Table ronde Infrastructure 2016
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Table ronde Infrastructure 2016
Table ronde Infrastructure 16 Novembre 2015 Philippe Detours Demeter Stéphane Duhr 3i Denis Andres Arsene Taxand Renaud de Matharel Cube Infrastructure Mathias Burghardt ARDIAN Marie-Laure Mazaud CDC Yves Lepage Orrick RM Vincent Levita InfraVia Daniel Benquis EY FINANCE table ronde Table ronde Les taux bas devraient continuer à stimuler l’investissement dans l’Infrastructure en 2016 Vincent Levita Fondateur et Président d’InfraVia Capital Partners où il dirige une équipe de 15 personnes Lancée en 2008 avec un premier fond doté d’environ 200 M €, InfraVia a levé début 2014 son nouveau véhicule, InfraVia European Fund II, d’un montant de 530 M€. Sa stratégie d’investissement est axée essentiellement sur le mid-market brownfield dans un cadre géographique européen. Infravia a réalisé 19 investissements à ce jour, parmi lesquels la rénovation du stade Vélodrome, l’autoroute A 150, le tramway de Nottingham, l’autoroute A8 en Allemagne ou encore la cité musicale de l’Ile Seguin. Plus récemment, après avoir racheté les 24% détenus par Dalkia France dans le groupe Regaz-Bordeaux, InfraVia vient de prendre le contrôle de Cignal, un réseau de tours télécom en Irlande. 32 Avec 87 Mds € gérés par les fonds européens, l’Infrastructure est devenue la 1ère classe d’actifs par niveau d’allocation en Europe. Mais est-il pour autant devenu facile de lever de l’argent ? Cet afflux de liquidités ne complique-t-il pas, au fond, le métier d’investisseur ? Et comment créer de la valeur sur le long terme à l’heure de la révolution digitale ? Autant de questions auxquelles les participants de notre table ronde ont tenté de répondre au cours d’un débat passionné et passionnant. sont autour de la table arrivent à lever de l'argent et arrivent à l'investir. Photographie : Yves Breton Xavier Leloup, le Magazine des Affaires : On avait parlé ces deux dernières années du retour de la liquidité. Il y en a énormément, sous diverses formes. J'imagine que ça rend votre métier, pour vous investisseurs, plus facile. Qu'est-ce qui s'est passé depuis décembre 2014 sur ce sujet ? L'environnement de financement s'est-il encore amélioré ? Vincent Levita InfraVia : Le niveau de liquidité global reste très important, à la fois sur l'equity et sur la dette. Au niveau de la dette, on peut en parler rapidement, les fonds de dette ont l'air de rester dans le paysage avec une offre peu différenciée pour le moment, les émissions obligataires se sont développées, et les banquiers ont retrouvé de la liquidité. Du coup, beaucoup d'acteurs en profitent pour faire leurs refinancements. J'ai l'impression que, même si les conditions de financement sont plus faciles, ça reste raisonnable pour le moment. Je n'ai pas vu de structure très leveragées comme on le voyait en 2006 ou en 2007. Sur l’equity, il y a aussi de la liquidité qui s'est différenciée, on voit apparaître une segmentation avec des fonds secondaires, des fonds qui évoluent vers un positionnement plus risqué, plus private equity, ce qui est la preuve d'un marché qui mature. Enfin, il y a un grand débat pour savoir s'il y a plus de liquidités que d'actifs, je ne suis pas très inquiet là-dessus. Je pense que la liquidité génère aussi le deal flow, tous les gens qui Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Est-ce qu'il n'y a pas un risque sur le niveau des prix qui sont proposés, justement ? Est-ce qu'il n'y a pas une tentation de faire monter les enchères, en plus du premier phénomène qui est « beaucoup de candidats sur un actif », si en plus, c'est facile d'emprunter. N’y-a-t-il pas une tentation de se dire : « comme mes coûts de financement sont faibles, je vais augmenter mon offre » ? Mathias Burghardt, ARDIAN : Comme disait quelqu'un il n’y a pas si longtemps, tout est relatif. L'augmen- ‘‘ Aujourd’hui, la valeur ajoutée peut venir de l'infrastructure, du service sur l'infrastructure, de la connectivité de l'infrastructure tation des prix de l'infrastructure par rapport à l'immobilier ou par rapport aux titres cotés est relativement raisonnable. Les indices de prix ont moins augmenté dans l'infrastructure que le S&P-500 ou les indices immobiliers. Une fois qu'on a dit ça, c'est normal que des prix augmentent quand les taux baissent. La question est de savoir si la prime, au-delà du taux sans risques augmente. Moi, je ne suis pas convaincu que la prime ait sensiblement baissé par rapport à 2006. Il y a des actifs qui partent très cher, mais dans l'ensemble, lorsqu'on mesure la prime par rapport au taux sans risque, on est dans des niveaux relativement acceptables, avec un rendement courant qui reste confortable. Donc les prix sont chers, mais je ne pense pas que ce soit l'infrastructure qui soit la classe ’’ 33 FINANCE table ronde d'actifs la plus critiquable de ce point de vue-là. 34 Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Je pense que nous sommes dans un marché qui est plus compliqué qu’auparavant. La raison est que les grands investisseurs institutionnels, notamment les grands fonds souverains et les grands fonds de pension Canadiens, n'ont pas les mêmes objectifs que nous : ces fonds ont une collecte très importante –par exemple du fait de l'immigration au Canadaet n’ont donc pas de problèmes de trésorerie pour payer les retraites et autres obligations auxquelles fait normalement face tout fonds de pension ou assureur vie. Dans ce contexte, leur benchmark d'investissement, c'est l'obligataire souverain de leur pays d’appartenance et avec 5-6 % de TRI ils sont très contents. En d’autres termes « they are setting the tone ». Et ça, c'est compliqué, parce qu’effectivement, il y a beaucoup de liquidités, les fonds d'infrastructure ont beaucoup levé, et ils doivent investir eux aussi tout en devant maintenir les objectifs de TRI de 12-15% promis à leurs investisseurs. Pour y parvenir, les grands fonds d’infrastructures n’ont pas d’autre choix que de recourir à plus d’endettement. Les banques suivent en accordant des dettes d'acquisition très importantes. On ne peut donc pas nier que le marché s'est tendu sur les prix. Est-ce que pour autant les prix sont trop hauts ? Tout est relatif. Compte tenu de la quantité de liquidités qu'il y a dans l'économie et du niveau des taux d’intérêt, la hausse significative des prix peut se comprendre. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Les grands investisseurs canadiens qui tirent les prix vers le haut sont-ils vos concurrents ? Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Heureusement pas pour Cube Infrastructure, parce que notre fonds est ciblé sur le mid-market, c’està-dire sur les infrastructures essentielles Table ronde au service des collectivités locales, un marché où ils ne peuvent pas être présents parce que trop dépendant de relations locales qu’ils ne peuvent avoir comme nous. Les prix des actifs sur ce marché sont de ce fait restés beaucoup plus raisonnables, et paraissent même bas lorsqu’on les compare avec les prix ‘‘ Dans un monde globalisé, vous avez besoin d'un management qui puisse faire évoluer la société, qui puisse anticiper, car sinon vous êtes balayés ’’ parfois pharaoniques des grandes transactions d’infrastructures qui ont eues lieu récemment. Vincent Levita, InfraVia : La réalité, c'est que l'infrastructure est perçue comme classe d'actifs « simple », au même titre que l'immobilier, donc ça attire les fonds de pension et les assureurs qui pensent pouvoir y investir sans intermédiaire. Ces investisseurs ont un coût du capital moins élevé, ce qui fait mécaniquement monter les prix. Est-ce que c'est vraiment une classe d'actifs simple, l'histoire dira à quel point elle est simple, à quel point elle n'est pas si simple que ça. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Est-ce qu'ils ont le même horizon d'investissement, aussi ? Vincent Levita, InfraVia : Nous sommes tous ici des investisseurs assez longs, ce n’est pas la bonne raison. Objectivement, un assureur ou un fonds de pension a des objectifs de rendement qui sont plus bas qu'un fonds d'investissement. Du coup, effectivement, ils sont plus compétitifs. Toute notre stratégie consiste à se positionner sur des actifs pour lesquels on ne va pas être en compétition directe avec eux. Mathias Burghardt Membre du Comité Exécutif, Responsable d’Ardian Infrastructure Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Et sur Géosel par exemple, il y avait de la concurrence internationale ? Ardian investit au cœur des Infrastructures en Europe : 7 milliards de dollars sous gestion, des bureaux à Paris, Londres, Milan, Francfort et Madrid, et plus de 20 investissements en Europe depuis 2006 Mathias Burghardt, ARDIAN : À la fin, on était deux, je crois, français à 90 %. Xavier Leloup, Magazine Affaires : Ça restait local ? Dernières opérations marquantes : •Investissement dans Géosel aux côtés d’EDF Invest (VE de 265 M€) •Investissement dans 2i Aeroporti aux côtés de Crédit Agricole Assurances et F2i •Investissement dans l’aéroport de Luton (G.B) en partenariat avec AENA (VE de 468 M€) •Reprise d’Indigo aux côtés de Predica (VE d’1,96 Mds€) des Vincent Levita, InfraVia : C'était un actif particulier, c'était un actif français sur lequel il y avait un biais français, c'était très dur d'y avoir accès sans être local. C'est une des manières de se protéger de la compétition des fonds de pension internationaux, c'est de cultiver l’angle local. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Mais ont-ils les mêmes moyens humains que vous ? Parce que les équipes d'infrastructure s’étoffent quand même. Combien êtes-vous aujourd'hui chez ARDIAN ? Mathias Burghardt, ARDIAN : 25. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Chez InfraVia, combien êtes-vous aujourd'hui ? Vincent Levita, InfraVia : 15. Xavier Leloup, Magazine Affaires : Et chez Cube ? des Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : 25. Xavier Leloup, Magazine des Un positionnement majoritairement brownfield, notamment dans le transport, l’énergie, et les infrastructures de services publics mais aussi greenfield (ex : LGV SEA), avec une stratégie qui s'appuie sur des partenariats avec des industriels tels qu’Abertis, Vinci, Suez ou Enel. Affaires : La CDC, c'est à géométrie variable. Marie-Laure Mazaud, CDC : Effectivement, nous sommes plus de 120 investisseurs dans la nouvelle direction de l’investissement et du développement local en France, mais ce vocal recoupe une notion plus large en termes d’investissement, d’infrastrcutures et de secteurs concernés... elle couvre également des missions de service public telles que le PIA que nous exerçons pour le compte de l’Etat. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Oui, c'est ça, ce n'est pas forcément comparable. Chez Demeter, vous êtes ? Philippe Detours, Demeter : On ne joue pas dans la même catégorie car on ne cible pas les mêmes projets. Nous, dans le fonds Demeter 4 INFRA, nous sommes 4 personnes, et nous ciblons uniquement des projets locaux d’infrastructure. Mais on vit exactement la même chose que ce que vous décrivez même si ce ne sont pas les fonds souverains qui viennent nous concurrencer et potentiellement faire monter les prix. Comme le disait Vincent, l'infras- tructure bénéficie d’un engouement toujours croissant, y compris sur les petits projets et peut-être même encore plus sur tout ce qui touche aux secteurs de l’environnement et de la transition énergétique. Ce sont des actifs qui sont de plus en plus considérés comme étant des actifs assez sûrs, en plus d’un éventuel phénomène de mode. Donc on assiste à une recrudescence d’investisseurs potentiels dans le secteur de l’environnement et de la transition énergétique, tous ne sont pas forcément dotés de l'expertise nécessaire, ce qui ne les empêche pas de proposer des prix parfois assez agressifs. Le position- 35 FINANCE table ronde Table ronde nement de Demeter part du constat que les actifs infrastructure du secteur de l'environnement et la transition énergétique sont à 80 % des projets territoriaux de taille relativement modeste. Tactiquement, nous bénéficions du fait que nous sommes sous l'écran radar de la plupart des personnes qui sont autour de cette table, parce que ces projets sont trop petit pour eux, et ils préfèrent allouer leurs ressources à de plus gros projets. Nous sommes donc positionnés sur un segment où il faut savoir être plus agiles, et spécialisés, pour traiter des transactions de taille modeste. Ce que l’on remarque malgré tout c’est une tendance de certains acteurs, y compris des étrangers, à s’intéresser à des projets que l’on aurait imaginés trop petits pour eux. Dans un tel contexte, la capacité à sourcer des deals propriétaires, voir à créer des opportunités d’investissement (notamment en restructurant / refinançant des portefeuilles d’actifs) est primordiale. Attendre un infomémo qui tombe sur la table, c'est souvent trop tard. tamment depuis Londres, pour mieux couvrir le marché européen ; c’est le cas par exemple de Teachers’, qui a exporté une partie de ses équipes à Londres. Ils veulent ainsi être plus proches de leurs clients, mais également plus proches ‘‘ 36 Xavier Leloup, Magazine Affaires : Et Stéphane chez 3i ? des Stéphane Duhr, 3i : 25 chez 3i en Europe, mais ce qui serait intéressant, c'est de regarder le nombre de personnes par actifs sous gestion. En effet, il y a du monde chez CDPQ, il y a du monde chez CPP, en revanche, si on fait un ratio par million, par milliard géré, ce n'est pas dit que ce soit les mêmes ratios. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Mais ont-ils la capacité humaine de gérer ces actifs ? Et peuventils le faire sur la durée ? Quid du turn-over au sein des équipes, qui fait que ce ne sera pas la même personne qui va gérer l'actif sur trois, quatre, sept ans ? Marie-Laure Mazaud, CDC : Aujourd'hui, ce qu'on observe, c'est qu'ils installent des équipes en Europe, no- Le plan Juncker a permis de faire émerger des projets prioritaires dans un grand nombre de pays européens, en tous les cas de les identifier ’’ des actifs. C'est une manière aussi pour eux de mieux pénétrer ces marchés, dès lors qu’ils y ont pris pied avec des premières participations. Vincent Levita, InfraVia : Ces investisseurs institutionnels ont les moyens d'embaucher 15, 20 ou 25 personnes. C'est largement dans leurs moyens. A terme, il va se poser des questions pour eux: est-ce que ça fait du sens qu'une organisation de traitement de retraites canadienne ait finalement 50 personnes pour gérer des actifs infrastructure, est-ce que c'est leur boulot d'avoir autant de gens qui font ça ? est-ce que ces gens-là ne vont pas avoir besoin, pour attirer les bonnes personnes, d'avoir des modes de rémunération similaires à ce qu'il y a dans les fonds, et que ça ne risque pas entraîner des changements organisationnels ? Mais pour le moment, ils sont là, il faut compter qu'ils sont dans le jeu, ils ont les moyens et ils ont un coût du capital qui est bas, donc il faut avoir une stratégie qui est adaptée. Stéphane Duhr, 3i : En effet ces investisseurs institutionnels arrivent à recruter des gens, y compris des professionnels provenant de fonds existants, en leur faisant des offres alléchantes, cf. CPP, Ontario Teachers, etc. Marie-Laure Mazaud Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Oui, c'est ça, ils ne se privent pas pour... Directrice en charge des Transports et du Développement et membre du comité de direction du pôle ‘‘Infrastructures et Transport’’ Daniel Benquis, EY : Ils ont une capacité de déploiement à la fois rapide et forte. J'ai travaillé pour un certain nombre d'entre eux, c'est assez étonnant. Ils n’ont pas l’habitude d’envoyer juste deux personnes à Londres pour regarder passer les trains. On voit que le marché a effectivement beaucoup cru. Si l’on se replace 5 ans en arrière, l'ensemble du marché était beaucoup plus petit. C’est donc vrai, ce que tu disais, on constate une maturité du secteur, qui attire de nouveaux investisseurs mais chacun, quelque part, arrive encore à trouver son terrain de jeu. Certains interviennent principalement en « greenfield », d'autres en « brownfield », certains dans tel secteur, certains dans tel autre. Le marché a énormément évolué mais il y a encore la place pour tout le monde, en spécifiant bien ce qu'on sait faire, ce qu'on veut faire, ce qui permet à tous aujourd'hui de continuer à se développer. Xavier Leloup, Magazine Affaires : Renaud ? Administratrice du groupe Sanef, de FM (Faure & Machet) Holding – ETI familiale spécialisée dans la logistique et le transport -, de Lisea – ligne à grande vitesse entre Tours et Bordeaux, du Viaduc de Millau, de la société La Rocade L2 de Marseille et des sociétés d’exploitation et de projet des Ports du Détroit Constituée de 14 investisseurs, l’équipe du pôle Infrastructures et Transport est positionnée sur 4 secteurs – transports, mobilité durable, énergie, télécommunications - et vise un investissement nouveau de 200 à 250 M€ par an, en privilégiant les projets sobres en carbone. Avec 22 participations, la Caisse des Dépôts est notamment actionnaire de GRT gaz, de la LGV Tours-Bordeaux, de la société d’autoroutes Sanef, d’Eurotunnel, du Viaduc de Millau, de la société de la rocade L2 de Marseille et du train rapide Rhône Express entre le centre de Lyon et l’aéroport de Lyon Saint Exupéry, et a pris des participations dans des plateformes numériques avec Tutor Investissement et énergétiques avec la Compagnie du Vent. des Renaud de Matharel, Cube Infrastructure: Je voulais juste dire que les positions extrêmement fortes que ces fonds d'investissement souverains ou quasi-souverains prennent depuis peu sont surprenantes. Je parle des positions majoritaires, des positions d'actionnaires de référence. Mathias Burghardt, ARDIAN : C'est là, le changement. C'est le seul changement, parce qu'ils sont investisseurs dans l’infrastructure depuis très longtemps, voire depuis plus longtemps que nous. Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Et ça, c'est là où je rejoins ce qui a été dit. Ce changement ne paraît pas pérenne, parce qu'un fonds souverain qui gère les retraites d’un Etat n'est pas fait pour devenir l'actionnaire de référence, par exemple, du métro de Paris. Ça ne marchera pas, parce que lorsqu’il y aura des sujets très politiques qui arriveront sur le devant de la scène, il y aura des accidents et des problèmes, et ça fera désordre pour ces fonds souverains de se retrouver en première page des Échos, comme principale partie devant s’engager pour résoudre ces problèmes. Pour moi ça, c'est franchement le signe de l’existence d’une bulle, c'est anormal, ce n'est pas un équilibre qui me paraît durable. Mathias Burghardt, ARDIAN : Oui, je suis d'accord avec Renaud, je pense que le seul élément nouveau là-dedans, c'est le fait qu'ils deviennent majoritaires, y compris d'actifs complexes comme les aéroports. Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Mais pas tous, pas tous, il y en a qui sont restés plus raisonnables que d'autres. Mathias Burghardt, ARDIAN : Il y a par exemple Ontario Teachers qui est désormais actionnaire à 100% de l’aéroport de Bristol. C’est vrai que si demain il y a un problème dans un aéroport, les organes de gouvernance de ces caisses de retraites de fonctionnaires composés en grande partie par 37 FINANCE table ronde des personnes peu qualifiées pour gérer ce type d’actifs et souvent peu au fait des enjeux locaux (représentant des salariés, professeurs d’économie etc…) risquent de remettre en question la pertinence de la présence de ces institutions aux commandes de telles infrastructures complexes et loin de leur base. Renaud de Matharel, Cube Infrastructure: Il y a en effet pas mal de Canadiens qui ont pris des positions majoritaires, mais pas tous. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Et comment le justifient-ils, d'être majoritaires ? 38 Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Ils ont tellement de liquidités... le problème est que le deal flow auquel ils ont accès est trop faible par rapport à la liquidité qu'ils ont à investir. Quand on regarde les montants et la croissance de leur fonds sous gestion, ce n’est pas surprenant. Et pourtant, ce n'est pas le marché des infrastructures qui manque de profondeur en Europe : c'est un faux miroir. Le problème qu'ils ont, c'est celui que Vincent disait tout à l'heure : pour pouvoir investir sur la partie la plus importante de ce marche, c’est-à-dire sur le middle-market des infrastructures essentielles pour les collectivités locales, il faut avoir la proximité des deals, il faut pouvoir développer des angles d’approches qui répondent aux besoins de ces collectivités car le prix ne fait pas tout pour elles. Comme il s’agit d’un service public d'infrastructure, il faut être crédible en tant que gestionnaire et operateur d’infrastructures pour être agréés par les collectivités publiques. Les grand deals d’infrastructure qui font la une de la presse - je vous dis un chiffre en l'air pour donner un ordre de grandeur - ne doivent pas représenter plus de 20 % du marché, alors que les infrastructures essentielles pour les collectivités locales constituent le reste du marché pour lesquelles les besoins d’investisse- Table ronde ment et le potentiel de développement restent énormes. J’ajouterai par ailleurs que même sur les 20 %, on arrive à se positionner, parce que les grands fonds étrangers ont besoin d'un contenu local et on arrive quand même à avoir encore des positions qui sont intéres- ‘‘ Je crains malheureusement que la nouvelle ordonnance sur les marchés publics recèle une volonté politique de réduire le nombre de projets dits de « PPP » ’’ santes. En tout cas sur les 80% du marché, ils ne sont guère présents. Marie-Laure Mazaud, CDC : Et ils ne cherchent d’ailleurs pas à l’être. Vincent Levita, InfraVia : Ils ont quand même établi le pricing de la classe d'actifs, y compris sur ces dealslà. L’évolution des prix est le résultat d’un ensemble de choses : la baisse des taux, parce qu'il y a un peu de duration dans nos actifs, la baisse des taux fait mécaniquement monter les prix. Et la liquidité. Donc c'est un environnement intéressant et dynamique. De toute manière, ça fait plus de dix ans qu'on est dans ce secteur, on a vu les périodes de liquidité et de non-liquidité, c'est quand même mieux quand il y a de la liquidité. Ça donne plus d'options, il y a plus de choses à faire, que ce soit en financement, en acquisition, en build-up, en sortie éventuellement, c'est mieux. Mathias Burghardt, ARDIAN : Il y a beaucoup de liquidités parce qu'il n'y a pas de croissance. S'il y a injection massive de liquidités, c'est parce que l’économie est sous perfusion. C'est quand même ça, la réalité. Nous sommes dans un environnement économique déprimé, où les matières premières sont au plus bas et dans lequel les autorités monétaires injecte massivement des liquidités car il n'y a pas de croissance ni d'inflation. Je ne trouve pas que ce soit un environnement très sain. Stéphane Duhr Stéphane est Directeur au sein de l'équipe Infrastructure de 3i à Paris depuis Novembre 2013, suite à l'acquisition de Barclays Infrastructure Funds Management Limited. Stéphane a rejoint Barclays Infrastructure Funds en 2005 BIFM pour développer des opportunités d'investissement en France. Vincent Levita, InfraVia : Tu fais un raccourci macro-économique … qui me paraît contestable ! Il est actuellement impliqué dans de nombreux aspects de l’infrastructure, de l'origination à l'exécution des projets, dans tous les secteurs de Greenfield / PPP avec une couverture géographique couvrant la France, le Benelux et l’Europe Centrale. Stéphane est également en charge de la gestion des investissements existants en France tels que l'INSEP, 1er contrat de Partenariat signé avec l’état français, La Cité Sanitaire Nazairienne, deux lycées en Loraine ainsi que la Maison d’Arrêt Paris La Santé. Stéphane a également mené des investissements à l'étranger tels que l’A12 et A9, deux autoroutes aux Pays-Bas. Il est membre du comité de direction d’une douzaine de sociétés de projet, en France et en Hollande. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : On avait justement fini la table ronde de l'année dernière en disant que la baisse du niveau du brut, qui à l’époque venait de commencer, allait probablement bouleverser les grands équilibres. Depuis son niveau n’est pas remonté et en dépit de cela, les investissements mondiaux dans les énergies renouvelables ont crû de 17% l'année dernière. Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Ce n'est pas grâce à Cube, ça c'est sûr ! Auparavant, Stéphane a passé deux ans dans le département Stratégie et Planning de Barclays Capital à Londres afin d’aider les directions produits et pays de la banque à développer leurs activités et à élaborer leurs plans stratégiques. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Comment s'explique ce phénomène et quelles en sont les conséquences ? Vous êtes tous d'une manière ou d'une autre dans l'énergie, quand même. Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Le marché de la production d’énergie en Europe, je crois que tout le monde sera d'accord pour dire que c'est un marché devenu très compliqué, c'est un marché qui est aujourd’hui littéralement sinistré. En premier lieu, nous avons tous investi ces dernières années dans ce marché avec l'idée qu'il n'y aurait jamais de décision rétroactive sur les tarifs règlementés de l’électricité et que la fiscalité qui participe à l'équilibre économique des PPA resterait raisonnable et on s'est lourdement trompés. C'est un point qui est lourd de conséquences. On va voir ce que les arbitrages en cours contre l’Espagne et l’Italie devant le Tribunal International vont donner. J'espère de tout cœur que les jugements rendront justice aux investisseurs, parce que sans ça, ça va durablement détruire la disponibilité de la liquidité des fonds d'infrastructure et en général des investisseurs à très long terme, pour financer les actifs d'énergie, ce qui serait très grave. En deuxième lieu, je trouve également que ce qui s’est passé sur le marché de la production d’électricité de base n’est pas du tout rassurant pour la stabilité du marché avec le remplacement du nucléaire par des centrales au char- bon extrêmement polluantes. Je crains malheureusement que la COP21 ne pourra rien y changer. Comment expliquer à des investisseurs à long terme que dans la situation dans laquelle nous sommes, face au réchauffement climatique auquel nous faisons face, nous donnons maintenant priorité en Europe au charbon sur le nucléaire et le gaz ? 39 FINANCE table ronde 40 Vincent Levita, InfraVia : Le paysage énergétique européen est compliqué. On s'aperçoit que c'est complètement globalisé, l’équilibre énergétique européen est bouleversé parce que d'un côté, il y a Fukushima, et de l'autre côté, les Américains développent le gaz de schiste. En Europe, on fait la promotion des énergies renouvelables, et résultat, on se retrouve avec des centrales à gaz dont tout le monde pensait que c'était le futur, qui ne sont plus compétitives et les centrales à charbon qui sont rouvertes. Le fait est qu'il n'y a pas une stratégie énergétique en Europe parce que les Etats ont tous des agendas qui sont très différents. Et ça, on ne peut pas reprocher aux Allemands, aux Polonais, de ne pas avoir la même vision que les Italiens et les Français. Au final, le marché de l'énergie en Europe est en très mauvais état. Au niveau de la production d'énergie, on ne sait pas quel mix va être orienté, COP21 ou pas, et ça va générer de la volatilité partout. Sans vouloir être cynique, du point de vue des investisseurs infrastructure, ça génère autant d'opportunités que de risques, parce que ça va génère une reconfiguration du marché énergétique, entre les producteurs et les propriétaires d'infrastructure, qui donne et qui a déjà donné, d'ailleurs, des opportunités d'investissement dans les infrastructures. Maintenant, pour l'énergie elle-même, en particulier le renouvelable, ce n'est pas évident de voir comment ça va évoluer. On peut parler de la taxe carbone ou du certificat Vert, pour voir que ces systèmes-là marchent très mal. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Et pourtant, vous êtes tous investis dans des projets d'énergies renouvelables, sur les douze derniers mois, non ? Vous en avez tous dans vos portefeuilles... Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Non, nous sommes sortis, au cours des douze derniers mois, du renouvelable français en raison de l’ins- Table ronde tabilité règlementaire qui prédomine en Europe sur ce marché. Nous prenons donc un risque mesuré d’obsolescence. Mathias Burghardt, ARDIAN : Je pense au contraire que ce sont les énergies de l'avenir. C’est vrai qu'il y a eu et qu’il y aura des soubresauts. Mais Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Et dans de l'énergie dont le prix a été divisé par deux en l'espace de deux ans. Aujourd'hui, le mégawatt, en Allemagne, ça vaut 25 centimes. ‘‘ Aujourd'hui, je pense que les besoins sont plus du côté de la maintenance et de la rénovation, que du côté des infrastructures neuves ’’ prenons par exemple, le prix de l'énergie solaire qui a baissé de manière drastique. Dans le sud de l'Europe, dans le sud de la France, il est devenu aussi compétitif que celui de l'éolien ou des nouvelles centrales nucléaires. Et ceci va continuer car les technologies se développent, de manière incroyable. En plus, il y a une nécessité géopolitique, car il s’agit d’une une énergie locale. Il y donc aussi une justification d'indépendance énergétique. Cela ne veut pas dire que ce sont toujours de bons investissements, mais dire que les énergies renouvelables n'ont pas de sens, c'est un combat d'arrière-garde. Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : C'est clair. Nous, on ne peut simplement pas investir parce que l’environnement réglementaire n'est pas sécurisé. Mathias Burghardt, ARDIAN : Je rejoins Renaud, on investit maintenant, sachant que dans trois ans, ces mêmes technologies seront plus efficientes. Daniel Benquis Associé responsable des activités Infrastructure en France pour EY à la fois pour les transactions Brownfield et en compagnie de Stephane Manoukian pour les projets greenfield Philippe Detours, Demeter : Ce qu'il faut quand même différencier, c'est qu'évidemment, il y a eu des aléas réglementaires, mais pas non plus dans toute l'Europe. Mathias Burghardt, ARDIAN : Il n'y a pas que les énergies renouvelables qui ont subi des aléas réglementaires. Philippe Detours, Demeter : Le risque réglementaire s’est clairement cristallisé dans le secteur des énergies renouvelables (mais pas uniquement), donc ça a beaucoup focalisé les attentions. Ce qui est quand même très intéressant aujourd'hui, c'est que dans le discours des investisseurs les questions qu’on pouvait avoir sur ce risque réglementaire ont aujourd’hui totalement disparu des discussions. On est au tout début d’un basculement du risque réglementaire de l'autre côté, vers le secteur « carbon intensive ». A titre d’exemple, il y a aujourd'hui dans la loi Macron un article (173 je crois) qui demande à tous les investisseurs de lister précisément quels sont les investissements qu’ils font qui peuvent être considérés comme étant carbon intensive. Quand le régulateur commence à mesurer une activité, c'est pour faire quelque chose avec ces mesures, et notamment pour réguler cette activité, ce n'est pas juste déclaratif. Les pouvoirs publics réalisent qu'il y a un sujet qui est porteur de risques et de coûts considérables. Je vous invite, si vous ne l'avez pas vu ou écouté, à regarder le discours qu'a fait Mark Carney, qui est le gouverneur de la Banque Centrale d’Angleterre, ex-gouverneur de la Banque Centrale du Canada, un ancien de Goldman Sachs, et qui est 25 années d’expérience dans les Infrastructures L’équipe Financement de Projets d’EY, avec plus de 15 professionnels, est l’une des plus actives du marché. Elle a travaillé sur plus de 160 projets depuis 2005 dont Balard, le port de Calais, des projets de prison, Stade de Bordeaux, l’Université de Strasbourg. E&Y intervient sur des dossiers majeurs de transaction ou de restructuration en infrastructure tant pour des clients corporate que pour des fonds d'infrastructure (Aéroports de Paris, Saur, etc…) à ce titre aussi régulateur des sociétés d’assurance au Royaume-Uni. Son message est très clair : Messieurs les assureurs, mesurez votre risque, parce que moi, mon métier de régulateur, c'est de vous dire que vous êtes en train d'accumuler un risque systémique extrêmement important. Il rappelle le risque de valorisation des actifs lié aux « stranded assets ». Il leur demande donc de bien mesurer leurs investissements « carbon intensive » et leur éventuelle exposition à ce risque systémique. Le risque réglementaire est donc en train de basculer des énergies renouvelables, vers les industries et les investissements « carbon intensive ». Si l’on veut res- pecter les objectifs d’un réchauffement climatique limité à 2°C, il faudra le cas échéant pénaliser réglementairement les investissements allant à l’encontre de cet objectif. Mathias Burghardt, ARDIAN : Par exemple, nous avons des investisseurs, et pas des moindres, qui nous demandent de ne pas investir dans des centrales à charbon. Dès que ces exigences vont se généraliser, il y aura un problème d'offre et de demande pour ces centrales. Philippe Detours, Demeter : C’est une tendance lourde. Yves Lepage, Orrick RM : Oui, il y aura de plus en plus de réglementations. Cela a commencé avec tous les institutionnels, la banque mondiale, etc., aujourd'hui, l’IFC ne finance pas de centrales à charbon. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : L’IFC, de quoi s’agit-il ? Yves Lepage, Orrick RM : L’International Finance Corporate, c’est-à-dire le bras armé de la Banque Mondiale dans les investissements. Vincent Levita, InfraVia : La problématique des stranded assets dépasse la 41 FINANCE table ronde question du charbon. Le risque, c’est que, sur le climat, les états ne réagissent pas parce que politiquement, ils n'y arrivent pas, et du coup, le jour où ils réagiront, ça sera tellement tard, qu'ils réagiront de manière ultra violente. Et les estimations, c'est que pour ne pas dépasser les deux degrés, il ne faut pas consommer dans les 100 ans plus de la moitié des réserves de pétrole identifiées. Ça veut dire qu'en gros, un champ de pétrole qui vaut ses réserves, si dans les 100 ans qui viennent, tu ne peux pas en consommer plus de la moitié, en gros, il vaut la moitié. Donc le message, c'est : faites attention à la vraie valeur de vos actifs. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Donc risque majeur de dévaluation des portefeuilles industriels ? 42 Yves Lepage, Orrick RM : Cependant, par exemple, sur le pétrole, les réserves ne cessent d'augmenter, en particulier du fait du gaz de schiste. Philippe Detours, Demeter : Non, c'est la moitié d'un stock actuel. Tout ce qui est au-delà, c'est en trop. Renaud de Matharel, Cube Infrastructure: Sur ce sujet, je voudrais juste donner un témoignage, je ne serai pas le seul à en donner un. Nous avons beaucoup travaillé de notre côté sur ces centrales au gaz qui étaient à vendre. Il y en a encore plusieurs qui sont à vendre à travers l'Europe. Il y en a qui ont été vendues ces derniers temps en France. Sur la base de mon expérience acquise chez Paribas dans le financement de centrales à cycle combiné au gaz dans les années 90, j'étais persuadé qu’une centrale qui a été mise en service en 2012 ou 2013 avec un niveau d'efficacité énergétique de 58-59 % – ce qui était le cas de celles qui viennent d’être vendues en France- ne pourrait que rester compétitive dans un marché où le charbon ne pourrait pas être la solution pour garantir l'énergie de base d'équilibre du réseau à moyen terme. Table ronde Nous avons donc travaillé avec un conseil spécialisé dans ce domaine et avons appelé tous les électro-intensifs du marché pour essayer de leur vendre à prix fixe à dix ans l’électricité produite par ces centrales. Nous sommes allés assez loin dans les négociations ‘‘ Le risque réglementaire est en train de basculer des énergies renouvelables vers les industries et les investissements « carbon intensive » ’’ avec certains électro-intensifs, mais in-fine le prix offert pour l’électricité produite à 10 ans ne permettait pas de donner une valeur positive à ces centrales après prise en compte des coûts d’exploitation. Le prix auquel ces centrales se vendent en ce moment est environ égal à 20 % du prix neuf. Cela donne une idée de l'ampleur des dégâts aujourd'hui sur le marché de la production d’électricité. Daniel Benquis, EY : Il faut dimensionner les enjeux. J’ai discuté avec un certain nombre d'énergéticiens et ils se demandent aujourd'hui s'ils vont être encore là dans deux ans. Quand on prend du recul sur toutes ces entreprises, qui étaient censées vivre éternellement, parce que travaillant à la production stratégique de leur pays, en Allemagne, en France ou en Italie, on peut vraiment s’interroger. Leur survie est une question qu'ils ne se sont jamais posée auparavant. Pour eux, c'était complètement inimaginable Il y a des personnes au sein de ces sociétés qui sont extrêmement déstabilisées. C’est l'illustration de ce que disait Renaud tout à l'heure. On a aujourd'hui des actifs qu'on vient de construire sur des technologies de pointe qu’on doit arrêter, en subissant en parallèle des évolutions de prix d’achat de 1 à 2, à la hausse, puis à la baisse, sur des périodes de quelques mois.. Dès lors un secteur entier est sens dessus-dessous. Philippe Detours Directeur du Fonds Demeter 4 INFRA depuis septembre 2013 Responsable de ce fonds dédié aux infrastructures du secteur de l’environnement et de la transition énergétique Vincent Levita, InfraVia : Oui, mais ça, il faut savoir pourquoi. La demande d'énergie est déclinante parce que l'industrie va mal, cela ne vient pas de nulle part. Les Américains, avec leur gaz de schiste, ont créé un choc d'offre, ils ont mis le coût de l'énergie à zéro, ça a reboosté leur industrie, ils ont enclenché une dynamique positive. Et nous, on reste avec une énergie qui est chère et qui pénalise l'industrie. L'industrie ne décolle pas, la demande énergétique ne décolle pas, le prix de l'électricité va au tapis et toutes les infrastructures de production d'électricité sont difficilement rentables. C'est une spirale qui est dans l'autre sens, la croissance économique et le secteur de l’énergie sont complètement liés. Ancien d’ABN Amro, il rejoint Macquarie en 2005 où il a d’abord été charge de l’origination et de l’exécution de missions de conseil financier sur les opérations de PPP/Concessions avant de rejoindre en 2008 Macquarie Infrastructure and Real Assets à Paris, la division de Macquarie en charge de la gestion des fonds infrastructures. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Et pour être un peu plus positif, y-a-t-il d'autres segments plus dynamiques ? Vincent Levita, InfraVia : Pour finir sur l'énergie, les acteurs en difficulté sont les producteurs d'énergie. Nous, on se focalise sur les infrastructures énergie, et cette situation-là, de manière un peu opportuniste, génère un tas d'opportunités, parce que les infrastructures d'énergie, il y en aura toujours besoin, pour tout ce qui est transports, distribution, stockage, dans des schémas structurés qui sont plus adéquats à notre intervention que le schéma intégré verticalement dans les grandes sociétés de production. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Et quid télécoms ? Ça, c'est un secteur qui vous plaît tous ? Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : On y est tous, maintenant. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Vous y êtes tous, est-ce que vous pouvez être plus spécifique ? Vincent Levita, InfraVia : C'est un secteur qui est très intéressant aussi. Celui-là est en croissance, parce que les technologies bougent, les usages explosent complètement, que ce soit sur le fixe, sur le mobile, ça génère un trafic qui est de plus en plus important. Il est quand même compliqué, parce qu’au niveau des opérateurs, l'évolution n'est pas terminée, les opérateurs ont gagné beaucoup d'argent, là, ils en gagnent moins, donc ça va forcément générer un peu de changement dans le secteur. Mais ça génère un besoin d'infrastructures qui est très important et en croissance, ça génère de la valorisation des actifs existants, ce sont des schémas que nous aimons bien. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Denis, vous voulez dire quelque chose sur l'angle fiscal, avec des bonnes nouvelles j’espère ? Denis Andres, Arsene Taxand : Ce ne sont pas forcément des bonnes nouvelles, et en réalité, j'ai entendu plein de choses depuis ce début de matinée. Tout d’abord, nous avons parlé des évolutions sur la compétitivité entre acteurs ; pour ma part, je ne la mesure pas aussi directement que vous qui êtes sur le marché, mais c'est vrai qu'on me demande, selon la sensibilité des acteurs et leur profil d’investisseurs, d'aller plus loin, sur tel ou tel sujet technique ; à titre d’exemple, le sujet des droits d’enregistrements en cas de prépondérance immobilière est un sujet du moment en infrastructure dont 43 FINANCE table ronde les enjeux peuvent apparaitre plus ou moins important d’un acteur à l’autre. Celui qui se pose moins la question du prix me fait aller beaucoup moins loin sur un sujet fiscal de ce type, alors que pour d’autres l’enjeu peut être plus direct. Au final, cela est reflété dans les prix et assez souvent, celui qui s'est moins posé la question, qui a besoin ou la volonté d’investir, c’est celui qui l’emporte... Ça renvoie finalement à votre situation de marché. En outre sur le besoin de sécurité réglementaire, je le vois de mon côté sous l’angle fiscal quand on me demande de regarder un modèle et d'essayer de voir dans la boule de cristal sur des années sur des tendances fiscales, c'est quasi impossible à faire, aujourd'hui, de donner de la sécurité à long terme. 44 Xavier Leloup, Magazine des Affaires : C'est toujours aussi instable qu'on peut le penser, fiscalement ? Denis Andres, Arsene Taxand : Oui, et pas qu'en France. Quand on a des modèles qui sont multi-pays, ça reste assez compliqué. Par exemple, sur la partie de levée de fonds, j’ai pu être appelé pour essayer, sur le volet fiscal, de voir si on pouvait donner de la sécurité à un investisseur, pour répondre à la question « est-ce que sur le marché français, vous arrivez à confirmer que les régimes fiscaux sont stabilisés ». Vous vous rendez compte de la question ? En réalité, nous pouvons donner notre sentiment à l’appui des modifications législatives en projet ou en dis- Table ronde cussion, mais à l’impossible nul n’est tenu. Ce qu’il faut retenir, c’est que des investisseurs se posaient la question, en phase de levée de fonds, du niveau de stabilité fiscale avec au fond un besoin d’être rassuré sur un niveau relatif de sécurité juridique sur le marché. Au fond, les investisseurs étrangers qui sont nos clients sur ce type de deals ont ‘‘ Un fonds souverain qui gère les retraites d’un Etat n'est pas fait pour devenir l'actionnaire de référence, par exemple, du métro de Paris ’’ déjà une bonne connaissance de la fiscalité française. Ce qui est recherché à l’occasion de ce type d’échanges, c’est finalement une forme de vision prospective, d’anticipation sur la tendance législative afin de sécuriser autant que faire ce peu les hypothèses des BP. La fameuse « boule de cristal ». Mais il est clair en effet que les étrangers investissent toujours en France. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Le cadre fiscal général des investissements en infrastructure est-il aussi diversifié que le secteur MAIS DE QUOI PARLENT-ILS ? lui-même ? Denis Andres, Arsene Taxand : Il y a des spécificités par nature de sousjacent. C'est vrai que quand on travaillait sur tout ce qui était éolien, etc., on était beaucoup sur tout ce qui relève des taxes foncières, il y avait tout ce qui était restructuring préparatoire, parce que l'actif était en construction, « comment je fais des apports partiels d'actifs en régime de faveur sur une éolienne qui est en devenir, qu'est-ce qui relève du foncier ou pas, quel est l'impact en taxe professionnelle ? ». Du coup, sur les modèles, ces questions avaient de vrais impacts. Aujourd'hui, on a d’autres sujets, et nous avons déjà évoqué par exemple le point des droits d’enregistrement qui à titre d’exemple pourraient être une question à enjeux sur des deals comme Geosel dont nous avons parlé. Sur ce type d’actifs, c’est une question compliquée qui doit être abordée, avec plusieurs acteurs, tant au plan juridique que financier et non pas simplement au plan purement fiscal. Je note en outre toutes les questions relatives aux cash flows et aux frottements fiscaux et autres capacités distributives à analyser qui sont autant de sujets clefs de l’industrie infrastructure. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Ça fait des bonnes soirées, ça ! Denis Andres, Arsene Taxand : Ça fait des bonnes soirées, mais je ne suis pas sûr qu'au bout, ça fasse toujours de bonnes discussions, parce qu'en réalité, ce qu'attend mon client, ce sont des Les ‘‘stranded assets’’ sont des actifs bloqués, c’est-à-dire qui perdent de leur valeur en raison de l’évolution du marché. Dans le domaine des énergies fossiles, cette expression se réfère à la part des réserves énergétiques que les compagnies pétrolières, minières ou gazières ne pourront pas exploiter en raison de nouvelles réglementations découlant de la lutte contre le réchauffement climatique. Problème : ce sont justement sur l’étendue de ces réserves que repose une partie de leur valorisation. Renaud de Matharel CEO et Managing Partner de Cube Infrastructure, fonds brownfield d’1,08 Md€ (13 opérations réalisées) et en cours de levée d’un deuxième fonds Cube II Renaud de Matharel dispose de plus de 25 ans d’expérience dans les Infrastructures : d’abord comme banquier chez BNP Paribas, où il s’occupa pendant dix ans de Project Finance essentiellement dans le domaine de l’énergie, ensuite comme industriel au sein de Vinci Concessions (projets routiers en tant que DGA de SGE Concessions et projets aéroportuaires en tant que DG de Vinci Airport Management). Il rejoint Natixis en 2005 pour créer Cube Infrastructure Cube est investi avec des positions de contrôle et une approche d’opérateur dans quatre métiers : l’efficacité énergétique (3e acteur en France) ; la fibre télécom (1er acteur 100% fibre en France) ; les transports publics (2è acteur en Allemagne ; 5ème en Norvège et 1er en Belgique) et la production d’électricité (300MW en France et Espagne) réponses très tranchées qui ne peuvent malheureusement pas toujours être apportées. Vincent Levita, InfraVia : J'ai une question là dessus, parce que c'est un vieux débat qu'on entend tout le temps : l'incertitude fiscale freine les investisseurs. On a dit tout à l'heure qu'il y avait des tonnes d'argent qui étaient prêtes à être investies en France, donc en fait, est-ce que c'est vrai ? Denis Andres, Arsene Taxand : Je ne crois pas. Pour ma part, je pense que les investisseurs se posent la question pour essayer d’avoir une vision la plus claire possible. S’ils posent des questions c’est surtout parce que ça fait partie La Caisse des Dépôts et Placements du Québec (CDPQ) et le Canada Pension Plan (CPP) comptent parmi les plus importants investisseurs institutionnels canadiens en Infrastructure. A titre d’exemple, la taille cible des investissements Infrastructure de la CPP se situe entre 500 M$ et 2 Mds$ canadiens, mais peut aller jusqu’à 4 Mds £ C sur un seul actif. De manière générale, on notera que 29% des 69 LP’s canadiens ont plus de 10% d’actifs infrastructure dans leur portefeuille, contre moins d’1% en France (source : Preqin). 45 FINANCE table ronde d'un cycle de raisonnement. Et au fond ils veulent surtout être alertés en case de changements législatifs importants. 46 Daniel Benquis, EY : En fait, tu as deux types de questions : Est-ce que l'ensemble des compétiteurs sont à pied d'égalité lors de l'offre, et là, c'est vrai que c'est une question que l'on a très souvent. Est-ce que je ne suis pas désavantagé parce que j'ai telle structure, telle nationalité - c’est une première série de questions. Deuxième série de questions: Est-ce que je vais réussir à adapter mon modèle économique en cas de changement de la fiscalité ? Dit d’une autre façon, est-ce que je pourrai changer mes prix ou pas, si la fiscalité vient à changer ? C'est là où on arrive à des problématiques de droit administratif, de capacité à modifier telle concession, tel contrat, en fonction des modifications réglementaires ou fiscales. Yves Lepage, Orrick RM: Mais ce problème ne se pose pas seulement en France. Pour moi, ce n’est pas spécifique à la France, parce que quand on fait un deal en dehors de France, on se pose exactement les mêmes questions sur un projet à l’international. Dans cette optique, je ne pense pas que les changements de la loi fiscale soient matériellement différents en France et dans les autres juridictions. Vincent Levita, InfraVia : C'est amusant de voir le discours et la réalité : le discours général, c'est de dire que la France est un pays pas très friendly pour les investisseurs, il y a des évolutions fiscales, il y a des risques régle- Table ronde mentaires, il y a du protectionnisme, et néanmoins, les investisseurs étrangers ont envie d'investir en France, et quoi qu'on en dise, ils y arrivent, il y a plein d'exemples ne serait-ce que dans les ‘‘ Je ne pense pas que les changements de la loi fiscale soient matériellement différents en France que dans les autres juridictions ’’ douze derniers mois. Alors, on rêverait d'un environnement plus stable fiscalement, réglementairement, mais effectivement, ça fait partie de notre boulot d'évaluer ce genre de risques, d'essayer de mettre en place la flexibilité, d'évaluer la capacité de transférer les risques et les impacts économiques. Yves Lepage, Orrick RM : Au-delà du langage politique, etc., on a quand même une administration qui est plutôt flexible ou pour être plus précis, il y a quand même des juridictions dans lesquelles on travaille, qui sont bien pires. MAIS DE QUOI PARLENT-ILS ? Xavier Leloup, Magazine Affaires : Absolument. des Yves Lepage, Orrick RM : Les règles, tu peux les appliquer de manière souple. Yves Lepage Mathias Burghardt, ARDIAN : Encore une fois, revenons à la théorie de la relativité. Il y a deux ans, tout le monde disait « il faut investir au Brésil, en Turquie etc… L'Euro, c'est compliqué, ça va se casser en trois, en quatre, etc., il faut aller dans les pays en croissance ». Aujourd'hui, pourquoi avonsnous ces débats sur les prix ? Notamment parce que tous ces investisseurs qui investissaient massivement dans les pays émergents sans toujours analyser le cadre juridique et fiscal reviennent aujourd’hui en Europe. Finalement, d'un point de vue relatif, l'Europe reste un des meilleurs endroits pour investir, en tout cas un des plus sûrs. Par ailleurs on se « flagelle » sur la fiscalité française, et sur stabilité alors que de l’autre côté de la manche on parle de Brexit. Beaucoup d’investisseurs se focalisent sur des aspects secondaires en perdant de vue les fondamentaux. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Le greenfield, en France, Marie-Laure, tu es un peu une spécialiste à travers la CDC. Le lancement du projet Calais a finalement pu aller à son terme. Cela a pris du temps, mais c'est un projet majeur. Marie-Laure Mazaud, CDC : Pour ceux qui ont porté cette opération sur les fonts baptismaux comme la CCI Côte d’Opale, cela fait plus de dix ans Géosel est la société propriétaire du site de stockage souterrain d’hydrocarbures de Manosque ainsi que des pipelines le reliant aux ports de pétrolier de Fos et Lavéra. Avec une capacité de près de 9 millions de mètres cubes, Géosel représente environ 20% de la capacité d’hydrocarbures en France et sert au stockage d’environ 40% des stocks stratégiques en France. Total vient d’en céder le contrôle à un consortium composé d’EDF Invest et Ardian qui valorise sa participation à 265 M€ hors stocks opérationnels. Associé d’Orrick Rambaud Responsable adjoint du Groupe Infrastructures au niveau mondial. Martel Énergie et et Outre une expérience de 30 ans en matière de PPP, projets d’infrastructures internationaux et mise en œuvre de projets dans le secteur de l’énergie, Yves Lepage dispose d’une expertise dans la privatisation et acquisitions de sociétés dont l’actif principal est constitué par des biens d’infrastructure. Parmi ses dossiers récents, on peut citer : l’extension en Mer de la principauté de Monaco lors de laquelle le cabinet accompagnait Bouygues Construction, l’assistance de Golar LNG dans le cadre du premier projet d’installation et d’exploitation d’une unité flottante de liquéfaction de gaz naturel (FLNG) en Afrique ou encore l’assistance au Gouvernement du Mali pour la réalisation et le financement d'une centrale hydroélectrique située à Kénié. Également, très présent sur le marché français, son équipe s’est notamment vu remettre le prix du Conseil juridique de l’année 2015 en Infrastructure Greenfield par le Magazine des Affaires. qu’ils y travaillent. Nous plus de trois années bien tassées. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Est-ce que le greenfield, maintenant, avance ? Il y a aussi une réforme du contrat de partenariat qui a été adoptée. Peut-on en dire quelques mots ? Marie-Laure Mazaud, CDC : Le Greenfield, effectivement, a très subs- tantiellement ralenti aujourd'hui ; ceci est largement lié au « French bashing » qui a entouré les PPP et les concessions ces dernières années. Le cadre vient cependant d’être rénové ; il s’inscrit dans la continuité, redéfinit le PPP Avec 89 M€ de fonds propres, 270 M€ de fonds publics et 504 M€ d’émissions obligataires, le financement de la concession du Port de Calais constitue sans aucun le plus grand projet Greenfield signé en France au cours de l’année 2015. Soutenue par des sponsors aussi prestigieux que le fonds Meridiam, la CDC et les CCI Côte d’Opale et Région Nord de France, cette nouvelle infrastructure a toutefois fait l’objet de deux recours en annulation, dont l’un introduit par le groupe Eurotunnel. 47 FINANCE table ronde 48 comme faisant partie de la commande publique, avec cette dernière qui a été largement simplifiée, et une ordonnance qui cherche à mettre aussi des garde-fous pour finalement avoir le recours au PPP, non pas pour étaler la dépense budgétaire, mais véritablement avec l’idée d'avoir une évaluation préalable, qui justifie son recours pour la collectivité. Pour nous, on pense que c'est un schéma qui est gagnant-gagnant. Maintenant, il reste à remettre au cœur des débats des collectivités. Dans cette quête, il est clé que les donneurs d’ordre comprennent ce que peut apporter un investisseur privé dans cette démarche, ou un investisseur public comme la CDC, et dans son l'ensemble, le monde de l'investissement en fonds propres et quasi fonds propres. Car si nous sommes complémentaires des financements publics, type DFE ou BEI, en venant renforcer la robustesse des projets et en en assurant pour la collectivité la maîtrise d’ouvrage, la BEI comme les fonds d’épargne viennent financer à très bas prix et sur des durées longues, incluant des périodes de grâces conséquentes, cette commande publique et les infrastructures associées, sans finalement que d’aucun se pose de manière systématique la question de l’évaluation du coût-bénéfice, pour ces projets. Il est important de montrer d'abord qu'il existe des opérations montées en PPP ou concessions qui ont été réalisées avec succès et sont performantes aujourd’hui et de remettre en exergue les avantages qu’elles procurent, à savoir le respect des délais, la maîtrise des coûts, la limitation des réclamations, notamment par rapport à une commande publique dont on ne fait que de manière très parcimonieuse l’évaluation à postériori et sur laquelle on communique peu ou pas en termes de résultats. Le PPP comme la concession, c’est quand même un frein à la réclamation par rapport à la commande publique. C'est la pérennisation des coûts de maintenance dans la durée, c'est le contrôle des risques opérationnels, à travers des investissements en fonds propres Table ronde de parties privées et donc véritablement un moyen de s'assurer, y compris vis-à-vis des financeurs, que l'on participe au contrôle des risques plus opérationnels, que ce soit les risques d'exécution, les risques liés à l’exploitation tout comme la maintenance ou ‘‘ Avec la volonté d’être toujours mieux disant, le management dans l’infra peut bénéficier d’un type de management package similaire à celui rencontré dans la private equity ’’ des risques plus commerciaux de type trafic ou volume. Donc je pense qu'il y a un vrai axe à remettre en route. Il faut que tous les acteurs y participent. Il y a un écosystème qui existe, qui est expérimenté et performant, il faut que tous les acteurs y participent, pour le remettre en route. La difficulté étant de s’assurer que l’évaluation préalable requise, sous la houlette non seulement de la Mission d’Appui aux PPP (qui va être rebaptisée) mais également de la Direction du Budget, ne constitue pas un frein l’initiative publique mais amène les acteurs à se poser les bonnes questions et à formuler des recommandations pertinentes au bénéfice de la collectivité et ce dans un cadre bien compris et simplifié. Par ailleurs, les deux ordonnances vont permettre de légiférer sur les dépenses utiles en cas d’annulation, de résolution ou de résiliation des contrats dans le cadre d’un recours, ce qui est un progrès appréciable pour la mise en œuvre de ces opérations. Denis Andres Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Le recours et l'acceptabilité publique constituent-ils les deux sujets majeurs aujourd'hui sur le greenfield ? Ex-Arthur Andersen Denis Andres est avocat associé d’Arsene Taxand dont il anime la ligne de service Transactions et représente le cabinet français au niveau international au sein du réseau de fiscalistes mondial Taxand. Marie-Laure Mazaud, CDC : Je pense que le recours est un véritable frein aujourd'hui à l'exécution d'un certain nombre de projets. L'idée d'avoir une bonne visibilité sur cet aspect - qui n’est en fait que la traduction de la jurisprudence en la matière - et d'avoir sanctuarisé l’indemnisation des dépenses utiles en cas d'annulation, de résolution ou de résiliation des contrats, est, je pense, une vraie avancée dans le débat et dans la possibilité de réaliser les projets selon les calendriers agréés et de les mener à leur terme. Les procédures de recours et leur traitement restent à réformer, mais j’ai oui dire que ce sujet serait à l’agenda en 2016, ce qui serait une bonne chose. Conseil fiscal d’opérateurs historiques dans les domaines de l’infrastructure à l’appui d’équipes financières, il a également contribué au développement de l’expertise Infrastructure du cabinet Arsene depuis 2008, en conseillant des fonds d’infrastructures et autres consortiums sur des opérations aux nombres desquelles figurent : 49 •Covage •Enovos •TIGF •Géosel •Aéroport de Toulouse Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Et après, il y a l'acceptabilité, dont tout le monde parle, finalement. Marie-Laure Mazaud, CDC : L'acceptabilité est un autre sujet à ne pas négliger. Elle est souvent à l’origine de l’incompréhension ou de la dichotomie qui existe entre les collectivités et le secteur privé, sur le rapport à la rentabilité, le rapport au rendement et plus globalement à leur implication dans les projets. Pour rapprocher les parties et les positions, la structure de la SEMOP a été validée en 2014 ; il s’agit de sociétés d'économie mixte à objet unique dans laquelle la collectivité locale détient au minimum 34% du capital de la société et où il peut donc émerger un véritable partenariat public-privé, adossé à des schémas de type PPP, Concession ou DSP Exploitation. A ce jour... il n'y a peu d'exemples concrets, mais on y travaille activement. C’est l’occasion de remettre les collectivités comme partie prenante à l'organisation, l’exécution et l’exploitation de ces opérations, et à leur suivi, de recréer du liant exprimé en termes de co-développement et de les impliquer dans les décisions au quotidien. C'est aussi un moyen de rapprocher les investisseurs privés et les collectivités, de définir des objectifs de réalisation d'investissement et d'exploitation communs, bénéfiques pour tous. Sur Calais, nous avons travaillé avec les CCI (Côte d’Opale et Nord de France), c'est vrai que ce sont des investisseurs qui ont leur approche propre de l’investissement, ils ont aussi une fonction très opérationnelle d’exploitant, ils connaissaient très bien les deux actifs : Calais et Boulogne sur Mer. Nous avons dès le départ eu un alignement d'intérêt très fort sur les objectifs de transformation, impliquant une maîtrise des effectifs et de la masse salariale, en faisant des employés des deux ports les acteurs de la réussite, en les associant au tour de table de la société d’exploitation pour 5% de son capital, et également avec des objectifs de développement des activités fret (y compris ferroviaire), passagers et halieutique et de contrôle des coûts. Nous n'aurions pu le faire indépen- damment de l'exploitant actuel. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Chez Orrick, vous faites beaucoup de greenfield, en tout cas vous en avez fait beaucoup. Yves Lepage, Orrick RM : On en a fait beaucoup. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : À quel temps est-ce qu’il faut conjuguer ça ? Yves Lepage, Orrick RM : Je suis tout à fait d'accord avec ce que dit MarieLaure. Il y a une très nette décrois- FINANCE table ronde 50 sance des projets depuis six mois, un an. Nous avons été très occupés cette année mais sur des projets qui avaient commencé depuis au moins un an. Le PPP du port de Calais en est le parfait exemple. Marie-Laure Mazaud, CDC : Oui, c’est bien le cas. Il y a eu après la concession de l'A355, mais dans le cadre d’un appel d’offres très encadré à un seul tour, avec un objectif de closing dans les 12 mois du début de la consultation. Mathias Burghardt, ARDIAN: Est-ce que c'est mieux ? Yves Lepage, Orrick RM : Non. Marie-Laure Mazaud, CDC : Pas mieux. Yves Lepage, Orrick RM : Au niveau de l'État, il n'y aura pas de nouveaux PPP jusqu’à la prochaine élection présidentielle. Table ronde décentralisation et en impliquant de façon croissante les grandes régions et métropoles. sions et les DSP, sont quelque part, une forme de délégation de service public, dans un format sensé être moins lourd. Mathias Burghardt, ARDIAN: Mais est-ce que nous en avons besoin ? Parce la première question est de savoir de quelles infrastructures avons-nous besoin ? Nous sommes dans une époque où il faut mieux utiliser les infrastructures existantes, plutôt que d'en construire de nouvelles. Vincent Levita, InfraVia: Je pense que les besoins en infrastructures sont immenses dans tous les domaines, on a parlé de l’énergie, des télécoms, il y a aussi les transports locaux. Sans rentrer dans les détails de juriste, tous les schémas de coopération public-privé sont utiles, des PPP aux concessions ou aux autres. Dans les transports, les grands réseaux sont là, mais les infrastructures de transport locales, tout est à refaire, on est en train de reconcevoir la ville de demain, ça va demander des infrastructures partout. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Oui, il y a de la rénovation. Marie-Laure Mazaud, CDC : Il y a énormément de sujets à faire en termes de rénovation de nos infrastructures et réseaux autoroutiers et routiers non concédés, ferroviaires, de transports urbains et de distribution de chaleur par exemple. Yves Lepage, Orrick RM: Je pense que là, au niveau local, on va voir se développer des PPP sur les collèges. Vincent Levita, InfraVia : Mais il y en aura après. Yves Lepage, Orrick RM : Mais les télécoms, ce n’est pas des PPP. Marie-Laure Mazaud, CDC : Oui, mais plus dans le cadre des lois de Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Les PPP, comme les conces- Marie-Laure Mazaud, CDC : Il y a beaucoup de besoins en termes d'infrastructures. Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Ce n'est pas comme ça que c'était formulé, je suis d'accord. Mais n'empêche que je suis d'accord qu'il y a besoin d'infrastructure dans l'énergie. Daniel Benquis, EY : Il y a besoin et besoin. Du point de vue du développement des transports routiers, par exemple aujourd'hui c'est en partie terminée. C'est vrai que les politiques aiment bien faire quelque chose qui se voit et c'est vrai qu’une autoroute est quelque chose qui se voit. Elle est là et pour longtemps. Aujourd'hui, je pense que les besoins sont plus du côté de la maintenance et de la rénovation, que du côté des infrastructures neuves. Quand on regarde ce que coûte un kilomètre d'autoroute, versus un lycée ou un hôpital, on se dit qu’on peut construire un grand nombre de bâtiments sociaux pour quelques mètres d’autoroute. Ça donne à réfléchir. Yves Lepage, Orrick RM : Il y a des résistances locales sur les autoroutes, des résistances écologiques. Tu parles de la COP21. Marie-Laure Mazaud, CDC : Sur les réseaux autoroutiers, il y a quand même une problématique de rénovation ou de réhabilitation des réseaux, notamment aux abords des grandes agglomérations. Sur Paris et avec sept entrées principales sur la capitale et un réseau non concédé extrêmement détérioré générateur d’externalités négatives, je pense qu'il y a un cadre pour un nouveau plan de relance. Il y a une véritable nécessité de remettre à niveau ces sections d’autoroutes pour limiter/ éviter les remontées de files, organiser le transport PL à l’arrivée sur Paris et Rungis en toute sécurité, améliorer les surfaces et le drainage pour limiter les pollutions sur le plan écologique ; ce n'est pas acceptable aux abords de grandes agglomérations d’avoir des infrastructures qui se sont détériorées si rapidement et qui nuisent à l’attractivité des grandes villes. En matière de transports urbains, il y a des problèmes de connectivité, d'inter-modalités conséquentes, sur les nœuds inter-modaux, dans les grandes mégalopoles qu'on est en train de constituer, Marseille en est un exemple criant, avec une population qui circule à près de 75% en voiture individuelle et que l’on doit inciter à passer à plus de transports en commun, à plus d'auto-partage, et de manière globale à des transports multimodaux. Sur le numérique, il y a tout le plan d’initiative publique qui donne un sacré coup de pouce. Sur le ferroviaire, il y a tout un pan qu'on a voulu éluder jusqu’à aujourd'hui, parce qu'on n'arrive pas à réformer la SNCF ; de ce fait, il y a une dégradation croissante du réseau, avec pour corollaire de plus en plus de retards horaires, mais également de plus en plus d'accidents. Ceci est dû à la fois au réseau lui-même aux ramifications tentaculaires et qu’on a de fait du mal à maintenir, mais également au renouvellement du matériel qu'on repousse indéfiniment, sur lequel on ne veut pas faire d’expérimentations privées, alors que chez notre voisin allemand, il y a déjà près de 25%des trains régionaux qui sont gérés par le secteur privé. En Angleterre, c'est un système ferroviaire encore plus dissocié et réparti entre d’un côté les infrastructures, de l’autre l’exploitation ferroviaire et encore celui de la détention et location du matériel roulant. Je pense qu'en la matière, il y a d'énormes besoins ; c'est in fine une question de volonté politique et plus généralement la volonté de faire entrer le secteur privé sur ces segments de marché pour bénéficier des best practices et de créer des conditions d’agilité, dans des secteurs qui sont aujourd’hui totalement monolithiques. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Justement, Renaud ? Après, Stéphane. Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Ce que je pense, c'est que de dire qu'il n'y a plus besoin d'infrastructures, c'est un peu comme si on disait qu'il ne peut plus y avoir 51 FINANCE table ronde 52 de croissance économique. Il y a des gens qui le pensent, mais en réalité, il y aura toujours besoin d'infrastructure. Pourquoi ? Parce que le progrès fait qu'il faut continuer à investir. La masse d'investissement est toujours très conséquente. Tous les exemples qui ont été donnés, y compris dans l'énergie, nous le montrent. Mathias Burghardt, ARDIAN : Estce que c'est là où tu focalises tes efforts, en réalité ? Bien sûr qu'il y en aura toujours besoin, mais est-ce que ce n'est pas marginal, par rapport aux acquisitions et à l’amélioration d’infrastructures existantes ? Yves Lepage, Orrick RM : Tu regardes les grands projets de PPP de ces cinq dernières années. Les stades ? C'est terminé. Balard, TGI,…de même. Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Dans le métier de l'efficacité énergétique, ça se voit moins parce que c'est au niveau local, mais c'est en réalité un marché beaucoup plus important que celui des PPP auquel tu fais référence. Yves Lepage, Orrick RM : On est tous d'accord. Table ronde Renaud de Matharel, Cube Infrastructure: Le point que j'essayais de dire est qu’il y a clairement une opportunité de relance économique de type keynésienne par l’investissement dans les infrastructures. Le besoin est là, il n'y a aucun doute là-dessus. Pour s’en convaincre, il suffit par exemple de voir les besoins d’investissement dans le transport ferroviaire local en France. Contrairement à ce qui se fait en Allemagne depuis 20 ans, les opérateurs et investisseurs privés ne sont pas autorisés à investir sur ce marché en France en raison du monopole encore accordé à la SNCF. Ce n’est pas normal et il faudrait libérer ce marché. La crise économique de 2007-2008 a été surmontée grâce à une reprise de la dette du secteur privé par le secteur public. Cependant, pour pouvoir supporter cet accroissement de la dette publique, les gouvernements européens ont ensuite été obligés de décentraliser la charge de financement des infrastructures locales vers les collectivités locales. Avec le ralentissement économique et la baisse des rentrées fiscales, les collectivités locales sont aujourd’hui de ce fait moins solides financièrement qu’avant la crise et peinent à contribuer les subventions souvent nécessaires au développement de nouveaux projets d’infrastructures. C’est certainement le principal maillon bloquant au développement du marché. Ce qui m'étonne beaucoup est que le plan Juncker, au niveau européen, ne prévoit pas de donner un coup de pouce aux collectivités locales pour les aider à financer leur quote-part des subventions publiques nécessaires au développement de nouveaux projets. Il n’y a en France qu’un secteur qui semble épargné : la fibre optique télécom. Pourquoi ? Parce que le gouvernement français s'est rendu compte que la fibre ne pourrait pas être déployée dans les zones rurales si les collectivités locales n'avaient pas accès à des financements qui leur permettraient de contribuer les subventions publiques nécessaires au déploiement des nouveaux réseaux. Le gouvernement a fait appel au fonds d'épargne de la Caisse des Dépôts, qui ont été mis à disposition de manière extrêmement efficace, ce qui fait qu'aujourd'hui, les collectivités locales ont pu lancer et mettre en place de nombreuses DSP. C'est un des marchés les plus dynamiques, dans lequel Cube est très actif aujourd'hui à travers Covage. Dans les autres secteurs, ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas besoin d'infrastructure, c'est juste qu'il n'y a pas les moyens. Vincent Levita, InfraVia : Oui, mais les moyens, c'est une question de politique. On touche le débat fondamental en Europe, avec d'un côté les Allemands et le pacte de stabilité, et de l'autre côté plus ou moins tout le reste de l'Europe ... du coup, effectivement, il y a les tenants d'une politique de relance de type keynésienne, Roosevelt, le new deal, le plan Marshall, qui sont d'ailleurs soutenus par Juncker. Et de l'autre côté, il y a les rigoristes, les Allemands et certains Français. Tant qu'on est dans cette pensée-là, effectivement, on n'investit pas dans les infrastructures. Ce n'est certainement pas une question de besoins, c'est une question de financement. Je conçois que certains ne soient pas d'accord avec cette politique. Aujourd'hui, il n'y a pas les financements, ni au niveau de l'État, ni au niveau des collectivités locales. Du coup, ça ralentit, les infrastructures doivent être faites par le privé. Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : C'est paradoxal, quand même. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Stéphane ? Stéphane Duhr, 3i: Sur ce que disait Marie-Laure, je suis vraiment d'accord sur l'analyse des outils contractuels, je pense que c'est positif quand même, quelque part, ça banalise « l’outil PPP », qui était un peu un OVNI pour de nombreux décideurs publics. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Parce que les PPP, chez 3i, c'est une de vos spécialités, enfin le greenfield. Stéphane Duhr, 3i : Chez nous à Paris, chez 3i, ça l'a été, en effet. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Ça l'a été, en tout cas, longtemps. Stéphane Duhr, 3i : On fait encore pas mal d’infrastructure greenfield en France, mais c'est la moitié de l'équipe, globalement, et la moitié du business passé. Sur l'avenir, c'est plutôt un quart, seulement, et trois quarts sur le core infrastructure, on va dire. Pour revenir à l’ordonnance, j'ai envie de dire « on verra ce que ça va donner », mais je crains malheureusement qu'il y ait une volonté politique de réduire le nombre de projets dits de « PPP »... Si tant est qu'on puisse réduire l'utilisation de quelque chose qui n'est pas utilisé aujourd'hui, de toute façon, et là il y a une contradiction assez forte. On dit que le marché est stagnant, mais il est faible et stagnant, malheureusement. Et en plus de ça, vous rajoutez une volonté politique de moins utiliser un outil qui s'appelait le PPP, qui est devenu maintenant moins »étrange » car réintégré dans la commande publique, mais globalement il y a quand même les seuils (de l’article 144 du projet de décret), de 5-10-20 millions, selon l’objet concerné, vous les connaissez come moi, qui ne vont pas nous impacter, nous, parce que de toute façon, les projets en dessous de 20 millions ne sont pas financés par les structures de project finance avec de l'equity porté par des investisseurs comme nous ou d’autres, mais malheureusement, ça va réduire l'utilisation de l'outil, parce qu'il y a quand même pas mal de petits projets qu'on ne voit pas, qui sont sous notre radar, comme les gendarmeries, les piscines, les chaudières… Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Les chaudières, carrément, oui. Stéphane Duhr, 3i Oui, les chaudières d’hôpitaux, des budgets à trois millions, cinq millions, dix millions. Et malheureusement tout ça, on le coupe. Ce n’est pas très bon. Et tuer un marché, ça commence peut-être par tuer les 80 % de projets qui ne font peut-être que 20 % de la valeur, mais c'est quand même beaucoup de projets qui vont être tués, malheureusement. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Et par rapport à ce qu'on disait avant, est-on d'accord pour dire que le Fonds européen pour les instruments stratégiques (FEIS) ne sert à rien ? Vincent Levita, InfraVia : Ah non. Je ne suis pas du tout d’accord. Mathias Burghardt, ARDIAN : Comme Yves, je pense qu'effectivement, il y a toujours besoin d'infrastructures, mais qu’aujourd'hui il faut réfléchir sur les priorités. Prenons le projet de taxe poids lourds, un des grands PPP français, construit, et que l’on démonte sans l’avoir utilisé. Sur Tours-Bordeaux, le plus important PPP européen depuis Eurotunnel qui a nécessité 4 milliards d’euros de subventions publiques, les donneurs d’ordre disent aujourd’hui « finalement, on n'a pas besoin d'autant de trains ». Il y a donc un sujet sur le niveau et le type d’infrastructures nécessaires et la capacité de l’Etat à anticiper les besoins puis à mettre en œuvre ses décisions. Les deux économies au monde qui se portent le mieux, en tout cas pour l'instant, les États-Unis et l'Allemagne, sont des pays dont les infrastructures sont parmi les plus vétustes. 53 FINANCE table ronde 54 À mon avis, le combat sur la relance keynésienne, se posait il y a trente ans. Aujourd'hui, c'est plutôt la rupture numérique. La nouvelle économie aux Etats-Unis construit une nouvelle marque de voitures en dix ans, alors qu’au même moment des constructeurs historiques disparaissent. AirBnb, en vingt ans, a détrôné Hilton sans investir dans l’immobilier ! Il faut donc s’interroger avant de lancer un programme massif de construction d’infrastructures... je ne dis pas qu'elles sont inutiles, mais est-ce les bonnes ? Les Allemands n’ont-ils pas raison d'insister sur le numérique plutôt que d'aller construire le dernier barreau qui reste entre deux autoroutes ? Stéphane Duhr, 3i : Avec sept milliards d'élargissements de routes (Amodels), qui va se faire sur les quatre ou cinq prochaines années, ce n’est quand même pas négligeable, et espérons le utile sur un plan socio-économique. Mathias Burghardt, ARDIAN : Mais est-ce ça qui va relancer l'économie ? Ce n'est pas ça qui a relancé l'économie américaine, ce n'est pas ça qui a relancé l'industrie allemande. Je pense que nous sommes dans une autre économie, nous sommes dans un changement radical d'économie, et ce n'est plus la qualité des infrastructures classiques qui font la différence. Sinon, le Portugal et l'Espagne n’auraient pas connu les difficultés qu’elles ont Table ronde connues. Vincent Levita, InfraVia : Je ne suis pas d'accord. Alors je suis d'accord sur le fait que la croissance va venir du numérique et de l'innovation, du développement technologique, etc., ça, c'est évident. Mais justement ça nécessite et ça génère un tas de besoins en infrastructures. Pourquoi les aéroports sont très chers en ce moment ? Plus le business se globalise, plus tu fais du business par Internet, plus tu as besoin de voyager. Il y a bien une raison pour laquelle le transport international augmente aujourd'hui. Yves Lepage, Orrick RM : C'est une vision un peu philosophique des choses. Yves Lepage, Orrick RM : Notre business a a toujours été un métier cross border, ça fait 35 ans que c'est cross border. On n'a rien inventé, enfin je veux dire, les aéroports, il y a 25 ans que cela croit au niveau international. Ce n'est pas depuis trois ans. Les ouvertures du capital des aéroports ont commencé il y a plus de 20, 15 ans et effectivement, c'est un actif attractif, pour des raisons très spécifiques, en particulier le fait que les revenus aéroportuaires sont en devise et dans des juridictions difficiles payés en dehors de la juridiction. Marie-Laure Mazaud, CDC : C'est surtout que tu bénéficies de la crois- sance de l'économie mondiale, donc finalement, ce sont des actifs qui génèrent des performances qui sont bien meilleures que la croissance locale.... exemple de VINCI Park qui devient Indigo, qui met le paquet sur l'interconnectivité des services, du digital, alors qu'à la base, c'est du parking – et les concessions, mais c'est du dur. Vincent Levita, InfraVia : Tout est lié, on dit la même chose, en réalité, la croissance mondiale est soutenue par l'innovation. Ça génère de la croissance au niveau mondial. La croissance au niveau mondial demande plus d'infrastructures, d'énergies, de transports, etc. Mathias Burghardt, ARDIAN: Le PDG d’Indigo, Serge Clémente, nous a très vite dit « le monde du parking va complètement évoluer ». Ce qui se passe pour AirBnb peut parfaitement se passer dans le parking, c'est-à-dire que le parc de parkings peut exploser si un certain nombre de parcs privés ou semi-privés deviennent disponibles pour des usagers tiers. La bataille n'est plus tellement de faire croître le nombre de parkings en concession ou en propriété, mais de mettre en place rapidement des plateformes numériques. Si on ne cherche pas à consolider le marché au travers des technologies numériques on risque de se faire emporter par la vague. Je pense que c'est vrai dans les parkings, et ce sera vrai dans d'autres secteurs. Yves Lepage, Orrick RM : Mais elle demande une infrastructure différente. de schiste, mais bien sûr, et par l'industrie. fondamentaux de l'investissement dans infrastructure ? Philippe Detours, Demeter : Et notamment une infrastructure plus locale, l'énergie est un bon exemple. Marie-Laure Mazaud, CDC : Mais je pense que la manière dont on va investir dans les infrastructures est aujourd'hui différente. On ne peut le faire sans y mettre une couche de services, une autre de numérique, digitalisation. On a aussi des opérateurs qui aujourd'hui mettent en place des digital factory, des labs, comme dans le secteur des transports urbains, pour utiliser les informations dont ils disposent sur leurs usagers afin de développer des services autour de l'usage. Cela nous oblige à nous intéresser et à investir dans des sujets moins régulés, à mettre une couche de services de mobilité, d'intelligence numérique, pour s’approprier les actifs en cours de cession ou le développement de nouveaux et pour ainsi faire la différence. Daniel Benquis, EY : Je crois qu'il faut avoir une vision de la stabilité de chacun des marchés où l'on peut travailler. Prenez l'exemple d'AirBnb qui a radicalement transformé l'industrie hôtelière, sans qu’il y ait de signe avantcoureur. C’est à la mode, on parle d'uberisation de l'économie. En fait, tout peut être impacté y compris les métiers de services comme les nôtres, avocat, fiscaliste, comptable, qui demain, peuvent également être transformés. Le métier d'investisseur ne sera pas non plus épargné, parce qu’il y a une vitesse de transformation de l'économie qui induit que, ce que l'on croit être stable et pérenne aujourd'hui, peut fondamentalement être chamboulé demain. Je citais l'exemple des énergéticiens E.ON, EDF ou Engie. Leur dire il y a cinq ans qu’ils pourraient se retrouver en difficulté, voire disparaître à brève échéance semblait lunaire. Ils n'y pensaient pas. Donc je crois qu'aujourd'hui, chaque métier doit analyser sa façon de travailler et considérer que tout peut radicalement changer, entre autres parce que le numérique permet des mises en relation complètement différentes de ce que l'on connait aujourd'hui. Des exemples, il y en a de plus en plus et cela va aller en croissant. Yves Lepage, Orrick RM: Mathias, je ne veux pas dire que le fait qu'il n'y ait pas d'infrastructure ne soit pas un handicap. Mais nous avons en France actuellement un système d'infrastructures qui fonctionne très bien. C'est clairement un des éléments de compétitivité de ce pays, mais ce n'est plus une priorité, c'est tout. Daniel Benquis, EY : Je pense qu'il y a deux sujets. Il y a un problème de qualité pour des infrastructures indispensables. Si on supprime l'autoroute A1, je pense qu'on arrête le pays. De l’autre côté, aller construire aujourd'hui une autoroute entre je ne sais où et nulle part, cela ne sert à rien. Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : La rupture numérique est un facteur central, on est bien d'accord. Mais la reprise américaine a été, pour moitié au moins assurée par le développement du gaz de schiste et par la conversion des infrastructures de production d’énergie du charbon au gaz. On dit que cela a créé 2 points de croissance aux Etats-Unis, je ne sais pas si c'est vrai. Vincent Levita, InfraVia: Par le gaz Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Et alors justement, sur la projection des revenus dans la durée : les business models se réinventent en permanence, il y a des révolutions digitales à espace très court de deux ou trois ans, et vous êtes tous là pour investir sur du long terme. Comment projeter des revenus sur du long terme, avec tout ce que ça sous-entend, en tant que structure, alors qu’il y a des nouveaux sujets, des nouveaux services. Est-ce que, finalement, la révolution digitale ne bouleverse-t-elle pas les Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Et donc il y a ce fameux Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Et par exemple, sur les tours télécoms que tu viens d'acheter en Irlande, est-ce que tu imagines de nouveaux services, à partir de cet actif ? Vincent Levita, InfraVia: Moi, je vois le côté positif, on revient sur la discussion du début, les prix des actifs sont trop élevés pour des actifs stables. À la fois, c'est normal qu'un actif stable, son prix soit élevé, on rejoint d'une certaine manière l'immobilier. Donc nous, ce qui nous intéresse, c'est les actifs sur lesquels il y a du développement à faire. C'est là où je ne te rejoins qu'à moitié, ça peut être du développement d'actifs, parce qu'il y aura forcément besoin de nouveaux actifs, et ça peut être sur ces actifs-là du développement de services. Et nous, sur notre portefeuille de tours en Irlande, on peut s'asseoir sur les contrats et dire « on ne change rien jusqu'à la nuit des temps », ou on peut travailler avec nos clients pour dire « de quoi vous avez 55 FINANCE table ronde besoin demain, comment on peut vous aider, comment on peut développer les services, est-ce qu'il y a besoin de nouveaux actifs ou pas, auquel cas, on les construira, ou est-ce qu'il y a besoin de nouveaux services sur ces actifs-là ». C'est évident qu'une partie des idées va venir de nos clients opérateurs télécoms, parce qu’ils sont à la manœuvre en termes d'innovation, et une partie des idées peuvent venir de nous. Donc on est dans un monde qui est quand même assez dynamique, qui fait que la valeur ajoutée peut venir de l'infrastructure, du service sur l'infrastructure, de la connectivité de l'infrastructure. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Et quid de l'équipe dirigeante ? 56 Vincent Levita, InfraVia : Et il faut une équipe dirigeante qui soit armée pour exploiter l'infrastructure, c'est-àdire pour savoir faire évoluer le service. C'est là que notre métier devient passionnant. Après, il faut faire la part des choses entre la part de la valeur ajoutée qui est créée par le service lui-même, par l'actif, par l'investissement ou par la connectivité avec d'autres services. Dans le transport local, je pense que vous ne vous rendez pas compte, on est en train de passer de la ville et sa banlieue à un concept de ville élargie, de mégapole. La gouvernance est en train d'évoluer dans ce sens-là, les problématiques de transports que ça soulève. Les problématiques de transports internes que ça soulève sont gigantesques, et la réponse, ce sera un mix, comme toujours, de voitures, peut-être demain de voitures qui se conduisent toutes seules, de parkings, bien sûr, de tramways, de trains régionaux, etc. Tout ça, ça reste à construire et il y aura des besoins d’actifs, de connectivité entre actifs et d'intelligence à mettre dedans. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Est-ce qu'on ne passe pas quand même une barrière supplémentaire quand on parle de partage d'actifs ? Avec AirBnb par exemple, Table ronde le propriétaire d'un actif, en l'occurrence un bien immobilier, peut le ‘‘partager’’ et en tirer ainsi des revenus de manière totalement différente. Ça, quand on achète du dur, est-ce que ça ne change pas... Idem pour les investissements pour les aéroports : tu me disais, Mathias, que tu faisais des investissements purement digitaux, qui permettent de décupler le tarif sans investir, sans construire du dur. Mathias Burghardt, ARDIAN : Exactement, donc par exemple, à Naples, on a augmenté la capacité de l'aéroport de 20 %, sans construire de nouvelles infrastructures « en dur ». Nous sommes dans un monde où il va falloir faire mieux avec ce qu'on a au lieu de continuer à consommer et à construire,. A chaque fois il faudra se poser la question « est-ce que c'est nécessaire de construire « du dur » ou est-ce qu'on peut, par un autre moyen, rendre le même service? ». C'est vraiment ça, la philosophie. Il faut vraiment se poser la question « est-ce que de nouvelles infrastructures sont nécessaires ou on peut faire mieux ou différemment avec l'infrastructure existante ? », Les systèmes régulés en Europe ont atteint leur limite. On ne vous paie pas pour produire un service, on vous paie pour investir, presque que ça serve ou que ça ne serve pas. Un dirigeant d'aéroport me disait sur le ton de la boutade « à la limite, le système m’incite à construire des WC en or » pour pouvoir augmenter mes tarifs. Je pense que ce système est absurde, que nous sommes dans une autre période ; il faut être jugé en fonction du service que vous rendez, et même, peut-être pénaliser les acteurs qui investissent en générant du CO2 inutilement. Vincent Levita, InfraVia : Oui mais on sait d'où ça vient. Ça vient d'une histoire où on ne voulait pas que les opérateurs d'infrastructure sous-investissent dans les aéroports, dans les réseaux d'électricité, dans les réseaux de gaz, donc au lieu de mettre une régulation privée, on a mis une régulation avec une base d'actifs régulés, et effectivement, il y a un incentive à investir. Cela a bien servi les années de développement. Aujourd'hui, on passe dans l'optimisation de l'infrastructure, qui pour moi va être créatrice de valeur. Je vois ça comme une opportunité exceptionnelle de mieux valoriser les infrastructures actuelles. Mathias Burghardt, ARDIAN : La seule question pour moi, c'est comment protéger les emplois. Comment maintenir/développer l’emploi dans un monde qui se « numérise » ? Vincent Levita, InfraVia : La réponse, on la connaît, il faut du temps. Parce que ce mouvement-là va détruire certains emplois et il va en créer d'autres, sauf que ce n'est pas tout à fait les mêmes gens, ce n'est pas tout à fait la même formation, et ça ne se fait pas en cinq minutes. Du coup, pour passer de cette économie actuelle à l'économie que tu décris, qui va arriver, il faut réguler la vitesse de transformation et il faut investir dans l'éducation évidemment pour que les gens soient capables d'accompagner le mouvement. Ça, ça prend trente ans. Daniel Benquis, EY : Mais l'accélération des technologies, quand on va investir sur un actif, il faut se poser la question « qu’est ce qui peut arriver ?». L'exemple des parkings est extrêmement frappant sur ce point. On croit investir dans quelque chose de solide, de pérenne, mais qui peut devenir en fait complètement inutile si le marché change. Il faut se poser la question. Prenez les taxis. On pouvait considérer, il y a quelques années, que les taxis étaient une quasi-infrastructure, au sens où il y avait un nombre de licences fini. On pouvait connaître à l'euro près, ou presque, les évolutions des revenus liés à l’ensemble du parc. En quelques mois, une évolution technologique a pu tout balayer. Qu’on essaye de l’arrêter ou pas, cela ne change rien. Le changement est technologique à la base et réglementaire ensuite. Même si on tente d'arrêter les évolutions technologiques par la réglementation, la vague peut vous passer au-dessus. Je pense qu'aujourd'hui, en tant qu'investisseur, quel que soit le métier, que ce soit dans l'infrastructure, dans le conseil, dans le service, etc., il est nécessaire de se poser des questions sur les grands changements technologiques potentiels. Il y a tout de même eu quelques exemples majeurs de sociétés qui n'ont pas vu la concurrence arriver. L'exemple un peu ancien aujourd'hui, mais de business school, c'est Kodak, qui a été complètement balayé par la vague numérique. C'était une société qui existait depuis 100 ans et qui a elle-même inventé la photo numérique qui l’a fait disparaitre. C'était un exemple. Il y en avait un tous les dix ans. Maintenant, il y en a tous les ans. Regardez Blablacar. Son évolution technologique permet de changer radicalement la façon de se mouvoir sur de petites ou grandes distances. Dans la foulée, les autres transporteurs commencent à être déstabilisés ; mais au-delà de cet exemple, le nombre de métiers qui sont déstabilisés par ce type d’évolution est assez important. Et ça va aller de plus en plus vite. Philippe Detours, Demeter : Ce que tu es en train de dire, c'est que le concept même d'infrastructure, ce n'est plus exactement le même, l'aspect « j'achète des contrats long terme sécurisés, monopole de situation, de fait, juridique, forte prévisibilité des cashflows, etc., », tout ça, ça devient assez relatif, quand même. Daniel Benquis, EY : En tous les cas, il faut se poser la question. Philippe Detours, Demeter : Si on est sur des actifs où on ne sait pas s'adapter aux évolutions que vous décrivez, ça devient compliqué de rester et d’avoir un business résilient qui tienne la route. Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Il me semble que ce que tu exprimes, Mathias, c'est qu'il y a effectivement un besoin déclinant d'infrastructure dans le domaine du transport routier. Mathias Burghardt, ARDIAN: Et dans l'énergie. Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Sauf dans l'efficacité énergétique, qui comme le transport public -le ferroviaire et les autres moyens de transports en commun- et la fibre télécom, nécessitent des investissements en croissance. Dans l'efficacité énergétique, la mutation est assez forte, en raison notamment du développement du solaire et de la géothermie. En fait, nombreux sont les sujets dont nous pourrions parler qui font que l'horizon n'est pas aussi clair, comme tu le précises. Nous pourrions parler tout aussi bien de la mutation dans le métier des parkings ! Le point est encore une fois que les très gros projets pour lesquels il y a une importante couverture médiatique ne constituent que la pointe de l’iceberg, et qu’on ne parle pas assez du quotidien de l'investissement dans les infrastructures que nécessitent les collectivités locales, ces infrastructures de tous les jours qui, en première ligne, préoccupent les élus locaux. Ces élus savent que si le bus ou le TER n'est pas là à l’heure le matin cela leur sera reproché dans les semaines qui suivent. Il y a de ce fait une vraie pression des infrastructures et du maintien des investissements de maintenance et de renouvellement qu’elles nécessitent. Le problème, je le répète, est que souvent la partie publique n’a plus les moyen financiers d’assurer ces investissements essentiels aux communautés. Je redis ce que je disais tout à l'heure : le plan Juncker ne traite pas à mon avis ce problème comme il le devrait. Je trouve que ce qui a été fait par exemple dans la fibre au travers du programme Caisse des Dépôts par l'État Français pourrait être appliqué dans d'autres secteurs comme l'efficacité énergétique. Il me semble que cela doit faire partie de l’utilisation de ces quantités énormes d'argent qui ont été mises en circulation par la BCE. Si cet argent ne crée pas de croissance, cela va créer un décalage de plus en plus important entre l'économie réelle et l'économie monétaire, si bien que nous courrions le risque d’un ajustement violent. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Philippe, tu voulais dire quelque chose ? 57 FINANCE table ronde Philippe Detours, Demeter : Je suis d'accord avec ce que dit Renaud, juste une nuance, dans le secteur de l'énergie, c'est assez frappant de voir qu'il y a beaucoup de SEM locales, régionales, qui sont assises sur des piles de cash ! 58 Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Sociétés d'économie mixte. Philippe Detours, Demeter : Oui, qui achètent de l'énergie en dehors de leur périmètre géographique, juste parce qu'ils veulent être indépendants énergétiquement et pouvoir dire qu'ils sont verts à 100 %, 90 % ou 50 %. Marie-Laure Mazaud, CDC : Ce que je voulais dire, par rapport au plan Juncker, c'est que cette initiative a permis de faire émerger, dans un grand nombre de pays européens, des projets prioritaires, en tous les cas, de les identifier, parce qu'il y a un vrai sujet de pipeline, en France et ailleurs. Juncker utilise des ressources qui sont déjà disponibles, il essaie de les formater, d’accélérer les conditions de mise en œuvre des projets, de faire jouer l’effet de levier. Les ressources sont là, elles n'ont pas forcément changé ; l'idée est de redonner un coup d’accélérateur à l’investissement, en prenant plus de risques, mais encore faut-il pouvoir apprécier ce que cela veut dire d’un point de vue pratique, dans la mesure où le premier filtre reste en entrée les procédures de la BEI, et quel que soit le pro- Table ronde jet considéré. Et derrière ce processus, à quel coût ? Au-delà de ces questions très pratiques au fond, je trouve que le grand bénéfice de cette initiative, c’est d'organiser en fait la shopping list des priorités et des projets à maturation rapide comme à moyen terme, pour les faire remonter en charge promptement, les faire avancer ou tout simplement les émerger en leur donnant un coup de lumière. Il y a beaucoup d'initiatives en ce sens. Il est toutefois dommage, notamment en France, que cela ne se traduise pas toujours dans les faits et que le gouvernement ne se réapproprie pas cette initiative pour relancer l’investissement dans les infrastructures, grandes et petites. Il y a le CGI aujourd'hui sur ce sujet notamment. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Le CGI, c'est ? Marie-Laure Mazaud, CDC : Le commissariat général d'investissement, qui formalise depuis deux ans ce sujet, et qui vient en écho par exemple du rapport Duron, qui avait en 2013 tenté de formaliser les projets prioritaires, en distinguant deux catégories, l’un avant l’horizon 2030, l’autre au-delà. On a véritablement besoin de définir des priorités et de les mettre en œuvre dans un calendrier volontariste. Vincent Levita, InfraVia : Moi, je suis partisan du plan Juncker quand même, parce que je pense qu'il a eu plusieurs effets positifs. Le premier, c'est qu'il établit les conditions d'une relance par l'investissement, bénéfique pour les emplois à court terme et pour la compétitivité de l'économie sous-jacente. Deuxièmement, cela dit que dans une relance par l'investissement, les infrastructures ont une place importante à tenir, parce qu'elles ne sont pas délocalisables, parce qu'elles créent de l'emploi immédiat et parce qu’elles soutiennent l'économie. Bon, après, là où je commence à être plus inquiet, c'est quand les pouvoirs publics veulent injecter de l'argent public, via la BEI, ou la Caisse des Dépôts, ou via un organisme public, dans une économie qui fonctionne déjà bien au niveau marchand. En gros, quand les projets sont bancables, ils sont finançables, il y a suffisamment d'argent privé pour les faire fonctionner, pas la peine de rajouter une couche de liquidités supplémentaires, d'argent public, ça ne sert à rien, et ça déstabilise un marché qui est déjà compliqué. Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Dans l'efficacité énergétique, ce n'est pas souvent le cas. Vincent Levita, InfraVia : En revanche, a un certain nombre de secteurs qui sont limite bancables, parce qu’effectivement, il faut les pousser un petit peu, il faut les subventionner les premières années, comme ça a été le cas historiquement pour les autoroutes, parce qu'au début, elles ne sont pas compétitives et mettre de l'argent public là, pour démarrer une infrastructure qui sera essentielle et qui soutiendra la compétitivité demain, comme les autoroutes ont soutenu la compétitivité économique des trente dernières années. Donc là, c'est important. Ce qui est compliqué, si on est à la BEI ou même la Caisse des Dépôts, c’est comment je fais l'arbitrage entre les projets où l'on a besoin de moi, parce qu'ils ne sont pas terribles, pas bancables, et les projets qui sont tellement bien qu'on n'a pas besoin de moi, là, il ne faut pas que j'y aille. Marie-Laure Mazaud, CDC : « J'y vais quand même car notre principe d’intervention n’est pas la subsidiarité et de se positionner uniquement sur les carences de marché ». Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Denis, sur l'international, en fiscalité. Denis Andres, Arsene Taxand : C'était juste sur l'international, parce que j'entendais la vague « disruptive » et les évolutions du métier. J'ai l'impression, néanmoins, que sur la partie de l’activité correspondant à des prestations de services incorporelles qui s’agrègent au cœur de l’activité des métiers de l’infrastructure, on vient beaucoup nous voir pour s’assurer des équilibres en matière de prix de transfert, dans un environnement où la compétitivité entre Etats est assez forte ; donc pour les acteurs qui sont multi-pays aujourd'hui, ils nous faut travailler pour sécuriser au mieux leur ancrage géographique. Mathias Burghardt, ARDIAN : Je ne suis pas tout à fait d’accord. Tesla ne s’est pas développé à Jersey ou dans les iles Caïmans. Autrement dit, on ne bâti pas quelque chose pour des raisons fiscales, on le fait parce que ça a du sens, que votre marché et les talents sont là. Ensuite seulement, on cherche à optimiser. Denis Andres, Arsene Taxand : Je ne dis pas que c'est vecteur de choix, effectivement, mais ça rentre dans la photo parce qu’il y a des enjeux financiers. Mathias Burghardt, ARDIAN : Oui, à la fin, pour optimiser, mais une fois que tout est là. Regardez, la Californie, un Etat où la main d'œuvre est très chère, bourré de taxes, et où les risques sismiques sont élevés. C’est pourtant là que se construit en grande partie l’économie de demain ! Il faut se poser la question fiscale, mais ça ne doit pas être le facteur déterminant. Denis Andres, Arsene Taxand : Ce n'est pas la première, parce que c'est d'abord le business, mais en revanche, ça reste des sujets qui sont liés à une partie de la création des services plus dématérialisés. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Et si le management est important, on a plus de raisons de l’intéresser au capital, de le faire monter à la manière d’un LBO. Cette structure d’investissement soulève-t-elle des questions fiscales ? Denis Andres, Arsene Taxand : Clairement, oui. J'ai l'impression qu'il y a une poussée de ce qui était l'apanage du private equity, qui monte, y compris sur l'infrastructure et probablement aussi dans certains dossiers où j'ai pu constater qu’il pouvait y a voir un appétit pour préempter le management, sur les dossiers où vous vous dites que le management est important, et qui participe d’une différenciation de l’offre, qui est plus nette. Au départ, quand on a commencé à travailler sur ce type de dossiers, la question (fiscale) du management n’était pas posée. Puis les questions ont commencé à sortir avec une prise en compte du modèle « type », c’est-à-dire au fond essentiellement la durée de l’investissement et les modalités d’appréhension de la valeur en cours d’investissement, qui conduisait le plus souvent à recourir à des mécaniques d’incentives assez basiques. Aujourd’hui, avec le rapprochement des équipes et la volonté d’être toujours mieux disant, le management dans l’infra peut bénéficier d’un type de management package similaire à celui rencontré dans la private equity. Ils ont dit : Vincent Levita ‘‘Toute notre stratégie consiste à se positionner sur des actifs pour lesquels on ne va pas être en compétition directe avec les assureurs ou les fonds de pension’’ Denis Andres ‘‘Sur la partie de l’activité correspondant à des prestations de services incorporelles qui s’agrègent au cœur de l’activité des métiers de l’infrastructure, on vient beaucoup nous voir pour s’assurer des équilibres en matière de prix de transfert’’ Marie-Laure Mazaud ‘‘Le recours est aujourd'hui un véritable frein à l'exécution d'un certain nombre de projets’’ Stéphane Duhr ‘‘Les investisseurs institutionnels arrivent à recruter des professionnels provenant de fonds existants, en leur faisant des offres parfois très alléchantes’’ Philippe Detours ‘‘Dans le secteur de l’environnement et de la transition énergétique, la perception du marché français par les investisseurs scandinaves ou allemands est extrêmement favorable’’ Renaud de Matharel ‘‘Ce qui a été fait dans la fibre au travers du programme Caisse des Dépôts par l'État Français pourrait être appliqué dans d'autres secteurs comme l'efficacité énergétique’’ 59 FINANCE table ronde 60 Vincent Levita InfraVia : Mais c'est la conséquence des deux tendances qu'on a évoquées ce matin. La première, si nous, en tant qu'investisseurs, on veut être compétitifs face à des gens qui achètent des choses simples, avec un coût du capital très bas, il faut qu'on vise des actifs où il y a une valeur ajoutée. Deuxièmement, il faut accompagner le passage à une économie numérique dont nous avons parlé, la partie services qui se développe, la création de valeur qui viendra de là, et que nous subirons si on ne le fait pas. Ces deux tendances-là font que la place du management sera plus importante. Du coup, on utilise les techniques qui ont fait leurs preuves, on les adapte éventuellement. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : En cela, vous vous rapprochez du private equity le plus classique. Mathias Burghardt, ARDIAN : Je ne sais pas si c'est du private equity, mais effectivement, il y a une convergence des différentes classes d'actifs. Ce qui est sûr, c'est que quand on a commencé ce métier il y a 25 ans, on se disait « une bonne infrastructure, à la limite, il n'y a pas besoin de management, au contraire, moins on en fait, mieux ça tourne, il faut juste une Table ronde bonne maintenance ». Aujourd'hui, ce raisonnement est totalement obsolète, il n'y a plus de rentes de situation. À partir du moment où vous déviez, par rapport à l'économie réelle, ce n'est pas parce que vous avez un contrat qui vous dit que c'est comme ça que ça va se produire. Dans un monde globalisé, vous avez besoin d'un management qui puisse faire évoluer la société, qui puisse anticiper, car sinon, vous êtes balayés. Du coup, vous avez besoin d’un management, d’entrepreneurs qui, à chaque fois qu'ils prennent une décision, le font comme si c'était leur propre investissement. Parce que vous ne pouvez pas tout prévoir tout contrôler. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Oui, c'est ça. Autant que ça le soit, alors. Mathias Burghardt, ARDIAN : Parce que vous ne pouvez pas tout prévoir… donc oui, autant que cela le soit ! Marie-Laure Mazaud, CDC : Et puis chacun d’entre nous a des actifs qui se ne passent pas bien... enfin dont le déroulement ne se passe pas comme cela a été écrit contractuellement. Il y a des contextes réglementaires, géopolitiques qui évoluent. On a donc besoin aujourd'hui d'avoir des équipes aguerries... ce n'est pas aux actionnaires de gérer leurs actifs au quotidien ; on a besoin d’être épaulés par des équipes de direction générale qui gèrent de manière très opérationnelle et très proactive nos actifs. Au cours des deux dernières années, on a recruté régulièrement dans les sociétés projets en portefeuille comme nouveaux, et on fait aussi tourner le management sur ces actifs. Xavier Leloup, Magazine des Affaires : Le dernier point qu'on n'a pas évoqué se rapporte à l’environnement des levées de fonds. Alors qu’il y a beaucoup d'argent - je formule la chose de façon volontairement provocante – est-il devenu facile de lever de l'argent aujourd'hui ? C'est votre actualité à tous ou cela va le devenir. Vincent Levita InfraVia : Ce n'est jamais facile, parce que tu dois quand même convaincre les investisseurs, dans le fonctionnement des fonds tels que les nôtres, de te faire un chèque en blanc. Du coup, ce n'est jamais facile. Mais c'est vrai que c'est plus facile qu'il y a cinq ans. Mathias Burghardt, ARDIAN : C'est plus facile qu’il y a deux ou trois ans. A l’époque l’Europe n’était pas très « tendance »... Aujourd'hui, les investisseurs se disent « finalement, l'Europe, ce n'est pas si mal, même s'il y aussi de l’instabilité, même s'il y a des risques réglementaires ». Par rapport au Brésil, à la Russie ou l'Afrique, c'est quand même une zone adapté aux investissements de long terme. Aujourd'hui, au moins, vous n'a plus besoin de convaincre sur l’Europe, ni sur la classe d'actifs. La classe d'actifs Infrastructure, dans une période de forte volatilité, présente des avantages. Même s’il y a des changements à anticiper, du fait du changement technologique, notre secteur demeure quand même plus prévisible que la plupart des autres industries. Donc le contexte général est plus porteur. Vincent Levita InfraVia : D’abord l'Europe qui a fait ses preuves. Deuxièmement, tout le monde connaît à peu près la classe d'actifs, il y a dix ans, il fallait expliquer ce que c'était. Troisièmement, l'environnement financier, macroscopique, il est très favorable, en relatif à notre classe d'actifs par rapport à d'autres. Quatrièmement, les acteurs comme nous, on existe depuis maintenant plus de 10 ans, on peut montrer ce qu'on a fait avec l'argent qui nous a été confié depuis longtemps. Tout ça fait que c'est plus facile. Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Je partage totalement cet avis. Même si ce n’est jamais facile de convaincre des gens de vous donner de l’argent pour 10 ou 15 ans, le fait qu’il y a beaucoup plus de liquidités qu’avant rend l’exercice de levée de fonds plus facile qu’il y a quelques années. Vous avez raison de dire que nous sommes en levée de fonds. Pour être précis, nous serons véritablement sur le marché lorsque notre MBO sera bouclé, ce qui devrait se faire avant la fin de l’année. Philippe Detours, Demeter : La levée est clairement plus facile. Enfin on va dire que la classe d'actifs est beaucoup mieux acceptée que par le passé. Ce qui pour moi est un peu frustrant, par exemple quand j'avais ma casquette Macquarie il y a quelques années, j'allais voir les investisseurs français, on me disait « vous êtes Macquarie, vous êtes très gros, moi, un ticket de plus de dix millions d'euros, quand même, c'est compliqué, je préfère du franco-français ». Maintenant, je viens avec ma casquette Demeter, je demande juste 10 millions d’euros, et on me dit « vous êtes quand même très franco-français, moi, je préfère investir 40-50 millions d'euros minimum par fonds …». Xavier Leloup, Le Magazine des Affaires : Pas de chance ! Philippe Detours, Demeter : Blague à part, si cette évolution est une bonne nouvelle pour la classe d’actifs en général, on peut néanmoins s’interroger sur l’adéquation de ce comportement des investisseurs institutionnels avec les besoins de financement de la transition écologique et énergétique qui nécessite d’être capable de financer des projets locaux de taille modeste. Parce que Demeter vise un secteur assez ciblé (l'environnement et la transition énergétique) et des projets locaux, notre fonds a une taille cible de 100 à 150M€ qui est considérée comme étant trop petite pour les grands investisseurs français. Donc je revis un peu ce que j'avais vécu il y a quelques années, c'est-à-dire qu’il faut repartir avec son bâton de pèlerin pour évangéliser des gens qui sont un peu moins au fait de cette classe d'actifs, et qui investissent des tickets d'equity qui sont à peu près en phase avec la taille du fonds, c'est-à-dire entre 5 et 10 millions d'euros. Certains peuvent aller un peu au-delà. Mais ce qui est aussi intéressant, c'est qu'on a Ils ont dit : Yves Lepage ‘‘Au niveau de l'État, il n'y aura pas de nouveaux PPP jusqu’à la prochaine élection présidentielle’’ Mathias Burghardt ‘‘Nous sommes dans un changement radical d'économie, et ce n'est plus la qualité des infrastructures classiques qui font la différence’’ Daniel Benquis ‘‘Aujourd'hui en tant qu'investisseur, quel que soit le métier, que ce soit dans l'infrastructure, dans le conseil ou dans le service, il est nécessaire de se poser des questions sur les grands changements technologiques potentiels’’ 61 FINANCE table ronde 62 aujourd'hui une oreille extrêmement attentive d'investisseurs étrangers, notamment allemands, voir même scandinaves. Et c'est là que je fais le lien avec le débat précédent sur la question de savoir si en France il y a encore des investissements intéressants à faire dans les infrastructures. Je peux vous dire que la perception du marché français par certains investisseurs scandinaves ou allemands dans le secteur de l’environnement et de la transition énergétique est extrêmement favorable. Ils voient un marché stable, une économie mûre, un environnement réglementaire malgré tout qui tient la route et où il y a énormément d'opportunités. La France fait à peu près la même taille que l'Allemagne, il y a quatre fois moins d'investissements dans le secteur énergies renouvelables. Il y a donc un potentiel colossal, auquel il faut rajouter le secteur de l’efficacité énergétique qui est très intéressant. Le premier investissement de Demeter 4 INFRA est un contrat de performance énergétique avec une collectivité locale, c’est une thématique (et un profile risque / rendement) qui plait beaucoup à nos investisseurs. On peut aussi évoquer l’efficacité énergétique industrielle, il y a là un champ nouveau qui est très intéressant et prometteur. Indépendamment des situations particulières des uns et des autres qui font que la levée de fonds n’est jamais un exercice facile, il est clair que la classe d’actifs infrastructure s’est beaucoup démocratisée ces dernières années. Très clairement, nous sommes tous assez contents d'être sur une classe d'actifs qui gagne en popularité, qui apporte des solutions de financement à des problématiques fondamentales pour nos sociétés, et qui augmente progressivement sa part dans l’allocations des institutionnels, et c’est a priori une tendance assez long terme. Xavier Leloup, Le Magazine des Affaires : Et maintenant le mot de la fin : pour 2016, quelle est votre prédiction, quelle est votre anticipation ? L'aléa principal ressort-il de l'acceptabilité locale, des risques de marché ou des risques réglementaires ? Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Clairement les risques de marché. La volatilité des marchés financiers, aujourd'hui, vient d'un décalage de plus en plus important entre la sphère réelle et la sphère financière du fait du quantitative easing. Cette volatilité et les risques géopolitiques, qu’on ne peut pas non plus ignorer, constituent des facteurs d'incertitude important. Ceci dit, on a vu dans le passé que l'incertitude peut-être favorable à notre classe d'actifs du fait du « fly to quality » qu’elle engendre. Xavier Leloup, Le Magazine des Affaires : Ça rassure, oui. Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Je pense que le quantitative easing en Europe va peut-être durer encore 4-5 ans. Même si il va y avoir très prochainement une légère hausse des taux aux Etats-Unis, la courbe des taux va rester très plate. Les rendements obligataires vont donc rester très bas. Les investissements dits « alternatifs », dont l'infrastructure, vont donc continuer à demeurer très attractifs pour les assureurs et les fonds de pension du fait des rendements récurrents plus élevés qu’ils procurent. Vincent Levita InfraVia : Je partage cet avis positif sur la classe d'actifs. On connait les tendances, elles vont plus ou moins s’accélérer sur les services mais l'uberisation de l'infrastructure, il ne faut pas non plus s'énerver, ça ne va pas se passer en 2016. Les opportunités sont là, dans tous les secteurs que nous avons évoqués, je ne m'attends pas à des ruptures là-dessus. En revanche, l'économie financière fonctionne bien parce qu’il y a de la liquidité qui est injectée et cela signifie qu'il y a une tension, une décorrélation entre le monde économique et le monde financier, et donc une volatilité très importante. Dès que ça éternue un peu en Chine, le marché yoyote, il revient parce qu’il y a de la liquidité, mais il yoyote complètement. Les incertitudes géopolitiques, plutôt en 2017 comme le Brexit, peuvent sérieusement secouer le système. Pour le moment, les pouvoirs publics soutiennent le quantitative easing, qui fait qu'il y aura de la volatilité, mais pas de catastrophe. Et au final, c'est plutôt bon pour nous. Renaud de Matharel, Cube Infrastructure : Les prix des actifs vont probablement rester très élevés en 2016. Je ne crois pas qu’il y aura un changement, même en cas de dégradation des risques géopolitiques. A ce titre, je serais intéressé de voir ce que font les marchés ce matin. Quelle est la réponse aux attentats de vendredi dernier? Elle est probablement insignifiante. Quand il y a autant d'argent dans l'économie, il faut bien qu'il aille quelque part, cet argent. Xavier Leloup, Le Magazine des Affaires : Dans la sécurité. Vincent Levita InfraVia : Il faut faire attention. Il y a de l'argent, parce qu'il est injecté par les pouvoirs publics, pour maintenir la stabilité financière et donc économique et donc sociale du système. Après, comment ça se réconcilie à long terme, c'est plus compliqué. Mais je vois l'environnement dans lequel on vit, assez stable, avec de la volatilité. Xavier Leloup, Le Magazine des Affaires : Je vous remercie tous. ■