’est pas remonté et en dépit de cela,
les investissements mondiaux dans
les énergies renouvelables ont crû de
17% l'année dernière.
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Ce n'est pas grâce à Cube,
ça c'est sûr !
††
Auparavant, Stéphane a passé deux ans dans le
département Stratégie et Planning de Barclays Capital
à Londres afin d’aider les directions produits et pays de
la banque à développer leurs activités et à élaborer leurs
plans stratégiques.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Comment s'explique ce
phénomène et quelles en sont les
conséquences ? Vous êtes tous d'une
manière ou d'une autre dans l'énergie, quand même.
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Le marché de la production
d’énergie en Europe, je crois que tout
le monde sera d'accord pour dire que
c'est un marché devenu très compliqué,
c'est un marché qui est aujourd’hui littéralement sinistré. En premier lieu,
nous avons tous investi ces dernières
années dans ce marché avec l'idée qu'il
n'y aurait jamais de décision rétroactive sur les tarifs règlementés de l’électricité et que la fiscalité qui participe à
l'équilibre économique des PPA resterait raisonnable et on s'est lourdement
trompés. C'est un point qui est lourd
de conséquences. On va voir ce que les
arbitrages en cours contre l’Espagne et
l’Italie devant le Tribunal International vont donner. J'espère de tout cœur
que les jugements rendront justice aux
investisseurs, parce que sans ça, ça va
durablement détruire la disponibilité
de la liquidité des fonds d'infrastructure et en général des investisseurs à
très long terme, pour financer les actifs
d'énergie, ce qui serait très grave. En
deuxième lieu, je trouve également que
ce qui s’est passé sur le marché de la
production d’électricité de base n’est
pas du tout rassurant pour la stabilité
du marché avec le remplacement du
nucléaire par des centrales au char-
bon extrêmement polluantes. Je crains
malheureusement que la COP21 ne
pourra rien y changer. Comment expliquer à des investisseurs à long terme
que dans la situation dans laquelle
nous sommes, face au réchauffement
climatique auquel nous faisons face,
nous donnons maintenant priorité en
Europe au charbon sur le nucléaire et
le gaz ?
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FINANCE
table ronde
40
Vincent Levita, InfraVia : Le paysage
énergétique européen est compliqué.
On s'aperçoit que c'est complètement
globalisé, l’équilibre énergétique européen est bouleversé parce que d'un
côté, il y a Fukushima, et de l'autre
côté, les Américains développent le gaz
de schiste. En Europe, on fait la promotion des énergies renouvelables, et
résultat, on se retrouve avec des centrales à gaz dont tout le monde pensait
que c'était le futur, qui ne sont plus
compétitives et les centrales à charbon
qui sont rouvertes. Le fait est qu'il n'y a
pas une stratégie énergétique en Europe
parce que les Etats ont tous des agendas qui sont très différents. Et ça, on
ne peut pas reprocher aux Allemands,
aux Polonais, de ne pas avoir la même
vision que les Italiens et les Français.
Au final, le marché de l'énergie en Europe est en très mauvais état. Au niveau
de la production d'énergie, on ne sait
pas quel mix va être orienté, COP21
ou pas, et ça va générer de la volatilité
partout. Sans vouloir être cynique, du
point de vue des investisseurs infrastructure, ça génère autant d'opportunités que de risques, parce que ça va
génère une reconfiguration du marché
énergétique, entre les producteurs et
les propriétaires d'infrastructure, qui
donne et qui a déjà donné, d'ailleurs,
des opportunités d'investissement dans
les infrastructures. Maintenant, pour
l'énergie elle-même, en particulier le
renouvelable, ce n'est pas évident de
voir comment ça va évoluer. On peut
parler de la taxe carbone ou du certificat Vert, pour voir que ces systèmes-là
marchent très mal.
Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Et pourtant, vous êtes tous
investis dans des projets d'énergies
renouvelables, sur les douze derniers
mois, non ? Vous en avez tous dans
vos portefeuilles...
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Non, nous sommes sortis,
au cours des douze derniers mois, du
renouvelable français en raison de l’ins-
Table ronde
tabilité règlementaire qui prédomine
en Europe sur ce marché.
Nous prenons donc un risque mesuré
d’obsolescence.
Mathias Burghardt, ARDIAN : Je
pense au contraire que ce sont les énergies de l'avenir. C’est vrai qu'il y a eu
et qu’il y aura des soubresauts. Mais
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Et dans de l'énergie dont le
prix a été divisé par deux en l'espace de
deux ans. Aujourd'hui, le mégawatt, en
Allemagne, ça vaut 25 centimes.
‘‘
Aujourd'hui,
je pense que les
besoins sont plus
du côté de la
maintenance et
de la rénovation,
que du côté des
infrastructures
neuves
’’
prenons par exemple, le prix de l'énergie solaire qui a baissé de manière drastique. Dans le sud de l'Europe, dans
le sud de la France, il est devenu aussi
compétitif que celui de l'éolien ou des
nouvelles centrales nucléaires. Et ceci
va continuer car les technologies se développent, de manière incroyable. En
plus, il y a une nécessité géopolitique,
car il s’agit d’une une énergie locale. Il
y donc aussi une justification d'indépendance énergétique. Cela ne veut
pas dire que ce sont toujours de bons
investissements, mais dire que les énergies renouvelables n'ont pas de sens,
c'est un combat d'arrière-garde.
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : C'est clair. Nous, on ne peut
simplement pas investir parce que l’environnement réglementaire n'est pas
sécurisé.
Mathias Burghardt, ARDIAN : Je rejoins Renaud, on investit maintenant,
sachant que dans trois ans, ces mêmes
technologies seront plus efficientes.
Daniel Benquis
†† Associé responsable des activités Infrastructure
en France pour EY à la fois pour les transactions
Brownfield et en compagnie de Stephane Manoukian
pour les projets greenfield
Philippe Detours, Demeter : Ce qu'il
faut quand même différencier, c'est
qu'évidemment, il y a eu des aléas réglementaires, mais pas non plus dans
toute l'Europe.
††
Mathias Burghardt, ARDIAN : Il n'y
a pas que les énergies renouvelables qui
ont subi des aléas réglementaires.
Philippe Detours, Demeter : Le
risque réglementaire s’est clairement
cristallisé dans le secteur des énergies
renouvelables (mais pas uniquement),
donc ça a beaucoup focalisé les attentions. Ce qui est quand même très
intéressant aujourd'hui, c'est que dans
le discours des investisseurs les questions qu’on pouvait avoir sur ce risque
réglementaire ont aujourd’hui totalement disparu des discussions. On est
au tout début d’un basculement du
risque réglementaire de l'autre côté,
vers le secteur « carbon intensive ». A
titre d’exemple, il y a aujourd'hui dans
la loi Macron un article (173 je crois)
qui demande à tous les investisseurs de
lister précisément quels sont les investissements qu’ils font qui peuvent être
considérés comme étant carbon intensive. Quand le régulateur commence
à mesurer une activité, c'est pour faire
quelque chose avec ces mesures, et
notamment pour réguler cette activité,
ce n'est pas juste déclaratif. Les pouvoirs publics réalisent qu'il y a un sujet
qui est porteur de risques et de coûts
considérables. Je vous invite, si vous
ne l'avez pas vu ou écouté, à regarder
le discours qu'a fait Mark Carney, qui
est le gouverneur de la Banque Centrale d’Angleterre, ex-gouverneur de
la Banque Centrale du Canada, un
ancien de Goldman Sachs, et qui est
25 années d’expérience dans les Infrastructures
†† L’équipe Financement de Projets d’EY, avec
plus de 15 professionnels, est l’une des plus actives du
marché. Elle a travaillé sur plus de 160 projets depuis
2005 dont Balard, le port de Calais, des projets de
prison, Stade de Bordeaux, l’Université de Strasbourg.
††
E&Y intervient sur des dossiers majeurs de
transaction ou de restructuration en infrastructure
tant pour des clients corporate que pour des fonds
d'infrastructure (Aéroports de Paris, Saur, etc…)
à ce titre aussi régulateur des sociétés
d’assurance au Royaume-Uni. Son
message est très clair : Messieurs les
assureurs, mesurez votre risque, parce
que moi, mon métier de régulateur,
c'est de vous dire que vous êtes en train
d'accumuler un risque systémique
extrêmement important. Il rappelle le
risque de valorisation des actifs lié aux «
stranded assets ». Il leur demande donc
de bien mesurer leurs investissements
« carbon intensive » et leur éventuelle
exposition à ce risque systémique. Le
risque réglementaire est donc en train
de basculer des énergies renouvelables,
vers les industries et les investissements
« carbon intensive ». Si l’on veut res-
pecter les objectifs d’un réchauffement
climatique limité à 2°C, il faudra le cas
échéant pénaliser réglementairement
les investissements allant à l’encontre
de cet objectif.
Mathias Burghardt, ARDIAN : Par
exemple, nous avons des investisseurs, et pas des moindres, qui nous
demandent de ne pas investir dans des
centrales à charbon. Dès que ces exigences vont se généraliser, il y aura un
problème d'offre et de demande pour
ces centrales.
Philippe Detours, Demeter : C’est
une tendance lourde.
Yves Lepage, Orrick RM : Oui, il y
aura de plus en plus de réglementations. Cela a commencé avec tous les
institutionnels, la banque mondiale,
etc., aujourd'hui, l’IFC ne finance pas
de centrales à charbon.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : L’IFC, de quoi s’agit-il ?
Yves Lepage, Orrick RM : L’International Finance Corporate, c’est-à-dire
le bras armé de la Banque Mondiale
dans les investissements.
Vincent Levita, InfraVia : La problématique des stranded assets dépasse la
41
FINANCE
table ronde
question du charbon. Le risque, c’est
que, sur le climat, les états ne réagissent
pas parce que politiquement, ils n'y
arrivent pas, et du coup, le jour où ils
réagiront, ça sera tellement tard, qu'ils
réagiront de manière ultra violente. Et
les estimations, c'est que pour ne pas
dépasser les deux degrés, il ne faut pas
consommer dans les 100 ans plus de
la moitié des réserves de pétrole identifiées. Ça veut dire qu'en gros, un
champ de pétrole qui vaut ses réserves,
si dans les 100 ans qui viennent, tu
ne peux pas en consommer plus de la
moitié, en gros, il vaut la moitié. Donc
le message, c'est : faites attention à la
vraie valeur de vos actifs.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Donc risque majeur de
dévaluation des portefeuilles industriels ?
42
Yves Lepage, Orrick RM : Cependant, par exemple, sur le pétrole, les
réserves ne cessent d'augmenter, en
particulier du fait du gaz de schiste.
Philippe Detours, Demeter : Non,
c'est la moitié d'un stock actuel. Tout
ce qui est au-delà, c'est en trop.
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure: Sur ce sujet, je voudrais juste
donner un témoignage, je ne serai pas
le seul à en donner un. Nous avons
beaucoup travaillé de notre côté sur ces
centrales au gaz qui étaient à vendre.
Il y en a encore plusieurs qui sont à
vendre à travers l'Europe. Il y en a qui
ont été vendues ces derniers temps en
France. Sur la base de mon expérience
acquise chez Paribas dans le financement de centrales à cycle combiné au
gaz dans les années 90, j'étais persuadé
qu’une centrale qui a été mise en service en 2012 ou 2013 avec un niveau
d'efficacité énergétique de 58-59 % –
ce qui était le cas de celles qui viennent
d’être vendues en France- ne pourrait
que rester compétitive dans un marché
où le charbon ne pourrait pas être la
solution pour garantir l'énergie de base
d'équilibre du réseau à moyen terme.
Table ronde
Nous avons donc travaillé avec un
conseil spécialisé dans ce domaine et
avons appelé tous les électro-intensifs
du marché pour essayer de leur vendre
à prix fixe à dix ans l’électricité produite par ces centrales. Nous sommes
allés assez loin dans les négociations
‘‘
Le risque
réglementaire
est en train
de basculer
des énergies
renouvelables vers
les industries et les
investissements
« carbon intensive »
’’
avec certains électro-intensifs, mais
in-fine le prix offert pour l’électricité
produite à 10 ans ne permettait pas de
donner une valeur positive à ces centrales après prise en compte des coûts
d’exploitation.
Le prix auquel ces centrales se vendent
en ce moment est environ égal à 20 %
du prix neuf. Cela donne une idée de
l'ampleur des dégâts aujourd'hui sur le
marché de la production d’électricité.
Daniel Benquis, EY : Il faut dimensionner les enjeux. J’ai discuté avec un
certain nombre d'énergéticiens et ils
se demandent aujourd'hui s'ils vont
être encore là dans deux ans. Quand
on prend du recul sur toutes ces entreprises, qui étaient censées vivre éternellement, parce que travaillant à la
production stratégique de leur pays, en
Allemagne, en France ou en Italie, on
peut vraiment s’interroger. Leur survie est une question qu'ils ne se sont
jamais posée auparavant. Pour eux,
c'était complètement inimaginable Il
y a des personnes au sein de ces sociétés qui sont extrêmement déstabilisées.
C’est l'illustration de ce que disait Renaud tout à l'heure. On a aujourd'hui
des actifs qu'on vient de construire sur
des technologies de pointe qu’on doit
arrêter, en subissant en parallèle des
évolutions de prix d’achat de 1 à 2, à
la hausse, puis à la baisse, sur des périodes de quelques mois.. Dès lors un
secteur entier est sens dessus-dessous.
Philippe Detours
††
Directeur du Fonds Demeter 4 INFRA depuis
septembre 2013
†† Responsable de ce fonds dédié aux
infrastructures du secteur de l’environnement et de la
transition énergétique
Vincent Levita, InfraVia : Oui, mais
ça, il faut savoir pourquoi. La demande d'énergie est déclinante parce
que l'industrie va mal, cela ne vient
pas de nulle part. Les Américains, avec
leur gaz de schiste, ont créé un choc
d'offre, ils ont mis le coût de l'énergie
à zéro, ça a reboosté leur industrie, ils
ont enclenché une dynamique positive. Et nous, on reste avec une énergie
qui est chère et qui pénalise l'industrie.
L'industrie ne décolle pas, la demande
énergétique ne décolle pas, le prix de
l'électricité va au tapis et toutes les infrastructures de production d'électricité sont difficilement rentables. C'est
une spirale qui est dans l'autre sens, la
croissance économique et le secteur de
l’énergie sont complètement liés.
††
Ancien d’ABN Amro, il rejoint Macquarie en
2005 où il a d’abord été charge de l’origination et de
l’exécution de missions de conseil financier sur les
opérations de PPP/Concessions avant de rejoindre
en 2008 Macquarie Infrastructure and Real Assets à
Paris, la division de Macquarie en charge de la gestion
des fonds infrastructures.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Et pour être un peu plus
positif, y-a-t-il d'autres segments
plus dynamiques ?
Vincent Levita, InfraVia : Pour finir
sur l'énergie, les acteurs en difficulté
sont les producteurs d'énergie. Nous,
on se focalise sur les infrastructures
énergie, et cette situation-là, de manière un peu opportuniste, génère
un tas d'opportunités, parce que les
infrastructures d'énergie, il y en aura
toujours besoin, pour tout ce qui est
transports, distribution, stockage, dans
des schémas structurés qui sont plus
adéquats à notre intervention que le
schéma intégré verticalement dans les
grandes sociétés de production.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Et quid télécoms ? Ça, c'est
un secteur qui vous plaît tous ?
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : On y est tous, maintenant.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Vous y êtes tous, est-ce que
vous pouvez être plus spécifique ?
Vincent Levita, InfraVia : C'est un
secteur qui est très intéressant aussi.
Celui-là est en croissance, parce que
les technologies bougent, les usages explosent complètement, que ce soit sur
le fixe, sur le mobile, ça génère un trafic
qui est de plus en plus important. Il est
quand même compliqué, parce qu’au
niveau des opérateurs, l'évolution n'est
pas terminée, les opérateurs ont gagné
beaucoup d'argent, là, ils en gagnent
moins, donc ça va forcément générer
un peu de changement dans le secteur.
Mais ça génère un besoin d'infrastructures qui est très important et en croissance, ça génère de la valorisation des
actifs existants, ce sont des schémas
que nous aimons bien.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Denis, vous voulez dire
quelque chose sur l'angle fiscal, avec
des bonnes nouvelles j’espère ?
Denis Andres, Arsene Taxand : Ce ne
sont pas forcément des bonnes nouvelles, et en réalité, j'ai entendu plein
de choses depuis ce début de matinée.
Tout d’abord, nous avons parlé des
évolutions sur la compétitivité entre
acteurs ; pour ma part, je ne la mesure
pas aussi directement que vous qui êtes
sur le marché, mais c'est vrai qu'on
me demande, selon la sensibilité des
acteurs et leur profil d’investisseurs,
d'aller plus loin, sur tel ou tel sujet
technique ; à titre d’exemple, le sujet
des droits d’enregistrements en cas de
prépondérance immobilière est un sujet du moment en infrastructure dont
43
FINANCE
table ronde
les enjeux peuvent apparaitre plus ou
moins important d’un acteur à l’autre.
Celui qui se pose moins la question
du prix me fait aller beaucoup moins
loin sur un sujet fiscal de ce type, alors
que pour d’autres l’enjeu peut être plus
direct. Au final, cela est reflété dans
les prix et assez souvent, celui qui s'est
moins posé la question, qui a besoin
ou la volonté d’investir, c’est celui
qui l’emporte... Ça renvoie finalement à votre situation de marché.
En outre sur le besoin de sécurité
réglementaire, je le vois de mon
côté sous l’angle fiscal quand on
me demande de regarder un modèle et d'essayer de voir dans la
boule de cristal sur des années sur
des tendances fiscales, c'est quasi
impossible à faire, aujourd'hui, de
donner de la sécurité à long terme.
44
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : C'est toujours aussi instable qu'on peut le penser, fiscalement ?
Denis Andres, Arsene Taxand : Oui,
et pas qu'en France. Quand on a des
modèles qui sont multi-pays, ça reste
assez compliqué. Par exemple, sur la
partie de levée de fonds, j’ai pu être
appelé pour essayer, sur le volet fiscal,
de voir si on pouvait donner de la sécurité à un investisseur, pour répondre à
la question « est-ce que sur le marché
français, vous arrivez à confirmer que
les régimes fiscaux sont stabilisés ».
Vous vous rendez compte de la question ? En réalité, nous pouvons donner
notre sentiment à l’appui des modifications législatives en projet ou en dis-
Table ronde
cussion, mais à l’impossible nul n’est
tenu. Ce qu’il faut retenir, c’est que des
investisseurs se posaient la question, en
phase de levée de fonds, du niveau de
stabilité fiscale avec au fond un besoin
d’être rassuré sur un niveau relatif de
sécurité juridique sur le marché.
Au fond, les investisseurs étrangers qui
sont nos clients sur ce type de deals ont
‘‘
Un fonds
souverain qui gère
les retraites d’un
Etat n'est pas
fait pour devenir
l'actionnaire de
référence, par
exemple, du métro
de Paris
’’
déjà une bonne connaissance de la fiscalité française. Ce qui est recherché à
l’occasion de ce type d’échanges, c’est
finalement une forme de vision prospective, d’anticipation sur la tendance
législative afin de sécuriser autant que
faire ce peu les hypothèses des BP. La
fameuse « boule de cristal ».
Mais il est clair en effet que les étrangers investissent toujours en France.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Le cadre fiscal général des
investissements en infrastructure
est-il aussi diversifié que le secteur
MAIS
DE QUOI
PARLENT-ILS ?
lui-même ?
Denis Andres, Arsene Taxand : Il y
a des spécificités par nature de sousjacent. C'est vrai que quand on travaillait sur tout ce qui était éolien, etc., on
était beaucoup sur tout ce qui relève
des taxes foncières, il y avait tout ce
qui était restructuring préparatoire,
parce que l'actif était en construction,
« comment je fais des apports partiels
d'actifs en régime de faveur sur une
éolienne qui est en devenir, qu'est-ce
qui relève du foncier ou pas, quel est
l'impact en taxe professionnelle ? ». Du
coup, sur les modèles, ces questions
avaient de vrais impacts. Aujourd'hui,
on a d’autres sujets, et nous avons déjà
évoqué par exemple le point des droits
d’enregistrement qui à titre d’exemple
pourraient être une question à enjeux
sur des deals comme Geosel dont nous
avons parlé. Sur ce type d’actifs, c’est
une question compliquée qui doit être
abordée, avec plusieurs acteurs, tant au
plan juridique que financier et non pas
simplement au plan purement fiscal.
Je note en outre toutes les questions
relatives aux cash flows et aux frottements fiscaux et autres capacités distributives à analyser qui sont autant de
sujets clefs de l’industrie infrastructure.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Ça fait des bonnes soirées,
ça !
Denis Andres, Arsene Taxand : Ça
fait des bonnes soirées, mais je ne suis
pas sûr qu'au bout, ça fasse toujours de
bonnes discussions, parce qu'en réalité,
ce qu'attend mon client, ce sont des
Les ‘‘stranded assets’’ sont des actifs bloqués, c’est-à-dire qui perdent de
leur valeur en raison de l’évolution du marché. Dans le domaine des énergies
fossiles, cette expression se réfère à la part des réserves énergétiques que
les compagnies pétrolières, minières ou gazières ne pourront pas exploiter
en raison de nouvelles réglementations découlant de la lutte contre le
réchauffement climatique. Problème : ce sont justement sur l’étendue de
ces réserves que repose une partie de leur valorisation.
Renaud de Matharel
††
CEO et Managing Partner de Cube Infrastructure,
fonds brownfield d’1,08 Md€ (13 opérations réalisées)
et en cours de levée d’un deuxième fonds Cube II
††
Renaud de Matharel dispose de plus de 25 ans
d’expérience dans les Infrastructures : d’abord comme
banquier chez BNP Paribas, où il s’occupa pendant
dix ans de Project Finance essentiellement dans le
domaine de l’énergie, ensuite comme industriel au
sein de Vinci Concessions (projets routiers en tant que
DGA de SGE Concessions et projets aéroportuaires en
tant que DG de Vinci Airport Management). Il rejoint
Natixis en 2005 pour créer Cube Infrastructure
††
Cube est investi avec des positions de contrôle
et une approche d’opérateur dans quatre métiers :
l’efficacité énergétique (3e acteur en France) ; la
fibre télécom (1er acteur 100% fibre en France) ; les
transports publics (2è acteur en Allemagne ; 5ème
en Norvège et 1er en Belgique) et la production
d’électricité (300MW en France et Espagne)
réponses très tranchées qui ne peuvent
malheureusement pas toujours être
apportées.
Vincent Levita, InfraVia : J'ai une
question là dessus, parce que c'est
un vieux débat qu'on entend tout le
temps : l'incertitude fiscale freine les
investisseurs. On a dit tout à l'heure
qu'il y avait des tonnes d'argent qui
étaient prêtes à être investies en France,
donc en fait, est-ce que c'est vrai ?
Denis Andres, Arsene Taxand : Je ne
crois pas. Pour ma part, je pense que les
investisseurs se posent la question pour
essayer d’avoir une vision la plus claire
possible. S’ils posent des questions
c’est surtout parce que ça fait partie
La Caisse des Dépôts et Placements du Québec (CDPQ) et le Canada Pension Plan (CPP) comptent parmi les plus
importants investisseurs institutionnels canadiens en Infrastructure. A titre d’exemple, la taille cible des investissements
Infrastructure de la CPP se situe entre 500 M$ et 2 Mds$ canadiens, mais peut aller jusqu’à 4 Mds £ C sur un seul
actif. De manière générale, on notera que 29% des 69 LP’s canadiens ont plus de 10% d’actifs infrastructure dans leur
portefeuille, contre moins d’1% en France (source : Preqin).
45
FINANCE
table ronde
d'un cycle de raisonnement. Et au fond
ils veulent surtout être alertés en case
de changements législatifs importants.
46
Daniel Benquis, EY : En fait, tu as
deux types de questions : Est-ce que
l'ensemble des compétiteurs sont à
pied d'égalité lors de l'offre, et là, c'est
vrai que c'est une question que l'on a
très souvent. Est-ce que je ne suis pas
désavantagé parce que j'ai telle structure, telle nationalité - c’est une première série de questions. Deuxième
série de questions: Est-ce que je vais
réussir à adapter mon modèle économique en cas de changement de la
fiscalité ? Dit d’une autre façon, est-ce
que je pourrai changer mes prix ou pas,
si la fiscalité vient à changer ? C'est là
où on arrive à des problématiques de
droit administratif, de capacité à modifier telle concession, tel contrat, en
fonction des modifications réglementaires ou fiscales.
Yves Lepage, Orrick RM: Mais ce
problème ne se pose pas seulement en
France. Pour moi, ce n’est pas spécifique à la France, parce que quand on
fait un deal en dehors de France, on se
pose exactement les mêmes questions
sur un projet à l’international. Dans
cette optique, je ne pense pas que les
changements de la loi fiscale soient
matériellement différents en France et
dans les autres juridictions.
Vincent Levita, InfraVia : C'est amusant de voir le discours et la réalité :
le discours général, c'est de dire que
la France est un pays pas très friendly
pour les investisseurs, il y a des évolutions fiscales, il y a des risques régle-
Table ronde
mentaires, il y a du protectionnisme, et
néanmoins, les investisseurs étrangers
ont envie d'investir en France, et quoi
qu'on en dise, ils y arrivent, il y a plein
d'exemples ne serait-ce que dans les
‘‘
Je ne pense
pas que les
changements
de la loi
fiscale soient
matériellement
différents en
France que
dans les autres
juridictions
’’
douze derniers mois. Alors, on rêverait
d'un environnement plus stable fiscalement, réglementairement, mais effectivement, ça fait partie de notre boulot
d'évaluer ce genre de risques, d'essayer
de mettre en place la flexibilité, d'évaluer la capacité de transférer les risques
et les impacts économiques.
Yves Lepage, Orrick RM : Au-delà
du langage politique, etc., on a quand
même une administration qui est plutôt flexible ou pour être plus précis, il
y a quand même des juridictions dans
lesquelles on travaille, qui sont bien
pires.
MAIS
DE QUOI
PARLENT-ILS ?
Xavier Leloup, Magazine
Affaires : Absolument.
des
Yves Lepage, Orrick RM : Les règles,
tu peux les appliquer de manière
souple.
Yves Lepage
Mathias Burghardt, ARDIAN : Encore une fois, revenons à la théorie
de la relativité. Il y a deux ans, tout le
monde disait « il faut investir au Brésil,
en Turquie etc… L'Euro, c'est compliqué, ça va se casser en trois, en quatre,
etc., il faut aller dans les pays en croissance ». Aujourd'hui, pourquoi avonsnous ces débats sur les prix ? Notamment parce que tous ces investisseurs
qui investissaient massivement dans les
pays émergents sans toujours analyser
le cadre juridique et fiscal reviennent
aujourd’hui en Europe. Finalement,
d'un point de vue relatif, l'Europe reste
un des meilleurs endroits pour investir,
en tout cas un des plus sûrs. Par ailleurs
on se « flagelle » sur la fiscalité française, et sur stabilité alors que de l’autre
côté de la manche on parle de Brexit.
Beaucoup d’investisseurs se focalisent
sur des aspects secondaires en perdant
de vue les fondamentaux.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Le greenfield, en France,
Marie-Laure, tu es un peu une spécialiste à travers la CDC. Le lancement du projet Calais a finalement
pu aller à son terme. Cela a pris du
temps, mais c'est un projet majeur.
Marie-Laure Mazaud, CDC : Pour
ceux qui ont porté cette opération sur
les fonts baptismaux comme la CCI
Côte d’Opale, cela fait plus de dix ans
Géosel est la société propriétaire du site de stockage souterrain
d’hydrocarbures de Manosque ainsi que des pipelines le reliant aux ports de
pétrolier de Fos et Lavéra. Avec une capacité de près de 9 millions de mètres
cubes, Géosel représente environ 20% de la capacité d’hydrocarbures en
France et sert au stockage d’environ 40% des stocks stratégiques en France.
Total vient d’en céder le contrôle à un consortium composé d’EDF Invest
et Ardian qui valorise sa participation à 265 M€ hors stocks opérationnels.
††
Associé d’Orrick Rambaud
Responsable adjoint du Groupe
Infrastructures au niveau mondial.
Martel
Énergie
et
et
††
Outre une expérience de 30 ans en matière de
PPP, projets d’infrastructures internationaux et mise
en œuvre de projets dans le secteur de l’énergie, Yves
Lepage dispose d’une expertise dans la privatisation
et acquisitions de sociétés dont l’actif principal est
constitué par des biens d’infrastructure.
††
Parmi ses dossiers récents, on peut citer :
l’extension en Mer de la principauté de Monaco
lors de laquelle le cabinet accompagnait Bouygues
Construction, l’assistance de Golar LNG dans le cadre
du premier projet d’installation et d’exploitation d’une
unité flottante de liquéfaction de gaz naturel (FLNG)
en Afrique ou encore l’assistance au Gouvernement
du Mali pour la réalisation et le financement d'une
centrale hydroélectrique située à Kénié.
††
Également, très présent sur le marché français,
son équipe s’est notamment vu remettre le prix du
Conseil juridique de l’année 2015 en Infrastructure
Greenfield par le Magazine des Affaires.
qu’ils y travaillent. Nous plus de trois
années bien tassées.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Est-ce que le greenfield,
maintenant, avance ? Il y a aussi une
réforme du contrat de partenariat qui
a été adoptée. Peut-on en dire quelques
mots ?
Marie-Laure Mazaud, CDC : Le
Greenfield, effectivement, a très subs-
tantiellement ralenti aujourd'hui ; ceci
est largement lié au « French bashing
» qui a entouré les PPP et les concessions ces dernières années. Le cadre
vient cependant d’être rénové ; il s’inscrit dans la continuité, redéfinit le PPP
Avec 89 M€ de fonds propres, 270 M€ de fonds publics et 504 M€ d’émissions obligataires, le financement de
la concession du Port de Calais constitue sans aucun le plus grand projet Greenfield signé en France au cours de
l’année 2015. Soutenue par des sponsors aussi prestigieux que le fonds Meridiam, la CDC et les CCI Côte d’Opale et
Région Nord de France, cette nouvelle infrastructure a toutefois fait l’objet de deux recours en annulation, dont l’un
introduit par le groupe Eurotunnel.
47
FINANCE
table ronde
48
comme faisant partie de la commande
publique, avec cette dernière qui a été
largement simplifiée, et une ordonnance qui cherche à mettre aussi des
garde-fous pour finalement avoir le
recours au PPP, non pas pour étaler
la dépense budgétaire, mais véritablement avec l’idée d'avoir une évaluation préalable, qui justifie son recours
pour la collectivité. Pour nous, on
pense que c'est un schéma qui est gagnant-gagnant. Maintenant, il reste à
remettre au cœur des débats des collectivités. Dans cette quête, il est clé que
les donneurs d’ordre comprennent ce
que peut apporter un investisseur privé
dans cette démarche, ou un investisseur public comme la CDC, et dans
son l'ensemble, le monde de l'investissement en fonds propres et quasi fonds
propres. Car si nous sommes complémentaires des financements publics,
type DFE ou BEI, en venant renforcer la robustesse des projets et en en
assurant pour la collectivité la maîtrise
d’ouvrage, la BEI comme les fonds
d’épargne viennent financer à très bas
prix et sur des durées longues, incluant
des périodes de grâces conséquentes,
cette commande publique et les infrastructures associées, sans finalement
que d’aucun se pose de manière systématique la question de l’évaluation
du coût-bénéfice, pour ces projets. Il
est important de montrer d'abord qu'il
existe des opérations montées en PPP
ou concessions qui ont été réalisées
avec succès et sont performantes aujourd’hui et de remettre en exergue les
avantages qu’elles procurent, à savoir le
respect des délais, la maîtrise des coûts,
la limitation des réclamations, notamment par rapport à une commande publique dont on ne fait que de manière
très parcimonieuse l’évaluation à postériori et sur laquelle on communique
peu ou pas en termes de résultats. Le
PPP comme la concession, c’est quand
même un frein à la réclamation par
rapport à la commande publique. C'est
la pérennisation des coûts de maintenance dans la durée, c'est le contrôle
des risques opérationnels, à travers
des investissements en fonds propres
Table ronde
de parties privées et donc véritablement un moyen de s'assurer, y compris vis-à-vis des financeurs, que l'on
participe au contrôle des risques plus
opérationnels, que ce soit les risques
d'exécution, les risques liés à l’exploitation tout comme la maintenance ou
‘‘
Avec la
volonté d’être
toujours mieux
disant, le
management
dans l’infra
peut bénéficier
d’un type de
management
package similaire
à celui rencontré
dans la private
equity
’’
des risques plus commerciaux de type
trafic ou volume. Donc je pense qu'il
y a un vrai axe à remettre en route. Il
faut que tous les acteurs y participent.
Il y a un écosystème qui existe, qui est
expérimenté et performant, il faut que
tous les acteurs y participent, pour le
remettre en route. La difficulté étant
de s’assurer que l’évaluation préalable
requise, sous la houlette non seulement
de la Mission d’Appui aux PPP (qui
va être rebaptisée) mais également de
la Direction du Budget, ne constitue
pas un frein l’initiative publique mais
amène les acteurs à se poser les bonnes
questions et à formuler des recommandations pertinentes au bénéfice de la
collectivité et ce dans un cadre bien
compris et simplifié. Par ailleurs, les
deux ordonnances vont permettre de
légiférer sur les dépenses utiles en cas
d’annulation, de résolution ou de résiliation des contrats dans le cadre d’un
recours, ce qui est un progrès appréciable pour la mise en œuvre de ces
opérations.
Denis Andres
Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Le recours et l'acceptabilité
publique constituent-ils les deux
sujets majeurs aujourd'hui sur le
greenfield ?
††
Ex-Arthur Andersen Denis Andres est avocat
associé d’Arsene Taxand dont il anime la ligne de
service Transactions et représente le cabinet français
au niveau international au sein du réseau de fiscalistes
mondial Taxand.
Marie-Laure Mazaud, CDC : Je pense
que le recours est un véritable frein
aujourd'hui à l'exécution d'un certain
nombre de projets. L'idée d'avoir une
bonne visibilité sur cet aspect - qui n’est
en fait que la traduction de la jurisprudence en la matière - et d'avoir sanctuarisé l’indemnisation des dépenses
utiles en cas d'annulation, de résolution ou de résiliation des contrats, est,
je pense, une vraie avancée dans le débat et dans la possibilité de réaliser les
projets selon les calendriers agréés et de
les mener à leur terme. Les procédures
de recours et leur traitement restent à
réformer, mais j’ai oui dire que ce sujet
serait à l’agenda en 2016, ce qui serait
une bonne chose.
††
Conseil
fiscal
d’opérateurs
historiques
dans les domaines de l’infrastructure à l’appui
d’équipes financières, il a également contribué au
développement de l’expertise Infrastructure du
cabinet Arsene depuis 2008, en conseillant des
fonds d’infrastructures et autres consortiums sur
des opérations aux nombres desquelles figurent :
49
•Covage
•Enovos
•TIGF
•Géosel
•Aéroport de Toulouse
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Et après, il y a l'acceptabilité, dont tout le monde parle, finalement.
Marie-Laure Mazaud, CDC : L'acceptabilité est un autre sujet à ne pas
négliger. Elle est souvent à l’origine de
l’incompréhension ou de la dichotomie qui existe entre les collectivités et le
secteur privé, sur le rapport à la rentabilité, le rapport au rendement et plus
globalement à leur implication dans les
projets. Pour rapprocher les parties et
les positions, la structure de la SEMOP
a été validée en 2014 ; il s’agit de sociétés d'économie mixte à objet unique
dans laquelle la collectivité locale détient au minimum 34% du capital de
la société et où il peut donc émerger
un véritable partenariat public-privé,
adossé à des schémas de type PPP,
Concession ou DSP Exploitation. A ce
jour... il n'y a peu d'exemples concrets,
mais on y travaille activement. C’est
l’occasion de remettre les collectivités
comme partie prenante à l'organisation, l’exécution et l’exploitation de ces
opérations, et à leur suivi, de recréer
du liant exprimé en termes de co-développement et de les impliquer dans les
décisions au quotidien. C'est aussi un
moyen de rapprocher les investisseurs
privés et les collectivités, de définir des
objectifs de réalisation d'investissement
et d'exploitation communs, bénéfiques
pour tous. Sur Calais, nous avons travaillé avec les CCI (Côte d’Opale et
Nord de France), c'est vrai que ce sont
des investisseurs qui ont leur approche
propre de l’investissement, ils ont
aussi une fonction très opérationnelle
d’exploitant, ils connaissaient très bien
les deux actifs : Calais et Boulogne
sur Mer. Nous avons dès le départ eu
un alignement d'intérêt très fort sur
les objectifs de transformation, impliquant une maîtrise des effectifs et de la
masse salariale, en faisant des employés
des deux ports les acteurs de la réussite, en les associant au tour de table
de la société d’exploitation pour 5% de
son capital, et également avec des objectifs de développement des activités
fret (y compris ferroviaire), passagers
et halieutique et de contrôle des coûts.
Nous n'aurions pu le faire indépen-
damment de l'exploitant actuel.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Chez Orrick, vous faites
beaucoup de greenfield, en tout cas
vous en avez fait beaucoup.
Yves Lepage, Orrick RM : On en a
fait beaucoup.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : À quel temps est-ce qu’il
faut conjuguer ça ?
Yves Lepage, Orrick RM : Je suis tout
à fait d'accord avec ce que dit MarieLaure. Il y a une très nette décrois-
FINANCE
table ronde
50
sance des projets depuis six mois, un
an. Nous avons été très occupés cette
année mais sur des projets qui avaient
commencé depuis au moins un an. Le
PPP du port de Calais en est le parfait
exemple.
Marie-Laure Mazaud, CDC : Oui,
c’est bien le cas. Il y a eu après la
concession de l'A355, mais dans le
cadre d’un appel d’offres très encadré
à un seul tour, avec un objectif de closing dans les 12 mois du début de la
consultation.
Mathias Burghardt, ARDIAN: Est-ce
que c'est mieux ?
Yves Lepage, Orrick RM : Non.
Marie-Laure Mazaud, CDC : Pas
mieux.
Yves Lepage, Orrick RM : Au niveau
de l'État, il n'y aura pas de nouveaux
PPP jusqu’à la prochaine élection présidentielle.
Table ronde
décentralisation et en impliquant de
façon croissante les grandes régions et
métropoles.
sions et les DSP, sont quelque part, une
forme de délégation de service public,
dans un format sensé être moins lourd.
Mathias Burghardt, ARDIAN: Mais
est-ce que nous en avons besoin ? Parce
la première question est de savoir de
quelles infrastructures avons-nous besoin ? Nous sommes dans une époque
où il faut mieux utiliser les infrastructures existantes, plutôt que d'en
construire de nouvelles.
Vincent Levita, InfraVia: Je pense
que les besoins en infrastructures sont
immenses dans tous les domaines, on
a parlé de l’énergie, des télécoms, il y a
aussi les transports locaux. Sans rentrer
dans les détails de juriste, tous les schémas de coopération public-privé sont
utiles, des PPP aux concessions ou aux
autres. Dans les transports, les grands
réseaux sont là, mais les infrastructures
de transport locales, tout est à refaire,
on est en train de reconcevoir la ville
de demain, ça va demander des infrastructures partout.
Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Oui, il y a de la rénovation.
Marie-Laure Mazaud, CDC : Il y a
énormément de sujets à faire en termes
de rénovation de nos infrastructures
et réseaux autoroutiers et routiers non
concédés, ferroviaires, de transports
urbains et de distribution de chaleur
par exemple.
Yves Lepage, Orrick RM: Je pense
que là, au niveau local, on va voir se
développer des PPP sur les collèges.
Vincent Levita, InfraVia : Mais il y en
aura après.
Yves Lepage, Orrick RM : Mais les
télécoms, ce n’est pas des PPP.
Marie-Laure Mazaud, CDC : Oui,
mais plus dans le cadre des lois de
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Les PPP, comme les conces-
Marie-Laure Mazaud, CDC : Il y a
beaucoup de besoins en termes d'infrastructures.
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Ce n'est pas comme ça que
c'était formulé, je suis d'accord. Mais
n'empêche que je suis d'accord qu'il y
a besoin d'infrastructure dans l'énergie.
Daniel Benquis, EY : Il y a besoin et
besoin. Du point de vue du développement des transports routiers, par
exemple aujourd'hui c'est en partie
terminée. C'est vrai que les politiques
aiment bien faire quelque chose qui
se voit et c'est vrai qu’une autoroute
est quelque chose qui se voit. Elle est
là et pour longtemps. Aujourd'hui, je
pense que les besoins sont plus du côté
de la maintenance et de la rénovation,
que du côté des infrastructures neuves.
Quand on regarde ce que coûte un
kilomètre d'autoroute, versus un lycée
ou un hôpital, on se dit qu’on peut
construire un grand nombre de bâtiments sociaux pour quelques mètres
d’autoroute. Ça donne à réfléchir.
Yves Lepage, Orrick RM : Il y a des
résistances locales sur les autoroutes,
des résistances écologiques. Tu parles
de la COP21.
Marie-Laure Mazaud, CDC : Sur
les réseaux autoroutiers, il y a quand
même une problématique de rénovation ou de réhabilitation des réseaux,
notamment aux abords des grandes
agglomérations. Sur Paris et avec sept
entrées principales sur la capitale et un
réseau non concédé extrêmement détérioré générateur d’externalités négatives, je pense qu'il y a un cadre pour
un nouveau plan de relance. Il y a une
véritable nécessité de remettre à niveau
ces sections d’autoroutes pour limiter/
éviter les remontées de files, organiser
le transport PL à l’arrivée sur Paris et
Rungis en toute sécurité, améliorer
les surfaces et le drainage pour limiter
les pollutions sur le plan écologique ;
ce n'est pas acceptable aux abords de
grandes agglomérations d’avoir des
infrastructures qui se sont détériorées
si rapidement et qui nuisent à l’attractivité des grandes villes. En matière de
transports urbains, il y a des problèmes
de connectivité, d'inter-modalités
conséquentes, sur les nœuds inter-modaux, dans les grandes mégalopoles
qu'on est en train de constituer, Marseille en est un exemple criant, avec une
population qui circule à près de 75%
en voiture individuelle et que l’on doit
inciter à passer à plus de transports
en commun, à plus d'auto-partage,
et de manière globale à des transports
multimodaux. Sur le numérique, il y
a tout le plan d’initiative publique qui
donne un sacré coup de pouce. Sur
le ferroviaire, il y a tout un pan qu'on
a voulu éluder jusqu’à aujourd'hui,
parce qu'on n'arrive pas à réformer la
SNCF ; de ce fait, il y a une dégradation croissante du réseau, avec pour
corollaire de plus en plus de retards
horaires, mais également de plus en
plus d'accidents. Ceci est dû à la fois
au réseau lui-même aux ramifications
tentaculaires et qu’on a de fait du mal
à maintenir, mais également au renouvellement du matériel qu'on repousse
indéfiniment, sur lequel on ne veut pas
faire d’expérimentations privées, alors
que chez notre voisin allemand, il y a
déjà près de 25%des trains régionaux
qui sont gérés par le secteur privé. En
Angleterre, c'est un système ferroviaire
encore plus dissocié et réparti entre
d’un côté les infrastructures, de l’autre
l’exploitation ferroviaire et encore celui de la détention et location du matériel roulant. Je pense qu'en la matière,
il y a d'énormes besoins ; c'est in fine
une question de volonté politique et
plus généralement la volonté de faire
entrer le secteur privé sur ces segments
de marché pour bénéficier des best
practices et de créer des conditions
d’agilité, dans des secteurs qui sont aujourd’hui totalement monolithiques.
Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Justement, Renaud ? Après,
Stéphane.
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Ce que je pense, c'est que
de dire qu'il n'y a plus besoin d'infrastructures, c'est un peu comme
si on disait qu'il ne peut plus y avoir
51
FINANCE
table ronde
52
de croissance économique. Il y a des
gens qui le pensent, mais en réalité,
il y aura toujours besoin d'infrastructure. Pourquoi ? Parce que le progrès
fait qu'il faut continuer à investir. La
masse d'investissement est toujours
très conséquente. Tous les exemples
qui ont été donnés, y compris dans
l'énergie, nous le montrent.
Mathias Burghardt, ARDIAN : Estce que c'est là où tu focalises tes efforts,
en réalité ? Bien sûr qu'il y en aura toujours besoin, mais est-ce que ce n'est
pas marginal, par rapport aux acquisitions et à l’amélioration d’infrastructures existantes ?
Yves Lepage, Orrick RM : Tu regardes
les grands projets de PPP de ces cinq
dernières années. Les stades ? C'est
terminé. Balard, TGI,…de même.
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Dans le métier de l'efficacité
énergétique, ça se voit moins parce que
c'est au niveau local, mais c'est en réalité un marché beaucoup plus important que celui des PPP auquel tu fais
référence.
Yves Lepage, Orrick RM : On est
tous d'accord.
Table ronde
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure: Le point que j'essayais de
dire est qu’il y a clairement une opportunité de relance économique de
type keynésienne par l’investissement
dans les infrastructures. Le besoin est
là, il n'y a aucun doute là-dessus. Pour
s’en convaincre, il suffit par exemple
de voir les besoins d’investissement
dans le transport ferroviaire local en
France. Contrairement à ce qui se fait
en Allemagne depuis 20 ans, les opérateurs et investisseurs privés ne sont pas
autorisés à investir sur ce marché en
France en raison du monopole encore
accordé à la SNCF. Ce n’est pas normal et il faudrait libérer ce marché.
La crise économique de 2007-2008 a
été surmontée grâce à une reprise de
la dette du secteur privé par le secteur public. Cependant, pour pouvoir supporter cet accroissement de
la dette publique, les gouvernements
européens ont ensuite été obligés de
décentraliser la charge de financement des infrastructures locales vers
les collectivités locales. Avec le ralentissement économique et la baisse des
rentrées fiscales, les collectivités locales
sont aujourd’hui de ce fait moins solides financièrement qu’avant la crise
et peinent à contribuer les subventions
souvent nécessaires au développement
de nouveaux projets d’infrastructures.
C’est certainement le principal maillon bloquant au développement du
marché. Ce qui m'étonne beaucoup
est que le plan Juncker, au niveau européen, ne prévoit pas de donner un coup
de pouce aux collectivités locales pour
les aider à financer leur quote-part des
subventions publiques nécessaires au
développement de nouveaux projets.
Il n’y a en France qu’un secteur qui
semble épargné : la fibre optique télécom. Pourquoi ? Parce que le gouvernement français s'est rendu compte que
la fibre ne pourrait pas être déployée
dans les zones rurales si les collectivités locales n'avaient pas accès à des financements qui leur permettraient de
contribuer les subventions publiques
nécessaires au déploiement des nouveaux réseaux. Le gouvernement a fait
appel au fonds d'épargne de la Caisse
des Dépôts, qui ont été mis à disposition de manière extrêmement efficace,
ce qui fait qu'aujourd'hui, les collectivités locales ont pu lancer et mettre
en place de nombreuses DSP. C'est un
des marchés les plus dynamiques, dans
lequel Cube est très actif aujourd'hui
à travers Covage. Dans les autres secteurs, ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas
besoin d'infrastructure, c'est juste qu'il
n'y a pas les moyens.
Vincent Levita, InfraVia : Oui, mais
les moyens, c'est une question de
politique. On touche le débat fondamental en Europe, avec d'un côté les
Allemands et le pacte de stabilité, et de
l'autre côté plus ou moins tout le reste
de l'Europe ... du coup, effectivement,
il y a les tenants d'une politique de relance de type keynésienne, Roosevelt,
le new deal, le plan Marshall, qui sont
d'ailleurs soutenus par Juncker. Et de
l'autre côté, il y a les rigoristes, les Allemands et certains Français. Tant qu'on
est dans cette pensée-là, effectivement,
on n'investit pas dans les infrastructures. Ce n'est certainement pas une
question de besoins, c'est une question
de financement. Je conçois que certains ne soient pas d'accord avec cette
politique. Aujourd'hui, il n'y a pas les
financements, ni au niveau de l'État, ni
au niveau des collectivités locales. Du
coup, ça ralentit, les infrastructures
doivent être faites par le privé.
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : C'est paradoxal, quand
même.
Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Stéphane ?
Stéphane Duhr, 3i: Sur ce que disait
Marie-Laure, je suis vraiment d'accord
sur l'analyse des outils contractuels, je
pense que c'est positif quand même,
quelque part, ça banalise « l’outil PPP
», qui était un peu un OVNI pour de
nombreux décideurs publics.
Xavier
Leloup,
Magazine
des
Affaires : Parce que les PPP, chez 3i,
c'est une de vos spécialités, enfin le
greenfield.
Stéphane Duhr, 3i : Chez nous à Paris, chez 3i, ça l'a été, en effet.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Ça l'a été, en tout cas, longtemps.
Stéphane Duhr, 3i : On fait encore
pas mal d’infrastructure greenfield en
France, mais c'est la moitié de l'équipe,
globalement, et la moitié du business
passé. Sur l'avenir, c'est plutôt un
quart, seulement, et trois quarts sur
le core infrastructure, on va dire. Pour
revenir à l’ordonnance, j'ai envie de
dire « on verra ce que ça va donner »,
mais je crains malheureusement qu'il
y ait une volonté politique de réduire
le nombre de projets dits de « PPP »...
Si tant est qu'on puisse réduire l'utilisation de quelque chose qui n'est pas
utilisé aujourd'hui, de toute façon, et
là il y a une contradiction assez forte.
On dit que le marché est stagnant,
mais il est faible et stagnant, malheureusement. Et en plus de ça, vous rajoutez une volonté politique de moins
utiliser un outil qui s'appelait le PPP,
qui est devenu maintenant moins
»étrange » car réintégré dans la commande publique, mais globalement il
y a quand même les seuils (de l’article
144 du projet de décret), de 5-10-20
millions, selon l’objet concerné, vous
les connaissez come moi, qui ne vont
pas nous impacter, nous, parce que de
toute façon, les projets en dessous de
20 millions ne sont pas financés par
les structures de project finance avec
de l'equity porté par des investisseurs
comme nous ou d’autres, mais malheureusement, ça va réduire l'utilisation de l'outil, parce qu'il y a quand
même pas mal de petits projets qu'on
ne voit pas, qui sont sous notre radar,
comme les gendarmeries, les piscines,
les chaudières…
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Les chaudières, carrément,
oui.
Stéphane Duhr, 3i Oui, les chaudières d’hôpitaux, des budgets à trois
millions, cinq millions, dix millions.
Et malheureusement tout ça, on le
coupe. Ce n’est pas très bon. Et tuer
un marché, ça commence peut-être
par tuer les 80 % de projets qui ne font
peut-être que 20 % de la valeur, mais
c'est quand même beaucoup de projets
qui vont être tués, malheureusement.
Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Et par rapport à ce qu'on
disait avant, est-on d'accord pour
dire que le Fonds européen pour les
instruments stratégiques (FEIS) ne
sert à rien ?
Vincent Levita, InfraVia : Ah non. Je
ne suis pas du tout d’accord.
Mathias Burghardt, ARDIAN :
Comme Yves, je pense qu'effectivement, il y a toujours besoin d'infrastructures, mais qu’aujourd'hui il faut
réfléchir sur les priorités. Prenons le
projet de taxe poids lourds, un des
grands PPP français, construit, et que
l’on démonte sans l’avoir utilisé. Sur
Tours-Bordeaux, le plus important
PPP européen depuis Eurotunnel qui a
nécessité 4 milliards d’euros de subventions publiques, les donneurs d’ordre
disent aujourd’hui « finalement, on
n'a pas besoin d'autant de trains ». Il
y a donc un sujet sur le niveau et le
type d’infrastructures nécessaires et la
capacité de l’Etat à anticiper les besoins puis à mettre en œuvre ses décisions. Les deux économies au monde
qui se portent le mieux, en tout cas
pour l'instant, les États-Unis et l'Allemagne, sont des pays dont les infrastructures sont parmi les plus vétustes.
53
FINANCE
table ronde
54
À mon avis, le combat sur la relance
keynésienne, se posait il y a trente ans.
Aujourd'hui, c'est plutôt la rupture
numérique. La nouvelle économie
aux Etats-Unis construit une nouvelle
marque de voitures en dix ans, alors
qu’au même moment des constructeurs
historiques
disparaissent.
AirBnb, en vingt ans, a détrôné Hilton sans investir dans l’immobilier ! Il
faut donc s’interroger avant de lancer
un programme massif de construction
d’infrastructures... je ne dis pas qu'elles
sont inutiles, mais est-ce les bonnes ?
Les Allemands n’ont-ils pas raison
d'insister sur le numérique plutôt que
d'aller construire le dernier barreau qui
reste entre deux autoroutes ?
Stéphane Duhr, 3i : Avec sept milliards d'élargissements de routes (Amodels), qui va se faire sur les quatre
ou cinq prochaines années, ce n’est
quand même pas négligeable, et espérons le utile sur un plan socio-économique.
Mathias Burghardt, ARDIAN : Mais
est-ce ça qui va relancer l'économie ?
Ce n'est pas ça qui a relancé l'économie américaine, ce n'est pas ça qui a
relancé l'industrie allemande. Je pense
que nous sommes dans une autre économie, nous sommes dans un changement radical d'économie, et ce n'est
plus la qualité des infrastructures classiques qui font la différence. Sinon,
le Portugal et l'Espagne n’auraient
pas connu les difficultés qu’elles ont
Table ronde
connues.
Vincent Levita, InfraVia : Je ne suis
pas d'accord. Alors je suis d'accord sur
le fait que la croissance va venir du
numérique et de l'innovation, du développement technologique, etc., ça,
c'est évident. Mais justement ça nécessite et ça génère un tas de besoins en
infrastructures. Pourquoi les aéroports
sont très chers en ce moment ? Plus le
business se globalise, plus tu fais du
business par Internet, plus tu as besoin
de voyager. Il y a bien une raison pour
laquelle le transport international augmente aujourd'hui.
Yves Lepage, Orrick RM : C'est
une vision un peu philosophique des
choses.
Yves Lepage, Orrick RM : Notre business a a toujours été un métier cross
border, ça fait 35 ans que c'est cross
border. On n'a rien inventé, enfin je
veux dire, les aéroports, il y a 25 ans
que cela croit au niveau international. Ce n'est pas depuis trois ans. Les
ouvertures du capital des aéroports ont
commencé il y a plus de 20, 15 ans et
effectivement, c'est un actif attractif,
pour des raisons très spécifiques, en
particulier le fait que les revenus aéroportuaires sont en devise et dans des
juridictions difficiles payés en dehors
de la juridiction.
Marie-Laure Mazaud, CDC : C'est
surtout que tu bénéficies de la crois-
sance de l'économie mondiale, donc
finalement, ce sont des actifs qui
génèrent des performances qui sont
bien meilleures que la croissance locale....
exemple de VINCI Park qui devient
Indigo, qui met le paquet sur l'interconnectivité des services, du digital,
alors qu'à la base, c'est du parking –
et les concessions, mais c'est du dur.
Vincent Levita, InfraVia : Tout est
lié, on dit la même chose, en réalité, la
croissance mondiale est soutenue par
l'innovation. Ça génère de la croissance au niveau mondial. La croissance au niveau mondial demande
plus d'infrastructures, d'énergies, de
transports, etc.
Mathias Burghardt, ARDIAN: Le
PDG d’Indigo, Serge Clémente, nous
a très vite dit « le monde du parking
va complètement évoluer ». Ce qui se
passe pour AirBnb peut parfaitement
se passer dans le parking, c'est-à-dire
que le parc de parkings peut exploser
si un certain nombre de parcs privés
ou semi-privés deviennent disponibles
pour des usagers tiers. La bataille
n'est plus tellement de faire croître le
nombre de parkings en concession ou
en propriété, mais de mettre en place
rapidement des plateformes numériques. Si on ne cherche pas à consolider le marché au travers des technologies numériques on risque de se faire
emporter par la vague. Je pense que
c'est vrai dans les parkings, et ce sera
vrai dans d'autres secteurs.
Yves Lepage, Orrick RM : Mais elle
demande une infrastructure différente.
de schiste, mais bien sûr, et par l'industrie.
fondamentaux de l'investissement
dans infrastructure ?
Philippe Detours, Demeter : Et
notamment une infrastructure plus
locale, l'énergie est un bon exemple.
Marie-Laure Mazaud, CDC : Mais
je pense que la manière dont on va
investir dans les infrastructures est
aujourd'hui différente. On ne peut le
faire sans y mettre une couche de services, une autre de numérique, digitalisation. On a aussi des opérateurs
qui aujourd'hui mettent en place des
digital factory, des labs, comme dans
le secteur des transports urbains, pour
utiliser les informations dont ils disposent sur leurs usagers afin de développer des services autour de l'usage.
Cela nous oblige à nous intéresser et à
investir dans des sujets moins régulés,
à mettre une couche de services de mobilité, d'intelligence numérique, pour
s’approprier les actifs en cours de cession ou le développement de nouveaux
et pour ainsi faire la différence.
Daniel Benquis, EY : Je crois qu'il
faut avoir une vision de la stabilité de
chacun des marchés où l'on peut travailler. Prenez l'exemple d'AirBnb qui
a radicalement transformé l'industrie
hôtelière, sans qu’il y ait de signe avantcoureur. C’est à la mode, on parle
d'uberisation de l'économie. En fait,
tout peut être impacté y compris les
métiers de services comme les nôtres,
avocat, fiscaliste, comptable, qui demain, peuvent également être transformés. Le métier d'investisseur ne sera
pas non plus épargné, parce qu’il y a
une vitesse de transformation de l'économie qui induit que, ce que l'on croit
être stable et pérenne aujourd'hui,
peut fondamentalement être chamboulé demain. Je citais l'exemple des
énergéticiens E.ON, EDF ou Engie.
Leur dire il y a cinq ans qu’ils pourraient se retrouver en difficulté, voire
disparaître à brève échéance semblait
lunaire. Ils n'y pensaient pas. Donc je
crois qu'aujourd'hui, chaque métier
doit analyser sa façon de travailler et
considérer que tout peut radicalement changer, entre autres parce que
le numérique permet des mises en
relation complètement différentes de
ce que l'on connait aujourd'hui. Des
exemples, il y en a de plus en plus et
cela va aller en croissant.
Yves Lepage, Orrick RM: Mathias, je
ne veux pas dire que le fait qu'il n'y
ait pas d'infrastructure ne soit pas un
handicap. Mais nous avons en France
actuellement un système d'infrastructures qui fonctionne très bien. C'est
clairement un des éléments de compétitivité de ce pays, mais ce n'est plus
une priorité, c'est tout.
Daniel Benquis, EY : Je pense qu'il y a
deux sujets. Il y a un problème de qualité pour des infrastructures indispensables. Si on supprime l'autoroute A1,
je pense qu'on arrête le pays. De l’autre
côté, aller construire aujourd'hui une
autoroute entre je ne sais où et nulle
part, cela ne sert à rien.
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : La rupture numérique est
un facteur central, on est bien d'accord. Mais la reprise américaine a été,
pour moitié au moins assurée par le
développement du gaz de schiste et
par la conversion des infrastructures
de production d’énergie du charbon
au gaz. On dit que cela a créé 2 points
de croissance aux Etats-Unis, je ne sais
pas si c'est vrai.
Vincent Levita, InfraVia: Par le gaz
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Et alors justement, sur
la projection des revenus dans la
durée : les business models se réinventent en permanence, il y a des
révolutions digitales à espace très
court de deux ou trois ans, et vous
êtes tous là pour investir sur du
long terme. Comment projeter des
revenus sur du long terme, avec tout
ce que ça sous-entend, en tant que
structure, alors qu’il y a des nouveaux sujets, des nouveaux services.
Est-ce que, finalement, la révolution
digitale ne bouleverse-t-elle pas les
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Et donc il y a ce fameux
Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Et par exemple, sur les tours
télécoms que tu viens d'acheter en
Irlande, est-ce que tu imagines de
nouveaux services, à partir de cet
actif ?
Vincent Levita, InfraVia: Moi, je vois
le côté positif, on revient sur la discussion du début, les prix des actifs sont
trop élevés pour des actifs stables. À
la fois, c'est normal qu'un actif stable,
son prix soit élevé, on rejoint d'une
certaine manière l'immobilier. Donc
nous, ce qui nous intéresse, c'est les
actifs sur lesquels il y a du développement à faire. C'est là où je ne te rejoins
qu'à moitié, ça peut être du développement d'actifs, parce qu'il y aura forcément besoin de nouveaux actifs, et
ça peut être sur ces actifs-là du développement de services. Et nous, sur
notre portefeuille de tours en Irlande,
on peut s'asseoir sur les contrats et dire
« on ne change rien jusqu'à la nuit des
temps », ou on peut travailler avec nos
clients pour dire « de quoi vous avez
55
FINANCE
table ronde
besoin demain, comment on peut vous
aider, comment on peut développer les
services, est-ce qu'il y a besoin de nouveaux actifs ou pas, auquel cas, on les
construira, ou est-ce qu'il y a besoin
de nouveaux services sur ces actifs-là
». C'est évident qu'une partie des idées
va venir de nos clients opérateurs télécoms, parce qu’ils sont à la manœuvre
en termes d'innovation, et une partie
des idées peuvent venir de nous. Donc
on est dans un monde qui est quand
même assez dynamique, qui fait que
la valeur ajoutée peut venir de l'infrastructure, du service sur l'infrastructure,
de la connectivité de l'infrastructure.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Et quid de l'équipe dirigeante ?
56
Vincent Levita, InfraVia : Et il faut
une équipe dirigeante qui soit armée
pour exploiter l'infrastructure, c'est-àdire pour savoir faire évoluer le service.
C'est là que notre métier devient passionnant. Après, il faut faire la part des
choses entre la part de la valeur ajoutée
qui est créée par le service lui-même,
par l'actif, par l'investissement ou par
la connectivité avec d'autres services.
Dans le transport local, je pense que
vous ne vous rendez pas compte, on est
en train de passer de la ville et sa banlieue à un concept de ville élargie, de
mégapole. La gouvernance est en train
d'évoluer dans ce sens-là, les problématiques de transports que ça soulève. Les
problématiques de transports internes
que ça soulève sont gigantesques, et la
réponse, ce sera un mix, comme toujours, de voitures, peut-être demain
de voitures qui se conduisent toutes
seules, de parkings, bien sûr, de tramways, de trains régionaux, etc. Tout
ça, ça reste à construire et il y aura des
besoins d’actifs, de connectivité entre
actifs et d'intelligence à mettre dedans.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Est-ce qu'on ne passe pas
quand même une barrière supplémentaire quand on parle de partage
d'actifs ? Avec AirBnb par exemple,
Table ronde
le propriétaire d'un actif, en l'occurrence un bien immobilier, peut
le ‘‘partager’’ et en tirer ainsi des
revenus de manière totalement différente. Ça, quand on achète du dur,
est-ce que ça ne change pas... Idem
pour les investissements pour les
aéroports : tu me disais, Mathias,
que tu faisais des investissements
purement digitaux, qui permettent
de décupler le tarif sans investir, sans
construire du dur.
Mathias Burghardt, ARDIAN :
Exactement, donc par exemple, à
Naples, on a augmenté la capacité de
l'aéroport de 20 %, sans construire
de nouvelles infrastructures « en
dur ». Nous sommes dans un monde
où il va falloir faire mieux avec ce
qu'on a au lieu de continuer à consommer et à construire,. A chaque fois il
faudra se poser la question « est-ce
que c'est nécessaire de construire «
du dur » ou est-ce qu'on peut, par un
autre moyen, rendre le même service?
». C'est vraiment ça, la philosophie.
Il faut vraiment se poser la question «
est-ce que de nouvelles infrastructures
sont nécessaires ou on peut faire mieux
ou différemment avec l'infrastructure
existante ? », Les systèmes régulés en
Europe ont atteint leur limite. On ne
vous paie pas pour produire un service,
on vous paie pour investir, presque que
ça serve ou que ça ne serve pas. Un dirigeant d'aéroport me disait sur le ton
de la boutade « à la limite, le système
m’incite à construire des WC en or »
pour pouvoir augmenter mes tarifs. Je
pense que ce système est absurde, que
nous sommes dans une autre période ;
il faut être jugé en fonction du service
que vous rendez, et même, peut-être
pénaliser les acteurs qui investissent en
générant du CO2 inutilement.
Vincent Levita, InfraVia : Oui mais
on sait d'où ça vient. Ça vient d'une
histoire où on ne voulait pas que les
opérateurs d'infrastructure sous-investissent dans les aéroports, dans les
réseaux d'électricité, dans les réseaux
de gaz, donc au lieu de mettre une
régulation privée, on a mis une régulation avec une base d'actifs régulés,
et effectivement, il y a un incentive à
investir. Cela a bien servi les années de
développement. Aujourd'hui, on passe
dans l'optimisation de l'infrastructure,
qui pour moi va être créatrice de valeur. Je vois ça comme une opportunité exceptionnelle de mieux valoriser
les infrastructures actuelles.
Mathias Burghardt, ARDIAN : La
seule question pour moi, c'est comment protéger les emplois. Comment
maintenir/développer l’emploi dans
un monde qui se « numérise » ?
Vincent Levita, InfraVia : La réponse,
on la connaît, il faut du temps. Parce
que ce mouvement-là va détruire certains emplois et il va en créer d'autres,
sauf que ce n'est pas tout à fait les
mêmes gens, ce n'est pas tout à fait la
même formation, et ça ne se fait pas en
cinq minutes. Du coup, pour passer de
cette économie actuelle à l'économie
que tu décris, qui va arriver, il faut réguler la vitesse de transformation et il
faut investir dans l'éducation évidemment pour que les gens soient capables
d'accompagner le mouvement. Ça, ça
prend trente ans.
Daniel Benquis, EY : Mais l'accélération des technologies, quand on va
investir sur un actif, il faut se poser la
question « qu’est ce qui peut arriver ?».
L'exemple des parkings est extrêmement frappant sur ce point. On croit
investir dans quelque chose de solide,
de pérenne, mais qui peut devenir en
fait complètement inutile si le marché
change. Il faut se poser la question.
Prenez les taxis. On pouvait considérer, il y a quelques années, que les
taxis étaient une quasi-infrastructure,
au sens où il y avait un nombre de
licences fini. On pouvait connaître à
l'euro près, ou presque, les évolutions
des revenus liés à l’ensemble du parc.
En quelques mois, une évolution technologique a pu tout balayer. Qu’on essaye de l’arrêter ou pas, cela ne change
rien.
Le changement est technologique
à la base et réglementaire ensuite.
Même si on tente d'arrêter les évolutions technologiques par la réglementation, la vague peut vous passer
au-dessus. Je pense qu'aujourd'hui,
en tant qu'investisseur, quel que soit
le métier, que ce soit dans l'infrastructure, dans le conseil, dans le service,
etc., il est nécessaire de se poser des
questions sur les grands changements
technologiques potentiels. Il y a tout
de même eu quelques exemples majeurs de sociétés qui n'ont pas vu la
concurrence arriver. L'exemple un peu
ancien aujourd'hui, mais de business
school, c'est Kodak, qui a été complètement balayé par la vague numérique.
C'était une société qui existait depuis
100 ans et qui a elle-même inventé la
photo numérique qui l’a fait disparaitre. C'était un exemple. Il y en avait
un tous les dix ans. Maintenant, il y
en a tous les ans. Regardez Blablacar.
Son évolution technologique permet
de changer radicalement la façon de
se mouvoir sur de petites ou grandes
distances. Dans la foulée, les autres
transporteurs commencent à être déstabilisés ; mais au-delà de cet exemple,
le nombre de métiers qui sont déstabilisés par ce type d’évolution est assez
important. Et ça va aller de plus en
plus vite.
Philippe Detours, Demeter : Ce
que tu es en train de dire, c'est que
le concept même d'infrastructure, ce
n'est plus exactement le même, l'aspect « j'achète des contrats long terme
sécurisés, monopole de situation, de
fait, juridique, forte prévisibilité des
cashflows, etc., », tout ça, ça devient
assez relatif, quand même.
Daniel Benquis, EY : En tous les cas,
il faut se poser la question.
Philippe Detours, Demeter : Si on
est sur des actifs où on ne sait pas
s'adapter aux évolutions que vous
décrivez, ça devient compliqué de rester et d’avoir un business résilient qui
tienne la route.
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Il me semble que ce que tu
exprimes, Mathias, c'est qu'il y a effectivement un besoin déclinant d'infrastructure dans le domaine du transport
routier.
Mathias Burghardt, ARDIAN: Et
dans l'énergie.
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Sauf dans l'efficacité énergétique, qui comme le transport public
-le ferroviaire et les autres moyens de
transports en commun- et la fibre télécom, nécessitent des investissements
en croissance. Dans l'efficacité énergétique, la mutation est assez forte, en
raison notamment du développement
du solaire et de la géothermie. En fait,
nombreux sont les sujets dont nous
pourrions parler qui font que l'horizon
n'est pas aussi clair, comme tu le précises. Nous pourrions parler tout aussi
bien de la mutation dans le métier des
parkings ! Le point est encore une fois
que les très gros projets pour lesquels il
y a une importante couverture médiatique ne constituent que la pointe de
l’iceberg, et qu’on ne parle pas assez du
quotidien de l'investissement dans les
infrastructures que nécessitent les collectivités locales, ces infrastructures de
tous les jours qui, en première ligne,
préoccupent les élus locaux. Ces élus
savent que si le bus ou le TER n'est
pas là à l’heure le matin cela leur sera
reproché dans les semaines qui suivent.
Il y a de ce fait une vraie pression des
infrastructures et du maintien des
investissements de maintenance et de
renouvellement qu’elles nécessitent. Le
problème, je le répète, est que souvent
la partie publique n’a plus les moyen
financiers d’assurer ces investissements
essentiels aux communautés. Je redis ce que je disais tout à l'heure : le
plan Juncker ne traite pas à mon avis
ce problème comme il le devrait. Je
trouve que ce qui a été fait par exemple
dans la fibre au travers du programme
Caisse des Dépôts par l'État Français
pourrait être appliqué dans d'autres
secteurs comme l'efficacité énergétique. Il me semble que cela doit faire
partie de l’utilisation de ces quantités
énormes d'argent qui ont été mises en
circulation par la BCE. Si cet argent
ne crée pas de croissance, cela va créer
un décalage de plus en plus important
entre l'économie réelle et l'économie
monétaire, si bien que nous courrions
le risque d’un ajustement violent.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Philippe, tu voulais dire
quelque chose ?
57
FINANCE
table ronde
Philippe Detours, Demeter : Je suis
d'accord avec ce que dit Renaud, juste
une nuance, dans le secteur de l'énergie, c'est assez frappant de voir qu'il y a
beaucoup de SEM locales, régionales,
qui sont assises sur des piles de cash !
58
Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Sociétés d'économie mixte.
Philippe Detours, Demeter : Oui,
qui achètent de l'énergie en dehors
de leur périmètre géographique, juste
parce qu'ils veulent être indépendants
énergétiquement et pouvoir dire qu'ils
sont verts à 100 %, 90 % ou 50 %.
Marie-Laure Mazaud, CDC : Ce que
je voulais dire, par rapport au plan
Juncker, c'est que cette initiative a permis de faire émerger, dans un grand
nombre de pays européens, des projets prioritaires, en tous les cas, de les
identifier, parce qu'il y a un vrai sujet
de pipeline, en France et ailleurs. Juncker utilise des ressources qui sont déjà
disponibles, il essaie de les formater,
d’accélérer les conditions de mise en
œuvre des projets, de faire jouer l’effet
de levier. Les ressources sont là, elles
n'ont pas forcément changé ; l'idée est
de redonner un coup d’accélérateur à
l’investissement, en prenant plus de
risques, mais encore faut-il pouvoir apprécier ce que cela veut dire d’un point
de vue pratique, dans la mesure où le
premier filtre reste en entrée les procédures de la BEI, et quel que soit le pro-
Table ronde
jet considéré. Et derrière ce processus,
à quel coût ? Au-delà de ces questions
très pratiques au fond, je trouve que le
grand bénéfice de cette initiative, c’est
d'organiser en fait la shopping list des
priorités et des projets à maturation
rapide comme à moyen terme, pour
les faire remonter en charge promptement, les faire avancer ou tout simplement les émerger en leur donnant
un coup de lumière. Il y a beaucoup
d'initiatives en ce sens. Il est toutefois
dommage, notamment en France, que
cela ne se traduise pas toujours dans
les faits et que le gouvernement ne se
réapproprie pas cette initiative pour
relancer l’investissement dans les infrastructures, grandes et petites. Il y a
le CGI aujourd'hui sur ce sujet notamment.
Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Le CGI, c'est ?
Marie-Laure Mazaud, CDC : Le
commissariat général d'investissement,
qui formalise depuis deux ans ce sujet,
et qui vient en écho par exemple du
rapport Duron, qui avait en 2013 tenté de formaliser les projets prioritaires,
en distinguant deux catégories, l’un
avant l’horizon 2030, l’autre au-delà.
On a véritablement besoin de définir
des priorités et de les mettre en œuvre
dans un calendrier volontariste.
Vincent Levita, InfraVia : Moi, je
suis partisan du plan Juncker quand
même, parce que je pense qu'il a eu
plusieurs effets positifs. Le premier,
c'est qu'il établit les conditions d'une
relance par l'investissement, bénéfique pour les emplois à court terme
et pour la compétitivité de l'économie
sous-jacente. Deuxièmement, cela dit
que dans une relance par l'investissement, les infrastructures ont une place
importante à tenir, parce qu'elles ne
sont pas délocalisables, parce qu'elles
créent de l'emploi immédiat et parce
qu’elles soutiennent l'économie. Bon,
après, là où je commence à être plus inquiet, c'est quand les pouvoirs publics
veulent injecter de l'argent public, via
la BEI, ou la Caisse des Dépôts, ou via
un organisme public, dans une économie qui fonctionne déjà bien au niveau
marchand. En gros, quand les projets
sont bancables, ils sont finançables, il
y a suffisamment d'argent privé pour
les faire fonctionner, pas la peine de rajouter une couche de liquidités supplémentaires, d'argent public, ça ne sert à
rien, et ça déstabilise un marché qui est
déjà compliqué.
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Dans l'efficacité énergétique, ce n'est pas souvent le cas.
Vincent Levita, InfraVia : En revanche, a un certain nombre de secteurs qui sont limite bancables, parce
qu’effectivement, il faut les pousser
un petit peu, il faut les subventionner les premières années, comme ça
a été le cas historiquement pour les
autoroutes, parce qu'au début, elles
ne sont pas compétitives et mettre de
l'argent public là, pour démarrer une
infrastructure qui sera essentielle et qui
soutiendra la compétitivité demain,
comme les autoroutes ont soutenu la
compétitivité économique des trente
dernières années. Donc là, c'est important. Ce qui est compliqué, si on est à
la BEI ou même la Caisse des Dépôts,
c’est comment je fais l'arbitrage entre
les projets où l'on a besoin de moi,
parce qu'ils ne sont pas terribles, pas
bancables, et les projets qui sont tellement bien qu'on n'a pas besoin de
moi, là, il ne faut pas que j'y aille.
Marie-Laure Mazaud, CDC : « J'y
vais quand même car notre principe
d’intervention n’est pas la subsidiarité et de se positionner uniquement sur les carences de marché ».
Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Denis, sur l'international,
en fiscalité.
Denis Andres, Arsene Taxand :
C'était juste sur l'international,
parce que j'entendais la vague «
disruptive » et les évolutions du métier. J'ai l'impression, néanmoins,
que sur la partie de l’activité correspondant à des prestations de services
incorporelles qui s’agrègent au cœur
de l’activité des métiers de l’infrastructure, on vient beaucoup nous
voir pour s’assurer des équilibres en
matière de prix de transfert, dans
un environnement où la compétitivité entre Etats est assez forte ; donc
pour les acteurs qui sont multi-pays
aujourd'hui, ils nous faut travailler
pour sécuriser au mieux leur ancrage géographique.
Mathias Burghardt, ARDIAN :
Je ne suis pas tout à fait d’accord.
Tesla ne s’est pas développé à Jersey
ou dans les iles Caïmans. Autrement dit, on ne bâti pas quelque
chose pour des raisons fiscales, on
le fait parce que ça a du sens, que
votre marché et les talents sont là.
Ensuite seulement, on cherche à
optimiser.
Denis Andres, Arsene Taxand : Je
ne dis pas que c'est vecteur de choix,
effectivement, mais ça rentre dans
la photo parce qu’il y a des enjeux
financiers.
Mathias Burghardt, ARDIAN :
Oui, à la fin, pour optimiser, mais
une fois que tout est là. Regardez,
la Californie, un Etat où la main
d'œuvre est très chère, bourré de
taxes, et où les risques sismiques
sont élevés. C’est pourtant là que se
construit en grande partie l’économie de demain ! Il faut se poser la
question fiscale, mais ça ne doit pas
être le facteur déterminant.
Denis Andres, Arsene Taxand :
Ce n'est pas la première, parce que
c'est d'abord le business, mais en
revanche, ça reste des sujets qui sont
liés à une partie de la création des
services plus dématérialisés.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Et si le management est
important, on a plus de raisons de
l’intéresser au capital, de le faire
monter à la manière d’un LBO.
Cette structure d’investissement
soulève-t-elle des questions fiscales ?
Denis Andres, Arsene Taxand :
Clairement, oui. J'ai l'impression
qu'il y a une poussée de ce qui était
l'apanage du private equity, qui
monte, y compris sur l'infrastructure et probablement aussi dans
certains dossiers où j'ai pu constater qu’il pouvait y a voir un appétit
pour préempter le management, sur
les dossiers où vous vous dites que le
management est important, et qui
participe d’une différenciation de
l’offre, qui est plus nette.
Au départ, quand on a commencé
à travailler sur ce type de dossiers,
la question (fiscale) du management
n’était pas posée. Puis les questions
ont commencé à sortir avec une
prise en compte du modèle « type
», c’est-à-dire au fond essentiellement la durée de l’investissement
et les modalités d’appréhension de
la valeur en cours d’investissement,
qui conduisait le plus souvent à
recourir à des mécaniques d’incentives assez basiques. Aujourd’hui,
avec le rapprochement des équipes
et la volonté d’être toujours mieux
disant, le management dans l’infra
peut bénéficier d’un type de management package similaire à celui
rencontré dans la private equity.
Ils ont dit :
††
Vincent Levita
‘‘Toute notre stratégie consiste
à se positionner sur des actifs
pour lesquels on ne va pas être
en compétition directe avec
les assureurs ou les fonds de
pension’’
††
Denis Andres
‘‘Sur la partie de l’activité correspondant à des prestations
de services incorporelles qui
s’agrègent au cœur de l’activité
des métiers de l’infrastructure,
on vient beaucoup nous voir
pour s’assurer des équilibres en
matière de prix de transfert’’
††
Marie-Laure Mazaud
‘‘Le recours est aujourd'hui un
véritable frein à l'exécution d'un
certain nombre de projets’’
††
Stéphane Duhr
‘‘Les investisseurs institutionnels arrivent à recruter des professionnels provenant de fonds
existants, en leur faisant des
offres parfois très alléchantes’’
†† Philippe Detours
‘‘Dans le secteur de l’environnement et de la transition énergétique, la perception du marché
français par les investisseurs
scandinaves ou allemands est
extrêmement favorable’’
††
Renaud de Matharel
‘‘Ce qui a été fait dans la fibre
au travers du programme Caisse
des Dépôts par l'État Français
pourrait être appliqué dans
d'autres secteurs comme l'efficacité énergétique’’
59
FINANCE
table ronde
60
Vincent Levita InfraVia : Mais c'est la
conséquence des deux tendances qu'on
a évoquées ce matin. La première, si
nous, en tant qu'investisseurs, on veut
être compétitifs face à des gens qui
achètent des choses simples, avec un
coût du capital très bas, il faut qu'on
vise des actifs où il y a une valeur ajoutée. Deuxièmement, il faut accompagner le passage à une économie numérique dont nous avons parlé, la partie
services qui se développe, la création
de valeur qui viendra de là, et que
nous subirons si on ne le fait pas. Ces
deux tendances-là font que la place du
management sera plus importante. Du
coup, on utilise les techniques qui ont
fait leurs preuves, on les adapte éventuellement.
Xavier Leloup, Magazine des Affaires : En cela, vous vous rapprochez
du private equity le plus classique.
Mathias Burghardt, ARDIAN : Je
ne sais pas si c'est du private equity,
mais effectivement, il y a une convergence des différentes classes d'actifs.
Ce qui est sûr, c'est que quand on a
commencé ce métier il y a 25 ans, on
se disait « une bonne infrastructure, à
la limite, il n'y a pas besoin de management, au contraire, moins on en
fait, mieux ça tourne, il faut juste une
Table ronde
bonne maintenance ». Aujourd'hui, ce
raisonnement est totalement obsolète,
il n'y a plus de rentes de situation. À
partir du moment où vous déviez, par
rapport à l'économie réelle, ce n'est
pas parce que vous avez un contrat qui
vous dit que c'est comme ça que ça va
se produire. Dans un monde globalisé,
vous avez besoin d'un management
qui puisse faire évoluer la société, qui
puisse anticiper, car sinon, vous êtes
balayés. Du coup, vous avez besoin
d’un management, d’entrepreneurs
qui, à chaque fois qu'ils prennent
une décision, le font comme si c'était
leur propre investissement. Parce que
vous ne pouvez pas tout prévoir tout
contrôler.
Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Oui, c'est ça. Autant que ça
le soit, alors.
Mathias Burghardt, ARDIAN : Parce
que vous ne pouvez pas tout prévoir…
donc oui, autant que cela le soit !
Marie-Laure Mazaud, CDC : Et puis
chacun d’entre nous a des actifs qui
se ne passent pas bien... enfin dont le
déroulement ne se passe pas comme
cela a été écrit contractuellement. Il y a
des contextes réglementaires, géopolitiques qui évoluent. On a donc besoin
aujourd'hui d'avoir des équipes aguerries... ce n'est pas aux actionnaires de
gérer leurs actifs au quotidien ; on a
besoin d’être épaulés par des équipes
de direction générale qui gèrent de
manière très opérationnelle et très
proactive nos actifs. Au cours des deux
dernières années, on a recruté régulièrement dans les sociétés projets en
portefeuille comme nouveaux, et on
fait aussi tourner le management sur
ces actifs.
Xavier Leloup, Magazine des
Affaires : Le dernier point qu'on n'a
pas évoqué se rapporte à l’environnement des levées de fonds. Alors qu’il
y a beaucoup d'argent - je formule la
chose de façon volontairement provocante – est-il devenu facile de lever
de l'argent aujourd'hui ? C'est votre
actualité à tous ou cela va le devenir.
Vincent Levita InfraVia : Ce n'est
jamais facile, parce que tu dois quand
même convaincre les investisseurs,
dans le fonctionnement des fonds tels
que les nôtres, de te faire un chèque en
blanc. Du coup, ce n'est jamais facile.
Mais c'est vrai que c'est plus facile qu'il
y a cinq ans.
Mathias Burghardt, ARDIAN : C'est
plus facile qu’il y a deux ou trois ans.
A l’époque l’Europe n’était pas très
« tendance »... Aujourd'hui, les investisseurs se disent « finalement,
l'Europe, ce n'est pas si mal, même
s'il y aussi de l’instabilité, même
s'il y a des risques réglementaires
». Par rapport au Brésil, à la Russie
ou l'Afrique, c'est quand même une
zone adapté aux investissements de
long terme. Aujourd'hui, au moins,
vous n'a plus besoin de convaincre
sur l’Europe, ni sur la classe d'actifs.
La classe d'actifs Infrastructure,
dans une période de forte volatilité,
présente des avantages. Même s’il y
a des changements à anticiper, du
fait du changement technologique,
notre secteur demeure quand même
plus prévisible que la plupart des
autres industries. Donc le contexte
général est plus porteur.
Vincent Levita InfraVia : D’abord
l'Europe qui a fait ses preuves. Deuxièmement, tout le monde connaît
à peu près la classe d'actifs, il y a
dix ans, il fallait expliquer ce que
c'était. Troisièmement, l'environnement financier, macroscopique, il
est très favorable, en relatif à notre
classe d'actifs par rapport à d'autres.
Quatrièmement, les acteurs comme
nous, on existe depuis maintenant
plus de 10 ans, on peut montrer ce
qu'on a fait avec l'argent qui nous
a été confié depuis longtemps. Tout
ça fait que c'est plus facile.
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Je partage totalement cet
avis. Même si ce n’est jamais facile
de convaincre des gens de vous donner de l’argent pour 10 ou 15 ans,
le fait qu’il y a beaucoup plus de
liquidités qu’avant rend l’exercice
de levée de fonds plus facile qu’il y
a quelques années. Vous avez raison
de dire que nous sommes en levée
de fonds. Pour être précis, nous
serons véritablement sur le marché
lorsque notre MBO sera bouclé, ce
qui devrait se faire avant la fin de
l’année.
Philippe Detours, Demeter : La
levée est clairement plus facile. Enfin on va dire que la classe d'actifs
est beaucoup mieux acceptée que
par le passé. Ce qui pour moi est un
peu frustrant, par exemple quand
j'avais ma casquette Macquarie il
y a quelques années, j'allais voir les
investisseurs français, on me disait
« vous êtes Macquarie, vous êtes
très gros, moi, un ticket de plus de
dix millions d'euros, quand même,
c'est compliqué, je préfère du franco-français ». Maintenant, je viens
avec ma casquette Demeter, je demande juste 10 millions d’euros, et
on me dit « vous êtes quand même
très franco-français, moi, je préfère
investir 40-50 millions d'euros minimum par fonds …».
Xavier Leloup, Le Magazine des
Affaires : Pas de chance !
Philippe Detours, Demeter :
Blague à part, si cette évolution est
une bonne nouvelle pour la classe
d’actifs en général, on peut néanmoins s’interroger sur l’adéquation
de ce comportement des investisseurs institutionnels avec les besoins
de financement de la transition écologique et énergétique qui nécessite
d’être capable de financer des projets locaux de taille modeste. Parce
que Demeter vise un secteur assez
ciblé (l'environnement et la transition énergétique) et des projets
locaux, notre fonds a une taille cible
de 100 à 150M€ qui est considérée
comme étant trop petite pour les
grands investisseurs français. Donc
je revis un peu ce que j'avais vécu
il y a quelques années, c'est-à-dire
qu’il faut repartir avec son bâton de
pèlerin pour évangéliser des gens
qui sont un peu moins au fait de
cette classe d'actifs, et qui investissent des tickets d'equity qui sont
à peu près en phase avec la taille
du fonds, c'est-à-dire entre 5 et 10
millions d'euros. Certains peuvent
aller un peu au-delà. Mais ce qui
est aussi intéressant, c'est qu'on a
Ils ont dit :
†† Yves Lepage
‘‘Au niveau de l'État, il n'y aura
pas de nouveaux PPP jusqu’à
la prochaine élection présidentielle’’
††
Mathias Burghardt
‘‘Nous sommes dans un changement radical d'économie, et ce
n'est plus la qualité des infrastructures classiques qui font la
différence’’
††
Daniel Benquis
‘‘Aujourd'hui en tant qu'investisseur, quel que soit le métier,
que ce soit dans l'infrastructure, dans le conseil ou dans
le service, il est nécessaire de
se poser des questions sur les
grands changements technologiques potentiels’’
61
FINANCE
table ronde
62
aujourd'hui une oreille extrêmement
attentive d'investisseurs étrangers,
notamment allemands, voir même
scandinaves. Et c'est là que je fais
le lien avec le débat précédent sur la
question de savoir si en France il y a
encore des investissements intéressants
à faire dans les infrastructures. Je peux
vous dire que la perception du marché
français par certains investisseurs scandinaves ou allemands dans le secteur
de l’environnement et de la transition
énergétique est extrêmement favorable. Ils voient un marché stable, une
économie mûre, un environnement
réglementaire malgré tout qui tient la
route et où il y a énormément d'opportunités. La France fait à peu près
la même taille que l'Allemagne, il y
a quatre fois moins d'investissements
dans le secteur énergies renouvelables.
Il y a donc un potentiel colossal, auquel
il faut rajouter le secteur de l’efficacité
énergétique qui est très intéressant. Le
premier investissement de Demeter 4
INFRA est un contrat de performance
énergétique avec une collectivité locale, c’est une thématique (et un profile risque / rendement) qui plait beaucoup à nos investisseurs. On peut aussi
évoquer l’efficacité énergétique industrielle, il y a là un champ nouveau
qui est très intéressant et prometteur.
Indépendamment des situations particulières des uns et des autres qui font
que la levée de fonds n’est jamais un
exercice facile, il est clair que la classe
d’actifs infrastructure s’est beaucoup
démocratisée ces dernières années. Très
clairement, nous sommes tous assez
contents d'être sur une classe d'actifs
qui gagne en popularité, qui apporte
des solutions de financement à des
problématiques fondamentales pour
nos sociétés, et qui augmente progressivement sa part dans l’allocations des
institutionnels, et c’est a priori une
tendance assez long terme.
Xavier Leloup, Le Magazine des
Affaires : Et maintenant le mot de
la fin : pour 2016, quelle est votre
prédiction, quelle est votre anticipation ? L'aléa principal ressort-il
de l'acceptabilité locale, des risques
de marché ou des risques réglementaires ?
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Clairement les risques de
marché. La volatilité des marchés financiers, aujourd'hui, vient d'un décalage de plus en plus important entre
la sphère réelle et la sphère financière
du fait du quantitative easing. Cette
volatilité et les risques géopolitiques,
qu’on ne peut pas non plus ignorer,
constituent des facteurs d'incertitude
important. Ceci dit, on a vu dans le
passé que l'incertitude peut-être favorable à notre classe d'actifs du fait du «
fly to quality » qu’elle engendre.
Xavier Leloup, Le Magazine des Affaires : Ça rassure, oui.
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Je pense que le quantitative
easing en Europe va peut-être durer
encore 4-5 ans. Même si il va y avoir
très prochainement une légère hausse
des taux aux Etats-Unis, la courbe des
taux va rester très plate. Les rendements obligataires vont donc rester très
bas. Les investissements dits « alternatifs », dont l'infrastructure, vont donc
continuer à demeurer très attractifs
pour les assureurs et les fonds de pension du fait des rendements récurrents
plus élevés qu’ils procurent.
Vincent Levita InfraVia : Je partage
cet avis positif sur la classe d'actifs. On
connait les tendances, elles vont plus
ou moins s’accélérer sur les services
mais l'uberisation de l'infrastructure, il
ne faut pas non plus s'énerver, ça ne va
pas se passer en 2016. Les opportunités
sont là, dans tous les secteurs que nous
avons évoqués, je ne m'attends pas à
des ruptures là-dessus. En revanche,
l'économie financière fonctionne bien
parce qu’il y a de la liquidité qui est injectée et cela signifie qu'il y a une tension, une décorrélation entre le monde
économique et le monde financier, et
donc une volatilité très importante.
Dès que ça éternue un peu en Chine,
le marché yoyote, il revient parce
qu’il y a de la liquidité, mais il yoyote
complètement. Les incertitudes géopolitiques, plutôt en 2017 comme le
Brexit, peuvent sérieusement secouer
le système. Pour le moment, les pouvoirs publics soutiennent le quantitative easing, qui fait qu'il y aura de la
volatilité, mais pas de catastrophe. Et
au final, c'est plutôt bon pour nous.
Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Les prix des actifs vont probablement rester très élevés en 2016.
Je ne crois pas qu’il y aura un changement, même en cas de dégradation
des risques géopolitiques. A ce titre, je
serais intéressé de voir ce que font les
marchés ce matin. Quelle est la réponse
aux attentats de vendredi dernier? Elle
est probablement insignifiante. Quand
il y a autant d'argent dans l'économie,
il faut bien qu'il aille quelque part, cet
argent.
Xavier Leloup, Le Magazine des Affaires : Dans la sécurité.
Vincent Levita InfraVia : Il faut faire
attention. Il y a de l'argent, parce qu'il
est injecté par les pouvoirs publics,
pour maintenir la stabilité financière
et donc économique et donc sociale
du système. Après, comment ça se
réconcilie à long terme, c'est plus compliqué. Mais je vois l'environnement
dans lequel on vit, assez stable, avec de
la volatilité.
Xavier Leloup, Le Magazine des Affaires : Je vous remercie tous. ■